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Arrêt
publié le 23 mai 2022

Extrait de l'arrêt n° 153/2021 du 28 octobre 2021 Numéro du rôle : 7363 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 89, 94, 10°, et 95, § § 1 er et 1 er bis, de la loi du 30 décembre 1992 « por La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moe(...)

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Extrait de l'arrêt n° 153/2021 du 28 octobre 2021 Numéro du rôle : 7363 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 89, 94, 10°, et 95, § § 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer « portant des dispositions sociales et diverses », posées par la Cour de cassation.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 3 février 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 février 2020, la Cour de cassation a posé les questions préjudicielles suivantes : « - Les articles 89 et 95, § § 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer portant des dispositions sociales et diverses violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils engendrent une différence de traitement entre les redevables de la cotisation et les redevables des impositions perçues par les comptables du Trésor en vertu de l'article 59 des lois sur la comptabilité de l'Etat, coordonnées le 17 juillet 1991, en confiant le recouvrement de la cotisation annuelle à charge des sociétés aux caisses d'assurances sociales plutôt qu'à ces comptables, alors que les caisses ne sont pas soumises aux obligations en matière de serment et de cautionnement imposées aux comptables par l'article 61 des lois coordonnées, que le Trésor n'a pas sur leurs biens le privilège prévu par l'article 64 des mêmes lois et qu'elles ne sont pas soumises au contrôle de la Cour des comptes prévu par l'article 180 de la Constitution ? - L'article 94, 10°, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer viole-t-il l'article 170 de la Constitution en ce qu'il charge le Roi de déterminer les cas dans lesquels il peut être renoncé à l'application des majorations pour retard de paiement des cotisations, sans contenir les critères précis, non équivoques et clairs au moyen desquels il peut être déterminé quel contribuable peut bénéficier de la renonciation ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause et à leur contexte B.1. Les articles 89, 94, 10°, et 95, § § 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer « portant des dispositions sociales et diverses » (ci-après : la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer), en cause, disposent : «

Art. 89.§ 1. Les sociétés sont tenues, dans les trois mois après leur création ou dans les trois mois du fait qui les soumet à l'impôt des non-résidents, de s'affilier à une caisse d'assurances sociales. § 2. La société qui néglige de s'affilier à une caisse d'assurances sociales dans le délai prévu au § 1er, est mise en demeure par l'Institut national par lettre recommandée à la poste. Si elle ne s'affilie pas volontairement à une caisse d'assurances sociales dans les trente jours qui suivent la date de l'envoi par la poste de la mise en demeure, elle est affiliée d'office à la Caisse nationale auxiliaire d'assurances sociales pour travailleurs indépendants. § 3. L'Administration des Contributions directes est tenue de fournir à chaque intéressé les informations et attestations requises pour l'application du présent chapitre, sans porter de frais en compte ». «

Art. 94.Le Roi détermine : [...] 10° les cas dans lesquels il peut être renoncé à l'application des majorations visées à l'article 93 ». «

Art. 95.§ 1. Les caisses d'assurances sociales sont chargées du recouvrement de la cotisation, au besoin par la voie judiciaire. § 1erbis. Sans préjudice de leur droit de citer devant le juge, les caisses d'assurances sociales peuvent, en tant qu'organisme percepteur des cotisations, également procéder au recouvrement des sommes qui leur sont dues par voie de contrainte.

Le Roi règle les conditions et les modalités de poursuite par voie de contrainte ainsi que les frais résultant de la poursuite et leur mise à charge ».

Ces dispositions doivent être lues en combinaison avec les articles 91 et 93 de la même loi, qui disposent : «

Art. 91.Les sociétés sont tenues de verser une cotisation annuelle forfaitaire.

Le Roi fixe, pour ce que ce soit d'application à partir de 2004, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les cotisations dues par les sociétés, sans que celles-ci ne puissent toutefois dépasser 868 EUR. Pour ce faire, il peut opérer une distinction sur la base de critères qui tiennent compte de la taille de la société ». «

Art. 93.Une majoration de 1 % par mois civil de retard de paiement est appliquée sur la partie des cotisations qui n'a pas été payée à temps.

