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Arrêt
publié le 24 février 2022

Extrait de l'arrêt n° 119/2021 du 30 septembre 2021 Numéro du rôle : 7223 En cause : le recours en annulation des articles D.36, D.37, § 2, et D.38 du Code wallon du Bien-être des animaux (...) La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, R. Leysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 119/2021 du 30 septembre 2021 Numéro du rôle : 7223 En cause : le recours en annulation des articles D.36, D.37, § 2, et D.38 du Code wallon du Bien-être des animaux (décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018), introduit par l'ASBL « Les Eleveurs Wallons du Cheval de Trait Belge » et Alain Prévost.

La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 juin 2019 et parvenue au greffe le 2 juillet 2019, un recours en annulation des articles D.36, D.37, § 2, et D.38 du Code wallon du Bien-être des animaux (décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018, publié au Moniteur belge du 31 décembre 2018), a été introduit par l'ASBL « Les Eleveurs Wallons du Cheval de Trait Belge », assistée et représentée par Me A. Grégoire, avocat au barreau de Liège, et Alain Prévost. (...) II. En droit (...) B.1. Bien que les parties requérantes demandent l'annulation des articles D.36, D.37, § 2, et D.38 du Code wallon du Bien-être des animaux, établi par l'article 1er du décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 « relatif au Code wallon du Bien-être des animaux » (ci-après : le décret du 4 octobre 2018), il ressort de l'exposé des moyens que leurs griefs sont uniquement dirigés contre l'interdiction, instaurée par l'article D.38 de ce Code, de faire participer ou d'admettre à des expositions, expertises ou concours, des animaux qui ont subi une intervention interdite.

La Cour limite par conséquent son examen à cette disposition.

B.2. La disposition attaquée vise à promouvoir le bien-être des animaux en excluant des expositions, expertises ou concours les animaux qui ont subi une intervention interdite. Relève notamment des interventions interdites la caudectomie des chevaux. Il s'agit d'une intervention, pratiquée en particulier sur les chevaux de trait, par laquelle la queue du cheval est écourtée.

B.3.1. Comme la Cour l'a déjà jugé par son arrêt n° 154/2019 du 24 octobre 2019, la loi du 14 août 1986 « relative à la protection et au bien-être des animaux » (ci-après : la loi du 14 août 1986) contenait déjà une interdiction d'« amputation totale ou partielle » de parties du corps d'un animal, « sauf lorsque, dans un cas particulier, elle s'avère nécessaire sur indication vétérinaire » (article 19).

Par la loi du 4 mai 1995, le législateur a voulu étendre la protection des animaux. La loi du 14 août 1986 interdit dorénavant d'effectuer sur un vertébré des « interventions » « entraînant l'amputation ou la lésion d'une ou plusieurs parties sensibles de son corps ». Cette interdiction ne s'applique pas à certains types d'interventions, comme les interventions « nécessaires d'un point de vue vétérinaire » ou les interventions « pour l'exploitation utilitaire de l'animal ou pour limiter la reproduction de l'espèce ». Le Roi peut établir la liste de ces dernières interventions (article 17bis).

B.3.2. Par arrêté royal du 17 mai 2001, le Roi a établi la liste précitée. En ce qui concerne les interventions autorisées sur les chevaux, seuls le marquage au fer rouge, le marquage au froid et la castration sont mentionnés. La caudectomie n'est pas mentionnée et doit dès lors être qualifiée d'intervention interdite, à moins qu'elle soit nécessaire d'un point de vue vétérinaire.

L'ASBL « Société royale Le Cheval de Trait belge » a attaqué cet arrêté devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat. Par son arrêt n° 174.317 du 10 septembre 2007, le Conseil d'Etat a rejeté ce recours. Il a estimé qu'il n'était pas prouvé que la queue amputée constituait une caractéristique essentielle du « cheval de trait belge » (point 3.6) et a notamment constaté « que les éléments figurant dans le dossier administratif, confrontés au principe légal suivant lequel l'intégrité de l'animal mérite une protection maximale, ne permettent pas au Conseil d'Etat de conclure que la partie défenderesse n'avait aucune raison de refuser d'une manière générale la caudotomie chez les chevaux; que même si les avis formulés contre l'interdiction de la caudotomie paraissaient peser plus lourd que les avis sur lesquels se fonde le refus contesté, comme le prétend la requérante, cette décision ne pourrait pas pour autant être en tout cas tenue pour manifestement déraisonnable » (point 5.5.2).

