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Arrêt
publié le 15 février 2022

Extrait de l'arrêt n° 90/2021 du 17 juin 2021 Numéro du rôle : 7370 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 416 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle, com après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procéd(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 90/2021 du 17 juin 2021 Numéro du rôle : 7370 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 416 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, et des juges P. Nihoul, T. Giet, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 18 février 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 février 2020, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 416 du CIR 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que : - cette disposition est applicable lorsque la plus-value résultant du non-respect des conditions prévues à l'article 47, § § 2 à 4, du CIR 1992 est réalisée et imposable au cours de la période imposable dans laquelle le délai de remploi expire, - alors que cette disposition n'est pas applicable lorsque cette plus-value est réalisée et imposable au cours d'une période imposable qui précède celle dans laquelle le délai de remploi expire ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 416 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992).

B.1.2. Il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte uniquement sur l'application de la disposition en cause aux plus-values devenues imposables conformément à l'article 47, § 6, du CIR 1992.

La Cour limite son examen à cette hypothèse et inclut donc l'article 47, § 6, du CIR 1992 dans son examen.

B.2.1. L'article 416 du CIR 1992, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, dispose : « Par dérogation à l'article 414 et sans préjudice de l'application des articles 444 et 445, il est dû sur la partie de l'impôt qui se rapporte proportionnellement aux plus-values imposables en vertu de l'article 44bis, § 5, 44ter, § 5 ou 47, § 6, ou à la réserve d'investissement imposable en vertu de l'article 194quater, § 4, un intérêt de retard, calculé conformément à l'article 414, à partir du 1er janvier de l'année portant le millésime de l'exercice d'imposition pour lequel l'immunité a été accordée.

Par dérogation à l'article 414 et sans préjudice de l'application des articles 444 et 445, il est dû sur la partie de l'impôt qui se rapporte proportionnellement aux montants réservés qui deviennent imposables en vertu de l'article 194ter, § 4, alinéa 2, du fait du non-respect des conditions visées au § 4, alinéa 1er, 3° à 7°bis, du même article, un intérêt de retard, calculé conformément à l'article 414, à partir du 1er janvier de l'année portant le millésime de l'exercice d'imposition pour lequel l'immunité a été accordée ».

B.2.2. L'article 47 du CIR 1992, tel qu'il est applicable dans le litige au fond, dispose : « § 1er. Lorsqu'un montant égal à l'indemnité ou à la valeur de réalisation est remployé de la manière et dans les délais indiqués ci-après, les plus-values qui ne sont pas exonérées en vertu des articles 44, § 1er, 2°, et § 2, 44bis et 44ter, et qui sont réalisées sur les immobilisations incorporelles ou corporelles, 1° à l'occasion d'un sinistre, d'une expropriation, d'une réquisition en propriété ou d'un autre événement analogue, ou 2° à l'occasion d'une aliénation non visée au 1°, d'immobilisations incorporelles sur lesquelles des amortissements ont été admis fiscalement ou d'immobilisations corporelles et pour autant que les biens aliénés aient la nature d'immobilisations depuis plus de 5 ans au moment de leur aliénation, sont considérées comme des bénéfices ou profits de la période imposable au cours de laquelle les biens en remploi sont acquis ou constitués et de chaque période imposable subséquente et ce, proportionnellement aux amortissements afférents à ces biens qui sont admis à la fin, respectivement, de la première période imposable et de chaque période imposable subséquente et, le cas échéant, à concurrence du solde subsistant au moment où les biens cessent d'être affectés à l'exercice de l'activité professionnelle et au plus tard à la cessation de l'activité professionnelle. Sont assimilés à des immobilisations corporelles, les terrains et constructions figurant sous le poste placements de l'actif, conformément à la législation relative aux comptes annuels des entreprises d'assurances. § 2. Le remploi doit revêtir la forme d'immobilisations incorporelles ou corporelles amortissables, utilisées en Belgique pour l'exercice de l'activité professionnelle. § 3. Le remploi doit être effectué au plus tard à la cessation de l'activité professionnelle et dans un délai : 1° expirant 3 ans après la fin de la période imposable de perception de l'indemnité s'il s'agit de plus-values visées au § 1er, 1°;2° de 3 ans prenant cours le premier jour de la période imposable de réalisation des plus-values visées au § 1er, 2°. § 4. Par dérogation au § 3, 2°, lorsque le remploi revêt la forme d'un immeuble bâti, d'un navire ou d'un aéronef, le délai de remploi est porté à 5 ans prenant cours le premier jour de la période imposable de la réalisation de la plus-value ou le premier jour de la pénultième période imposable précédant celle de réalisation de la plus-value.