Cette majoration est appliquée jusque et y compris le mois au cours duquel soit la société a payé la cotisation due, soit une procédure judiciaire a été engagée, soit la caisse à laquelle la société est affiliée lui a fait signifier la contrainte contenant commandement à payer la cotisation due ».

B.2. L'article 91 de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer met à charge des sociétés une cotisation annuelle forfaitaire. Cette cotisation, qui, à l'origine, avait été instaurée comme cotisation forfaitaire unique par l'article 78 de la loi du 26 juin 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/06/1992 pub. 31/03/2011 numac 2011000187 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses fermer « portant des dispositions sociales et diverses », est destinée au statut social des travailleurs indépendants (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 526-1, p. 27; Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/018, p. 11).

Les caisses d'assurances sociales, auxquelles les sociétés sont tenues de s'affilier, sont chargées de la perception et du recouvrement de la cotisation annuelle forfaitaire. Ces caisses sont les caisses libres d'assurances sociales et la Caisse nationale auxiliaire d'assurances sociales pour travailleurs indépendants, constituée au sein de l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (ci-après : l'INASTI), à laquelle sont affiliées par défaut les sociétés qui ne s'affilient pas volontairement à une caisse d'assurances sociales.

B.3. La cotisation en cause n'est pas une cotisation de sécurité sociale, mais un impôt au sens des articles 170 et 172 de la Constitution.

B.4. Par son arrêt n° 10/2017 du 25 janvier 2017, la Cour a jugé que l'article 170, § 1er, de la Constitution, qui réserve aux assemblées délibérantes démocratiquement élues la décision d'établir une imposition et la fixation des éléments essentiels de celle-ci, n'interdit pas au législateur d'habiliter les caisses d'assurances sociales à recouvrer la cotisation en cause, même si cette cotisation a été qualifiée d'impôt : « B.8. Par la première branche, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 95 de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer avec les articles 170 et 172 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution et, le cas échéant, avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention, en ce qu'il confie le recouvrement de la cotisation spéciale aux caisses d'assurances sociales, sous le contrôle du ministre ayant le statut social des travailleurs indépendants dans ses attributions, caisses qui ne relèvent ni de l'activité ni des missions publiques spéciales des administrations fiscales. [...] B.10. L'article 170, § 1er, de la Constitution réserve aux assemblées délibérantes démocratiquement élues la décision d'établir une imposition et la fixation des éléments essentiels de celle-ci.

Il n'interdit pas au législateur d'habiliter les caisses d'assurances sociales qui sont chargées de missions de service public par l'article 20 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 'organisant le statut social des travailleurs indépendants' à recouvrer la cotisation en cause, même si cette cotisation a été qualifiée d'impôt. Bien que de nature fiscale, au sens des articles 170 et 172 de la Constitution, la cotisation en cause reste apparentée à une cotisation sociale par sa raison d'être, avec pour conséquence son intégration dans le système du statut social des travailleurs indépendants. En leur qualité de créancières de cotisations destinées à financer un régime de sécurité sociale par ailleurs financé par l'autorité publique, les caisses d'assurances sociales doivent être agréées à cette fin par celle-ci (article 20, § 1er, de l'arrêté royal n° 38) et exercent à ce titre une mission de service public.

Il ressort d'ailleurs des travaux préparatoires de la loi du 27 décembre 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/12/2005 pub. 30/12/2005 numac 2005021183 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses fermer portant des dispositions diverses, dont l'article 63 a inséré le paragraphe 1erbis dans la disposition en cause, que la possibilité de procéder au recouvrement des cotisations par voie de contrainte s'inscrit dans le prolongement de la loi-programme du 20 juillet 2005 qui a permis aux organismes percepteurs des cotisations sociales pour travailleurs indépendants d'assurer un meilleur recouvrement des cotisations sociales qui leur sont dues (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2098/001, p. 53).

B.11. La question préjudicielle, en sa première branche, appelle une réponse négative ».

Par le même arrêt, la Cour a également jugé : « B.12. Par la deuxième branche, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 95 de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer avec les articles 170 et 172 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution et, le cas échéant, avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention, en ce que les règles relatives à son recouvrement (la prescription, la contrainte comme titre exécutoire extra-judiciaire et les sûretés) sont calquées sur celles qui sont d'application aux cotisations sociales pour travailleurs indépendants.

B.13. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.14. Il ne ressort ni du libellé de la question préjudicielle, ni des motifs de la décision de renvoi, ni des arguments échangés devant la Cour que la disposition en cause porterait une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées.

B.15. La question préjudicielle, en sa deuxième branche, appelle une réponse négative ».

B.5. Par son arrêt n° 11/2017 du 25 janvier 2017, la Cour a jugé que l'attribution au tribunal du travail, par l'article 581, 8°, du Code judiciaire, de la compétence de connaître des contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer une cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants, plutôt qu'au tribunal de première instance, qui connaît des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt, est raisonnablement justifiée au regard du principe d'égalité et de non-discrimination et du droit d'accès au juge : « B.5.2. Pour répondre aux questions préjudicielles, la Cour doit vérifier si l'article 581, 8°, du Code judiciaire est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il attribue au tribunal du travail la compétence de connaître des contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer une cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants visées par cette disposition, alors que la Cour a qualifié cette cotisation d'impôt et que l'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire attribue au tribunal de première instance la compétence de connaître des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt. [...] B.8.2. En confiant au tribunal du travail les contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer une cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants, la disposition en cause traite de manière différente les sociétés redevables de cette cotisation, que la Cour a qualifiée d'impôt, et les autres contribuables dès lors que l'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire confie au tribunal de première instance la compétence de connaître des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt. La situation de ces sociétés et celle des autres contribuables sont comparables.

B.8.3. La Cour doit dès lors vérifier si cette différence de traitement est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.8.4. Compte tenu du lien entre la cotisation en cause et le statut social des travailleurs indépendants, il est pertinent que, malgré la qualification de la cotisation en cause comme impôt, le contentieux relatif à cette cotisation ait été confié au tribunal du travail. Bien que de nature fiscale, au sens des articles 170 et 172 de la Constitution, la cotisation en cause reste apparentée à une cotisation sociale par sa raison d'être, avec pour conséquence son intégration dans le système du statut social des travailleurs indépendants.

B.9. La Cour doit encore vérifier si l'article 581, 8°, du Code judiciaire ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge.

La disposition en cause assure aux justiciables un traitement de leur cause par une juridiction indépendante et impartiale qui a pleine juridiction pour examiner leurs griefs et doit notamment vérifier la correcte application de la loi. Le fait que les juridictions du travail ne sont pas spécialisées en matière fiscale n'entraîne pas une différence injustifiée entre les redevables de la cotisation litigieuse et les redevables d'un autre impôt. Il ne résulte d'ailleurs pas des articles 170 et 172 de la Constitution que toutes les contestations relatives aux impôts doivent être soumises à une même juridiction. Rien n'indique encore que les justiciables ne disposent pas des mêmes moyens de défense selon que leur litige est porté devant le tribunal du travail ou devant le tribunal de première instance.

Le droit d'accès à un juge ne comprend pas le droit d'accéder à un juge de son choix. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de décider quel juge est le plus apte à trancher un type donné de contestations.

B.10. L'attribution au tribunal du travail des contestations relatives à l'obligation pour les sociétés de payer une cotisation destinée au statut social des travailleurs indépendants est par conséquent raisonnablement justifiée.

B.11. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative ».

