publié le 27 juin 2022
Extrait de l'arrêt n° 175/2021 du 2 décembre 2021 Numéro du rôle : 7476 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 2, alinéa 1er, et 18, § 1er, 2°, lus en combinaison avec l'article 44, § 1er, 2°, du Code de la taxe La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 175/2021 du 2 décembre 2021 Numéro du rôle : 7476 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 2, alinéa 1er, et 18, § 1er, 2°, lus en combinaison avec l'article 44, § 1er, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal de l'entreprise d'Anvers, division Anvers.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 5 novembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 décembre 2020, le Tribunal de l'entreprise d'Anvers, division Anvers, a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 2, alinéa 1er, et 18, § 1er, 2°, du Code de la TVA, lus en combinaison avec l'article 44, § 1er, 2°, de ce Code, et interprétés à la lumière de l'article 132, paragraphe 1, c) de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et à la lumière du principe de la neutralité fiscale, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, s'ils sont interprétés en ce sens que les services de mise à disposition de personnel soignant sont toujours soumis au taux ordinaire de TVA, en ce que la TVA (ou le surcoût occasionné par celle-ci) sera répercutée sur les patients soignés par des praticiens mis à disposition par des entreprises qui n'ont pas conclu de contrat d'entreprise avec l'établissement de soins, et ne le sera pas dans tous les autres cas (soins dispensés par un intérimaire mis à disposition par une entreprise qui a conclu un contrat d'entreprise ou soins dispensés par un praticien travaillant comme salarié, comme indépendant ou par le biais d'une société) ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause et à leur contexte B.1.1. La question préjudicielle porte sur les articles 2, alinéa 1er, 18, § 1er, 2°, et 44, § 1er, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA), tels qu'ils sont applicables dans l'affaire devant le juge a quo.
L'article 2, alinéa 1er, du Code de la TVA dispose : « Sont soumises à la taxe, lorsqu'elles ont lieu en Belgique, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ».
La notion d'« assujetti » est définie comme suit dans l'article 4, § 1er, du Code de la TVA : « Est un assujetti quiconque effectue, dans l'exercice d'une activité économique, d'une manière habituelle et indépendante, à titre principal ou à titre d'appoint, avec ou sans esprit de lucre, des livraisons de biens ou des prestations de services visées par le présent Code, quel que soit le lieu où s'exerce l'activité économique ».
L'article 18, § 1er, 2°, du Code de la TVA dispose : « Est considérée comme prestation de services, toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens du présent Code.
Est notamment considérée comme une prestation de services, l'exécution d'un contrat qui a pour objet : [...] 2° la mise à disposition de personnel ». L'article 44, § 1er, 2°, du Code de la TVA dispose : « Sont exemptées de la taxe, les prestations de services effectuées dans l'exercice de leur activité habituelle par les personnes suivantes : [...] 2° les sages-femmes, les infirmiers et les aides-soignants ». B.1.2. Ces articles constituent la transposition des articles 2, 9, paragraphe 1, 10 et 132, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 « relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : la directive TVA).
L'article 2 de la directive TVA dispose : « 1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes : [...] c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d'un Etat membre par un assujetti agissant en tant que tel; [...] ».
L'article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, dispose : « Est considéré comme ' assujetti ' quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité ».
L'article 10 de la directive TVA dispose : « La condition que l'activité économique soit exercée d'une façon indépendante visée à l'article 9, paragraphe 1, exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l'employeur ».
L'article 132, paragraphe 1, de la directive TVA, dispose : « Les Etats membres exonèrent les opérations suivantes : [...] c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné; [...] g) les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné; [...] ».
L'article 371 de la directive TVA dispose : « Les Etats membres qui, au 1er janvier 1978, exonéraient les opérations dont la liste figure à l'annexe X, partie B, peuvent continuer à les exonérer, dans les conditions qui existaient dans chaque Etat membre concerné à cette même date ».
L'annexe X, partie B, de la directive TVA, dispose : « PARTIE B - Opérations que les Etats membres peuvent continuer à exonérer [...] 2) les prestations de services des auteurs, artistes et interprètes d'oeuvres d'art, avocats et autres membres des professions libérales, autres que les professions médicales et paramédicales à l'exception des prestations suivantes : [...] g) la fourniture de personnel à un assujetti; [...] ».