Par dérogation au § 1er, dans les cas visés à l'alinéa premier, la plus-value est considérée, proportionnellement au montant des amortissements déjà admis sur l'élément acquis en remploi au moment de la réalisation de la plus-value, comme un bénéfice ou profit de la période imposable de réalisation de la plus-value. § 5. Pour justifier du régime de taxation visé au § 1er, le contribuable est tenu de joindre un relevé conforme au modèle arrêté par le Ministre des Finances ou son délégué, à la déclaration aux impôts sur les revenus de l'exercice d'imposition afférent à la période imposable de réalisation de la plus-value et de chaque exercice d'imposition ultérieur jusqu'à imposition complète de la plus-value réalisée. § 6. A défaut de remploi dans les formes et délais prévus aux § § 2 à 4, la plus-value réalisée, ou la partie non encore imposée de celle-ci, est considérée comme un revenu de la période imposable pendant laquelle le délai de remploi est venu à expiration ».

B.2.3. Lorsqu'un contribuable réalise une plus-value sur certains actifs, il peut, dans les conditions prévues à l'article 47 du CIR 1992, opter pour un régime fiscal favorable dans le cadre duquel la plus-value réalisée n'est comptabilisée comme bénéfices ou profits que progressivement. Cette manière de procéder équivaut à une exonération temporaire ou à un report d'imposition.

Il ressort de l'article 47 du CIR 1992 que l'avantage de l'étalement de l'imposition sur une plus-value ne peut être accordé que lorsque cette plus-value est suivie d'un remploi effectif ( § 1er) et que le contribuable joint à cet effet un relevé annuel à sa déclaration ( § 5). Cette comptabilisation étalée de la plus-value réalisée comme bénéfices ou profits n'est donc acquise pour la première fois que lors d'une période imposable au cours de laquelle le remploi effectif est effectué et lors des périodes imposables subséquentes ( § 1er). Ce remploi dans certaines immobilisations ( § 2) doit par ailleurs avoir lieu dans un délai légal, le délai de remploi ( § § 3-4). Tant qu'aucun remploi n'a lieu et que le délai de remploi court, le contribuable bénéficie en soi d'un report de l'imposition qui est due sur la plus-value réalisée. En vertu de cette mesure de faveur, l'imposition sur une plus-value réalisée peut, en fonction du délai de remploi applicable, être reportée jusqu'à un maximum de cinq ans.

A défaut de remploi dans le délai de remploi en cause, la plus-value réalisée est considérée comme un revenu de la période imposable pendant laquelle le délai de remploi est venu à expiration ( § 6).

Dans ce cas, le contribuable est redevable d'intérêts de retard à partir de la période imposable pendant laquelle la plus-value a été réalisée.

B.2.4. Le ministre des Finances a précisé l'application de la disposition en cause, lue en combinaison avec l'article 47, § 6, du CIR 1992, en ces termes : « Compte tenu de la formulation explicite du Code, si la plus-value réalisée a déjà été intégralement imposée avant la période imposable au cours de laquelle le délai de remploi expire, les intérêts de retard visés ne s'appliquent pas » (Ann., Chambre 2013-2014, CRIV 53 - COM 910, p. 27).

Dans cette interprétation de l'article 416 du CIR 1992, aucun intérêt de retard n'est dû si la plus-value réalisée est rendue imposable durant une période imposable qui précède celle au cours de laquelle le délai de remploi expire.

B.3. Il ressort de la genèse de la disposition en cause qu'elle trouve sa source dans l'article 306bis de l'ancien Code des impôts sur les revenus. Par cette disposition, le législateur cherchait, d'une part, à inciter un contribuable bénéficiant d'une exonération d'impôt à respecter les conditions de la mesure de faveur en matière d'impôts (Doc. parl., Chambre, 1980-1981, n° 716/8, p. 28) et, d'autre part, à empêcher que ce contribuable puisse reporter impunément l'impôt dont il est redevable (ibid.).

B.4.1. Le juge a quo compare le contribuable dont la plus-value, du fait du non-respect des conditions énoncées à l'article 47, § § 2 à 4, du CIR 1992, est réalisée et rendue imposable pendant la période imposable au cours de laquelle le délai de remploi vient à expiration, avec le contribuable dont la plus-value est réalisée et rendue imposable pendant une période imposable qui précède celle au cours de laquelle le délai de remploi vient à expiration. Dans le premier cas, le contribuable est soumis à des intérêts de retard. Dans le second cas, il ne l'est pas, ainsi qu'il ressort du B.2.4.

B.4.2. Etant donné que les deux catégories de contribuables ont invoqué le régime de faveur en matière d'impôts sur les revenus qui permet de ne pas soumettre immédiatement à l'impôt les plus-values réalisées, elles sont suffisamment comparables au regard de l'objectif poursuivi par la disposition en cause.

