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Arrêt
publié le 10 septembre 2021

Extrait de l'arrêt n° 72/2021 du 20 mai 2021 Numéro du rôle : 7314 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge, posée par le tribunal de la famille du Tribunal de première instance d composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Gie(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 72/2021 du 20 mai 2021 Numéro du rôle : 7314 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge, posée par le tribunal de la famille du Tribunal de première instance du Luxembourg, division d'Arlon. composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 29 novembre 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 décembre 2019, le tribunal de la famille du Tribunal de première instance du Luxembourg, division d'Arlon, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge, interprété comme instituant une procédure unilatérale à laquelle le Procureur du Roi n'est pas partie, mais dans laquelle il n'intervient qu'à titre d'avis, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ôte au demandeur le droit d'obtenir la prise en charge de ses dépens, en ce compris une indemnité de procédure, par l'autorité publique dont il conteste la décision, alors que ce droit est donné aux justiciables contestant devant le Conseil d'Etat des décisions administratives (article 30/1 des Lois coordonnées sur le Conseil d'Etat) et aux justiciables contestant devant les cours et tribunaux des décisions d'autorités publiques portant sur leurs droits civils selon la procédure civile de droit commun (articles 1017 et 1022 du Code judiciaire) ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Le litige pendant devant le juge a quo concerne une procédure de déclaration de nationalité, qui constitue, à côté de la demande de naturalisation, l'un des modes d'acquisition de la nationalité belge.

A cette fin, l'étranger doit remplir certaines conditions, mentionnées à l'article 12bis du Code de la nationalité belge, et faire devant l'officier de l'état civil de sa résidence principale la déclaration prévue à l'article 15, § 1er, alinéa 1er, du même Code. L'officier de l'état civil transmet, pour avis, une copie de l'intégralité du dossier au procureur du Roi du tribunal de première instance du ressort (article 15, § 2, alinéa 8, du Code précité). Ce dernier peut émettre un avis négatif sur l'acquisition de la nationalité belge lorsqu'il estime qu'il existe un empêchement résultant de faits personnels graves (article 15, § 3, du Code précité). C'est cet avis négatif qui fait l'objet de la contestation devant le juge a quo.

B.1.2. La question préjudicielle porte sur l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge, qui dispose : « L'intéressé peut inviter l'officier de l'état civil, par lettre recommandée, à transmettre son dossier au tribunal de la famille dans les quinze jours suivant la réception de l'avis négatif visé au paragraphe 3 ou du non-établissement de l'acte de nationalité visé au paragraphe 3, alinéa 4, dernière phrase.

Après avoir entendu ou appelé l'intéressé, le tribunal de la famille statue par voie de décision motivée sur le bien-fondé de l'absence d'établissement de l'acte de nationalité visée au paragraphe 3, alinéa 4, dernière phrase ou sur l'avis négatif visé au paragraphe 3.

La décision est notifiée à l'intéressé et au parquet par le greffe.

Dans les quinze jours de la notification, l'intéressé et le procureur du Roi peuvent interjeter appel de la décision par requête adressée à la chambre de la famille de la cour d'appel. La prorogation des délais en raison des vacances judiciaires a lieu conformément à l'article 50, alinéa 2, du Code judiciaire.

La cour d'appel statue, après avis du procureur général, et après avoir entendu ou appelé l'intéressé.

Les notifications sont effectuées conformément à l'article 1030 du Code judiciaire. Le calcul des délais en cas de notification a lieu conformément aux articles 52 et suivants du Code judiciaire.

Le greffier transmet immédiatement à l'officier de l'état civil via la BAEC, les données de la décision passée en force de chose jugée par laquelle l'avis négatif est déclaré non fondé, nécessaires à l'établissement de l'acte de nationalité. Celui-ci établit l'acte de nationalité, conformément à l'article 22, § 4.

La déclaration a effet à compter de l'établissement de l'acte de nationalité ».

B.2.1. Dans l'interprétation soumise par le juge a quo, la disposition en cause organise une procédure juridictionnelle unilatérale à laquelle le ministère public n'est pas partie, mais dans laquelle il intervient parce qu'il a émis un avis.

