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Arrêt
publié le 28 octobre 2022

Extrait de l'arrêt n° 44/2022 du 17 mars 2022 Numéro du rôle : 7684 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 104, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle,

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 44/2022 du 17 mars 2022 Numéro du rôle : 7684 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 104, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moerman, T. Giet, J. Moerman et E. Bribosia, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de la juge émérite R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 16 novembre 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 novembre 2021, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 104, 2°, du CIR 1992 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution et le principe de la proportionnalité qui y est inscrit, en ce que cette disposition a pour effet (1) qu'un débiteur d'aliments qui n'effectue le paiement des pensions alimentaires fixées par décision judiciaire qu'après qu'il a été statué définitivement sur l'appel par lequel il s'oppose au fait d'être redevable de ces pensions alimentaires n'a pas le droit, compte tenu du fait que le créancier d'aliments ne demande pas le paiement de ces pensions alimentaires sur la base de cette décision judiciaire contestée, de déduire (80 pour cent de) ces pensions alimentaires de l'ensemble de ses revenus nets, alors (2) qu'un débiteur d'aliments qui interjette lui aussi appel de la décision judiciaire fixant les pensions alimentaires dont il est redevable, mais qui paie déjà ces pensions alimentaires au cours de ce recours en appel parce que le créancier d'aliments demande ce paiement (par voie d'exécution provisoire), peut déduire (80 pour cent de) ces pensions alimentaires de l'ensemble de ses revenus nets ? ».

Le 15 décembre 2021, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs J. Moerman et J.-P. Moerman ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 104, 1° et 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) porte sur le régime fiscal, en matière de dépenses déductibles, des pensions alimentaires et dispose : « Les dépenses suivantes sont déduites de l'ensemble des revenus nets, dans la mesure où elles ont été effectivement payées au cours de la période imposable : 1° 80 p.c. des rentes alimentaires régulièrement payées par le contribuable à des personnes qui ne font pas partie de son ménage, lorsqu'elles leur sont payées en exécution d'une obligation résultant du Code civil ou du Code judiciaire ou d'une obligation légale analogue dans une législation étrangère, ainsi que 80 p.c. des capitaux tenant lieu de telles rentes; 2° 80 p.c. des rentes ou rentes complémentaires dues par le contribuable aux conditions fixées au 1°, mais qui sont payées après la période imposable au cours de laquelle elles sont dues et ce, en exécution d'une décision judiciaire qui en a fixé ou augmenté le montant avec effet rétroactif. Toutefois, les rentes payées pour les enfants pour lesquels l'article 132bis a été appliqué pour un exercice d'imposition antérieur ne sont pas déductibles; ».

B.2.1. Compte tenu des éléments de fait de l'affaire pendante devant la juridiction a quo et des motifs de la décision de renvoi, il est demandé à la Cour si la disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition fait naître une différence de traitement entre : 1) les personnes qui sont condamnées par une décision judiciaire au paiement d'une pension alimentaire, qui interjettent appel de cette décision, qui ne paient pas de pensions alimentaires au cours de cette procédure d'appel parce que le crédirentier ne prend pas d'initiatives pour faire exécuter la décision judiciaire précitée, et qui ne procèdent au paiement des pensions alimentaires qu'après que la juridiction devant statuer sur l'appel a rejeté cet appel, et 2) les personnes qui sont condamnées par une décision judiciaire au paiement d'une pension alimentaire, qui interjettent appel de cette décision et qui paient des pensions alimentaires au cours de cette procédure d'appel parce que le crédirentier demande ce paiement par voie d'exécution provisoire de la décision judiciaire précitée. B.2.2. Alors que, dans le cadre de l'impôt sur les revenus, les personnes qui relèvent de la seconde catégorie peuvent, en vertu de l'article 104, 1°, du CIR 1992, déduire de l'ensemble de leurs revenus nets relatifs à une période imposable déterminée 80 % des pensions alimentaires qui ont été régulièrement payées au cours de cette période imposable déterminée et qui se rapportent à celle-ci, les personnes qui relèvent de la première catégorie ne bénéficient pas du droit à déduction, conformément aux conditions fixées à l'article 104, 1° et 2°, du CIR 1992, en ce qui concerne les pensions payées après la période imposable à laquelle celles-ci se rapportent. B.3. Selon l'article 1322/1 du Code judiciaire, la décision qui statue sur une pension alimentaire est de plein droit exécutoire par provision, sauf si le tribunal en décide autrement, à la demande d'une des parties.

Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la décision judiciaire statuant sur la pension alimentaire concernée était, en l'absence d'une décision contraire du tribunal, exécutoire par provision. La Cour limite son examen de la question préjudicielle à cette situation.

B.4. Par l'arrêt n° 87/2008 du 27 mai 2008, la Cour a répondu à une question préjudicielle par laquelle le juge a quo souhaitait savoir si l'article 104, 2°, du CIR 1992 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cet article accorde aux débirentiers n'ayant pas de problèmes financiers l'avantage de la déductibilité fiscale lorsque des arriérés de pensions alimentaires font l'objet d'une décision judiciaire, alors que les débirentiers connaissant des problèmes financiers ne peuvent bénéficier d'une telle réduction d'impôt en cas de paiement tardif des arriérés de pension alimentaire sans décision judiciaire.

Par cet arrêt, la Cour a jugé : « B.2. L'adoption de la disposition précitée, insérée par l'article 6 de la loi du 28 décembre 1990 relative à diverses dispositions fiscales et non fiscales, a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires : ' Suivant les directives administratives actuelles qui s'appuient sur un arrêt de la Cour d'appel d'Anvers du 31 mars 1980, en cause Anna Francken [...], les rentes alimentaires payées en une fois - en exécution post factum d'obligations mensuelles de plusieurs années - ne peuvent être considérées comme régulières ou périodiques au sens de l'article 67, 3°, CIR et ne sont dès lors pas imposables dans le chef du bénéficiaire (ni déductibles dans le chef du débirentier).

Ces directives sont jugées inéquitables dans les cas où les rentes alimentaires ou rentes alimentaires complémentaires sont payées au cours d'une période imposable ultérieure à celle à laquelle elles se rapportent, en exécution d'un arrêt ou d'un jugement exécutoires qui en fixe ou en augmente le montant avec effet rétroactif.

C'est pourquoi, il est proposé d'autoriser dorénavant la déduction, dans le chef du débirentier, des rentes alimentaires qui sont payées au cours d'une période imposable ultérieure à celle au cours de laquelle elles étaient dues mais dont le paiement non régulier est justifié par une décision judiciaire fixant ou modifiant la rente et corrélativement d'imposer également celles-ci dans le chef du bénéficiaire ' (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1366/3, pp. 6 et 7, et n° 1366/6, p. 25).

B.3.1. Le législateur a donc voulu mettre fin à une interprétation administrative de la législation fiscale qui était jugée ' inéquitable '. La disposition a été introduite en vue de faire disparaître, à l'égard des débirentiers qui paient régulièrement, l'inégalité touchant ceux auxquels un jugement impose, avec effet rétroactif, le paiement d'une pension alimentaire ou une augmentation de la pension alimentaire existante. Le principe consiste dès lors en ce que les débirentiers pour lesquels le montant de la pension alimentaire ne change pas doivent payer régulièrement s'ils entendent bénéficier du régime des dépenses déductibles.

B.3.2. Avant l'adoption de la disposition en cause, le ministre des Finances s'était déjà distancié des interprétations de l'administration fiscale et avait déclaré que, selon lui, les pensions alimentaires visées étaient également déductibles par le débiteur sous l'ancienne législation. Une modification législative explicite a toutefois été jugée nécessaire (Q. & R., Sénat, 6 novembre 1990, n° 5, p. 193). B.4. Le législateur a expressément décidé que trois conditions devaient être remplies pour que l'article 104, 2°, du CIR 1992 puisse être appliqué. Tout d'abord, les conditions résultant de l'article 104, 1°, du CIR 1992 doivent être toutes remplies, à l'exception de la condition de ' régularité '. Ensuite, il doit nécessairement exister une décision judiciaire fixant ou augmentant le montant de la pension alimentaire avec effet rétroactif. Il faut, enfin, que l'effet rétroactif porte sur une période imposable antérieure à celle au cours de laquelle le paiement est effectué.

