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Arrêt
publié le 22 novembre 2021

Extrait de l'arrêt n° 150/2021 du 21 octobre 2021 Numéro du rôle : 7598 En cause : le recours en annulation des articles 1 er et 2 du décret de la Communauté française du 22 octobre 2020 « modifiant le décret du 13 juillet 2016 rela La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moe(...)

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22/11/2021
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 150/2021 du 21 octobre 2021 Numéro du rôle : 7598 En cause : le recours en annulation des articles 1er et 2 du décret de la Communauté française du 22 octobre 2020 « modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires », introduit par Emily Brugger.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, J. Moerman et Y. Kherbache, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 juin 2021 et parvenue au greffe le 11 juin 2021, Emily Brugger, assistée et représentée par Me J. Bourtembourg, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 1er et 2 du décret de la Communauté française du 22 octobre 2020 « modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires » (publié au Moniteur belge du 29 octobre 2020).

Le 23 juin 2021, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) II. En droit (...) B.1. Le programme du premier cycle des études universitaires de sciences vétérinaires, dont la réussite est sanctionnée par l'obtention du grade de bachelier, est divisé en trois « blocs annuels de 60 crédits » (article 15, § 1er, 10°, 26°, 41° et 58°, du décret de la Communauté française du 7 novembre 2013 « définissant le paysage de l'enseignement supérieur et l'organisation académique des études », article 83, § 1er, 12°, et article 124, alinéa 3, du même décret).

L'article 100, § 2, du décret du 7 novembre 2013, tel qu'il a été remplacé par l'article 16 du décret du 3 mai 2019 « portant diverses mesures relatives à l'Enseignement supérieur et à la Recherche », dispose : « Au-delà des 60 premiers crédits du programme d'études de premier cycle, le programme annuel d'un étudiant comprend : 1° les unités d'enseignement du programme d'études auxquelles il avait déjà été inscrit et dont il n'aurait pas encore acquis les crédits correspondants, à l'exception des unités optionnelles du programme qui avaient été choisies par l'étudiant qu'il peut délaisser;2° des unités d'enseignement de la suite du programme du cycle, pour lesquelles il remplit les conditions prérequises ». B.2.1. L'article 4 du décret du 13 juillet 2016 « relatif aux études de sciences vétérinaires » (ci-après : le décret du 13 juillet 2016) dispose : « Pour l'application de l'article 100, § 2 du décret du 7 novembre 2013, au-delà des 60 premiers crédits du programme d'études de premier cycle, seuls les étudiants porteurs d'une attestation d'accès à la suite du programme du cycle peuvent inscrire dans leur programme d'études les unités d'enseignement de la suite du programme du premier cycle en sciences vétérinaires ».

Le nombre global des « attestations d'accès à la suite du programme du cycle » qui sont délivrées chaque année en Communauté française est limité. Le Gouvernement de la Communauté française arrête annuellement le nombre d'attestations que chaque université qui organise des études de sciences vétérinaires pourra délivrer (article 5 du décret du 13 juillet 2016).

Pour pouvoir obtenir une des attestations disponibles dans l'université au sein de laquelle il a suivi ses études, l'étudiant doit avoir « acquis au moins 45 des 60 premiers crédits du programme d'études de premier cycle » et avoir été classé en ordre utile à l'issue d'un concours organisé par son université à la fin du deuxième quadrimestre de l'année académique (article 6 du décret du 13 juillet 2016). Un étudiant ne peut représenter ce concours qu'une seule fois, en règle lors de l'année académique suivante (article 8 du même décret). Les attestations sont délivrées par chaque université au plus tard le 13 septembre (article 6, § 2, alinéa 2, du même décret).

B.2.2. A l'origine, l'article 12 du décret du 13 juillet 2016 disposait : « Le présent décret entre en vigueur pour l'année académique 2016-2017, à l'exception des articles 2 et 4 qui entrent en vigueur pour l'année académique 2017-2018. Le présent décret produit ses effets jusqu'à l'année académique 2019-2020 incluse. Il fera l'objet d'une évaluation, par le Gouvernement, au plus tard durant l'année académique 2019-2020 ».

Il résulte de ce texte que l'article 4 du décret du 13 juillet 2016, cité en B.2.1, ne produit pas d'effets pour l'année académique 2020-2021. Dès lors qu'une année académique « commence le 14 septembre » (article 15, § 1er, 6°, du décret du 7 novembre 2013), un étudiant pouvait donc, le 14 septembre 2020 et les semaines suivantes, s'inscrire au deuxième « bloc annuel de 60 crédits » du programme du premier cycle des études universitaires de sciences vétérinaires, même s'il n'était pas porteur de l'« attestation d'accès à la suite du programme du cycle » visée à l'article 4 du décret du 13 juillet 2016.

B.3.1. L'article 1er du décret du 22 octobre 2020 « modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires » (ci-après : le décret du 22 octobre 2020) modifie l'article 12 du décret du 13 juillet 2016, cité en B.2.2, en remplaçant, dans sa deuxième phrase, les termes « 2019-2020 » par les termes « 2020-2021 ».

L'article 2 du décret du 22 octobre 2020 dispose : « Le présent décret produit ses effets le 1er juillet 2020 ».