B.2.2. Sous réserve d'une lecture manifestement erronée des dispositions en cause, il revient en règle à la juridiction a quo d'interpréter les dispositions qu'elle applique. L'interprétation mentionnée en B.2.1, qui est également celle qui est le plus souvent donnée dans la jurisprudence, n'est pas manifestement erronée à défaut de précision, dans la disposition en cause, du rôle du ministère public dans la procédure organisée par l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge. La Cour répond dès lors à la question préjudicielle dans cette interprétation.

B.3. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité de l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il ferait naître une différence de traitement entre le déclarant qui conteste l'avis négatif du ministère public par le biais de la procédure organisée par la disposition en cause et le justiciable qui conteste une décision de l'autorité publique devant les cours et tribunaux ou devant le Conseil d'Etat. Le premier justiciable, au contraire du second, ne peut faire condamner l'Etat au paiement des dépens, y compris de l'indemnité de procédure, faute de partie adverse à la cause.

B.4.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.2. Par ailleurs, la différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.5.1. L'article 15 du Code de la nationalité belge organise une procédure de nature administrative qui obéit à des règles spécifiques, relatives, notamment, aux délais dans lesquels la déclaration de nationalité est traitée. La personne soumise aux règles décrites dans cette disposition ne peut être comparée à celle qui doit se conformer aux règles du Code judiciaire dans le cadre d'un procès civil ni à celle qui doit se conformer aux règles de la procédure devant le Conseil d'Etat.

B.5.2. Toutefois, l'article 15, § 5, organise, après la phase administrative, le traitement judiciaire d'une demande qui concerne un droit subjectif. A ce stade, les juridictions chargées de connaître de la déclaration de nationalité, d'une part, et des litiges civils de droit commun, d'autre part, sont les mêmes. Les catégories visées dans la question préjudicielle sont suffisamment comparables.

B.6.1. Le Code de la nationalité belge ne prévoit aucune règle spécifique quant à la condamnation aux dépens, y compris à une indemnité de procédure. A défaut de règle particulière, il convient d'appliquer les dispositions du Code judiciaire.

L'article 1017, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose : « Tout jugement définitif prononce, même d'office, la condamnation aux dépens contre la partie qui a succombé, à moins que des lois particulières n'en disposent autrement et sans préjudice de l'accord des parties que, le cas échéant, le jugement décrète. Toutefois, les frais inutiles, y compris l'indemnité de procédure visée à l'article 1022, sont mis à charge, même d'office, de la partie qui les a causés fautivement ».

B.6.2. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir la présence à la cause ou non du ministère public, qui implique que ce dernier, lorsqu'il n'est pas considéré comme étant partie à la cause, ne peut être condamné aux dépens, faute de partie succombante.

B.7. Il ne ressort pas des travaux préparatoires de la disposition en cause que le législateur entendait expressément exclure le ministère public d'une condamnation aux dépens, y compris à l'indemnité de procédure. La possibilité de mettre cette indemnité à charge de l'Etat n'a en effet été introduite dans le Code judiciaire que postérieurement à la création du régime de la déclaration de nationalité.

B.8.1. Le principe désormais établi par les articles 1017 à 1022 du Code judiciaire est que toute partie qui succombe est tenue au paiement des dépens et de l'indemnité de procédure, laquelle est une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause.

B.8.2. Lorsqu'il a élaboré la répétibilité des frais et honoraires d'avocat devant les juridictions civiles, le législateur s'est laissé guider par le principe de l'application des dispositions relatives à l'indemnité de procédure à toutes les parties, qu'il s'agisse de personnes privées ou d'autorités publiques agissant dans l'intérêt général. La Cour a réaffirmé ce principe par l'arrêt n° 68/2015 du 21 mai 2015, notamment pour des raisons de sécurité juridique et de cohérence législative et en vue d'atteindre les objectifs d'efficacité et d'équité procédurales. Bien qu'il poursuive une mission d'intérêt général, le ministère public, qu'il soit partie demanderesse ou défenderesse dans le cadre d'un litige civil, peut être soumis au régime de l'indemnité de procédure.

B.9.1. Bien que la procédure en cause déroge au titre V du Code judiciaire en ce qu'elle ne requiert pas l'intervention d'un avocat pour être valablement introduite, il ne peut être présumé que le déclarant mène en principe seul les débats, sans l'assistance d'un avocat. L'intérêt d'obtenir une intervention dans les frais et honoraires engendrés par une procédure judiciaire est tout aussi réel et légitime pour les candidats à la nationalité belge qui contestent avec succès l'avis négatif du ministère public que pour les justiciables qui contestent devant les cours et tribunaux une décision de l'autorité publique et obtiennent gain de cause. C'est d'autant plus vrai que la procédure organisée par la disposition en cause constitue l'unique moyen pour le candidat qui souhaite obtenir la nationalité belge par déclaration de contester l'avis négatif du ministère public relatif à l'obtention de la nationalité, dès lors que l'officier de l'état civil ne peut lui-même lever l'avis négatif. Il ressort des travaux préparatoires de la loi qui est à l'origine de la déclaration de nationalité que l'avis négatif du ministère public doit en effet être compris comme une décision d'opposition à l'acquisition de la nationalité (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1314/7, pp. 4 et 27).

B.9.2. Le fait que le ministère public n'ait pas la qualité de partie défenderesse dans la procédure judiciaire organisée par la disposition en cause ne correspond pas à la réalité de son rôle dans la déclaration de nationalité. Le ministère public est en effet l'auteur de l'avis contesté, il intervient à l'audience pour y défendre sa position et, au besoin, pour ajouter des éléments au dossier. En outre, en vertu de l'article 15, § 5, alinéa 3, du Code de la nationalité belge, il lui est possible d'interjeter appel de la décision déclarant son avis non fondé, devant la cour d'appel.

B.10. Il résulte de ce qui précède que le fait que le ministère public n'est pas considéré comme étant partie à la procédure organisée par l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge prive de manière disproportionnée la partie demanderesse dans ladite procédure du bénéfice des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire.

B.11. En ce qu'il ne considère pas le ministère public comme étant partie à la procédure judiciaire en contestation de l'avis négatif rendu par celui-ci et en ce qu'il fait dès lors obstacle à l'application des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire, l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.12.1. La disposition en cause peut toutefois aussi recevoir une autre interprétation, selon laquelle le ministère public est effectivement partie à la procédure judiciaire, prévue par cette disposition, en contestation de l'avis négatif rendu par celui-ci.

Le ministère public intervient en effet dans cette procédure en tant qu'auteur de la décision qui est l'objet de la contestation devant le tribunal compétent. La procédure judiciaire en cause constitue par ailleurs la seule possibilité pour le déclarant de contester l'opposition du ministère public. Ce dernier est présent lors de la procédure devant le tribunal, afin de défendre sa décision, et il peut interjeter appel du jugement du tribunal déclarant non fondé l'avis négatif qu'il a émis. A défaut de précision dans la disposition en cause quant à la qualité de l'intervention du ministère public, la procédure en cause constitue une procédure spécifique qui concerne un litige impliquant une autorité publique porté devant une juridiction de l'ordre judiciaire.

B.12.2. Dès lors que le Code de la nationalité belge ne prévoit aucune règle spécifique quant à la condamnation aux dépens, y compris à une indemnité de procédure, il convient d'appliquer les dispositions du Code judiciaire.

Dans cette interprétation, la disposition en cause n'empêche pas le ministère public qui succombe dans un litige porté devant le juge civil sur la base de l'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge d'être condamné au paiement des dépens, y compris de l'indemnité de procédure, au profit de la personne qui a introduit un recours contre sa décision d'émettre un avis négatif quant à une déclaration de nationalité.

Dans cette interprétation, la différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle est inexistante.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 15, § 5, du Code de la nationalité belge, interprété en ce sens qu'il ne considère pas le ministère public comme étant partie à la procédure judiciaire en contestation de l'avis négatif rendu par celui-ci et qu'il fait dès lors obstacle à l'application des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - La même disposition, interprétée en ce sens qu'elle considère le ministère public comme étant partie à la procédure judiciaire en contestation de l'avis négatif rendu par celui-ci et qu'elle ne fait dès lors pas obstacle à l'application des articles 1017 à 1022 du Code judiciaire, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 mai 2021.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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