B.2.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité des articles 2, alinéa 1er, 18, § 1er, 2°, et 44, § 1er, 2°, du Code de la TVA avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA, si ces dispositions sont interprétées en ce sens que les services de mise à disposition de personnel soignant sont toujours soumis au taux ordinaire de la TVA, de sorte que la TVA sera répercutée sur les patients soignés par des praticiens mis à la disposition d'un établissement de soins par un bureau d'intérim qui n'a pas conclu de contrat d'entreprise avec l'établissement de soins, alors que tous les autres cas (soins dispensés par un intérimaire mis à disposition par un bureau d'intérim qui a conclu un contrat d'entreprise avec l'établissement de soins ou soins dispensés par un praticien travaillant comme salarié, comme indépendant ou par le biais d'une société) seront exonérés de la TVA et celle-ci ne sera dès lors pas non plus répercutée sur les patients concernés qui sont soignés par ce personnel.
B.2.2. Il ressort de la décision de renvoi que, dans l'affaire devant le juge a quo, un litige est né entre plusieurs établissements de soins et une entreprise qui a mis du personnel soignant intérimaire à leur disposition, ces établissements contestant le fait qu'ils soient redevables de la TVA pour les services fournis.
Il convient dès lors d'interpréter la question préjudicielle en ce sens que la Cour est invitée à examiner la différence de traitement entre les établissements de soins qui font appel à des professionnels des soins de santé par le biais d'un contrat de mise à disposition de personnel conclu avec un bureau d'intérim et les établissements de soins qui font appel à des professionnels des soins de santé par le biais d'un contrat d'entreprise conclu avec un bureau d'intérim ou à des praticiens travaillant pour l'établissement de soins comme salariés, comme indépendants ou par le biais d'une société. La TVA n'est due que dans le premier cas.
Il ressort de la décision de renvoi qu'il s'agit dans l'affaire présentement examinée d'une mise à disposition de personnel infirmier, sous l'autorité de l'établissement de soins auquel ils sont mis à disposition. En outre, il apparaît de la formulation de la question préjudicielle que le juge a quo a constaté qu'aucun contrat d'entreprise n'avait été conclu entre le bureau d'intérim et l'établissement de soins. La Cour limite son examen à cette situation.
Quant à la pertinence de la question préjudicielle B.3.1. La SA « Maandag België Flex » allègue que la question préjudicielle repose sur le fondement erroné selon lequel la directive TVA permet aux Etats membres de choisir d'exonérer de la TVA les prestations relatives à la mise à disposition de personnel. Elle fait en outre valoir que la différence de traitement dénoncée par l'ASBL « Ter Harte » et autres n'est pas la conséquence directe de l'applicabilité ou non de la TVA aux prestations relatives à la mise à disposition de personnel, effectuées par la SA « Maandag België Flex », mais qu'elle repose simplement sur une décision unilatérale de l'ASBL « Ter Harte » et autres de répercuter sur les patients la TVA dont elles sont redevables.
B.3.2. Si elle est interprétée comme il est dit en B.2.2, alinéa 1er, la question préjudicielle n'est pas dénuée de pertinence au regard du litige au fond. Pour le surplus, l'examen des exceptions se confond avec le fond de l'affaire.
Quant au fond B.4.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4.2. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de déterminer, lorsqu'il lève un impôt, les exonérations et les modalités de celui-ci. Il dispose en la matière d'une marge d'appréciation étendue. Toutefois, dans certains domaines, notamment en matière de taxe sur la valeur ajoutée, cette compétence est limitée par la réglementation européenne applicable.
Dans cette matière, la Cour ne peut sanctionner les choix politiques du législateur et les motifs qui les fondent que s'ils reposent sur une erreur manifeste ou s'ils sont manifestement déraisonnables.
B.5.1. En vertu de l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA, les Etats membres exonèrent de la TVA les opérations relatives aux « prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné ».
En exécution de cet article, l'article 44, § 1er, 2°, du Code de la TVA dispose que les prestations de services effectuées dans l'exercice de leur activité habituelle par les sages-femmes, par les infirmiers et par les aides-soignants sont exonérées de la TVA. La forme juridique de l'assujetti qui dispense les prestations médicales ou paramédicales est sans importance pour l'application de l'exonération prévue par l'article 44, § 1er, 2°, du Code de la TVA. B.5.2. Selon la jurisprudence de la Cour de justice sur l'article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 « en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme », dont les dispositions correspondent à celles de l'article 132, paragraphe 1, de la directive TVA, cette disposition vise à exonérer de la TVA certaines activités d'intérêt général. Toutefois, cette exonération concerne non pas toutes les activités d'intérêt général, mais uniquement celles qui y sont énumérées et décrites de manière très détaillée (CJUE, 25 mars 2010, C-79/09, Commission c. Pays-Bas, point 47; 14 juin 2007, C-434/05, Horizon College, point 14; 28 janvier 2010, C-473/08, Eulitz, point 26). A cet égard, il convient de souligner que les dispositions de l'article 132, paragraphe 1, de la directive TVA ont, dans leur ensemble, pour finalité d'exonérer de la TVA certaines activités d'intérêt général en vue de faciliter l'accès à certaines prestations ainsi que la fourniture de certains biens, en évitant les surcoûts qui découleraient de leur assujettissement à la TVA (CJUE, 5 mars 2020, C-211/18, Idealmed III, point 25; 20 novembre 2019, C-400/18, Infohos, point 37).
