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Arrêt
publié le 20 septembre 2021

Extrait de l'arrêt n° 80/2021 du 3 juin 2021 Numéro du rôle : 7376 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 17 du Code des droits de succession, avant son abrogation, en ce qui concerne la Région flamande, par l'article 5.0.0 La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, et des juges T. Merc(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 80/2021 du 3 juin 2021 Numéro du rôle : 7376 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 17 du Code des droits de succession, avant son abrogation, en ce qui concerne la Région flamande, par l'article 5.0.0.0.1, 4°, du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, posée par la Cour de cassation.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 13 février 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mars 2020, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 17 du Code des droits de succession, avant son abrogation, en ce qui concerne la Région flamande, par l'article 5.0.0.0.1, 4°, du décret du 13 décembre 2013 portant le Code flamand de la Fiscalité, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution coordonnée, en ce qu'il prévoit que, pour les contribuables, lorsque l'actif de la succession d'un habitant du Royaume comprend des biens immobiliers situés à l'étranger qui donnent lieu, dans le pays où ils sont situés, à la perception d'un impôt de succession, le droit de succession exigible en Belgique est, dans la mesure où il frappe ces biens, réduit jusqu'à concurrence de l'impôt de succession prélevé dans le pays où ces biens sont situés, alors qu'il ne prévoit pas que, pour les contribuables, lorsque l'actif de la succession d'un habitant du Royaume comporte des biens mobiliers détenus à l'étranger qui donnent lieu, dans le pays où ces biens sont détenus, à la perception d'un impôt de succession, le droit de succession exigible en Belgique est, dans la mesure où il frappe ces biens, réduit jusqu'à concurrence de l'impôt de succession prélevé dans ce pays ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 17 du Code des droits de succession, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, dispose : « Lorsque l'actif de la succession d'un habitant du royaume comprend des immeubles situés à l'étranger qui donnent lieu à la perception, au pays de la situation, d'un impôt successoral, le droit de succession exigible en Belgique est, dans la mesure où il frappe ces biens, réduit à concurrence de l'impôt prélevé par le pays de la situation, converti en euro à la date du paiement de cet impôt.

La réduction dont il s'agit est subordonnée au dépôt, chez le receveur qui détient la déclaration de succession, de la quittance dûment datée des droits payés à l'étranger, ainsi que d'une copie, certifiée conforme par les autorités étrangères compétentes, de la déclaration qui leur a été remise et de la liquidation qu'elles ont établie.

Si les pièces justificatives visées à l'alinéa précédent ne sont pas déposées avant l'échéance des droits, ceux-ci doivent être payés dans le délai légal, sauf restitution, le cas échéant, conformément à ce qui est prévu à l'article 135, 2° ».

B.1.2. La disposition en cause doit être lue en combinaison avec l'article 15 du Code des droits de succession, aux termes duquel « le droit de succession est dû sur l'universalité des biens en quelque lieu qu'ils se trouvent, appartenant au défunt ou à l'absent, déduction faite des dettes et sauf application des articles 16 et 17 ». Dans les cas où les biens recueillis d'une succession se trouvent à l'étranger et où un impôt de succession est prélevé sur ces biens par le pays sur le territoire duquel ils se trouvent, comme dans l'affaire soumise au juge a quo, l'article 15 du Code des droits de succession peut donner lieu à la perception d'une double imposition successorale.

B.1.3. Les articles 15 et 17 du Code des droits de succession ont été, en ce qui concerne la Région flamande, abrogés à partir du 1er janvier 2015 par le décret du 19 décembre 2014 « portant modification du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013 », et remplacés respectivement par l'article 2.7.3.2.1 et par l'article 2.7.5.0.4 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013.

B.2. La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 17 du Code des droits de succession, tel qu'il est applicable dans le litige a quo, avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition prévoit que les contribuables qui recueillent, dans la succession d'un résident en Belgique, des biens immobiliers situés à l'étranger voient le droit de succession exigible en Belgique, frappant ces biens, être réduit jusqu'à concurrence du montant de l'impôt de succession prélevé dans le pays où ils sont situés, alors qu'elle ne prévoit pas que les contribuables qui recueillent, dans la succession d'un résident en Belgique, des biens mobiliers détenus à l'étranger peuvent voir le droit de succession exigible en Belgique être réduit jusqu'à concurrence du montant de l'impôt de succession, frappant ces biens, qui est prélevé dans le pays où ils sont situés.

B.3.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.2. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.3.3. Ni les articles 10 et 11 ni l'article 172, alinéa 1er, de la Constitution ne comportent une interdiction générale de la double imposition.

B.3.4. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de déterminer, lorsqu'il lève un impôt, les exonérations et les modalités de celui-ci. Le législateur ne pourrait cependant, sans violer le principe d'égalité et de non-discrimination, accorder des exonérations ou des réductions de l'impôt à certains redevables et les refuser à d'autres qui leur seraient comparables, si cette différence de traitement n'est pas objectivement et raisonnablement justifiée.