Cette disposition déroge à la condition de ' régularité ' fixée à l'article 104, 1°, du CIR 1992. Normalement, les pensions alimentaires doivent être payées périodiquement. Toutefois, l'article 104, 2°, du CIR 1992 ne pose pas cette condition et constitue dès lors une exception.

B.5.1. La distinction entre les débirentiers opérée dans la question préjudicielle repose sur un critère objectif, à savoir le fait que les arriérés de pensions alimentaires sont payés en exécution ou non d'une décision judiciaire avec effet rétroactif.

B.5.2. Il ressort des travaux préparatoires que l'objectif du législateur était de supprimer l'injustice faite aux débirentiers obligés de faire face à un jugement leur imposant soudain de payer, avec effet rétroactif, une pension alimentaire ou une pension alimentaire plus élevée. En effet, cette catégorie de débiteurs ne remplissait pas la condition de ' régularité ' prévue à l'article 104, 1°, du CIR 1992.

Le législateur n'avait toutefois en aucun cas l'intention d'accorder la déductibilité fiscale des pensions alimentaires payées auxquelles le débirentier a été condamné par un jugement qu'il n'a pas exécuté ou qu'il a exécuté tardivement. L'arriéré ne peut jamais être imputable à un manquement du débiteur lui-même.

B.5.3. Il peut raisonnablement être justifié qu'aucune pension alimentaire payée ne puisse être déduite du revenu net du débirentier lorsque cette pension est payée après la période imposable à laquelle elle se rapporte parce que le débirentier a négligé d'exécuter la décision judiciaire qui le condamnait à la payer.

En revanche, lorsqu'une décision judiciaire fixe ou augmente avec effet rétroactif le montant de la pension alimentaire, il est justifié d'en permettre la déduction puisque, dans ce cas, le débiteur exécute la décision qui détermine son obligation alimentaire.

Permettre la déduction des arriérés de pension alimentaire dans tous les cas irait à l'encontre du but du législateur et serait en outre contraire aux raisons d'être de la pension alimentaire. Celle-ci est en effet un moyen d'existence qui, par sa nature, contribue aux besoins quotidiens du crédirentier, raison pour laquelle elle doit nécessairement être payée ponctuellement.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative ».

B.5. Il ressort de l'arrêt n° 87/2008 précité que, d'une part, il peut être raisonnablement justifié qu'aucune pension alimentaire payée ne puisse être déduite des revenus nets du débirentier lorsque cette pension est payée après la période imposable à laquelle elle se rapporte parce que le débirentier a négligé d'exécuter la décision judiciaire qui le condamnait à la payer, et que, d'autre part, il est justifié d'en permettre la déduction lorsqu'une décision judiciaire fixe ou augmente avec effet rétroactif le montant de la pension alimentaire, parce que, dans ce cas, le débirentier exécute la décision qui détermine son obligation alimentaire.

B.6. Dès lors que les personnes relevant de la première catégorie mentionnée en B.2.1, contrairement à celles qui relèvent de la seconde catégorie mentionnée dans ce même considérant, ont négligé d'exécuter la décision judiciaire les condamnant au paiement d'une pension alimentaire au cours de la période imposable à laquelle cette pension se rapporte, la différence de traitement en cause est raisonnablement justifiée, pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés dans l'arrêt n° 87/2008. La circonstance que le crédirentier n'a pas pris d'initiatives pour faire exécuter la décision judiciaire concernée ne change rien, en soi, dans le cadre de la déduction fiscale de pensions alimentaires, au constat que les personnes relevant de la première catégorie mentionnée en B.2.1 ne paient la pension alimentaire qu'après la période imposable à laquelle cette pension se rapporte, sans pouvoir, pour ce faire, s'appuyer sur une décision judiciaire fixant ou augmentant avec effet rétroactif le montant de la pension alimentaire.

B.7. L'article 104, 2°, du CIR 1992 n'est pas incompatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 104, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 mars 2022.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen

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