L'exonération de la TVA en faveur des prestations de services, visée par l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA, a donc pour but de réduire le coût des soins de santé et de rendre ces soins plus accessibles aux particuliers (CJUE, 13 mars 2014, C-366/12, Klinikum Dortmund, point 28; 5 octobre 2016, C-412/15, TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH, point 32).
L'objectif final de cette exonération de la TVA est d'éviter que la fourniture de services et de produits liés à la santé devienne inaccessible en raison des coûts accrus de ces services et produits si leur fourniture était soumise à la TVA (CJUE, 26 février 2015, C-144/13, C-154/13 et C-160/13, VDP Dental Laboratory e.a., point 46).
Il ressort également de la jurisprudence de la Cour de justice que les exonérations prévues par l'article 132 de la directive TVA constituent des notions autonomes du droit de l'Union ayant pour objet d'éviter des divergences dans l'application du régime de la TVA d'un Etat membre à l'autre (CJUE, 25 mars 2010, C-79/09, Commission c. Pays-Bas, point 48; 14 juin 2007, C-434/05, Horizon College, point 15).
B.5.3. Les termes employés pour désigner les exonérations sont d'interprétation stricte, étant donné qu'elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (CC, 28 septembre 2017, n° 106/2017; CJCE, 10 septembre 2002, C-141/00, Kügler, point 28; CJUE, 25 mars 2010, C-79/09, Commission c. Pays-Bas, point 49). Toutefois, l'interprétation de ces termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA. Ainsi, cette règle d'interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées à l'article 132 de la directive TVA doivent être interprétés d'une manière qui priverait celles-ci de leurs effets (CJUE, 25 mars 2010, C-79/09, Commission c. Pays-Bas, point 49; CJCE, 14 juin 2007, C-434/05, Horizon College, point 15;
CJUE, 28 janvier 2010, C-473/08, Eulitz, point 27).
B.5.4. La notion de « prestations de soins à la personne » prévue dans l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA vise nécessairement une activité destinée à protéger la santé humaine et implique des soins dispensés à un patient (CJCE, 20 novembre 2003, C-307/01, d'Ambrumenil et Dispute Resolution Services, point 23). Les soins médicaux visent des prestations ayant pour but de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir des maladies ou des anomalies de santé (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 24; 18 septembre 2019, C-700/17, Peters, point 20; 10 juin 2010, C-86/09, Future Health Technologies, point 37; CJCE, 6 novembre 2003, C-45/01, Dornier, point 48); les soins médicaux ont par conséquent un but thérapeutique.
L'exonération prévue par l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA suppose donc de remplir deux conditions, à savoir (1) fournir des « prestations de soins à la personne » (2) « dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné » (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 27; 14 avril 2016, C-555/15, Gabarel, point 26; CJCE, 27 avril 2006, C-443/04 et C-444/04, Solleveld, point 23).
B.5.5. La contestation devant le juge a quo ne porte toutefois pas sur la facturation des prestations médicales qui ont été effectuées par les infirmiers concernés, mais sur la facturation des prestations relatives à la mise à disposition de personnel infirmier en faveur de l'ASBL « Ter Harte » et autres, qui ont été effectuées par la SA « Maandag België Flex ».
Par son arrêt du 12 mars 2015 en cause de « go fair » Zeitarbeit OHG (C-594/13), auquel renvoient le Conseil des ministres et la SA « Maandag België Flex », la Cour de justice a jugé que la mise à disposition de travailleurs ne constitue pas une opération qui pourrait être exonérée de la TVA sur la base de l'article 132, paragraphe 1, point g), de la directive TVA. Cette disposition prévoit une exonération pour « les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné ».
