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Arrêt
publié le 16 juin 2022

Extrait de l'arrêt n° 122/2021 du 30 septembre 2021 Numéro du rôle : 7353 En cause : le recours en annulation des articles 62 et 71 du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses mesures relatives à l'Enseignement supér La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, R. Leysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 122/2021 du 30 septembre 2021 Numéro du rôle : 7353 En cause : le recours en annulation des articles 62 et 71 du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses mesures relatives à l'Enseignement supérieur et à la Recherche », introduit par l'ASBL « Université Saint-Louis - Bruxelles ».

La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 janvier 2020 et parvenue au greffe le 31 janvier 2020, l'ASBL « Université Saint-Louis - Bruxelles », assistée et représentée par Me V. Van Troyen, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 62 et 71 du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses mesures relatives à l'Enseignement supérieur et à la Recherche » (publié au Moniteur belge du 2 août 2019). (...) II. En droit (...) Quant à la recevabilité du recours en annulation B.1.1. Le Gouvernement de la Communauté française et les parties intervenantes considèrent que le recours n'est pas recevable, à défaut pour la partie requérante de justifier de l'intérêt requis. Les dispositions attaquées n'affecteraient pas directement et défavorablement la partie requérante, puisque celle-ci ne remplit pas les conditions pour bénéficier du financement prévu à l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971 « sur le financement et le contrôle des institutions universitaires » (ci-après : la loi du 27 juillet 1971), tel qu'il a été modifié par les dispositions attaquées.

B.1.2. Les dispositions attaquées prévoient, pour les années académiques 2018-2019 à 2022-2023, l'allocation de montants spécifiques visant à la promotion de l'accès aux études pour l'activation d'habilitations existantes. Cette allocation est ouverte à certaines institutions universitaires moyennant le respect de différents critères. En l'état actuel, la partie requérante ne prétend pas pouvoir satisfaire à ces critères.

B.1.3. Pour que la partie requérante justifie de l'intérêt requis, il n'est toutefois pas nécessaire qu'une éventuelle annulation lui procure un avantage direct. La circonstance que la partie requérante puisse obtenir une nouvelle chance de voir sa situation réglée plus favorablement en cas d'annulation des dispositions attaquées suffit à justifier son intérêt à attaquer ces dispositions.

B.1.4. L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

Quant à la recevabilité des éléments nouveaux invoqués dans les mémoires en réplique des parties intervenantes B.2.1. La partie requérante considère que tout élément nouveau qui serait invoqué par les parties intervenantes dans leurs mémoires en réplique respectifs doit être déclaré irrecevable, a fortiori s'il s'agit d'éléments nouveaux par rapport à ceux qui ont été invoqués dans l'affaire n° 7231.

B.2.2. La Cour observe que l'affaire présentement examinée est liée à l'affaire n° 7231, bien que ces deux affaires n'aient pas été jointes.

En substance, les moyens soulevés dans la présente affaire ne contiennent pas d'élément nouveau par rapport à l'affaire n° 7231. En l'espèce, le fait que les parties intervenantes se soient limitées à un mémoire en intervention purement formel et qu'elles aient développé leurs arguments dans leurs mémoires en réplique respectifs n'a pas mis en péril, eu égard aux liens existant entre l'affaire présentement examinée et l'affaire n° 7231, le caractère contradictoire de la procédure, étant donné que les mêmes parties sont à la cause dans les deux affaires et que toutes ont reçu notification de chacune des pièces qui ont été déposées dans les deux affaires.

