publié le 11 avril 2022
Extrait de l'arrêt n° 167/2021 du 18 novembre Numéro du rôle : 7477 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 1 er sexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 « concernant la sécurité sociale La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moe(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 167/2021 du 18 novembre Numéro du rôle : 7477 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 « concernant la sécurité sociale des travailleurs », tel qu'il était applicable avant le 27 avril 2015, posée par le Tribunal du travail de Gand, division d'Alost.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût et de la juge émérite T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 3 décembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 décembre 2020, le Tribunal du travail de Gand, division d'Alost, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, interprété en ce sens qu'un travailleur qui est entré en fonction avant le 31 décembre 2013 peut prétendre au paiement d'une indemnité en compensation du licenciement pour la durée d'un délai de préavis non presté, après que le travailleur et l'employeur ont mis fin de commun accord au contrat de travail, alors que, dans le même cas de figure, un travailleur qui est entré en fonction après le 31 décembre 2013 ne peut pas prétendre au paiement d'une indemnité (en compensation du licenciement) pour la durée d'un délai de préavis non presté, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'instauration du statut unique pour ouvriers et employés a en règle pour conséquence que les ouvriers ont droit à un délai de préavis plus long. Mais ce droit ne s'applique pleinement que si le contrat de travail a débuté après le 31 décembre 2013. Un ouvrier qui a acquis son ancienneté en partie jusqu'à cette date subit encore en partie les inconvénients de l'ancienne réglementation, dès lors que la durée de son délai de préavis ou de l'indemnité de congé correspondante doit, pour ce qui concerne la période antérieure au 1er janvier 2014, être déterminée sur la base des anciennes règles. Le législateur a créé l'indemnité en compensation du licenciement pour supprimer ces inconvénients.
Cette indemnité est accordée par l'Office national de l'emploi (ci-après : l'ONEm) aux « travailleurs dont la durée du délai de préavis ou dont la durée de l'indemnité de congé correspondante doit, conformément à la législation, être déterminée, au moins partiellement, sur la base de l'ancienneté acquise comme ouvrier dans la période située avant le 1er janvier 2014 » (article 7, § 1er, alinéa 3, zf), de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 « concernant la sécurité sociale des travailleurs » (ci-après : l'arrêté-loi du 28 décembre 1944), tel qu'il a été inséré par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer « concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement »).
L'indemnité en compensation du licenciement compense, pour ces travailleurs, « la différence entre d'une part le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante que l'employeur doit octroyer, et d'autre part le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante que l'employeur aurait octroyé comme si l'ancienneté totale du travailleur avait été acquise après le 31 décembre 2013 » (article 7, § 1ersexies, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944).
B.2. L'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, de l'arrêté-loi précité, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, prévoit que l'indemnité n'est accordée que si le travailleur satisfait simultanément aux conditions suivantes : « 1° la date de début de son contrat de travail ininterrompu se situe avant le 1er janvier 2014; 2° le contrat de travail visé en 1° est à la date du 31 décembre 2013 un contrat de travail d'ouvrier au sens de l'article 2 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer relative aux contrats de travail, ou au sens de l'article 7bis de la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d'emplois de proximité, ou visé par le Titre V de la loi précitée du 3 juillet 1978;3° il satisfait à l'une des conditions suivantes : a) son ancienneté dans l'entreprise au jour de la publication au Moniteur belge de la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement, s'élève à au moins trente ans;b) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2014 s'élève à au moins vingt ans;c) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2015 s'élève à au moins quinze ans;d) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2016 s'élève à au moins dix ans;e) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2017 s'élève à moins de dix ans;4° il est licencié après le 31 décembre 2013 ». B.3. La question préjudicielle porte sur l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi précité. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle « un travailleur qui est entré en fonction avant le 31 décembre 2013 peut prétendre au paiement d'une indemnité en compensation du licenciement pour la durée d'un délai de préavis non presté, après que le travailleur et l'employeur ont mis fin de commun accord au contrat de travail ». Il ressort du jugement de renvoi qu'il s'agit en l'occurrence d'un travailleur qui a été licencié, puis qui a mis fin à son contrat de travail de commun accord avec l'employeur, pendant la période de préavis, parce qu'il avait trouvé un autre emploi. La Cour limite son examen à cette situation.
