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Arrêt
publié le 14 mars 2022

Extrait de l'arrêt n° 149/2021 du 21 octobre 2021 Numéro du rôle : 7488 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 2, § 1 er , alinéa 1 er , 8°, 11°, 12°, 13°, 14°, 16° et 31°, et alinéa 2, et l'article 5 La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moe(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 149/2021 du 21 octobre 2021 Numéro du rôle : 7488 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 2, § 1er, alinéa 1er, 8°, 11°, 12°, 13°, 14°, 16° et 31°, et alinéa 2, et l'article 5 du décret de la Région flamande du 15 juillet 1997 « contenant le Code flamand du Logement », posée par le Juge de paix du canton de Léau.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, J. Moerman et Y. Kherbache, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 17 décembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 décembre 2020, le Juge de paix du canton de Léau a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2, § 1er, alinéa 1er, 8°, 11°, 12°, 13°, 14°, 16° et 31°, et alinéa 2, et l'article 5 du décret de la Région flamande du 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du Logement violent-ils les articles 10, 11, 23, 3°, ou 191 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 20 de la directive 2014/36/UE, avec l'article 9 du règlement (UE) n° 492/2011/UE et avec l'article 19, paragraphe 4, c, de la Charte sociale européenne (révisée), dans l'interprétation selon laquelle les normes de sécurité, de santé et de qualité du Code flamand du Logement seraient uniquement applicables aux biens immobiliers occupés de manière constante ou durable et non de manière seulement occasionnelle, alors qu'en vertu de l'article 5, § 3, alinéa 2, du Code flamand du Logement, le Gouvernement flamand ne peut accorder aux exigences et normes qu'il fixe en application des paragraphes 1 et 2 de l'article 5, que des dérogations limitées pour le logement temporaire de familles ou de personnes seules qui sont sans abri ou risquent de le devenir, et pour le logement de résidents d'habitations sociales de location qui doivent être temporairement libérées pour des travaux de rénovation ? Et violent-ils les mêmes articles de la Constitution en ce qu'ils ne prévoient à cette obligation de logement constant ou durable, en application de l'article 5, § 3, qu'une exception pour les chambres dans lesquelles séjournent temporairement les travailleurs saisonniers dans le secteur de l'horticulture et de l'agriculture, mais pas pour les logements indépendants ou chambres attribués temporairement aux travailleurs dans d'autres secteurs, comme les travailleurs immigrés dans le secteur de la construction, pour la durée de l'exécution de leur contrat de travail ? ». (...) III. En droit (...) Quant à l'objet de la question préjudicielle B.1.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 2, § 1er, alinéa 1er, 8°, 11°, 12°, 13°, 14°, 16° et 31°, et alinéa 2, et de l'article 5 du décret du 15 juillet 1997 « contenant le Code flamand du Logement » (ci-après : le décret du 15 juillet 1997) avec les articles 10, 11, 23, alinéa 3, 3°, ou 191 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 20 de la directive 2014/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 « établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi en tant que travailleur saisonnier », avec l'article 9 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 « relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union » et avec l'article 19, point 4, c), de la Charte sociale européenne révisée, d'une part, en ce que, dans l'interprétation du juge a quo, ils ont pour effet que les normes de sécurité, de salubrité et de qualité d'habitat prévues par le décret du 15 juillet 1997 seraient uniquement applicables aux biens immobiliers occupés de manière permanente et, d'autre part, en ce qu'ils feraient naître une différence de traitement entre les travailleurs saisonniers du secteur de l'horticulture et de l'agriculture et les travailleurs d'autres secteurs, tels que le secteur de la construction. B.1.2. Il ressort de la décision de renvoi que les faits de la cause pendante devant le juge a quo portent sur un bien immeuble dans lequel des travailleurs du secteur de la construction séjournent pour la durée de leur mission. La Cour limite son examen de la question préjudicielle à cette situation.

Il n'apparaît toutefois ni de la décision de renvoi ni de la question préjudicielle telle qu'elle est formulée en quoi la compatibilité des articles 2, § 1er, alinéa 1er, 8°, 11°, 12°, 13°, 14° et 16°, et alinéa 2, du décret du 15 juillet 1997, tels qu'ils sont applicables dans l'affaire devant le juge a quo, avec les normes de contrôle mentionnées dans la question préjudicielle serait remise en question.