Quant aux dispositions attaquées et à leur portée B.3. L'article 62 du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses mesures relatives à l'Enseignement supérieur et à la Recherche » (ci-après : le décret du 3 mai 2019) dispose : « A l'article 36bis/1, les modifications suivantes sont apportées : 1° au § 1er, les modifications suivantes sont apportées : a) à l'alinéa 1er, les mots ' 1,2 million euros ' sont remplacés par les mots ' 800 000 euros ';b) à l'alinéa 2, les modifications suivantes sont apportées : - les mots ' 2,4 millions ' sont remplacés par les mots ' 2 millions '; - les mots ' 3,6 millions euros ' sont remplacés par les mots ' 3,2 millions euros '; - les mots ' et à 1,2 millions euros pour l'année 2021 ' sont insérés à la fin de la première phrase. - les mots ' de 2,4 millions euros ' sont insérés entre les mots ' A partir de l'année 2021, le montant ' et les mots ' prévu pour l'année 2020 '; - les mots ' A partir de 2022, le montant de 1,2 millions euros prévu pour l'année 2021 est ajouté, après indexation, à concurrence de 30 % au montant prévu à l'article 29, § 1er, et à concurrence de 70 % au montant prévu à l'article 29, § 2. ' sont ajoutés en fin d'alinéa. c) à l'alinéa 3, les mots ' 2020-2021 ' sont remplacés par les mots ' 2021-2022 ';2° au § 2, le mot ' 2021 ' est remplacé par le mot ' 2022 ';3° au § 3, les modifications suivantes sont apportées : a) à l'alinéa 1er, le mot ' 2019 ' est remplacé par le mot ' 2020 ' et les mots ' 2019-2020 ' sont remplacés par les mots ' 2020-2021 ';b) à l'alinéa 2, les modifications suivantes sont apportées : - le mot ' 2020 ' est remplacé par le mot ' 2021 '; - le mot ' 2021 ' est partout remplacé par le mot ' 2022 '; - le mot ' 2022 ' est remplacé par le mot ' 2023 '; c) à l'alinéa 3, les mots ' 2019-2020 ' sont remplacés par les mots ' 2020-2021 ' et les mots ' 2021-2022 ' sont remplacés par les mots ' 2022-2023 ';4° au § 4, le mot ' 2022 ' est remplacé par le mot ' 2023 ' ». L'entrée en vigueur de cet article est fixée à l'article 71 du décret du 3 mai 2019, qui dispose : « Le présent décret entre en vigueur à partir de l'année académique 2019-2020, à l'exception : 1° des articles 1, b) et c), 2, b) à e), 41, 42, 43, 44, 45 et 46 qui produisent leurs effets à partir l'année académique 2018-2019;2° des articles 47, 3°, 48, 12°, 49, 2°, 7° et 10°, 50, 3° et 4°, 51, 5°, 9° et 10° qui entrent en vigueur à partir de l'année académique 2020-2021;3° de l'article 48, 11°, qui entre en vigueur à partir de l'année académique 2021-2022;4° de l'article 48, 2°, 6bis° et 8°, qui entre en vigueur à partir de l'année académique 2022-2023 ». B.4.1. Les dispositions attaquées modifient le système de financement spécifique des universités créé par l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971, lequel a été inséré par l'article 6 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2018 « portant diverses mesures relatives à l'organisation du Budget et de la Comptabilité, aux Fonds budgétaires, à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, à l'Enfance, à l'Enseignement obligatoire et de promotion sociales, aux Bâtiments scolaires, au financement des Infrastructures destinées à accueillir la Cité des métiers de Charleroi, à la mise en oeuvre de la réforme de la formation initiale des enseignants » (ci-après : le décret-programme du 12 décembre 2018), dont l'entrée en vigueur était fixée à l'article 49 du même décret-programme. Ce système de financement spécifique est octroyé au bénéfice des universités lorsqu'elles décident d'organiser certains programmes d'études.

B.4.2. L'annexe 3 du décret du 7 novembre 2013 « définissant le paysage de l'enseignement supérieur et l'organisation académique des études » fixe la liste des habilitations de chaque établissement d'enseignement supérieur, c'est-à-dire la liste des programmes d'études que cet établissement peut organiser dans un arrondissement administratif déterminé. Certaines habilitations de cette liste ne sont pas effectivement activées par les établissements d'enseignement supérieur, mais ceux-ci les conservent dans leur portefeuille (ci-après : les habilitations dormantes).