L'affaire qui a conduit à l'arrêt précité concernait la mise à disposition, par la société de travail intérimaire « go fair », en faveur d'établissements de soins stationnaires ou ambulatoires, d'infirmiers et d'aides-soignants qui fournissaient les services de soins sous la surveillance et par ordre de ces établissements de soins. A cet égard, la Cour de justice a considéré que « les seules prestations pertinentes dans les circonstances de l'affaire au principal sont non pas les services que les travailleurs employés par ' go fair ' fournissent, dans le cadre d'une relation de subordination avec des établissements de soins, aux personnes nécessitant une assistance ou des soins, mais celles offertes par cette agence de travail intérimaire, à savoir la mise à disposition de ces travailleurs » (point 25).
Ainsi, et eu égard à l'interprétation stricte qui doit être donnée à l'exonération prévue par l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA, les prestations de mise à disposition de personnel fournies par la SA « Maandag België Flex » à l'ASBL « Ter Harte » et autres ne sauraient être considérées comme relevant des « prestations de soins à la personne » visées par cette disposition. De telles prestations sont soumises à la TVA, quoique non sur la base de l'article 371 de la directive TVA, lequel constitue en effet un régime transitoire qui n'est pas applicable à l'affaire présentement examinée, mais sur la base des articles 2, paragraphe 1, point c), et 9, paragraphe 1, de la directive TVA et de l'article 18, § 1er, alinéa 2°, du Code de la TVA. B.6. La différence de traitement mentionnée en B.2.2 repose sur un critère objectif : la question de savoir si un établissement de soins fait appel ou non à du personnel infirmier par le biais d'un contrat de mise à disposition de personnel conclu avec un bureau d'intérim.
B.7. Ce critère est en outre pertinent à la lumière des objectifs poursuivis par la directive consistant, d'une part, à tempérer les coûts des soins à la personne et à faciliter l'accès des particuliers à ces soins mais, d'autre part, à interpréter strictement les exceptions au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti.
B.8. La Cour doit toutefois encore examiner si cette différence de traitement n'a pas d'effets disproportionnés pour les établissements de soins qui recourent à un bureau d'intérim pour la mise à disposition de personnel infirmier.
B.9. L'ASBL « Ter Harte » et autres renvoient à cet égard à la jurisprudence de la Cour de justice, dans laquelle celle-ci a jugé que l'exonération de la TVA pour des prestations médicales est fonction de motifs objectifs fondés sur les qualifications professionnelles des prestataires de soins, et non de la forme juridique de l'assujetti qui effectue les prestations de services médicaux précités, et dans laquelle elle a jugé aussi que, pour interpréter l'exonération de la TVA en ce qui concerne les prestations de services de soins infirmiers, il convient de tenir compte de l'objectif de réduire les coûts des soins à la personne.
Cette jurisprudence porte toutefois sur des situations dans lesquelles seule la fourniture directe de prestations de soins infirmiers était en cause et elle ne saurait par conséquent être interprétée en ce sens que les prestations relatives à la mise à disposition de personnel, qui sont distinctes des prestations de soins infirmiers, doivent elles aussi relever de l'exonération de la TVA applicable aux « prestations de soins à la personne ».
B.10.1. La Cour de justice a jugé, en ce qui concerne l'application de la directive TVA, qu'aux fins de la TVA, chaque prestation doit normalement être considérée comme distincte et indépendante, ainsi qu'il découle de l'article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive TVA, mais que « dans certaines circonstances, plusieurs prestations formellement distinctes, qui pourraient être fournies séparément et, ainsi, donner lieu, séparément, à taxation ou à exonération, peuvent être considérées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes » (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 37; 2 juillet 2020, C-231/19, Blackrock Investment Management (UK), point 23; 18 janvier 2018, C-463/16, Stadion Amsterdam, point 22; 8 décembre 2016, C-208/15, Stock '94, point 27).
B.10.2. Il s'agit tout d'abord d'une opération unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l'assujetti sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 38; 2 juillet 2020, C-231/19, Blackrock Investment Management (UK), point 23). A cette fin, il convient d'identifier les éléments caractéristiques de l'opération en cause (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 39; 29 mars 2007, C-111/05, Aktiebolaget NN, point 22; 18 janvier 2018, C-463/16, Stadion Amsterdam, point 30), en se plaçant du point de vue du consommateur moyen (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 39; 19 juillet 2012, C-44/11, Deutsche Bank, point 21). En sont des indices, les caractères indissociables des éléments de la prestation, l'accès séparé aux prestations, le caractère indispensable à la finalité de la prestation des différents éléments de celle-ci et la facturation séparée (conclusions de l'avocat général J. Kokott, CJUE, 22 octobre 2020, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 51).