La Cour limite donc son examen de la question préjudicielle à l'article 2, § 1er, alinéa 1er, 31°, et à l'article 5 du décret du 15 juillet 1997, tels qu'ils sont applicables dans l'affaire devant le juge a quo.

B.2.1. L'article 5, § 1er, du décret du 15 juillet 1997, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, prévoit que chaque « habitation » doit, dans un certain nombre de domaines qui sont énumérés, satisfaire aux normes élémentaires de sécurité, de salubrité et de qualité d'habitat, précisées par le Gouvernement flamand. En vertu de l'article 5, § 2, du même décret, le Gouvernement flamand fixe les exigences complémentaires et les normes pour les chambres, et les dispositions du titre Ier s'appliquent aux chambres. L'article 2, § 1er, alinéa 1er, 31°, de ce décret, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, définit la notion d'« habitation » comme étant « tout bien immobilier ou la partie de celui-ci destinés principalement au logement d'un ménage ou d'un isolé ».

B.2.2. Par son arrêt n° P.18.1059.N du 23 avril 2019, la Cour de cassation a jugé : « 6. L'article 2, § 1er, 31°, du Code flamand du logement décrit une habitation comme étant tout bien immobilier ou la partie de celui-ci destiné principalement au logement d'un ménage ou d'un isolé.

L'article 2, § 1er, 8°, du Code flamand du logement définit un ménage comme plusieurs personnes habitant de manière durable dans une même habitation et y ayant leur résidence principale. L'article 2, § 1er, 10°, de ce même Code prévoit qu'il y a lieu d'entendre par résidence principale l'habitation où un ménage ou un isolé réside effectivement et habituellement.

Il résulte de ces dispositions que les biens immeubles ne relèvent de l'application du Code flamand du logement que si leur vocation de logement présente une certaine persistance, ce qui implique que le séjour doit avoir un caractère durable ou, autrement dit, permanent et ne peut donc être occasionnel. 7. Il appartient au juge d'apprécier, à la lumière des éléments de fait en la cause, dans quelle mesure un séjour dans un immeuble présente un caractère durable ou permanent ou s'il n'est qu'occasionnel.Pour ce faire, le juge peut également prendre en considération le fait que les personnes concernées séjournent pour une brève période dans un immeuble et regagnent régulièrement leur lieu d'habitation ou de séjour à l'étranger ».

B.3.1. Il ressort de la décision de renvoi que le juge a quo estime que le séjour des travailleurs occupés par la locataire doit être qualifié de logement au sens de l'article 2, § 1er, 31°, du décret du 15 juillet 1997, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, mais que, sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation, le caractère temporaire de ce logement l'empêche de constituer une habitation au sens de cette même disposition. Il s'ensuit que l'application de l'article 5 du même décret aussi est exclue. C'est sur la base de cette interprétation que le juge a quo pose la question préjudicielle, par laquelle la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, notamment, est remise en question.

B.3.2. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés.

Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.3. L'article 5, § 3, alinéa 2, du décret du 15 juillet 1997, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, dispose que le Gouvernement flamand peut accorder des dérogations limitées aux exigences et normes qu'il fixe en application du paragraphe 1er ou du paragraphe 2, pour le logement temporaire de familles ou de personnes seules qui étaient sans-abri ou risquent de le devenir, et pour le logement de résidents d'habitations de location sociales qui doivent être libérées pour des travaux de rénovation. Il en découle qu'en principe, et hormis les dérogations précitées, le législateur décrétal entendait rendre les exigences contenues dans l'article 5, § § 1er et 2, applicables tant au logement temporaire qu'au logement permanent (Doc. parl., Parlement flamand, 2012-2013, n° 1861/1, p. 4). Un tel constat ressort également de l'objectif du législateur décrétal qui consiste à améliorer la qualité d'habitat de toutes les habitations (ibid., p. 14). A la lumière de cet objectif, il n'est pas raisonnablement justifié d'exclure les personnes dont le logement n'est que temporaire des garanties en matière de qualité d'habitat qui résultent de la qualification du bien immeuble comme étant une habitation, sur la base des dispositions en cause.

B.4. Dans l'interprétation selon laquelle ils excluent l'application de l'article 5 du décret du 15 juillet 1997, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, lorsque le logement est temporaire, l'article 2, § 1er, alinéa 1er, 31°, et l'article 5 du décret du 15 juillet 1997 ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.1. Une autre interprétation est toutefois possible. Bien qu'ils n'y associent pas toujours les mêmes effets eu égard aux faits spécifiques de l'affaire au fond, tant le Gouvernement flamand que les deux parties devant le juge a quo soutiennent que la lecture des dispositions en cause sur laquelle la question préjudicielle est fondée est erronée en tant qu'elle requiert que le logement ait un caractère permanent.