B.3.3. Par la même loi du 4 mai 1995, le législateur a prévu, à l'article 19 de la loi du 14 août 1986, un autre type d'interdictions : « § 1er. A partir du 1er janvier 2000, il est interdit de participer à des expositions, expertises ou concours avec des animaux ayant subi une intervention interdite à l'article 17bis. § 2. Il est interdit d'admettre à une exposition, à une expertise ou à un concours un animal ayant subi une intervention interdite à l'article 17bis. § 3. Il est interdit de commercialiser des animaux ayant subi une intervention interdite à l'article 17bis. § 4. Les dispositions des paragraphes précédents ne sont pas d'application s'il peut être prouvé que l'intervention a été effectuée avant l'entrée en vigueur de l'interdiction visée à l'article 17bis ».

B.3.4. A partir du 1er juillet 2014, les régions sont compétentes en ce qui concerne le bien-être des animaux (article 6, § 1er, XI, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles).

Par le décret du 4 octobre 2018 précité, la Région wallonne a remplacé notamment l'article 19, § 2, de la loi du 14 août 1986, précité, par l'article D.38 du Code wallon du Bien-être des animaux, qui dispose : « Il est interdit de faire participer ou d'admettre à des expositions d'animaux, des expertises ou à un concours des animaux ayant subi une intervention interdite par l'article D.36.

Dans tous les cas, il est interdit de faire participer ou d'admettre à des expositions ou concours un équidé ou un chien ayant subi une amputation de la queue ou des oreilles ».

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2019 (article 28, alinéa 1er, du décret du 4 octobre 2018).

B.3.5. Il ressort de l'exposé des motifs que la disposition attaquée a été dictée par le constat qu'en ce qui concerne spécialement les équidés et les chiens, des interventions qui sont normalement interdites par l'article 17bis, § 1er, de la loi du 14 août 1986 sont effectuées, sur la base de l'exception prévue pour les interventions nécessaires d'un point de vue vétérinaire (article 17bis, § 2, 1°, de la même loi), à une échelle telle qu'il existe de fortes présomptions d'un recours abusif à cette exception (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1150/1, p. 22).

B.3.6. Par l'article 23 du décret de la Région wallonne du 6 mai 2019 « relatif à la délinquance environnementale », le législateur décrétal a introduit, dans l'article D.38 du Code wallon du Bien-être des animaux, un alinéa 3 qui dispose : « Par dérogation aux alinéas 1er et 2, lorsqu'il peut être prouvé que l'amputation de la queue a été pratiquée avant l'entrée en vigueur du présent Code, l'équidé concerné par cette intervention reste autorisé à participer à des expositions d'animaux, des expertises ou à un concours, et peut y être admis ».

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er juillet 2019 (article 30, § 2, 3°, du décret du 6 mai 2019).

Par cette disposition transitoire, le législateur a voulu permettre aux équidés dont la queue a été amputée avant l'entrée en vigueur de l'interdiction prévue par le Code wallon du bien-être animal de participer à des expositions, expertises et concours : « La modification envisagée vise à insérer un article 21ter [devenu l'article 23] au sein du chapitre 2 de ce projet de décret.

L'article 21ter traite de l'interdiction actuellement visée à l'article D.38 du Code wallon du bien-être animal. Cet article prescrit qu'il est interdit de faire participer ou d'admettre à des expositions d'animaux, des expertises ou à un concours des animaux ayant subi une intervention interdite par l'article D.36 du Code wallon du bien-être animal. Dans ce cadre, il est notamment interdit de faire participer ou d'admettre à des expositions ou concours un équidé ayant subi une amputation de la queue. Néanmoins, cette disposition ne prévoit pas, au contraire de l'article D.46, une période transitoire pour les animaux qui ont déjà subi l'intervention visée avant l'entrée en vigueur de ladite interdiction. Cette absence de disposition transitoire occasionne que les équidés dont la queue a été amputée avant l'entrée en vigueur du Code wallon du bien-être animal ne peuvent plus participer à ces expositions, concours, et expertises alors que leur situation n'est plus en mesure d'évoluer. La volonté initiale du législateur était de viser les équidés dont la queue n'était pas encore amputée à l'entrée en vigueur du Code wallon du bien-être animal de sorte que leur écartement des expositions, concours et expertises puisse décourager ces pratiques de l'amputation de la queue. Dans ce contexte, l'insertion de l'article 21ter vise à insérer cette période transitoire au sein de l'article D.38 du Code wallon du bien-être animal. La visibilité de cette ancienne pratique disparaitra ainsi progressivement des expositions, concours et expertises, et ce en même temps que l'extinction de la dernière génération d'équidés ayant subi ce type d'intervention » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1333/8, p. 2).