Quant à la première question préjudicielle B.6. Par la première question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité des articles 89 et 95, § § 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils engendrent une différence de traitement entre les redevables de la cotisation annuelle forfaitaire et les redevables des impositions perçues par les comptables du Trésor en vertu de l'article 59 des lois sur la comptabilité de l'Etat, coordonnées le 17 juillet 1991, en confiant le recouvrement de la cotisation annuelle forfaitaire à charge des sociétés aux caisses d'assurances sociales plutôt qu'aux comptables du Trésor, alors que ces caisses ne sont pas soumises aux obligations en matière de serment et de cautionnement imposées aux comptables par l'article 61 des lois coordonnées, que le Trésor n'a pas sur leurs biens le privilège prévu par l'article 64 des mêmes lois et qu'elles ne sont pas soumises au contrôle de la Cour des comptes prévu par l'article 180 de la Constitution.

B.7. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.8. Comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 10/2017 précité, l'article 170, § 1er, de la Constitution n'interdit pas au législateur d'habiliter les caisses d'assurances sociales créées en exécution de l'article 20 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 « organisant le statut social des travailleurs indépendants » à recouvrer la cotisation annuelle forfaitaire destinée au statut social des travailleurs indépendants.

En effet, bien qu'elle soit de nature fiscale, au sens des articles 170 et 172 de la Constitution, la cotisation en cause reste apparentée à une cotisation sociale par sa raison d'être, avec pour conséquence son intégration dans le système du statut social des travailleurs indépendants. Le fait que le régime de sécurité sociale de ces travailleurs soit par ailleurs aussi financé par l'autorité publique, le cas échéant avec le produit des impôts, ne change rien à ce constat.

Le choix du législateur de confier le recouvrement de la cotisation annuelle forfaitaire aux caisses d'assurances sociales implique l'application d'un régime différent de celui qui s'applique au recouvrement des autres impôts par les comptables du Trésor. La différence de traitement qui en résulte entre les redevables de la cotisation en cause et les redevables des impositions perçues par les comptables du Trésor n'est discriminatoire que si l'application des règles et des garanties applicables en cas de recouvrement de la cotisation en cause entraîne une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.9. Contrairement à ce que le Conseil des ministres et l'INASTI allèguent, la Cour, dans ses arrêts nos 103/2011 et 10/2017, n'a pas examiné la constitutionnalité des dispositions en cause en ce qui concerne la différence de traitement visée dans la question préjudicielle, en particulier sous l'angle des garanties qui sont applicables en cas de recouvrement de la cotisation annuelle forfaitaire par les caisses d'assurances sociales.

Il appartient dès lors à la Cour de vérifier que le recouvrement de la cotisation en cause par les caisses d'assurances sociales est assorti de garanties suffisantes, de nature à assurer que les caisses s'acquittent correctement des missions que le législateur leur a confiées et que les droits des redevables de ladite cotisation ne sont pas limités d'une manière disproportionnée.

B.10. Le recouvrement de la cotisation en cause est assorti de plusieurs garanties, qui, certes, ne sont pas identiques à celles qui s'appliquent aux comptables du Trésor, mais qui permettent d'encadrer adéquatement le recouvrement de la cotisation annuelle forfaitaire.

Tout d'abord, les caisses libres d'assurances sociales pour travailleurs indépendants doivent être agréées (article 20, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 « organisant le statut social des travailleurs indépendants »). La Caisse nationale auxiliaire et les caisses libres d'assurances sociales sont soumises à un contrôle ministériel (article 20, § 1er, alinéas 1er et 2, de l'arrêté royal n° 38 précité; article 94, 7°, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer). En outre, en cas de retard dans le transfert des montants dus à l'INASTI, une majoration de 0,045 % par jour de retard est due par la caisse d'assurances sociales (article 12 de l'arrêté royal du 15 mars 1993 « pris en exécution du chapitre II du titre III de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer portant des dispositions sociales et diverses, relatif à l'instauration d'une cotisation annuelle à charge des sociétés, destinée au statut social des travailleurs indépendants »). En cas de négligence ayant empêché le recouvrement de la cotisation, la caisse d'assurances sociales peut en être déclarée responsable par décision du ministre qui a le statut social des travailleurs indépendants dans ses attributions (article 95, § 4, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer).

Dans les deux cas, les sommes dues à titre de sanction sont prélevées sur les montants destinés à couvrir les frais de gestion et de fonctionnement ou d'administration de la caisse défaillante.