B.5. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6. Il appartient au législateur d'établir les conditions et modalités d'un report de l'impôt sur les revenus, ainsi que les éventuelles compensations financières. Il dispose en la matière d'une large marge d'appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socio-économique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d'orienter certains comportements et d'adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.

Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l'affectation des ressources relèvent de la compétence du législateur.

La Cour ne peut sanctionner de tels choix politiques ainsi que les motifs qui les fondent que s'ils reposent sur une erreur manifeste ou s'ils sont manifestement déraisonnables.

B.7.1. La différence de traitement repose sur la période imposable pendant laquelle le délai de remploi d'une plus-value réalisée vient à expiration. Aucun intérêt de retard n'est dû lorsque la plus-value est réalisée et rendue imposable avant le début de la période imposable au cours de laquelle le délai de remploi vient à expiration, tandis que des intérêts de retard sont dus lorsque la plus-value n'est réalisée et rendue imposable que pendant ou après la période imposable au cours de laquelle ce délai vient à échéance. Ce critère de distinction est objectif.

B.7.2. Le critère de distinction est également pertinent à la lumière de l'objectif mentionné en B.3. En effet, en ne prévoyant des intérêts de retard qu'à partir de la période imposable pendant laquelle le délai de remploi vient à expiration, le législateur incite le contribuable à respecter les conditions liées à l'avantage du report d'imposition dont il a bénéficié, et il empêche que le contribuable puisse continuer à reporter l'impôt dont il est redevable.

B.7.3. Le contribuable est libre d'informer le fisc dès avant le début de la période imposable pendant laquelle le délai de remploi vient à expiration du fait que le remploi de la plus-value ne sera pas effectué dans le délai de remploi. Dans ce cas, la plus-value réalisée pour laquelle ce report d'impôt a été accordé est automatiquement ajoutée aux revenus de la période imposable durant laquelle il en informe le fisc, puisque cette communication établit de façon définitive le défaut de remploi.

Lorsque le défaut de remploi est en revanche établi pendant la période imposable durant laquelle le délai de remploi vient à expiration, la plus-value réalisée est ajoutée aux revenus de cette période imposable. Dans ce cas, ces revenus ne sont rendus imposables qu'après que le délai maximum pour le remploi est venu à expiration. Le législateur a donc pu raisonnablement considérer que des intérêts de retard sont dus dans ce cas. C'est en effet au contribuable qu'il appartient d'informer le fisc à temps du fait qu'il n'effectuera pas à temps le remploi de la plus-value pour laquelle le report a été accordé.

B.7.4. Le législateur n'a pas excédé le large pouvoir d'appréciation dont il dispose en matière fiscale en appliquant également les intérêts de retard lorsque le remploi est encore effectué entre le début de la période imposable pendant laquelle le délai de remploi vient à expiration et l'échéance proprement dite du délai de remploi.

Ce choix est conforme à la nature particulière des impôts sur les revenus, qui sont calculés par périodes imposables. En outre, les articles 47 et 416 du CIR 1992 fixent de manière non équivoque les délais applicables et ces délais sont suffisamment longs pour permettre au contribuable de procéder au remploi.

B.8.1. Le contribuable, même lorsqu'il n'effectue pas le remploi dans le délai de remploi et qu'il n'en informe pas le fisc à temps, n'est redevable d'intérêts de retard que pour autant qu'il enregistre un résultat fiscal positif dans la période imposable au cours de laquelle le délai de remploi vient à expiration.

En outre, le contribuable, lorsqu'il ne peut plus effectuer le remploi pendant la période imposable précédant celle au cours de laquelle le délai de remploi vient à expiration en raison de facteurs purement externes ou d'une situation de force majeure, peut demander l'exonération des intérêts de retard en vertu de l'article 417 du CIR 1992.

Le contribuable dispose dès lors de suffisamment de possibilités pour éviter les intérêts de retard en cause, même s'il ne procède finalement pas au remploi. Les cas dans lesquels il est tenu de payer ces intérêts de retard sont en effet ceux dans lesquels sa propre négligence a conduit à la non-réalisation du motif économique pour lequel un report d'impôt a été accordé.

B.8.2. Même dans ce cas, les intérêts de retard ne constituent pas une sanction pour le contribuable, mais visent uniquement à indemniser le Trésor pour le préjudice qu'il a subi en raison d'un report d'impôt infructueux.

Dès lors que ces intérêts de retard sont calculés sur la base de la plus-value non réinvestie dans les délais, ils sont en outre raisonnablement proportionnés à l'avantage fiscal qui a été précédemment accordé au contribuable et dont ce dernier n'a pas respecté les conditions.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 416 du Code des impôts sur les revenus 1992, lu en combinaison avec l'article 47, § 6, du même Code, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 juin 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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