B.4.3. En vertu de la loi du 27 juillet 1971, les universités reçoivent une allocation de fonctionnement destinée à couvrir les dépenses ordinaires d'administration, d'enseignement et de recherche.

Cette allocation est calculée sur la base d'une enveloppe globale, qui comporte une partie fixe et une partie variable. La partie fixe de l'enveloppe globale est un montant forfaitaire, revu tous les dix ans.

Cette partie fixe est répartie entre les universités, selon une clef de répartition établie par le législateur décrétal. Cette clef ne varie pas en fonction du nombre d'étudiants, mais correspond à un pourcentage du montant forfaitaire. La partie variable de l'enveloppe globale est un montant indexé en fonction de l'indice des prix à la consommation. Cette partie variable est répartie entre les universités, en fonction du nombre pondéré d'étudiants subsidiables de chaque institution, lissé sur quatre ans. Seuls les étudiants régulièrement inscrits qui se trouvent dans les conditions de finançabilité sont pris en compte. La valeur de ces étudiants est pondérée en fonction du cursus qu'ils suivent : les étudiants qui suivent des études du secteur des sciences humaines (groupe A) valent un point; ceux qui suivent des études de deuxième cycle de cursus relevant du secteur de la santé et des cursus formant les ingénieurs, ingénieurs agronomes et bio-ingénieurs, ainsi que la dernière année des premiers cycles de certains de ces cursus et les masters de spécialisation relevant du domaine des sciences médicales (groupe C) valent trois points; ceux qui suivent un cursus dans le secteur de la santé et dans le secteur des sciences et techniques non repris dans le groupe précédent (groupe B) valent deux points. Ces coefficients sont réduits lorsque le nombre d'étudiants régulièrement inscrits dans un groupe dépasse les nombres-plafonds prévus par la loi, de telle sorte que la valeur des étudiants excédentaires est pondérée à hauteur de 85 % .

B.4.4. L'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971 prévoit la possibilité d'un financement spécifique pour les habilitations dormantes mises en oeuvre par les universités à partir de l'année académique 2018-2019, et charge le Gouvernement de la Communauté française de choisir, parmi les habilitations activées, celles qui constituent un enseignement universitaire de premier cycle et qui sont organisées dans le ou les arrondissements où les déficits d'étudiants universitaires de première génération sont les plus importants, compte tenu du taux d'accès à l'enseignement supérieur et de la densité de population de l'arrondissement. Pour être considéré comme déficitaire, l'arrondissement doit comporter un nombre d'étudiants universitaires de première génération inférieur à la moyenne de l'ensemble des arrondissements sur les dix dernières années. Les données relatives à ce déficit ont été évoquées lors des travaux préparatoires du décret attaqué (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 709/1, p.11).

B.4.5. Pour chaque habilitation dormante activée et choisie par le Gouvernement de la Communauté française, le financement alloué est un montant forfaitaire de 400 000 euros par bloc d'étude de 60 crédits, quel que soit le nombre d'étudiants inscrits.

Concrètement, l'université qui active une habilitation dormante choisie par le Gouvernement reçoit 400 000 euros en 2018-2019 (organisation du bloc 1), 800 000 euros en 2019-2020 (organisation des blocs 1 et 2) et 1 200 000 euros en 2020-2021 (organisation des blocs 1, 2 et 3).

L'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971 prévoyait initialement que trois habilitations dormantes pouvaient être financées intégralement à partir de l'année académique 2018-2019, jusqu'à l'année académique 2020-2021, et qu'une habilitation dormante pouvait être financée intégralement à partir de l'année académique 2019-2020, jusqu'à l'année académique 2021-2022.