La mise à disposition de personnel infirmier en faveur d'un établissement de soins ne saurait être interprétée comme relevant de cette exception, étant donné que de telles prestations peuvent facilement être séparées des prestations consistant à dispenser des soins infirmiers, qu'elles sont accessibles séparément et qu'elles ne sont pas indispensables pour la fourniture des prestations de soins infirmiers au patient; l'établissement de soins peut en effet aussi recruter lui-même du personnel infirmier ou il peut conclure un contrat d'entreprise avec des infirmiers travaillant comme indépendants.
B.10.3. Deuxièmement, une opération économique constitue une prestation unique lorsqu'un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale, alors que, à l'inverse, d'autres éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 40; 2 juillet 2020, C-231/19, Blackrock Investment Management (UK), point 29).
Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que le premier critère à prendre en considération à cet égard est l'absence de finalité autonome de la prestation du point de vue du consommateur moyen. Ainsi une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 41; 2 juillet 2020, C-231/19, Blackrock Investment Management (UK), point 29).
Le second critère, qui constitue en réalité un indice du premier, tient à la prise en compte de la valeur respective de chacune des prestations composant l'opération économique, l'une s'avérant minime, voire marginale, par rapport à l'autre (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, point 42; 22 octobre 1998, C-308/96 et C-94/97, Madgett et Baldwin, point 24).
La mise à disposition de personnel infirmier en faveur d'un établissement de soins ne répond à aucun des deux critères. Les prestations relatives à la mise à disposition de personnel ont non seulement une finalité autonome, mais elles représentent, en outre, aussi une valeur économique considérable. La finalité économique d'une prestation accessoire non autonome ne saurait être atteinte qu'en combinaison avec la prestation principale y afférente. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Comme il est dit en B.10.2, les prestations de soins infirmiers ne dépendent en effet pas de la mise à disposition de personnel infirmier par un bureau d'intérim.
B.10.4. Une dernière exception porte sur les « opérations étroitement liées » à une prestation exonérée, qui sont également exonérées de la TVA en vertu de l'article 132, paragraphe 1, point b), de la directive TVA. En tant qu'exception au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (CJUE, 21 mars 2013, C-91/12, PFC Clinic, point 23; 21 septembre 2017, C-616/15, Commission c. Allemagne, point 49), ces opérations doivent toutefois répondre aux deux conditions auxquelles les prestations de soins à la personne doivent elles-mêmes répondre pour être exonérées de la TVA, à savoir, premièrement, avoir un but thérapeutique et, deuxièmement, être effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné (CJUE, 4 mars 2021, C-581/19, Frenetikexito - Unipessoal Lda, points 30, 31 et 43).
Par son arrêt du 12 mars 2015 en cause de « go fair » Zeitarbeit OHG (C-594/13), la Cour de justice a jugé que la mise à disposition de travailleurs ne constitue pas, en tant que telle, une prestation de services d'intérêt général accomplie dans le secteur social, qui pourrait être exonérée de la TVA sur la base de l'article 132, paragraphe 1, point g), de la directive TVA. Selon cette Cour, « il est à cet égard sans pertinence que le personnel concerné soit du personnel soignant ni que ce personnel soit mis à la disposition d'établissements de soins reconnus » (point 28).
L'affaire qui a conduit à l'arrêt précité concernait la mise à disposition, par la société de travail intérimaire « go fair », en faveur d'établissements de soins stationnaires ou ambulatoires, d'infirmiers et d'aides-soignants qui fournissaient les services de soins sous la surveillance et par ordre de ces établissements de soins. Même si l'affaire précitée portait sur l'exonération prévue par l'article 132, paragraphe 1, point g), de la directive TVA, la conclusion de la Cour de justice dans l'affaire « go fair » Zeitarbeit OHG peut être étendue à l'affaire présentement examinée. Les prestations relatives à la mise à disposition de personnel infirmier qui sont en cause dans l'affaire examinée par le juge a quo ne sauraient être considérées comme des « opérations étroitement liées » à une prestation exonérée, dès lors qu'elles ne sont pas d'intérêt général au sens de l'article 132, paragraphe 1, de la directive TVA. B.10.5. Puisqu'aucune des trois exceptions mentionnées en B.10.1 à B.10.4 n'est applicable, les prestations relatives à la mise à disposition de personnel constituent des prestations distinctes des prestations de soins infirmiers, de sorte que l'exonération de la TVA prévue par l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA, n'est pas applicable et que cette mise à disposition constitue donc une opération taxable à la TVA. B.11. Ce qui précède ne contrevient pas au principe de neutralité fiscale, qui s'oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente en matière de perception de la TVA (CJUE, 14 décembre 2017, C-305/16, Avon Cosmetics Ltd, point 52; 10 novembre 2011, C-259/10 et C-260/10, The Rank Group, point 32). En tant que principe de neutralité concurrentielle, il s'oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment du point de vue de la TVA (CJCE, 16 septembre 2008, C-288/07, Commissioners of Her Majesty's Revenue & Customs, point 42). Ce principe repose lui-même sur le principe précité selon lequel les exonérations prévues par la directive TVA doivent faire l'objet d'une interprétation stricte, interprétation pour laquelle il y a lieu de prendre en considération la nature objective de l'opération en cause (CJCE, 9 octobre 2001, C-108/99, Cantor Fitzgerald, point 33). Dès lors que, ainsi qu'il a été dit, les prestations relatives à la mise à disposition de personnel constituent des prestations distinctes des prestations de soins infirmiers, il ne s'agit pas de services semblables.
