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Arrêt
publié le 10 octobre 2022

Extrait de l'arrêt n° 18/2022 du 3 février 2022 Numéro du rôle : 7538 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 15 du décret flamand du 3 mars 1976 « réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux » La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 18/2022 du 3 février 2022 Numéro du rôle : 7538 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 15 du décret flamand du 3 mars 1976 « réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux » (actuellement les articles 11.4.1 et suivants du décret flamand du 12 juillet 2013 « relatif au patrimoine immobilier »), posée par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 15 mars 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 mars 2021, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 15 du décret du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux (actuellement les articles 11.4.1 et suivants du décret du 12 juillet 2013 relatif au patrimoine immobilier) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus pour autant que de besoin en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il n'exige pas d'avis préalable du Conseil supérieur de la politique de maintien ou d'une instance chargée d'une mission identique ou comparable, alors que le Code flamand de l'aménagement du territoire (article 6.3.10) impose quant à lui un avis préalable ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 15 du décret flamand du 3 mars 1976 « réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux » (ci-après : le décret du 3 mars 1976), tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 21 novembre 2003 « portant modification du décret du 3 mars 1976 portant protection des monuments et des sites urbains et ruraux » (ci-après : le décret du 21 novembre 2003) et avant son abrogation par l'article 12.2.1, 2°, du décret du 12 juillet 2013 « relatif au patrimoine immobilier ».

B.1.2. L'article 15, § 1er, du décret du 3 mars 1976, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, dispose : « Sans préjudice de la pénalité et du dédommagement éventuel, le tribunal ordonne, sur demande des fonctionnaires désignés par le Gouvernement flamand, de réparer [remettre] les lieux dans leur état original.

Le tribunal fixe, après pondération du délai proposé dans la demande de réparation, un délai d'au maximum 3 ans pour l'exécution des mesures de réparation. Après l'échéance de ce délai, le tribunal, sur demande des fonctionnaires désignés par le Gouvernement flamand, peut fixer une contrainte [astreinte] par jour de retard dans l'exécution de la mesure de réparation.

La demande de réparation doit être introduite auprès du parquet pa[r] lettre ordinaire par les fonctionnaires désignés par le Gouvernement flamand au nom de la Région flamande. La demande mentionne au moins les prescriptions en vigueur et une description de l'état précédant [l']infraction et le délai pendant lequel la réparation [remise] en état original doit se faire.

Les fonctionnaires désignés par le Gouvernement flamand notifient également l'inspecteur urbanistique du procès-verbal de la demande de réparation ».

B.1.3. Le renvoi, dans la question préjudicielle, à l'article 6.3.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire, coordonné le 15 mai 2009 (ci-après : le Code flamand de l'aménagement du territoire), repose sur une erreur matérielle. Il peut se déduire de la décision de renvoi que le litige au fond porte sur la situation dans laquelle les mêmes faits peuvent donner lieu tant à une action en réparation fondée sur l'article 15 du décret du 3 mars 1976, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, qu'à une action en réparation fondée sur l'article 149, § 1er, alinéa 1er, du décret du 18 mai 1999 « portant organisation de l'aménagement du territoire » (ci-après : le décret du 18 mai 1999), tel qu'il a été modifié par l'article 8 du décret du 4 juin 2003 « modifiant le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire en ce qui concerne la politique de maintien ». La Cour limite son examen à cette hypothèse.

B.2.1. Le juge a quo compare les personnes qui sont visées par une action en réparation conformément à l'article 15 du décret du 3 mars 1976, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, avec les personnes qui, pour des faits identiques, sont visées par une action en réparation conformément à l'article 149, § 1er, alinéa 1er, du décret du 18 mai 1999, tel qu'il est applicable dans le litige au fond. Dans le second cas, l'action en réparation n'est possible qu'après avis favorable du Conseil supérieur de la politique de réparation, alors qu'un tel avis ou un avis d'une instance chargée d'une mission identique ou comparable ne sont pas requis dans le premier cas. La Cour est interrogée sur la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.2.2. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit d'accès au juge. Ni la question préjudicielle ni la décision de renvoi ne permettent de déduire en quoi la disposition en cause violerait le droit d'accès au juge. La Cour limite dès lors son examen à la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.3.1. La Cour est interrogée sur la situation dans laquelle non seulement une infraction a été constatée sur la base du décret du 3 mars 1976, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, mais dans laquelle une infraction urbanistique a aussi été constatée.

Des mesures de réparation pouvaient être réclamées sur la base tant du décret du 3 mars 1976 que du décret du 18 mai 1999 à l'égard des personnes qui se trouvaient dans une telle situation, de sorte que le législateur décrétal n'a pas instauré une différence de traitement en ce qui concerne le fait d'imposer des mesures de réparation.

B.3.2. Dès lors que les personnes relevant de ces deux catégories sont visées par une action en réparation sur la base de faits identiques, les personnes qui, dans cette situation, sont visées par la première action en réparation sont suffisamment comparables aux personnes qui, dans cette même situation, sont visées par la seconde action en réparation.

B.4. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.1. En vertu de l'article 15 du décret du 3 mars 1976, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, le juge ordonne, à la demande des fonctionnaires du patrimoine immobilier désignés, de remettre le lieu dans son état initial. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 15 du décret du 3 mars 1976 que le législateur décrétal a délibérément choisi, contrairement à ce qui était le cas en matière d'aménagement du territoire, de ne pas prévoir d'autres mesures de réparation, et ce, en raison de l'importance de l'authenticité en matière de patrimoine immobilier : « Au § 1er, l'action en réparation directe est accordée par analogie avec l'article 149 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, tel qu'il a été modifié.

Notez que le juge ne peut imposer qu'une seule mesure de réparation, à savoir la remise du lieu dans son état initial.

Cette mesure aussi était déjà prévue dans le décret existant du 3 mars 1976 et elle est maintenue dans le texte présentement examiné. La raison de cette distinction par rapport à l'aménagement du territoire est à chercher du côté de l'accent sur l'authenticité qu'il y a lieu de mettre pour les monuments et les sites urbains et ruraux. [...] Au § 1er, il est désormais aussi établi par décret, aux fins d'une meilleure politique administrative, que s'il s'agit également d'une infraction à l'aménagement du territoire, le procès-verbal dressant l'action en réparation est notifié à l'inspecteur urbanistique, qui peut alors éventuellement réagir. Toutefois, les fonctionnaires compétents pour constater les infractions au décret du 3 mars 1976 gardent le dernier mot pour ce qui est de la remise dans l'état initial » (Doc. parl., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1727/1, p. 6).

B.5.2. L'introduction d'une action en réparation fondée sur l'article 149, § 1er, alinéa 1er, du décret du 18 mai 1999, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, est subordonnée à un avis positif du Conseil supérieur de la politique de réparation. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires du décret du 4 juin 2003, le législateur décrétal flamand a instauré cette obligation de consultation en vue d'assurer la cohérence de la politique de réparation en cas d'infractions à la réglementation en matière d'aménagement du territoire. Dès lors qu'en vertu de cette réglementation, l'inspecteur urbaniste a le choix entre différentes mesures de réparation et qu'il peut donc ordonner des mesures autres que la seule remise dans l'état initial, le législateur décrétal a estimé qu'il était nécessaire de créer « un organe autonome et indépendant, libre de toute influence politique, qui évalue les décisions de l'inspecteur urbaniste régional et contrôle celles-ci au regard du principe d'égalité et de proportionnalité » (Doc. parl., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1566/1, p. 7).

B.5.3. A la lumière de ces éléments, le législateur décrétal pouvait raisonnablement considérer qu'il n'était pas nécessaire d'instaurer une obligation de consultation préalable similaire pour l'action en réparation fondée sur l'article 15 du décret du 3 mars 1976.

B.6. Il ressort de ce qui précède que l'article 15 du décret du 3 mars 1976, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 15 du décret flamand du 3 mars 1976 « réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux », tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 21 novembre 2003 « portant modification du décret du 3 mars 1976 portant protection des monuments et des sites urbains et ruraux » et tel qu'il était applicable avant son abrogation par l'article 12.2.1, 2°, du décret du 12 juillet 2013 « relatif au patrimoine immobilier », ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 février 2022.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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