Les travaux préparatoires du décret du 3 mai 2019 précisent que les dispositions attaquées visent à adapter la répartition des crédits d'impulsion dans le temps, en raison de l'activation de deux habilitations dormantes à partir de l'année académique 2018-2019 au lieu de trois. Du fait de sa modification par le décret du 3 mai 2019, l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971 prévoit le financement de deux habilitations dormantes à partir de l'année académique 2018-2019, d'une habilitation dormante à partir de l'année académique 2019-2020 et d'une habilitation dormante à partir de l'année académique 2020-2021 (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 822/2, pp. 8 et 9).

A la fin des trois années de subventionnement, le montant total prévu pour la troisième année est ajouté à l'enveloppe globale de financement des universités (30 % dans la partie fixe et 70 % dans la partie variable), de telle sorte qu'à terme, 4 800 000 euros doivent renforcer le financement des universités.

B.4.6. Ce financement temporaire spécifique se distingue du financement ordinaire des universités sous trois aspects.

Premièrement, il s'agit d'un financement forfaitaire, qui n'est pas proportionnel au nombre d'étudiants régulièrement inscrits.

Deuxièmement, durant les trois années de subventionnement spécifique de l'habilitation activée, les étudiants inscrits dans le cursus correspondant ne sont pas pris en compte pour le calcul de la partie variable du financement, et ce pour éviter le phénomène du « double comptage ». Troisièmement, l'université qui active l'habilitation dormante choisie par le Gouvernement de la Communauté française perçoit le financement spécifique immédiatement, alors que dans le cadre du financement ordinaire, l'université qui prend l'initiative d'organiser un nouveau cursus ne perçoit un financement complet que plus de cinq années après le début du cursus, compte tenu des quatre années de lissage.

Quant au fond B.5. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le principe de proportionnalité.

B.6. La partie requérante considère tout d'abord que le critère retenu à l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971, tel qu'il a été modifié par les dispositions attaquées, n'est pas pertinent et n'est pas suffisamment précis. Les dispositions attaquées violeraient également le principe de légalité, en ce qu'elles ne fixent pas les éléments essentiels des mécanismes de subventionnement de l'enseignement, mais délèguent cette compétence au Gouvernement de la Communauté française (première branche).

La partie requérante soutient ensuite que le mécanisme de financement modifié par les dispositions attaquées déroge au système de financement normalement applicable, en fixant le financement de certaines habilitations à organiser un programme d'étude à un forfait de 400 000 euros par bloc d'étude de 60 crédits, ce qui fait naître une différence de traitement disproportionnée entre les universités.

Selon la partie requérante, l'université qui organise un cursus financé sur la base des dispositions attaquées bénéficie d'un financement beaucoup plus important qu'en cas d'application du financement ordinaire. Elle bénéficie en outre d'un financement immédiat, alors que le financement ordinaire est perçu de manière différée. Elle se voit par ailleurs dotée d'un avantage par rapport aux autres universités, à savoir la garantie d'un financement déterminé assuré sur trois années, immédiat et indépendant du nombre d'étudiants inscrits dans les programmes correspondants et du caractère finançable ou non de ces étudiants (deuxième branche).

La partie requérante affirme enfin que le mécanisme de financement modifié par les dispositions attaquées est discriminatoire, en ce qu'il bénéficie uniquement aux universités, à l'exclusion des hautes écoles. Selon la partie requérante, ni les travaux préparatoires du décret-programme du 12 décembre 2018 ni ceux du décret du 3 mai 2019 ne justifient cette différence de traitement (troisième branche).

B.7. Par son arrêt n° 65/2021 du 29 avril 2021, la Cour a jugé que le mécanisme de financement spécifique prévu à l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971, tel qu'il a été inséré par le décret-programme du 12 décembre 2018, dans sa version applicable avant sa modification par les dispositions attaquées, était raisonnablement justifié : « B.8. La partie requérante considère tout d'abord que les dispositions attaquées font naître une différence de traitement entre, d'une part, les universités qui bénéficient du financement spécifique prévu par les dispositions attaquées et, d'autre part, les autres universités. Elle estime que ce financement est disproportionné, en ce qu'il est fixé forfaitairement à 400 000 euros par bloc d'étude de 60 crédits, indépendamment du nombre d'étudiants inscrits, ce qui non seulement engendre un financement plus important qu'en cas d'application du critère normalement applicable du nombre d'étudiants inscrits, mais assure en outre un financement immédiat, contrairement au système de lissage normalement applicable. Elle considère également que la différence de traitement n'est pas pertinente pour atteindre le but incitatif du législateur décrétal et qu'elle repose sur un critère insuffisamment précis.