Une extension du champ d'application de l'exonération prévue par l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive TVA et par l'article 44, § 1er, 2°, du Code de la TVA, à des prestations relatives à la mise à disposition de personnel infirmier entraînerait précisément la violation du principe de neutralité fiscale, en ce que la mise à disposition de personnel autre que du personnel infirmier est soumise à la TVA, alors qu'il s'agit de prestations de services semblables.
B.12.1. La non-application de l'exonération de la TVA prévue pour des prestations de soins à la personne à des prestations relatives à la mise à disposition de personnel infirmier n'entraîne pas d'effets disproportionnés pour les établissements de soins concernés.
B.12.2. En effet, les établissements de soins peuvent déterminer de quelle manière - et donc aussi sous quel régime fiscal - ils peuvent faire effectuer des prestations de soins infirmiers à leurs patients par des infirmiers. Ainsi, ils peuvent engager des infirmiers en tant que salariés, ils peuvent conclure un contrat d'entreprise avec des infirmiers en tant qu'entreprise ou personne physique exonérée de l'impôt ou ils peuvent faire appel à un bureau d'intérim dans le cadre de la mise à disposition d'infirmiers. Les établissements de soins peuvent donc choisir le régime fiscal qui leur est le plus favorable, même s'ils ne peuvent pas répercuter en tant que telle la TVA dont ils sont redevables sur les prestations de mise à disposition de personnel infirmier, étant donné que les prestations de soins infirmiers qui sont dispensées aux patients par les établissements de soins sont toujours exonérées de la TVA, qu'elles soient ou non proposées à l'établissement de soins au cours d'une phase économique antérieure par le biais de la mise à disposition de personnel ou d'une autre manière.
B.13. Eu égard à ce qui précède, la différence de traitement mentionnée en B.2.2 est raisonnablement justifiée.
B.14.1. L'ASBL « Ter Harte » et autres demandent en outre à la Cour de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.
B.14.2. L'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne habilite la Cour de justice à statuer, à titre préjudiciel, aussi bien sur l'interprétation des traités et des actes des institutions de l'Union européenne que sur la validité de ces actes.
En vertu du troisième alinéa de cette disposition, une juridiction nationale est tenue de saisir la Cour de justice lorsque ses décisions - comme celles de la Cour constitutionnelle - ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne. En cas de doute sur l'interprétation ou sur la validité d'une disposition du droit de l'Union européenne importante pour la solution d'un litige pendant devant une telle juridiction nationale, celle-ci doit, même d'office, poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
B.14.3. Eu égard à l'arrêt de la Cour de justice du 12 mars 2015 en cause de « go fair » Zeitarbeit OHG (C-594/13), mentionné en B.10.4, ni l'interprétation de la directive TVA, en ce qui concerne l'assujettissement des prestations de services relatives à la mise à disposition de personnel infirmier, ni la validité de la directive précitée ne sont suffisamment mises en doute, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de l'ASBL « Ter Harte » et autres visant à poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 2, alinéa 1er, et 18, § 1er, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, lus en combinaison avec l'article 44, § 1er, 2°, de ce Code, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 132, paragraphe 1, point c), de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 « relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée » et avec le principe de neutralité fiscale, en ce qu'ils soumettent au taux ordinaire de la TVA les prestations de services relatives à la mise à disposition de personnel infirmier par un bureau d'intérim.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 2 décembre 2021.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen