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Arrêt
publié le 23 mai 2022

Extrait de l'arrêt n° 139/2021 du 14 octobre 2021 Numéro du rôle : 7364 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 44 du Code des impôts sur les revenus 1964 , posées par la Cour d'appel(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 139/2021 du 14 octobre 2021 Numéro du rôle : 7364 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 44 du Code des impôts sur les revenus 1964 (actuellement article 49 du CIR 1992), posées par la Cour d'appel de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques et S. de Bethune, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 5 février 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 février 2020, la Cour d'appel de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 44 du C.I.R. 64 (article 49 du C.I.R. 92) viole-t-il les articles 170 et 172 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec le droit de l'Union, dans l'interprétation selon laquelle il autoriserait la déduction de charges qui ont été exposées dans le cadre d'opérations complexes et inhabituelles, posées dans le seul but de réduire voire de neutraliser l'impôt qui se serait appliqué au contribuable en l'absence de ces opérations ? 2. L'article 44 du C.I.R. 64 (article 49 du C.I.R. 92) viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 170 et/ou avec le droit de l'Union, dans l'interprétation selon laquelle il autoriserait la déduction de charges qui ont été exposées dans le cadre d'opérations complexes et inhabituelles, posées dans le seul but de réduire voire de neutraliser l'impôt qui se serait appliqué au contribuable en l'absence de ces opérations, pourvu que ces opérations puissent produire des revenus imposables substantiels; alors qu'il ne l'autoriserait pas dans le chef d'un contribuable qui ne se distinguerait du premier que par le fait que les opérations ne puissent produire que des revenus imposables modiques ? 3. L'article 44 du C.I.R. 64 (article 49 du C.I.R. 92) viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 170 et/ou avec le droit de l'Union, dans l'interprétation selon laquelle la condition ' d'acquérir ou de conserver les revenus imposables ' prévue par cette disposition est réputée rencontrée dans le cas où un revenu imposable modique par rapport aux frais exposés, tels que les intérêts perçus dans le cadre d'une ' opération Q.F.I.E. ', s'accompagne de charges importantes exposées quasi exclusivement en vue d'obtenir au moyen d'un montage fiscal la destruction de la base imposable; tandis que cette condition n'est pas réputée rencontrée dans le cas où un revenu imposable modique s'accompagne de charges importantes exposées principalement en vue d'accorder un avantage à un tiers ? 4. La réponse aux questions précédentes peut-elle être différente si le juge saisi du fond d'un litige fiscal constate que le résultat économique des opérations en cause auquel on pouvait s'attendre avant application de l'impôt, est négatif ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1. L'article 44 du Code des impôts sur les revenus 1964 (ci-après : le CIR 1964) (actuellement article 49 du CIR 1992) dispose : « Les dépenses ou charges professionnelles déductibles sont celles que le contribuable justifie avoir faites ou supportées pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables.

Sont considérées comme ayant été faites ou supportées pendant la période imposable, les dépenses ou charges qui, pendant cette période, ont été effectivement payées ou supportées ou qui ont acquis le caractère de dettes ou pertes certaines et liquides et ont été comptabilisées comme telles ».

Cette disposition fait partie des dispositions qui ont trait à la détermination du montant net des revenus professionnels dans le cadre de l'impôt des personnes physiques. Conformément à l'article 96 du CIR 1964, elle est également applicable en matière d'impôt des sociétés.

Quant au litige pendant devant le juge a quo et au contexte dans lequel les questions préjudicielles sont posées B.2. Le litige pendant devant le juge a quo concerne une société qui, en 1989, a effectué plusieurs opérations dites « QFIE ». Ces opérations consistent à acheter des obligations à l'étranger, peu de temps avant l'échéance des intérêts y afférents, et à les revendre aussitôt après avoir perçu les intérêts. Par ces opérations, l'objectif principal de la société n'est pas tant de percevoir les intérêts produits par les obligations, le montant de ces intérêts étant généralement inférieur aux charges exposées, que d'imputer sur l'impôt dont elle est redevable en Belgique la quotité forfaitaire d'impôt étranger (ci-après : QFIE) prévue par les conventions préventives de la double imposition conclues par la Belgique avec certains Etats (en l'espèce, la convention du 19 octobre 1970 entre la Belgique et l'Italie « en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu »), dont le mode de calcul est étranger au résultat de l'opération pour la société, tout en déduisant par ailleurs les charges exposées pour les besoins de l'opération au titre de frais professionnels.

L'imputation de la QFIE permet à la société de réduire, voire de neutraliser, l'impôt dont elle est redevable en Belgique.

B.3. Devant le juge a quo, la question se pose de savoir si les charges exposées dans le cadre d'opérations « QFIE », lesquelles ne s'inscrivent pas dans l'activité professionnelle normale de la société et poursuivent (quasiment) exclusivement un but fiscal, sont déductibles sur la base de l'article 44, alinéa 1er, du CIR 1964, qui prévoit que les dépenses ou charges professionnelles déductibles sont celles que le contribuable justifie avoir faite ou supportées pendant la période imposable « en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables ».

B.4. Après avoir, pendant plusieurs années, estimé que, pour être considérées comme des frais professionnels déductibles, les dépenses d'une société commerciale doivent être inhérentes à l'exercice de la profession, c'est-à-dire se rattacher nécessairement à l'activité sociale (Cass., 18 janvier 2001, F.99.0114.F; 3 mai 2001, F.99.0159.F; 19 juin 2003, F.01.0066.F), la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence. Elle a ainsi jugé : « 1. Tous les revenus et produits de capitaux et de biens mobiliers utilisés par une société commerciale pour l'exercice de son activité professionnelle constituent des revenus professionnels. Les circonstances qu'il n'y ait aucun rapport entre une opération d'une société et son objet statutaire et qu'une opération ait été effectuée dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, n'excluent dès lors pas que les revenus et produits qui sont le résultat de cette opération soient qualifiés de revenus professionnels. 2. Aux termes de l'article 44, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1964, les charges que le contribuable a faites ou supportées pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables, sont déductibles à titre de frais professionnels. En vertu de l'article 96 dudit code, cette disposition s'applique aux sociétés commerciales.

Il ne résulte pas de cette disposition que la déduction de dépenses ou de charges professionnelles est subordonnée à la condition qu'elles soient inhérentes à l'activité sociale de la société commerciale telle qu'elle ressort de son objet social.

La Cour opère ainsi un revirement de sa jurisprudence. 3. Les circonstances qu'il n'y ait aucun rapport entre une opération d'une société et son activité ou son objet statutaire et qu'une opération ait été effectuée dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, n'excluent pas en tant que telles que les frais concernant de telles opérations puissent être qualifiés de frais professionnels déductibles. 4. En considérant que les frais afférents aux transactions d'obligations ne constituent pas des frais professionnels déductibles étant donné que lesdites transactions sont étrangères à l'activité sociale de la demanderesse et qu'en outre, elles ont été effectuées dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal par le biais de l'imputation de la quotité forfaitaire d'impôt étranger, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision » (Cass., 12 juin 2015, F.13.0163.N; voy. déjà Cass., 11 septembre 2014, F.13.0053.F; 4 juin 2015, F.14.0185.F et F.14.0189.F; 4 juin 2015, F.14.0165.F; voy. aussi Cass., 12 juin 2015, F.14.0080.N).

Ce revirement de jurisprudence a été confirmé par la suite, notamment à propos d'opérations « QFIE » (Cass., 21 juin 2019, F.15.0067.N; 31 octobre 2019, F.16.0024.N).

B.5. Le juge a quo met en cause la pertinence de l'interprétation que la Cour de cassation confère à la disposition en cause, par les arrêts précités. Il en interroge la cohérence avec un autre arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2018 (F.17.0054.N), relatif à la déductibilité des frais exposés par une société en vue principalement d'accorder un avantage à un tiers.

Dans ce contexte, le juge a quo pose à la Cour trois questions préjudicielles sur la constitutionnalité de l'article 44 du CIR 1964 et, par ce que les parties identifient à tort comme une quatrième question préjudicielle, il lui demande si la réponse à ces trois questions préjudicielles est susceptible de changer si le juge fiscal constate que le résultat économique des opérations en cause auquel on pouvait s'attendre avant application de l'impôt est négatif.

La Cour répond aux questions préjudicielles dans ce sens.

Quant à l'interprétation de la disposition en cause et à son applicabilité au litige B.6.1. Le Conseil des ministres soutient que, sous réserve de retenir l'interprétation de la disposition en cause qu'il préconise, les questions préjudicielles appellent une réponse négative. En l'occurrence, le Conseil des ministres invite la Cour à interpréter l'article 44 du CIR 1964 comme n'autorisant pas la déduction des charges exposées par une société dans le cadre d'une opération « QFIE », dès lors que de telles charges ne visent pas à acquérir ou à conserver des revenus imposables. Selon lui, la QFIE ainsi obtenue ne peut être considérée comme un revenu imposable au sens de cette disposition, dès lors qu'elle est étrangère à l'activité professionnelle réelle de la société.

B.6.2. La SA « CBC Banque » soutient que la disposition en cause n'est manifestement pas applicable au litige pendant devant le juge a quo et que les questions préjudicielles n'appellent dès lors pas de réponse.

Selon elle, en vertu du principe de la primauté du droit international sur le droit interne, le droit interne ne peut pas soumettre l'imputation de la QFIE sur l'impôt à des conditions plus strictes que celles qui sont prévues par la convention préventive de la double imposition conclue le 19 octobre 1970 entre la Belgique et l'Italie.

L'article 44 du CIR 1964 ne serait pas davantage applicable à la perte qui résulte des opérations « QFIE », dès lors qu'il concerne uniquement les conditions de déduction des charges professionnelles.

B.7. Il revient en règle à la juridiction a quo de déterminer les normes applicables au litige qui lui est soumis. Toutefois, lorsque des dispositions qui ne peuvent manifestement être appliquées à ce litige sont soumises à la Cour, celle-ci n'en examine pas la constitutionnalité. De la même manière, il appartient en règle à la juridiction a quo d'interpréter les dispositions qu'elle applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.

B.8.1. Comme il est dit en B.4 et en B.5, le juge a quo interroge la Cour sur la constitutionnalité de l'article 44 du CIR 1964 dans l'interprétation que lui confère la Cour de cassation, c'est-à-dire interprété comme permettant à une société de déduire des charges relatives à une opération étrangère à l'activité professionnelle réelle de la société et réalisée par ladite société uniquement en vue de réduire sa charge fiscale.

B.8.2. Les questions préjudicielles ne portent pas sur l'imputation de la QFIE sur l'impôt dû par la société, mais sur la déductibilité des charges liées à l'opération « QFIE », en tant que frais professionnels, qui est une question étrangère à la convention préventive de double imposition conclue par la Belgique et l'Italie et qui relève donc exclusivement du droit interne.

B.8.3. Compte tenu de ce qui précède, il n'apparaît pas que les questions préjudicielles soient fondées sur une lecture manifestement erronée de la disposition en cause, ni que cette disposition ne serait manifestement pas applicable au litige au fond.

La Cour répond donc aux questions préjudicielles dans l'interprétation du juge a quo.

Quant au droit de l'Union européenne B.9.1. La SA « SILOX » soutient que les trois premières questions préjudicielles sont irrecevables en tant qu'elles visent le droit de l'Union européenne, à défaut pour la juridiction a quo d'avoir identifié dans les questions préjudicielles des dispositions spécifiques de ce droit à l'aune desquelles la constitutionnalité de l'article 44 du CIR 1964 devrait être appréciée. Avec la SA « CBC Banque » et le Conseil des ministres, elle soutient que les normes de droit de l'Union citées par le juge a quo dans l'arrêt de renvoi ne sont pas applicables en l'espèce.

B.9.2. Il ressort de la motivation de l'arrêt de renvoi que les dispositions du droit de l'Union auquel le juge a quo fait référence sont, d'une part, le principe d'interdiction de pratiques abusives aux droits et aux avantages prévus par le droit de l'Union, tel qu'il est explicitement mis en oeuvre par la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 « établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur » (ci-après : la directive (UE) 2016/1164), et, d'autre part, l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : le TFUE) (anciennement article 92 du Traité instituant la Communauté économique européenne), en ce qu'il interdit les aides d'Etat.

B.9.3. Cependant, la motivation de l'arrêt de renvoi ne fait pas apparaître en quoi, par les opérations litigieuses, effectuées en vue de bénéficier du régime prévu par la convention préventive de la double imposition conclue le 19 octobre 1970 entre la Belgique et l'Italie, et en postulant la déduction des charges liées à ces opérations sur la base du droit interne, la SA « SILOX » aurait abusé de droits ou d'avantages prévus par le droit de l'Union. Par ailleurs, la directive (UE) 2016/1164 n'était pas applicable lors de l'exercice d'imposition 1990, dès lors que son adoption lui est nettement postérieure. Cette directive ne saurait donc servir en l'espèce de norme de référence en vue d'apprécier la constitutionnalité de l'article 44 du CIR 1964, tel qu'il s'applique à l'exercice d'imposition 1990. Enfin, comme elle l'a jugé à plusieurs reprises, et notamment par son arrêt n° 49/2018 du 26 avril 2018, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 18 mai 2017, C-150/16, Fondul Proprietatea SA, point 42), la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'Etat avec le marché intérieur.

B.9.4. Partant, il n'y a pas lieu d'inclure les normes du droit de l'Union précitées dans l'examen de la constitutionnalité de la disposition en cause.

Quant à la première question préjudicielle B.10. Par la première question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 170 et 172 de la Constitution, en ce qu'ils garantissent le principe de la légalité de l'impôt, dans l'interprétation selon laquelle la disposition en cause « autoriserait la déduction de charges qui ont été exposées dans le cadre d'opérations complexes et inhabituelles, posées dans le seul but de réduire voire de neutraliser l'impôt qui se serait appliqué au contribuable en l'absence de ces opérations ».

B.11.1. L'article 170, § 1er, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi ».

Cette disposition exprime le principe de la légalité de l'impôt qui exige que les éléments essentiels de l'impôt soient, en principe, déterminés par la loi, afin qu'aucun impôt ne puisse être levé sans le consentement des contribuables, exprimé par leurs représentants. Font partie des éléments essentiels de l'impôt, la désignation des contribuables, la matière imposable, la base imposable, le taux d'imposition et les éventuelles exonérations et diminutions d'impôt.

B.11.2. Le principe de la légalité de l'impôt est également exprimé à l'article 172, alinéa 2, de la Constitution, qui dispose : « Nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi ».

B.12. Le juge a quo ne prétend pas que le législateur aurait opéré une délégation prohibée par les articles 170 et 172 de la Constitution. Il s'interroge plutôt sur la conformité de l'interprétation que la Cour de cassation donne à la disposition en cause par rapport au libellé de celle-ci. Il estime que cette interprétation n'est pas exacte et que, pour ce motif, elle viole le principe de la légalité de l'impôt garanti par les articles 170 et 172 de la Constitution.

B.13. La Cour n'est pas compétente pour contrôler la manière dont le juge a quo et la Cour de cassation interprètent les dispositions législatives, mais pour contrôler la constitutionnalité des dispositions législatives, dans l'interprétation indiquée, le cas échéant, par le juge a quo. Le contrôle de la constitutionnalité d'une disposition législative à l'aune du principe de la légalité de l'impôt implique pour la Cour de contrôler que le législateur n'a pas procédé à une délégation prohibée par ce principe et que la disposition législative est suffisamment précise; il ne permet pas en soi à la Cour de contrôler la manière dont le juge interprète la disposition législative en question, au regard du libellé de cette disposition.

B.14. La première question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Quant à la deuxième question préjudicielle B.15. Par la deuxième question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 170 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle elle « autoriserait la déduction de charges qui ont été exposées dans le cadre d'opérations complexes et inhabituelles, posées dans le seul but de réduire voire de neutraliser l'impôt qui se serait appliqué au contribuable en l'absence de ces opérations, pourvu que ces opérations puissent produire des revenus imposables substantiels; alors qu'[elle] ne l'autoriserait pas dans le chef d'un contribuable qui ne se distinguerait du premier que par le fait que les opérations ne puissent produire que des revenus imposables modiques ».

La question préjudicielle invite à comparer les contribuables ayant effectué une opération telle que celle qui est décrite ci-dessus, selon que l'opération peut produire des revenus imposables substantiels ou modiques. Les frais exposés ne seraient déductibles que dans le premier cas.

B.16.1. Par un arrêt du 21 septembre 2018 (F.17.0054.N), la Cour de cassation a jugé : « 1. L'article 49, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit que sont déductibles à titre de frais professionnels les frais que le contribuable a faits ou supportés pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie la réalité et le montant au moyen de documents probants ou, quand cela n'est pas possible, par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun, sauf le serment. 2. Il ne résulte pas de cette disposition que la déduction de dépenses ou charges professionnelles serait subordonnée à la condition qu'elles soient inhérentes à l'activité sociale de la société commerciale telle qu'elle ressort de son objet social. Les circonstances qu'il n'existe pas de lien entre une opération d'une société et son activité ou son objet statutaire et qu'une opération ait été effectuée dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, n'excluent pas en tant que telles que les frais afférents à de telles opérations puissent être qualifiés de frais professionnels déductibles. 3. L'article 183 du Code des impôts sur les revenus 1992 précise que, sous réserve des dérogations prévues par la loi, les revenus soumis à l'impôt des sociétés ou exonérés dudit impôt sont, quant à leur nature, les mêmes que ceux qui sont envisagés en matière d'impôt des personnes physiques.Leur montant est déterminé d'après les règles applicables aux bénéfices. 4. Il résulte de ce qui précède que les frais exposés par une société, par exemple pour l'acquisition d'un bien immobilier, ne sont déductibles au sens de l'article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992 que lorsqu'ils répondent aux conditions prescrites par cette disposition, et notamment lorsque ces frais ont été faits ou supportés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables, quel que soit le lien avec les activités statutaires de la société.5. Les juges d'appel ont notamment constaté et considéré que : - l'immeuble a été financé en quasi-totalité par des fonds empruntés par la société; - il n'est pas établi que la société avait l'intention de rentabiliser l'immeuble pendant la période où elle en avait la possession; en effet, cet immeuble a été mis à la disposition du gérant moyennant une compensation très modeste et n'a pas été mis en location ni loué; les maigres revenus ne compensent pas les frais élevés; il n'est pas démontré que l'intention ait été, à un quelconque moment, d'acquérir ultérieurement des revenus supérieurs à ces frais; - il n'est pas établi qu'à terme, le bien puisse être vendu en réalisant une plus-value importante, d'autant qu'il appartient en indivision à trois copropriétaires différents, chacun disposant en outre d'un droit de préemption; - l'achat de l'immeuble ne peut être considéré, pour les exercices d'imposition contestés, comme un investissement/placement de liquidités; - les frais n'ont en aucun cas été engagés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables; - au contraire, il apparaît que l'opération a pour seul but de couvrir les frais d'ordre privé du gérant, de sorte qu'il ne s'agit pas de frais professionnels de la société au sens de l'article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992 et que la déduction correspondante est rejetée. 6. Les juges d'appel ont légalement justifié leur décision en considérant, par ces motifs, que les frais d'acquisition de l'immeuble situé à Coxyde, qui n'ont nullement été exposés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables mais exclusivement pour couvrir les frais privés du gérant, ne remplissent pas les conditions de leur déduction au sens de l'article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992 et ce, bien qu'il ait été fait référence à l'objet social et aux activités de la demanderesse. Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli ».

Le juge a quo déduit de cet arrêt que seules les charges liées à une opération qui est susceptible de produire des revenus imposables substantiels seraient déductibles, à l'exclusion des charges liées à une opération susceptible de produire des revenus imposables modiques.

B.16.2. En vertu de l'article 44 du CIR 1964, en cause, les dépenses ou charges professionnelles déductibles sont celles que le contribuable justifie avoir faites ou supportées pendant la période imposable « en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables ». Il s'agit de la condition dite de « finalité ». Ne sont donc pas déductibles les frais exposés ou supportés à d'autres fins telles que celle d'agir dans un but désintéressé ou de procurer sans contrepartie un avantage à un tiers. C'est au juge compétent qu'il appartient de vérifier concrètement, en fonction des circonstances de la cause, si les frais ont été exposés en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables, sans que son appréciation puisse toutefois porter sur l'opportunité des dépenses en cause (Cass., 19 mars 2020, F.19.0025.N).

B.16.3. Il ne ressort de la lecture ni de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2018, précité, ni de la jurisprudence de cette Cour mentionnée en B.4 que les charges exposées par une société ne seraient déductibles qu'à la condition qu'elles l'aient été dans le cadre d'opérations susceptibles de produire des revenus imposables substantiels.

Par son arrêt du 21 septembre 2018, la Cour de cassation juge que la Cour d'appel d'Anvers a légalement justifié sa décision de refuser la déduction de frais liés à l'acquisition d'un appartement à la côte, par une société, et mis à la disposition de son gérant en considérant, sur la base de plusieurs motifs, que lesdits frais n'ont pas été exposés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables, mais exclusivement pour couvrir les frais privés du gérant. La circonstance que l'appartement a été mis à la disposition du gérant moyennant « une compensation très modeste » est un élément qui, avec d'autres, a conduit la Cour d'appel à la conclusion que la société n'a pas agi en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables. En effet, indépendamment de la question de savoir si les revenus susceptibles d'être produits sont, en tant que tels, substantiels ou modiques, le fait que le tiers soit, en échange d'un avantage accordé par la société, redevable d'une compensation très modeste, c'est-à-dire sans rapport avec la valeur réelle de l'avantage accordé, peut être un indice de ce que la société n'a pas cherché à acquérir ou à conserver des revenus imposables, mais a, au contraire, cherché à accorder un avantage sans contrepartie à ce tiers.