B.4.1. La disposition en cause comporte non pas une exonération de l'impôt de succession sur un bien immobilier situé à l'étranger, mais seulement une réduction de l'impôt de succession dû en Belgique jusqu'à concurrence de l'impôt de succession payé à l'étranger sur ce même bien. Si l'impôt de succession payé à l'étranger est inférieur à l'impôt de succession dû en Belgique, un impôt de succession doit encore être payé partiellement en Belgique. Ce n'est que dans le cas où l'impôt de succession payé à l'étranger est égal ou supérieur à l'impôt de succession dû en Belgique que plus rien n'est dû en Belgique sur le bien immobilier situé à l'étranger. Si un impôt de succession plus élevé a été payé à l'étranger, le montant qui dépasse l'impôt de succession dû en Belgique ne peut pas être déduit de l'impôt de succession dû en Belgique.

L'imputation de l'impôt de succession prélevé à l'étranger requiert que les héritiers fournissent la preuve que des droits successoraux ont effectivement été payés. A cet effet, ils doivent soumettre une preuve de paiement dûment datée, ainsi qu'une copie de la déclaration certifiée conforme par l'autorité étrangère compétente et le calcul de l'impôt de succession étranger.

B.4.2. L'article 17 du Code des droits de succession a été instauré par la loi du 10 août 1923 « apportant des modifications aux lois sur les droits de timbre, d'enregistrement, de greffe, d'hypothèque et de succession ». Dans les travaux préparatoires, cette législation est justifiée comme suit : « Dans cet état de notre législation, les immeubles situés hors de nos frontières et qui sont transmis par le décès d'un habitant du Royaume sont, en règle, soumis à une double perception : l'une en Belgique, l'autre au pays de la situation des biens.

Cette double perception pour un même fait est évidemment rigoureuse et a donné lieu à de fréquentes et légitimes protestations. [...] Il importe de faire disparaître le grief que soulève à cet égard notre législation. Tel est le but de la disposition qui est l'objet de l'article 33 du projet. Cette disposition exempte, en fait, du droit de succession la partie du montant net de l'héritage qui est fournie par des immeubles situés hors de notre territoire, et ce à concurrence du droit similaire que les héritiers ou légataires justifieront avoir payé du chef des dits immeubles dans le pays de leur situation. C'est dire qu'il y aura remise totale du droit dû en Belgique d'après la loi existante, lorsque le droit perçu par l'Etat étranger sera égal ou supérieur, et que la remise sera d'une somme égale à ce dernier droit dans l'hypothèse contraire » (Doc. parl., Chambre, 1922-1923, n° 138, p. 9). B.4.3. Au cours des discussions relatives au projet de loi qui a abouti à la loi du 10 août 1923, il a été demandé au sein de la commission de la Chambre si la réduction de l'impôt de succession ne devait pas aussi intégrer l'impôt de succession payé pour les biens mobiliers détenus à l'étranger. Toutefois, le rapporteur a répondu ce qui suit : « Il n'a pas été possible [...] de vérifier si et dans quelle mesure des pays étrangers perçoivent des droits de succession sur les valeurs mobilières qui dépendent de la succession d'un habitant de notre pays.

Il est, en général, admis, que la succession est, en droit civil, régie quant aux meubles tant corporels qu'incorporels par la loi du domicile de leur propriétaire.

Donc, on peut soutenir qu'il est juste d'intégralement appliquer le tarif successoral belge à l'ensemble du patrimoine mobilier délaissé par un habitant du Royaume » (Doc. parl., Chambre, 1922-1923, n° 279, p. 31). B.5.1. Comme il est dit en B.4.2, l'introduction de la disposition en cause visait à éviter une double imposition successorale. Cet objectif est légitime.

B.5.2. La différence de traitement repose également sur un critère de distinction objectif, à savoir le caractère immobilier ou mobilier du bien qui fait partie de la succession.

B.5.3. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.4.3, lors de l'introduction de l'article 17 du Code des droits de succession, l'exclusion des biens mobiliers détenus à l'étranger a été estimée justifiée pour deux raisons. D'une part, il a été souligné que c'est le droit du domicile du défunt qui détermine la transmission successorale en droit civil. D'autre part, il aurait été difficile à ce moment-là de déterminer si ces pays prélevaient un impôt de succession sur des biens mobiliers détenus à l'étranger.

B.5.4. Pour justifier la différence de traitement sur laquelle la Cour est interrogée, le Gouvernement flamand fait encore valoir que la disposition en cause vise à éviter la fraude fiscale.

B.6.1. Indépendamment du fait que d'autres pays prélevaient ou non en 1923 un impôt de succession sur des biens mobiliers détenus par des non-résidents sur leur territoire, il apparaît qu'à l'heure actuelle, plusieurs pays dont l'Espagne prélèvent un tel impôt de succession.

En outre, la mobilité internationale tant des personnes que des biens et des capitaux a sensiblement augmenté depuis 1923. De ce fait, les Belges détiennent actuellement beaucoup plus de biens mobiliers à l'étranger qu'au moment de l'adoption de la disposition en cause. Ces biens peuvent avoir une valeur considérable, notamment lorsqu'il s'agit d'avoirs bancaires ou d'actions.