Contrairement à ce que les parties demanderesses en cassation prétendent, ces sommes ne sont pas répercutées sur les redevables de la cotisation. La gestion de la Caisse nationale auxiliaire est soumise au même contrôle que la gestion générale de l'INASTI (article 20, § 3, de l'arrêté royal n° 38 précité). Ce contrôle, auquel la Cour des comptes participe, est réglé par l'arrêté royal du 3 avril 1997 « portant des mesures en vue de la responsabilisation des institutions publiques de sécurité sociale, en application de l'article 47 de la loi du 26 juillet 1996Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/07/1996 pub. 05/10/2012 numac 2012205395 source service public federal interieur Loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. - Coordination officieuse en langue allemande fermer portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions ». Enfin, en cas de contestation, les redevables de la cotisation peuvent introduire un recours devant le tribunal du travail (article 581, 8°, du Code judiciaire). Comme il est dit en B.5, la Cour, par son arrêt n° 11/2017, a jugé que la compétence du tribunal du travail pour connaître d'un tel recours est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec le droit d'accès au juge.

B.11. Sans qu'il soit nécessaire de déterminer si les agents des caisses d'assurances sociales sont justiciables de la Cour des comptes, sur la base de l'article 180 de la Constitution, il y a lieu de considérer que les garanties qui s'attachent au recouvrement de la cotisation offrent aux redevables de celle-ci un degré de protection suffisant.

B.12. La Cour n'est pas compétente pour contrôler la manière dont les autorités compétentes mettent en oeuvre les mécanismes mentionnés en B.10. C'est par ailleurs à ces autorités qu'il appartient, le cas échéant, de tenir compte des recommandations que la Cour des comptes a émises dans les rapports cités par les parties demanderesses en cassation, en vue d'améliorer le contrôle des caisses d'assurances sociales. En tout état de cause, il ne ressort pas de ces rapports de la Cour des comptes que le recouvrement de la cotisation en cause devrait être confié à l'administration fiscale, ni que les garanties applicables aux comptables du Trésor qui sont mentionnées dans la question préjudicielle devraient nécessairement s'appliquer au recouvrement de la cotisation pour en assurer la constitutionnalité.

B.13. Les dispositions en cause n'entraînent pas une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

La première question préjudicielle appelle dès lors une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.14. Par la seconde question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 94, 10°, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer avec l'article 170 de la Constitution, en ce qu'il charge le Roi de déterminer les cas dans lesquels il peut être renoncé à l'application des majorations pour retard de paiement des cotisations, visées à l'article 93 de la même loi, sans prévoir les critères précis, non équivoques et clairs permettant de déterminer quel contribuable peut bénéficier de la renonciation.

B.15. L'article 170, § 1er, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi ».

Cette disposition exprime le principe de la légalité de l'impôt qui exige que les éléments essentiels de l'impôt soient, en principe, déterminés par la loi, afin qu'aucun impôt ne puisse être levé sans le consentement des contribuables, exprimé par leurs représentants. Font partie des éléments essentiels de l'impôt la désignation des contribuables, la matière imposable, la base imposable, le taux d'imposition et les éventuelles exonérations et diminutions d'impôt.

B.16. Sans qu'il soit besoin de déterminer si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige, il convient de constater que la majoration visée à l'article 93 de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer est un intérêt de retard, qui est dû en raison du paiement tardif d'une dette d'impôt. Cette majoration n'est pas un impôt. L'article 170, § 1er, de la Constitution ne fait dès lors pas obstacle à ce que le législateur habilite le Roi à déterminer les cas dans lesquels il peut être renoncé à l'application de cette majoration.

B.17. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Les articles 89 et 95, § § 1er et 1erbis, de la loi du 30 décembre 1992Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/12/1992 pub. 18/06/2012 numac 2012000355 source service public federal interieur Loi portant des dispositions sociales et diverses. - Coordination officieuse en langue allemande d'extraits fermer « portant des dispositions sociales et diverses » ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - L'article 94, 10°, de la même loi ne viole pas l'article 170, § 1er, de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 octobre 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût

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