Par ailleurs, contrairement à ce que considère le juge a quo, le caractère déductible des charges exposées dans le cadre d'une opération « QFIE » est tout à fait indépendant de l'avantage fiscal procuré par la QFIE proprement dite, et de son caractère substantiel ou non.

B.17. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement soulevée dans la deuxième question préjudicielle n'existe pas.

Celle-ci appelle dès lors une réponse négative.

Quant à la troisième question préjudicielle B.18. Par la troisième question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 170 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle « la condition ' d'acquérir ou de conserver les revenus imposables ' prévue par cette disposition est réputée rencontrée dans le cas où un revenu imposable modique par rapport aux frais exposés, tels que les intérêts perçus dans le cadre d'une ' opération Q.F.I.E. ', s'accompagne de charges importantes exposées quasi exclusivement en vue d'obtenir au moyen d'un montage fiscal la destruction de la base imposable; tandis que cette condition n'est pas réputée rencontrée dans le cas où un revenu imposable modique s'accompagne de charges importantes exposées principalement en vue d'accorder un avantage à un tiers ».

La question préjudicielle porte donc sur la différence de traitement que la disposition en cause, telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, opérerait entre le contribuable qui a réalisé une opération « QFIE », en vue de réduire sa charge fiscale, et celui qui, contre une indemnité modique, a accordé un avantage à un tiers. Alors que, dans les deux cas, les opérations engendrent pour le contribuable un revenu imposable modique par rapport aux frais exposés, seuls les frais exposés dans le premier cas sont considérés comme ayant été exposés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables et sont donc seuls déductibles.

B.19.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.

Le principe d'égalité et de non-discrimination en matière fiscale n'interdit pas au législateur de traiter de manière différente certains contribuables, pour autant que la différence de traitement ainsi créée soit raisonnablement justifiée.

B.19.2. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés en B.13, il n'y a pas lieu d'inclure l'article 170 de la Constitution dans l'examen de la troisième question préjudicielle.

B.20. Comme il est dit en B.16.2, les dépenses ou charges professionnelles déductibles sont celles que le contribuable justifie avoir faites ou supportées pendant la période imposable « en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables » (condition de « finalité »).

B.21. Les deux catégories de contribuables mentionnées en B.18 se trouvent dans des situations essentiellement différentes, au regard de cette condition de « finalité ».

La société qui a réalisé une opération « QFIE » a, dans le cadre de cette opération, perçu des intérêts d'origine étrangère, lesquels constituent des revenus imposables. Même si, par cette opération, la société poursuit un objectif purement fiscal, il n'en demeure pas moins que, pour réaliser cet objectif, la perception d'intérêts est indispensable. Il n'est donc pas erroné de soutenir que les charges liées à l'opération ont été exposées en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables (Cass., 4 juin 2015, F.14.0165.F; 4 juin 2015, F.14.0185.F et F.14.0189.F). La circonstance que l'opération ait été réalisée dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal ou que le juge constate que le résultat économique des opérations en cause auquel on pouvait s'attendre avant application de l'impôt est négatif n'y change rien.

La société qui accorde un avantage à un tiers tel que, par exemple, la mise à disposition d'un bien immobilier contre une indemnité certes imposable mais modique par rapport aux charges importantes exposées se trouve dans une situation différente de celle de la société qui a réalisé une opération « QFIE ». En effet, lorsqu'elle procure un avantage à un tiers contre une indemnité qui est sans rapport avec la valeur réelle dudit avantage, exclusivement en vue de procurer un avantage à ce tiers, la société concernée n'agit en principe pas en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables. Il appartient au juge compétent de le vérifier concrètement, à la lumière des circonstances de la cause. Il en va autrement si l'avantage ainsi accordé répond à des prestations réelles du tiers et qu'il lui est accordé à titre de rémunération. Dans pareil cas, les frais y afférents peuvent être considérés comme ayant été exposés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables (Cass., 13 novembre 2014, F.13.0118.F; 14 octobre 2016, F.15.0103.N; 14 octobre 2016, F.14.0203.N; 25 juin 2020, F.18.0148.N).

B.22. La différence de traitement n'est pas sans justification raisonnable.

La troisième question préjudicielle appelle dès lors une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - La première question préjudicielle n'appelle pas de réponse. - L'article 44 du Code des impôts sur les revenus 1964 (actuellement article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992) ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 octobre 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût

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