B.6.2. En droit civil, le droit du domicile du défunt détermine en règle générale non seulement la transmission successorale transfrontalière de biens mobiliers, mais aussi celle de biens immobiliers. Par ailleurs, ce principe de droit civil n'a pas de rapport avec le traitement fiscal de ces biens, qui repose sur une logique fiscale propre.

B.6.3. La mobilité inhérente aux biens mobiliers et la possibilité de transférer ceux-ci vers l'étranger après le décès du défunt pour échapper à l'impôt de succession en Belgique n'empêche pas que la disposition en cause ne règle pas une exonération fiscale, mais une simple imputation. Rien ne justifie que le législateur compétent continue à traiter le contribuable qui hérite de biens mobiliers différemment du contribuable qui hérite de biens immobiliers.

B.6.4. Selon le Gouvernement flamand, l'extension de la disposition en cause aux biens mobiliers qui sont détenus à l'étranger pourrait donner lieu à une fraude fiscale, au motif que les héritiers seraient incités, après le décès du défunt, à déplacer des biens mobiliers à l'étranger afin d'échapper à l'impôt de succession belge.

La disposition en cause ne peut porter que sur des biens qui se trouvent déjà à l'étranger au moment du décès du défunt. En outre, le risque de voir certains contribuables se rendre coupable de fraude fiscale ne saurait justifier, en tant que tel, que des contribuables qui sont de bonne foi soient exclus du bénéfice de la disposition en cause. Si le champ d'application de la disposition en cause était étendu aux biens mobiliers détenus à l'étranger, les héritiers devraient apporter la preuve, pour pouvoir bénéficier de l'imputation de l'impôt de succession, qu'un impôt de succession a effectivement été payé dans un autre pays, ce qui implique nécessairement qu'ils devraient informer les diverses autorités fiscales de l'existence des biens mobiliers détenus à l'étranger.

B.7. Comme il est dit en B.4.2, la disposition en cause a été instaurée pour tempérer la sévérité d'une double imposition successorale et elle a été inspirée par un souci d'équité. Au regard de cet objectif et compte tenu de ce qui est dit en B.6, il n'apparaît pas que la différence de traitement qui découle de l'article 17 du Code des droits de succession, selon que l'impôt de succession porte sur des biens immobiliers ou mobiliers, repose sur un critère de distinction pertinent.

Par conséquent, la différence de traitement en cause n'est pas raisonnablement justifiée.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Dans l'attente d'une intervention du législateur, il appartient au juge a quo de mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée par la Cour, étant donné que ce constat est exprimé en des termes suffisamment clairs et complets pour permettre que la disposition en cause soit appliquée dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution.

Quant au maintien des effets B.9.1. A titre subsidiaire, le Gouvernement flamand demande, en cas de constat d'inconstitutionnalité, de maintenir les effets de la disposition en cause pour le passé, afin de garantir la sécurité juridique. Il soutient que si la disposition en cause est purement et simplement déclarée inconstitutionnelle, des contestations peuvent naître concernant l'applicabilité de l'article 17 du Code des droits de succession à des successions comprenant des biens immobiliers situés à l'étranger, où l'impôt de succession dû a été perçu depuis longtemps, ainsi que concernant les refus d'appliquer cet article à des successions contenant des biens mobiliers détenus à l'étranger.

Par ailleurs, le Gouvernement flamand attire aussi l'attention sur le fait que l'article 2.7.5.0.4 du Code flamand de la fiscalité comporte à l'heure actuelle un régime identique à celui qui figurait dans la disposition en cause.

B.9.2. Le maintien des effets doit être considéré comme une exception à la nature déclaratoire de l'arrêt rendu au contentieux préjudiciel.

Avant de décider de maintenir les effets de la disposition en cause, la Cour doit constater que l'avantage tiré de l'effet du constat d'inconstitutionnalité non modulé est disproportionné par rapport à la perturbation qu'il impliquerait pour l'ordre juridique.

B.9.3. Il convient d'abord d'observer que la Cour ne peut pas se prononcer sur le maintien des effets de l'article 2.7.5.0.4 du Code flamand de la fiscalité, étant donné que cette disposition n'est pas en cause dans la présente affaire.

B.9.4. En ce qui concerne l'article 17 du Code des droits de succession, le Gouvernement flamand ne démontre pas qu'un constat, non modulé, d'inconstitutionnalité pourrait à ce point compromettre la sécurité juridique que, lorsqu'elle répond à la question préjudicielle, la Cour doive décider de maintenir les effets de cette disposition. Par ailleurs, en ce qui concerne la Région flamande, la disposition en cause n'est plus applicable depuis le 1er janvier 2015.

B.9.5. La demande de maintien des effets doit dès lors être rejetée.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 17 du Code des droits de succession, avant son abrogation, en ce qui concerne la Région flamande, par l'article 5.0.0.0.1, 4°, du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'il ne prévoit pas que les contribuables qui recueillent, dans la succession d'un résident en Belgique, des biens mobiliers détenus à l'étranger peuvent voir le droit de succession exigible en Belgique, qui frappe ces biens, être réduit jusqu'à concurrence du montant de l'impôt de succession prélevé dans le pays où ces biens sont détenus.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 juin 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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