B.9.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.9.2. L'article 24, § 4, de la Constitution réaffirme, en matière d'enseignement, les principes d'égalité et de non-discrimination.

Selon cette disposition, tous les établissements d'enseignement, entre autres, sont égaux devant la loi ou le décret.

Les universités sont des établissements d'enseignement au sens de l'article 24, § 4, de la Constitution. Elles doivent dès lors toutes être traitées de manière égale, à moins qu'il existe entre elles des différences objectives permettant de justifier raisonnablement une différence de traitement. Inversement, elles doivent être traitées différemment lorsqu'elles se trouvent dans des situations intrinsèquement différentes au regard de la mesure attaquée, sauf s'il existe une justification objective et raisonnable à l'identité de traitement.

B.10. En matière d'enseignement, c'est au législateur décrétal qu'il revient de choisir, dans le respect des exigences et des garanties constitutionnelles, les modes les plus appropriés de financement des établissements qui entrent dans le champ de sa compétence. Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier l'opportunité de ce choix.

B.11. Les dispositions attaquées n'ont pas pour effet de réformer le système de financement global des universités tel qu'il est rappelé en B.4.2, mais elles instaurent un financement spécifique d'un montant fixe, limité dans le temps, à trois années académiques. Les dispositions attaquées visent ainsi à apporter une réponse au problème de l'accès inégal à l'enseignement universitaire selon l'origine géographique des étudiants, en raison notamment des coûts liés aux déplacements ou à la location d'un logement étudiant, qui sont nécessaires compte tenu de la distance. Elles poursuivent donc un objectif légitime, à savoir la promotion de l'organisation de cursus universitaires de premier cycle dans les arrondissements où l'accessibilité de l'enseignement supérieur universitaire est faible, en assurant le financement immédiat de ces cursus.

B.12. Le choix du législateur décrétal de retenir un critère géographique d'accessibilité à l'enseignement universitaire afin d'identifier les établissements d'enseignement qui doivent faire l'objet d'un soutien particulier en termes de moyens financiers est objectif et n'est pas manifestement déraisonnable. En effet, l'enseignement universitaire occupe une place importante dans l'offre globale d'enseignement supérieur. Compte tenu du faible nombre d'établissements de ce type, comparé au nombre beaucoup plus élevé d'institutions d'enseignement supérieur non universitaire, l'organisation de nouvelles filières de cours est soumise à un risque sensiblement plus élevé dans les zones géographiques à l'accessibilité faible que dans les zones dans lesquelles cette accessibilité est déjà importante.

Ce critère ne manque pas de précision puisqu'il peut être évalué au regard des données statistiques et des analyses relatives à l'accessibilité de l'enseignement supérieur, évoquées lors des travaux préparatoires du décret attaqué (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 709/1, p. 11). Pour les mêmes raisons, l'habilitation confiée au Gouvernement est suffisamment balisée par le législateur décrétal.

B.13. Par ailleurs, et pour des motifs similaires, le législateur décrétal a raisonnablement pu estimer qu'un financement spécifique et immédiat constitue une mesure pertinente pour les institutions universitaires présentes dans les zones d'accessibilité faible, compte tenu du risque financier plus important que l'activation de nouvelles habilitations engendre et de l'incertitude liée à leur fréquentation.

B.14.1. La Cour doit toutefois examiner si les dispositions attaquées sont proportionnées à l'objectif poursuivi et si elles n'ont pas des conséquences disproportionnées eu égard à la situation des autres institutions universitaires.