Selon l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi précité, l'indemnité en compensation du licenciement n'est accordée que si le travailleur est licencié après le 31 décembre 2013. La partie demanderesse devant le juge a quo interprète cette disposition en ce sens que l'indemnité visée est due à tout travailleur qui satisfait aux conditions mentionnées à l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, de l'arrêté-loi précité, et plus particulièrement au travailleur qui est entré en fonction avant le 1er janvier 2014 et qui est licencié après le 31 décembre 2013, même lorsque ce travailleur met fin à son contrat de travail de commun accord avec l'employeur, pendant la période de préavis.
B.4. Il n'appartient pas à la Cour de juger si l'interprétation mentionnée par le juge a quo est correcte, mais de déterminer si la disposition en cause, dans cette interprétation, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'elle fait naître une différence de traitement entre deux catégories de personnes licenciées après le 31 décembre 2013, mais ayant mis fin de commun accord avec l'employeur à leur contrat de travail pendant le délai de préavis : - les personnes qui sont entrées en fonction avant le 1er janvier 2014; - les personnes qui sont entrées en fonction après le 31 décembre 2013.
B.5. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6. Dans l'exposé des motifs, l'introduction de la disposition en cause par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer est justifiée comme suit : « L'article 97 attribue une tâche supplémentaire à l'ONEm, à savoir le paiement de l'indemnité en compensation du licenciement.
Pour les (ex-)ouvriers qui apportent la preuve d'une ancienneté située partiellement avant le 1er janvier 2014 et partiellement à partir du 1er janvier 2014, le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante est en partie calculé en vertu de l'ancienne législation pour ce qui concerne l'ancienneté avant le 1er janvier 2014 et en partie en vertu de la nouvelle législation pour ce qui concerne l'ancienneté à partir du 1er janvier 2014. L'objectif n'est cependant pas que ces travailleurs subissent définitivement le ' désavantage ' de l'ancienneté avant le 1er janvier 2014. C'est pourquoi ceux-ci seront intégrés dans la nouvelle législation suivant un calendrier déterminé. A partir d'un certain moment, on va partir du principe que leur ancienneté a été entièrement acquise sous la nouvelle législation, même si celle-ci a été en partie acquise avant le 1er janvier 2014.
Dans ce cas, l'employeur n'octroiera toutefois pas un délai de préavis ou une indemnité de congé en vertu de la nouvelle législation, mais continuera de faire le calcul sur la base d'une partie d'ancienneté avant le 1er janvier 2014 et d'une partie d'ancienneté à partir du 1er janvier 2014.
L'ONEm compensera la différence entre le montant payé par l'employeur et le montant auquel le travailleur a droit en vertu de la nouvelle législation, sous la forme d'une indemnité en compensation du licenciement » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3144/001, p. 56).
B.7. Il ressort de ces commentaires que l'indemnité en compensation du licenciement s'applique aux travailleurs pour lesquels le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante sont au moins partiellement fixés sur la base de l'ancienneté acquise en qualité d'ouvrier au cours de la période antérieure au 1er janvier 2014 et pour lesquels il sera considéré que l'ancienneté a été entièrement acquise après cette date, de manière à ce que les délais de préavis ou l'indemnité de congé correspondante soient calculés en vertu de la nouvelle législation, qui leur est plus favorable. Le législateur a considéré qu'il convenait de ne pas imposer la charge de délais plus longs ou d'indemnités de congé plus importantes au seul employeur.
Ainsi ce dernier est-il autorisé à calculer l'ancienneté du travailleur et, partant, le délai de préavis ou l'indemnité de congé, partiellement sur la base de l'ancienne législation et partiellement sur la base de la nouvelle législation, tandis que l'ONEm doit compenser la différence entre le montant ainsi calculé et celui auquel le travailleur aurait droit si son ancienneté de service avait été totalement acquise après le 31 décembre 2013.
B.8.1. En instaurant l'indemnité en compensation du licenciement, le législateur a, en ce qui concerne les licenciements postérieurs au 31 décembre 2013, voulu garantir que les travailleurs qui sont entrés en fonction avant le 1er janvier 2014 ne soient pas traités moins favorablement que les travailleurs qui sont entrés en fonction après le 31 décembre 2013.