Lors de la discussion en Commission de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et des Travaux publics, il a été précisé : « Il s'agit de prendre des dispositions transitoires pour les animaux qui ont déjà eu la queue coupée, et qui pourraient encore participer à une série d'évènements » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1333/9, p. 25).

En réponse, le ministre a indiqué : « Les animaux qui ont subi ce type de mutilations dans les années précédentes continuent à pouvoir exercer leur activité, notamment dans la forêt en tant que chevaux de trait.

La volonté est de mettre fin à cette pratique, mais tous les animaux qui l'ont subie par le passé ne doivent pas être victimes du nouveau Code du bien-être animal » (ibid.).

La Cour tient compte de l'incidence de l'article D.38, alinéa 3, du Code wallon du Bien-être des animaux, tel qu'il a été introduit par l'article 23 du décret du 6 mai 2019 précité, dès lors que cette disposition est indissociablement liée à l'article D.38, alinéas 1er et 2, du même Code.

B.4. Grâce au régime transitoire précité, la seconde partie requérante peut continuer à participer à des expositions, à des expertises et à des concours, certes avec ses chevaux de trait qui ont été caudectomisés avant le 1er janvier 2019. Il n'est toutefois pas à exclure que certains chevaux de la partie requérante doivent subir, après cette date, une caudectomie nécessaire d'un point de vue vétérinaire. En dépit de ce que le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand font valoir, la seconde partie requérante justifie donc de l'intérêt requis.

Dès lors que la seconde partie requérante a intérêt au recours, l'intérêt de la première partie requérante ne doit pas être examiné.

Quant au premier moyen B.5. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 13 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, avec l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, avec l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu'avec les articles 17 et 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Les parties requérantes font essentiellement valoir que les propriétaires et les détenteurs d'animaux ayant subi une intervention légale sont traités de la même manière que les propriétaires et les détenteurs d'animaux ayant subi une intervention illégale, sans qu'existe une justification objective et raisonnable à cet égard.

B.6. La Déclaration universelle des droits de l'homme n'étant pas un texte normatif de valeur contraignante, la Cour ne peut contrôler le respect des dispositions de cette Déclaration dont la violation est invoquée.

En outre, les parties requérantes n'expliquent pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 26 et 27 de la Constitution et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Pour le surplus, les parties requérantes ne démontrent pas en quoi la disposition attaquée entrerait dans le champ d'application du droit de l'Union.

La Cour limite par conséquent son examen à la compatibilité de la disposition attaquée avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.7.1. Par son arrêt n° 154/2019 précité, la Cour a déjà jugé que l'article 3, 2°, du décret de la Région flamande du 23 mars 2018 « modifiant les articles 3 et 19 de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux », qui a introduit une mesure quasiment identique à la mesure attaquée, était compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination : « B.5. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6. La protection du bien-être animal est un but légitime d'intérêt général, dont l'importance a déjà été relevée, notamment lors de l'établissement, par les Etats membres européens, du Protocole n° 33 ' sur la protection et le bien-être des animaux ', annexé au Traité instituant la Communauté européenne (JO 1997, C 340, p. 110), dont le contenu a été repris en grande partie dans l'article 13 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

B.7. La mesure attaquée traite de manière égale deux catégories de détenteurs d'animaux. Dans les deux cas, les animaux ont subi une intervention entraînant l'amputation ou la lésion d'une ou de plusieurs parties sensibles du corps. Dans les deux cas, cette intervention a été effectuée sur la base de l'exception prévue pour les interventions nécessaires d'un point de vue vétérinaire. Or, dans un cas, cette exception aurait été invoquée à juste titre et, dans l'autre, elle aurait été invoquée de manière abusive.

Ces deux cas sont traités de manière égale par le législateur décrétal, précisément parce qu'il est impossible de les distinguer clairement dans la pratique, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires : ' Lors d'expositions, d'expertises ou de concours, il s'avère qu'un nombre inexplicablement élevé d'animaux, jusqu'à 100 %, ont tout de même subi une intervention interdite, sous le couvert d'une attestation vétérinaire. Il s'agit principalement de la caudectomie chez les chevaux et de l'écourtage d'oreilles et de queues chez certaines races canines. Une fois que l'intervention a été effectuée, il est toutefois très difficile, voire impossible, de prouver que cette intervention était nécessaire d'un point de vue vétérinaire. Il existe dès lors de très fortes présomptions d'un recours abusif à l'exception prévue pour les interventions nécessaires d'un point de vue vétérinaire.