B.5.2. Comme il est dit en B.3.3, il ressort du texte du décret en cause, ainsi que des travaux préparatoires, que les exigences contenues dans l'article 5, § § 1er et 2, s'appliquent en principe au logement temporaire. En vertu de l'article 2, § 1er, de l'arrêté du Gouvernement flamand du 12 juillet 2013 « portant les normes de qualité et de sécurité pour habitation », tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, les exigences et normes auxquelles chaque habitation doit satisfaire sont celles qui sont définies dans le modèle de rapport technique joint audit arrêté.

L'annexe 2 contient spécifiquement les exigences et normes pour les chambres louées à des travailleurs saisonniers. Pour définir la notion de « travailleur saisonnier », l'arrêté renvoie au travailleur occasionnel visé à l'article 8bis, alinéa 2, de l'arrêté royal du 28 novembre 1969 « pris en exécution de la loi du 27 juin 1969Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/06/1969 pub. 24/01/2011 numac 2010000730 source service public federal interieur Loi révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. - Coordination officieuse en langue allemande fermer révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ». Il ressort par contre de cette dernière disposition qu'il peut s'agir de personnes qui, dans certains cas, ne travaillent quelque part que pendant un maximum de 30 jours par année civile, ce qui suppose, par définition, que leur hébergement comme travailleurs saisonniers n'est pas « permanent ».

B.5.3. Enfin, il ne peut être déduit ni de la définition de la notion de « résidence principale », ni de celle de la notion de « ménage », telles qu'elles sont mentionnées en B.2.2, qu'un bien immeuble ne peut être considéré comme une habitation que s'il est utilisé pour le logement permanent d'un ménage ou d'une personne seule. Il découle clairement du choix du législateur décrétal de définir la notion de « résidence principale » de manière distincte ainsi que de la définition même de la notion de « résidence principale » qu'il s'agit de l'habitation dans laquelle un ménage ou une personne seule réside effectivement et habituellement. Contrairement à ce que le juge a quo donne comme interprétation, cela ne signifie pas qu'un bien immeuble ne peut être considéré comme une habitation que s'il sert aussi de résidence principale pour un ménage ou pour une personne seule. Par ailleurs, il ressort de la définition de la notion d'« habitation », mentionnée en B.2.1, que tant le logement d'une personne seule que celui d'un ménage peuvent être qualifiés d'habitation. Abstraction faite encore de la question de savoir en quoi la définition de la notion de « ménage » dans ce contexte aurait pour conséquence que le logement temporaire ne saurait être pris en considération, il ressort des travaux préparatoires que l'exigence de durabilité contenue dans la définition de la notion de « ménage » renvoie à la durabilité de la cohabitation, sans qu'il soit nécessairement requis que cette cohabitation ait en outre lieu de manière permanente dans la même habitation spécifique (Doc. parl., Parlement flamand, 1996-1997, n° 654/1, p. 9).

B.5.4. Il découle des éléments mentionnés en B.5.2 et en B.5.3 que les exigences contenues dans l'article 5, § § 1er et 2, s'appliquent en principe non seulement au logement permanent, mais aussi au logement temporaire. Dans cette interprétation, la différence de traitement est inexistante et les dispositions en cause sont par conséquent compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.6. Sur la base de cette interprétation, il convient en outre de constater que la question préjudicielle, en ce qu'elle porte sur la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 23, alinéa 3, 3°, et 191 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 20 de la directive 2014/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 « établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi en tant que travailleur saisonnier », avec l'article 9 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 « relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union » et avec l'article 19, point 4, c), de la Charte sociale européenne révisée, n'appelle pas de réponse.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 2, § 1er, alinéa 1er, 31°, et l'article 5 du décret de la Région flamande du 15 juillet 1997 « contenant le Code flamand du Logement », interprétés en ce sens que les biens immeubles ne relèvent de l'application du Code flamand du Logement que si le séjour revêt un caractère durable ou permanent, violent les articles 10 et 11 de la Constitution. - Les mêmes dispositions, interprétées en ce sens que les biens immeubles relèvent aussi de l'application du Code flamand du Logement si le séjour ne revêt pas un caractère durable ou permanent, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - Pour le surplus, la question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 octobre 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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