B.3.2. Le décret du 22 octobre 2020 a été publié au Moniteur belge du 29 octobre 2020.

En vertu de l'article 56 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, ce décret est donc entré en vigueur le dixième jour après cette publication, soit le 8 novembre 2020.

B.4.1. Comme il est rappelé en B.2.2, une année académique « commence le 14 septembre ». L'année académique 2020-2021 a donc commencé le 14 septembre 2020.

Avant sa modification par l'article 1er du décret du 22 octobre 2020, l'article 12 du décret du 13 juillet 2016 ne permettait pas l'application de l'article 4 du même décret, reproduit en B.2.1, durant l'année académique 2020-2021. L'un des effets de la modification de l'article 12 du décret du 13 juillet 2016 par le décret du 22 octobre 2020 est de permettre l'application de cet article 4 durant cette année académique.

Vu que, comme il est dit en B.3.2, l'article 1er du décret du 22 octobre 2020 n'est entré en vigueur que le 8 novembre 2020, c'est-à-dire lorsque l'année académique 2020-2021 était déjà entamée, il a un effet rétroactif en ce qu'il permet l'application de l'article 4 du décret du 13 juillet 2016 durant la partie de cette année académique qui est antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 22 octobre 2020.

B.4.2. En disposant que l'article 1er du décret du 22 octobre 2020 produit ses effets dès le 1er juillet 2020, l'article 2 de ce décret indique qu'il y a lieu de considérer qu'à partir de ce jour-là, il n'était pas possible d'inscrire un étudiant qui n'était pas porteur de l'« attestation d'accès à la suite du programme du cycle » visée à l'article 4 du décret du 13 juillet 2016 au deuxième « bloc annuel de 60 crédits » du programme du premier cycle des études universitaires de sciences vétérinaires.

B.5. Par l'arrêt n° 82/2021 du 3 juin 2021, la Cour a dit pour droit, en réponse à une question préjudicielle du Conseil d'Etat, que les articles 1er et 2 du décret du 22 octobre 2020 violent les articles 10, 11 et 24, § 3, première phrase, de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de la non-rétroactivité des lois, en ce qu'ils confèrent un effet rétroactif à la prolongation des effets de l'article 4 du décret du 13 juillet 2016 au-delà de l'année académique 2019-2020.

B.6. Il ressort des développements de la requête que le recours en annulation introduit en application de l'article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, tend à l'annulation des articles 1er et 2 du décret du 22 octobre 2020 en ce qu'ils confèrent un effet rétroactif à la prolongation des effets de l'article 4 du décret du 13 juillet 2016 au-delà de l'année académique 2019-2020.

B.7. L'arrêt n° 82/2021 motive le constat de violation de la Constitution par les considérations suivantes : « B.6. La non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de prévenir l'insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que le justiciable puisse prévoir, dans une mesure raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé au moment où cet acte est accompli.

La rétroactivité ne se justifie que si elle est indispensable à la réalisation d'un objectif d'intérêt général. [...] B.7. Une règle doit être qualifiée de rétroactive si elle s'applique à des faits, actes et situations qui étaient définitivement accomplis au moment où elle est entrée en vigueur. [...] B.9. Saisie le 22 juillet 2020 d'une demande d'avis sur un avant-projet de décret contenant des dispositions identiques à ces deux articles du décret du 22 octobre 2020, la section de législation du Conseil d'Etat rappelle, dans l'avis 67.831/2 du 21 septembre 2020, que la non-rétroactivité des lois a pour but de prévenir l'insécurité juridique et que la rétroactivité d'une disposition législative ne se justifie que si elle est indispensable à la réalisation d'un objectif d'intérêt général. Dans cet avis, la section de législation du Conseil d'Etat invite l'auteur des dispositions visées à exposer la justification de l'effet rétroactif des mesures envisagées (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2020-2021, n° 127/1, pp. 34-35, 38 et 47).

B.10. Les auteurs du décret du 22 octobre 2020 justifient la rétroactivité attachée à la prolongation des effets de l'article 4 du décret du 13 juillet 2016 au-delà de l'année académique 2019-2020 par ' la nécessité de donner une base légale ', par le ' souci de sécurité juridique ' et par la nécessité de disposer de l'évaluation prévue par l'article 12 du même décret (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2020-2021, n° 129/1, pp. 3-4; CRI, Parlement de la Communauté française, n° 5, 21 octobre 2020, pp. 30-31).

B.11. De telles justifications ne suffisent pas pour qu'il soit établi que l'effet rétroactif qui résulte des deux dispositions en cause est indispensable à la réalisation d'un objectif d'intérêt général ».

B.8. Pour les mêmes motifs, le recours en annulation est fondé.

Par ces motifs, la Cour annule les articles 1er et 2 du décret de la Communauté française du 22 octobre 2020 « modifiant le décret du 13 juillet 2016 relatif aux études de sciences vétérinaires », en ce qu'ils confèrent un effet rétroactif à la prolongation des effets de l'article 4 du décret de la Communauté française du 13 juillet 2016 « relatif aux études de sciences vétérinaires » au-delà de l'année académique 2019-2020.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 octobre 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût

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