Le nombre élevé d'animaux participant à des expositions, à des expertises ou à des concours qui ont subi une intervention donne également au public l'impression que cette intervention est toujours autorisée. Par ailleurs, les participants qui respectent les règles se plaignent régulièrement de ce que certains certificateurs privilégieraient toujours l'apparence plus traditionnelle d'animaux qui ont subi l'intervention douloureuse. Il s'ensuit une concurrence déloyale ' (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1482/1, p. 3).

En ce qui concerne particulièrement les chevaux, le ministre compétent a précisé, dans son exposé devant la Commission de l'Environnement, de la Nature, de l'Aménagement du territoire, de l'Energie et du Bien-être animal du Parlement flamand que ' la tradition consistant à caudectomiser les chevaux de trait était une routine initialement dictée par l'exploitation utilitaire de l'animal. Certains comparent cette intervention à la coupe de la crinière, le ministre la compare à une ablation du museau, car il s'agit finalement de l'amputation du coccyx. L'animal ne peut de ce fait pas utiliser sa queue pour se rafraîchir, pour chasser les insectes et pour d'autres fonctions. A cela s'ajoute que l'argument utilitaire disparaît dès lors que des alternatives existent, comme le nouage et le protège-queue. Ne reste plus donc que l'argument de la tradition même, parce que certains trouvent cette apparence plus esthétique ' (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1482/2, p. 4).

B.8. L'interdiction de principe de participer à des expositions, à des expertises ou à des concours avec des animaux dont une ou plusieurs parties sensibles du corps ont été amputées ou lésées peut être considérée comme étant nécessaire pour garantir une protection efficace du bien-être de ces animaux et pour exclure tout risque de maltraitance physique ou psychique.

En dépit de ce que le requérant fait valoir, le législateur décrétal a pu raisonnablement constater que le fait d'imposer des mesures moins extrêmes, comme un contrôle renforcé des attestations vétérinaires, ne permet pas de garantir le niveau minimum de bien-être qu'il souhaitait atteindre.

Comme l'a déjà observé la section de législation du Conseil d'Etat dans le cadre de l'avant-projet de décret, ' il peut raisonnablement être admis que l'existence effective d'une nécessité vétérinaire ne pourra, par après, pas, ou très difficilement, être infirmée et que, pour cette raison aussi, l'intervention disciplinaire et pénale à l'encontre de vétérinaires n'est pas efficace pour atteindre l'objectif. S'il s'avère que de telles mesures ne peuvent, dans la pratique, aboutir au respect effectif, par les détenteurs et par les vétérinaires, de l'interdiction contenue dans l'article 17bis de la loi du 14 août 1986, le législateur décrétal peut estimer que d'autres mesures réglementaires sont nécessaires pour garantir le respect effectif de l'interdiction ' (ibid., p. 26).

Le Conseil d'Etat a ajouté que ' le législateur décrétal n'est pas compétent pour légiférer à l'égard de l'Ordre des vétérinaires ou des actes vétérinaires spécifiques pratiqués par les vétérinaires et que ses compétences en ce qui concerne le traitement pénal d'infractions à l'article 17bis sont extrêmement limitées. Un contrôle obligatoire de la part de l'autorité avant que de telles interventions soient pratiquées non seulement représenterait une charge considérable pour l'administration, mais serait également impossible à exécuter en ce qui concerne les interventions qui ont lieu dans une autre région ou à l'étranger, ou les interventions urgentes nécessaires. Le législateur décrétal peut dès lors estimer qu'il n'est pas possible d'améliorer les contrôles, qu'une campagne de sensibilisation n'a pas de sens dans une situation où les intéressés perçoivent manifestement une impunité de fait et que seules des mesures complémentaires réprimant l'utilisation qui est faite d'animaux qui subissent une intervention sous prétexte (à juste titre ou non) de la nécessité vétérinaire, peuvent être efficaces ' (ibid., pp. 26-27). [...] B.11. Le moyen unique n'est pas fondé ».

B.7.2. Pour les mêmes motifs, le premier moyen n'est pas fondé.

Quant au second moyen B.8. Le second moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 19, 21 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles II.2 à II.4 du Code de droit économique, avec les articles 18, 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 10, 15, 16, 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée entraîne un recul significatif du degré de protection du droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle, de la liberté d'entreprendre et de la libre circulation des marchandises et des services des propriétaires et détenteurs de chevaux ayant subi une caudectomie.