B.14.2. Les dispositions attaquées mettent en place un financement d'un montant total de 4 800 000 euros sur trois années académiques, soit la durée d'un cycle de bachelier. Au regard du budget annuel global de l'enseignement universitaire en Communauté française, la somme allouée par ce système spécifique constitue un montant particulièrement restreint qui, en tant que tel, n'est pas en mesure d'affecter de manière disproportionnée les autres institutions universitaires.

Le caractère forfaitaire du montant alloué à certaines institutions universitaires sur la base du critère visé en B.12 est en outre limité dans le temps, à trois années académiques, à l'issue desquelles cette somme spécifique est versée au budget global de l'enseignement universitaire. L'impossibilité pour les institutions universitaires qui ne se situent pas dans une zone d'accessibilité faible de bénéficier du financement prévu par les dispositions attaquées est par conséquent contrebalancée par le renforcement à terme du financement global de l'enseignement universitaire, lequel devrait précisément bénéficier à l'ensemble des institutions universitaires et donc à la partie requérante.

B.14.3. Il s'ensuit qu'en tant qu'il réserve à certaines institutions universitaires se situant dans des zones d'accessibilité faible l'obtention d'un financement spécifique, restreint et limité dans le temps, le législateur décrétal prend une mesure qui est raisonnablement proportionnée à l'objectif qu'il poursuit.

B.15. La partie requérante reproche par ailleurs aux dispositions attaquées d'entrer en vigueur, pour la seule année 2018-2019, quatre mois avant leur publication au Moniteur belge. Il faut toutefois noter que, sans la rétroactivité ainsi conférée, le financement spécifique n'aurait pas couvert l'intégralité de la première année académique au cours de laquelle les habilitations sélectionnées sont mises en oeuvre. En donnant un effet rétroactif à cette disposition, le législateur décrétal vise à ne pas priver les institutions universitaires qui ont pris le risque d'organiser un cursus dans une zone d'accessibilité faible du bénéfice du financement spécifique pour une année académique complète, qui constitue la période de référence dans l'enseignement. Ce régime est donc principalement protecteur pour les institutions concernées et conforme au but légitime poursuivi. Une telle rétroactivité n'a pas pour conséquence de porter atteinte à la confiance légitime ni à la situation juridique de personnes autres que les institutions qui se trouvent dans les critères établis par les dispositions attaquées. Compte tenu de son caractère limité, la rétroactivité peut être considérée comme justifiée et nécessaire à la réalisation d'un objectif d'intérêt général.

B.16. La partie requérante considère que les dispositions attaquées créent en outre une différence de traitement entre, d'une part, les universités qui bénéficient du financement spécifique prévu par les dispositions attaquées et, d'autre part, les hautes écoles. En raison de la place qu'occupent les universités dans l'offre globale d'enseignement supérieur et du nombre d'institutions universitaires par rapport au nombre de hautes écoles, lesquelles sont plus nombreuses et mieux réparties géographiquement, l'absence d'un financement spécifique similaire à destination des hautes écoles est suffisamment justifiée.

B.17. Le moyen unique n'est pas fondé ».

B.8. Comme il est dit en B.4.5, le décret de la Communauté française du 3 mai 2019 n'a pas modifié le système de financement prévu à l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971, tel qu'il a été inséré par le décret-programme du 12 décembre 2018. Les dispositions attaquées n'ont fait que modifier la répartition des crédits d'impulsion dans le temps, à la suite de l'activation de deux habilitations pour l'année 2018-2019 au lieu de trois.

Partant, pour les mêmes motifs que ceux qui sont énoncés dans l'arrêt n° 65/2021, le financement spécifique prévu à l'article 36bis/1 de la loi du 27 juillet 1971, tel qu'il a été modifié par les dispositions attaquées, est raisonnablement justifié. B.9. Le moyen unique n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 septembre 2021.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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