B.8.2. Lorsqu'un travailleur entré en fonction après le 31 décembre 2013 est licencié et qu'il met ensuite fin au contrat de travail de commun accord avec l'employeur pendant le délai de préavis, ce travailleur n'a pas droit au délai de préavis restant ou à l'indemnité de congé correspondante.
B.8.3. Comme il est dit en B.1, l'indemnité en compensation du licenciement compense « la différence entre, d'une part, le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante que l'employeur doit octroyer, et, d'autre part, le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante que l'employeur aurait octroyé comme si l'ancienneté totale du travailleur avait été acquise après le 31 décembre 2013 » (article 7, § 1ersexies, alinéa 1er, de l'arrêté-loi précité, tel qu'il a été inséré par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer).
B.8.4. A cet égard, les travaux préparatoires mentionnent : « Pour les (ex-) ouvriers, il est prévu une compensation, qui supprime également, dans un délai de 5 ans, la discrimination historique à l'égard des ouvriers en ce qui concerne les délais de préavis. Lorsque d'anciens ouvriers seront licenciés à partir du 1er janvier 2014, on vérifiera quels sont leurs droits en termes de délai de préavis. Si leurs droits réels (la somme des droits constitués jusqu'au 31/12/2013 et des droits constitués à partir du 1/1/2014) sont inférieurs aux droits en vertu des contrats entrés en vigueur à partir du 1er janvier 2014, la différence nette sera compensée par un complément de l'ONEm.
Ce complément sera instauré progressivement en fonction de l'ancienneté du travailleur : il sera d'abord instauré pour les personnes ayant une longue ancienneté et sera octroyé à tous les (ex-)ouvriers en 2017 » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3144/004, p. 7).
B.8.5. Quand un travailleur entré en fonction avant le 1er janvier 2014 est licencié et que l'employeur et le travailleur décident ensuite de mettre fin au contrat de travail d'un commun accord pendant la période de préavis, de sorte que le travailleur ne doit plus prester un préavis, il n'y a plus lieu de prévoir la moindre compensation.
B.8.6. Si l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 est interprété en ce sens que les personnes qui sont entrées en fonction avant le 1er janvier 2014 mais qui ont été licenciées après le 31 décembre 2013 ont droit à une indemnité en compensation du licenciement lorsque l'employeur et le travailleur ont mis fin de commun accord au contrat de travail pendant le délai de préavis, la disposition en cause fait donc naître une différence de traitement injustifiée à l'égard des personnes visées en B.8.2 qui sont entrées en fonction après le 31 décembre 2013 et qui ont été licenciées après cette date, lesquelles ne peuvent pas faire valoir un droit à une indemnité de préavis lorsqu'il est mis fin au contrat de travail de commun accord pendant le délai de préavis.
Dans cette interprétation, la disposition en cause n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.9. Toutefois, la disposition en cause peut aussi recevoir une autre interprétation.
Elle ne peut en effet être dissociée de l'article 7, § 1ersexies, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, dont il ressort qu'une indemnité en compensation du licenciement n'est due au travailleur entré en fonction avant le 1er janvier 2014 et licencié après le 31 décembre 2013 que s'il est traité moins favorablement que dans l'hypothèse où il serait entré en fonction après le 31 décembre 2013, ce qui n'est pas le cas dans la situation visée dans la question préjudicielle.
B.10. Dans cette interprétation, la différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée est inexistante.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 4°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 « concernant la sécurité sociale des travailleurs » viole les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle un travailleur qui est entré en fonction avant le 1er janvier 2014 et qui est licencié après le 31 décembre 2013 a droit à une indemnité en compensation du licenciement lorsque le travailleur et l'employeur décident de mettre fin au contrat de travail de commun accord pendant le délai de préavis. - La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle un travailleur qui est entré en fonction avant le 1er janvier 2014 et qui est licencié après le 31 décembre 2013 n'a pas droit à une indemnité en compensation du licenciement lorsque le travailleur et l'employeur décident de mettre fin au contrat de travail de commun accord pendant le délai de préavis.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 novembre 2021.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, L. Lavrysen