B.9. L'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit également le principe d'égalité et de non-discrimination, mais il n'ajoute rien aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Les parties requérantes n'expliquent pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 19 et 21 de la Constitution, les articles 18 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et « la libre circulation des marchandises et des services ».

Dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas l'existence d'un point de rattachement avec la mise en oeuvre du droit de l'Union, le moyen est irrecevable en ce qu'il invoque la violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

B.10.1. L'article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution dispose : « Ces droits comprennent notamment : 1° le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective ». Cette disposition inclut le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle parmi les droits économiques, sociaux et culturels.

B.10.2. L'article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le degré de protection offert par la législation applicable sans qu'existent pour ce faire des motifs d'intérêt général.

B.10.3. Les parties requérantes n'exposent toutefois pas en quoi une interdiction, imposée au propriétaire ou détenteur d'un équidé ayant subi une caudectomie après le 1er janvier 2019, d'encore participer à des expositions, expertises ou concours avec cet animal compromettrait son droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle.

En ce qu'il est pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, le second moyen n'est pas fondé.

B.11.1. Les articles II.2 à II.4 du Code de droit économique disposent : « Art. II.2. Le présent Code vise à garantir la liberté d'entreprendre, la loyauté des transactions économiques et à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs.

Art. II.3. Chacun est libre d'exercer l'activité économique de son choix.

Art. II.4. La liberté d'entreprendre s'exerce dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire tel qu'établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi, ainsi que des lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs et des dispositions impératives ».

B.11.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler des dispositions législatives au regard de dispositions législatives, tels les articles II.2 à II.4 du Code de droit économique, qui ne sont pas des règles répartitrices de compétences entre l'autorité fédérale, les communautés et les régions.

La loi du 28 février 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/02/2013 pub. 29/03/2013 numac 2013011134 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi introduisant le Code de droit économique fermer, qui a introduit l'article II.3 du Code de droit économique, a abrogé le décret dit d'Allarde des 2-17 mars 1791.

Ce décret, qui garantissait la liberté de commerce et d'industrie, a servi régulièrement de norme de référence à la Cour dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution.

La liberté d'entreprendre, visée par l'article II.3 du Code de droit économique, doit s'exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire tel qu'établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code). La liberté d'entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions du droit de l'Union européenne applicables, ainsi qu'avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, s'agissant d'une règle répartitrice de compétences. Enfin, la liberté d'entreprendre est également garantie par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par conséquent, la Cour est compétente pour contrôler la disposition attaquée au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d'entreprendre.

B.11.3. Le législateur compétent peut imposer des limites à la liberté d'entreprendre. Ces restrictions ne seraient inconstitutionnelles que si le législateur les introduisait sans nécessité ou si ces restrictions avaient des effets disproportionnés au but poursuivi.

B.11.4. A supposer que l'interdiction de participer à des expositions, expertises ou concours imposée aux propriétaires et détenteurs de chevaux ayant subi une caudectomie après le 1er janvier 2019 constitue une atteinte à la liberté d'entreprendre, cette atteinte serait raisonnablement justifiée au regard de l'objectif de protection du bien-être animal.

Comme la Cour l'a déjà jugé par son arrêt n° 154/2019 à propos de la mesure analogue adoptée par la Région flamande (B.8), le législateur décrétal wallon a pu raisonnablement constater que le fait d'imposer des mesures moins extrêmes, comme un contrôle renforcé des attestations vétérinaires, ne permet pas de garantir le niveau minimum de bien-être qu'il souhaitait atteindre.

B.12.1. A supposer qu'une différence de traitement existe entre les propriétaires et détenteurs de chevaux ayant subi une caudectomie qui sont situés en Région wallonne et ceux qui sont situés en Région flamande, celle-ci serait le résultat de deux législations différentes, prises par deux législateurs compétents. Une différence de traitement dans des matières où les communautés et les régions disposent de compétences propres est la conséquence possible de politiques distinctes permises par l'autonomie qui leur est accordée par la Constitution ou en vertu de celle-ci. Une telle différence ne peut en soi être jugée contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Cette autonomie serait dépourvue de signification si le seul fait qu'il existe des différences de traitement entre les destinataires de règles s'appliquant à une même matière dans les diverses communautés et régions était jugé contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.12.2. Enfin, la Cour n'est pas compétente pour connaître des différences de traitement qui résultent des différences entre la disposition attaquée et les législations des autres Etats membres de l'Union européenne en matière d'interdiction de participer à des concours avec des chevaux ayant subi une caudectomie.

B.13. En ce qu'il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d'entreprendre, le second moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 septembre 2021.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux F. Daoût

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