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Arrêt
publié le 09 juin 2021

Extrait de l'arrêt n° 25/2021 du 25 février 2021 Numéros du rôle : 7116 et 7117 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé, posées par le Tribunal de première instanc La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. M(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 25/2021 du 25 février 2021 Numéros du rôle : 7116 et 7117 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé, posées par le Tribunal de première instance de Liège, division Verviers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par deux jugements du 4 février 2019, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 7 février 2019, le tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Liège, division Verviers, a posé à chaque fois la question préjudicielle suivante : « Les articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé violent-ils les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'enfant réfugié d'origine somalienne né en Belgique de parents également réfugiés et mariés n'a pas la possibilité juridique de porter le même nom que ses frères et soeurs aînés nés en Somalie des mêmes parents mariés sauf à recourir à une procédure administrative devant le Ministre de la Justice sans la certitude qu'elle aboutisse avec le coût qu'elle entraîne, le temps perdu ainsi que les éventuels désagréments de deux changements de noms successifs ? ».

Ces affaires, inscrites sous les numéros 7116 et 7117 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 3, § 3, du Code de droit international privé dispose : « Toute référence faite par la présente loi à la nationalité d'une personne physique qui a la qualité d'apatride ou de réfugié en vertu de la loi ou de traités internationaux liant la Belgique, est remplacée par une référence à la résidence habituelle ».

L'article 37 du Code de droit international privé, dans sa version applicable aux affaires pendantes devant le juge a quo, dispose : « La détermination du nom et des prénoms d'une personne est régie par le droit de l'Etat dont cette personne a la nationalité.

L'effet d'un changement de nationalité sur le nom et les prénoms d'une personne est régi par le droit de l'Etat de sa nouvelle nationalité ».

B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité des dispositions en cause avec le principe d'égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme) et avec le droit au respect de la vie privée et familiale (article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme).

La Cour examine d'abord la compatibilité des dispositions en cause avec le principe d'égalité et de non-discrimination, puis leur compatibilité avec le droit au respect de la vie privée et familiale.

Quant au principe d'égalité et de non-discrimination B.3. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est interrogée à propos de deux différences de traitement concernant la désignation du droit applicable à la détermination du nom.

Premièrement, la Cour est invitée à comparer, au regard de la détermination du nom, les situations des enfants étrangers nés et résidant habituellement en Belgique et dont les frères et soeurs sont nés dans leur pays d'origine et s'y sont vu attribuer leur nom conformément au droit de ce pays, selon que ces enfants bénéficient ou non du statut de réfugié en Belgique. Le juge a quo s'interroge sur la compatibilité des dispositions en cause avec le principe d'égalité et de non-discrimination en ce qu'elles prévoient que, parmi ces enfants, seuls ceux qui ne bénéficient pas du statut de réfugié se voient appliquer le droit de l'Etat de leur nationalité, ce qui leur permet de se voir attribuer le même nom que leurs frères et soeurs nés dans leur pays d'origine, tandis que ceux qui bénéficient du statut de réfugié se voient, quant à eux, appliquer le droit de l'Etat de leur résidence habituelle, ce qui ne leur permet pas nécessairement de se voir attribuer le même nom que leurs frères et soeurs nés dans leur pays d'origine.

Deuxièmement, la Cour est invitée à comparer, au regard de la détermination du nom, les situations de frères et soeurs étrangers, selon qu'ils sont nés dans leur pays d'origine sans bénéficier alors du statut de réfugié en Belgique ou qu'ils sont nés en Belgique en y bénéficiant du statut de réfugié. Le juge a quo s'interroge sur la compatibilité des dispositions en cause avec le principe d'égalité et de non-discrimination en ce qu'elles ont pour effet que le nom des premiers est déterminé conformément au droit de leur pays d'origine, tandis que le nom des seconds est déterminé conformément au droit belge, de sorte que ces frères et soeurs ne portent pas nécessairement le même nom.

La Cour examine ensemble ces deux différences de traitement.

B.4. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5. En présence de deux situations dont l'une au moins se caractérise par un élément d'extranéité nécessitant d'appliquer une disposition du Code de droit international privé pour déterminer le droit national applicable, la différence de traitement résultant de l'application à chacune de ces deux situations de règles différentes suivant le droit national dont elles relèvent n'est pas en soi discriminatoire.

Il appartient toutefois à la Cour d'examiner si le facteur de rattachement prévu par une disposition du Code de droit international privé pour désigner le droit national applicable est raisonnablement justifié au regard du principe d'égalité et de non-discrimination.

En outre, il appartient également à la Cour d'examiner si une différence de traitement entre deux catégories de personnes, telles celle d'un étranger bénéficiant du statut de réfugié et celle d'un étranger ne bénéficiant pas de ce statut, portant sur le facteur de rattachement applicable à une même question, telle la détermination du nom, respecte ou non le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.6. Il ressort des travaux préparatoires qu'en prévoyant à l'article 37 du Code de droit international privé que la détermination du nom d'une personne est par principe régie par le droit de l'Etat de sa nationalité, le législateur a entendu codifier la solution qui s'appliquait avant l'adoption de ce Code : « Le code consacre le principe de l'application de la loi de la nationalité au nom et aux prénoms. Il confirme ainsi la solution existante, qui repose sur l'article 3 du Code civil.

Cette catégorie recouvre aussi l'attribution de titres liés au nom » (Doc. parl., Sénat, S.E. 2003, n° 3-27/1, p. 67).

En commission, la ministre de la Justice a confirmé que cette disposition constituait une codification du droit existant : « La ministre confirme que cette section du code ne bouleverse pas l'ordonnancement juridique applicable actuellement. C'est une véritable codification de la situation existante » (Doc. parl., Sénat, 2003-2004, n° 3-27/7, p. 85).

L'application de la nationalité comme facteur de rattachement pour désigner le droit applicable à la détermination du nom d'une personne n'est pas dépourvue de justification raisonnable.

B.7.1. En vertu de son article 3, § 3, toute référence faite par le Code de droit international privé à la nationalité d'une personne bénéficiant du statut de réfugié est remplacée par la référence à sa résidence habituelle.

Il résulte de l'application combinée des articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé que la détermination du nom d'un étranger bénéficiant du statut de réfugié est régie par le droit de l'Etat de sa résidence habituelle.

B.7.2. Comme le précisent les travaux préparatoires relatifs à l'article 3, § 3, du Code de droit international privé, l'application aux étrangers bénéficiant du statut de réfugié du droit de l'Etat de leur résidence habituelle pour les matières concernant le droit de la personne et de la famille est prévue par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, qui a été ratifiée par la Belgique : « Les conventions internationales ratifiées par la Belgique soumettent les réfugiés (Convention de Genève du 28 juillet 1951, art. 12) et les apatrides (Convention de New York du 28 septembre 1954, art. 12) à la loi du domicile et, à défaut, à la loi de la résidence habituelle. Le code ne saurait déroger à ces Conventions. Celles-ci limitent cependant cette solution aux matières concernant le droit de la personne et de la famille. C'est pourquoi le code introduit une disposition confirmant cette solution, pour les cas où le critère de la nationalité apparaît en dehors de ces matières, comme en matière de successions. Pour cette disposition, il a paru préférable de ne pas retenir le facteur du domicile mais d'utiliser uniquement, comme facteur subsidiaire, la résidence habituelle. En effet, pour la matière des conflits de lois, c'est ce critère que le code retient de préférence à celui du domicile » (Doc. parl., Sénat, S.E. 2003, n° 3-27/1, pp. 27-28).

L'article 12 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 dispose en effet : « 1. Le statut personnel de tout réfugié sera régi par la loi du pays de son domicile ou, à défaut de domicile, par la loi du pays de sa résidence. 2. Les droits, précédemment acquis par le réfugié et découlant du statut personnel, et notamment ceux qui résultent du mariage, seront respectés par tout Etat Contractant, sous réserve, le cas échéant, de l'accomplissement des formalités prévues par la législation dudit Etat, étant entendu, toutefois, que le droit en cause doit être de ceux qui auraient été reconnus par la législation dudit Etat si l'intéressé n'était devenu un réfugié ». Il convient dès lors de tenir compte du fait que l'article 3, § 3, du Code de droit international privé met en oeuvre un engagement de droit international pris par la Belgique.

B.7.3. L'application du droit de l'Etat de la résidence habituelle, au lieu du droit de l'Etat de la nationalité, pour déterminer le nom d'un étranger bénéficiant du statut de réfugié est raisonnablement justifiée au regard du fait que celui-ci n'a généralement pas ou plus de liens étroits avec son Etat d'origine.

B.8. Par conséquent, les articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé sont compatibles avec le principe d'égalité et de non-discrimination.

Quant au droit au respect de la vie privée et familiale B.9. Le juge a quo se demande en substance si les dispositions en cause sont compatibles avec le droit au respect de la vie privée et familiale en ce qu'elles ont pour effet que les deux enfants en cause dans les affaires pendantes devant lui, qui sont nés en Belgique en bénéficiant du statut de réfugié et dont le nom est déterminé conformément au droit belge, n'ont pas le même nom que leurs frères et soeurs, qui sont nés en Somalie et dont le nom a été attribué dans ce pays conformément au droit somalien.

B.10. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).

La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.

B.11. Les droits que garantissent l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont pas absolus. Bien que l'article 22 de la Constitution reconnaisse à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale, cette disposition ajoute en effet immédiatement : « sauf dans les cas et conditions fixés par la loi ».

Les dispositions précitées exigent que toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et familiale soit prescrite par une disposition législative, suffisamment précise, qu'elle corresponde à un besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime poursuivi.

B.12.1. Si le nom d'une personne, en tant que moyen déterminant d'identification personnelle et de rattachement à une famille, relève de sa vie privée et familiale (CEDH, 7 janvier 2014, Cusan et Fazzo c.

Italie, § 55), l'attribution de celui-ci repose principalement sur des considérations d'utilité sociale. En matière de réglementation de l'attribution du nom, y compris pour les aspects de droit international privé, le législateur dispose par conséquent d'un pouvoir d'appréciation étendu, pour autant qu'il respecte le principe d'égalité et de non-discrimination, lu en combinaison avec le droit au respect de la vie privée et familiale (CEDH, 6 septembre 2007, Johansson c. Finlande, § 31).

B.12.2. Comme il est dit en B.7, l'application du droit de l'Etat de la résidence habituelle pour déterminer le nom d'un étranger bénéficiant du statut de réfugié est raisonnablement justifiée au regard des obligations internationales de la Belgique et du fait qu'il peut raisonnablement être supposé qu'un réfugié n'a pas ou n'a plus de liens étroits avec son Etat d'origine.

B.12.3. Le simple fait qu'une personne se voit attribuer un nom différent de celui de ses frères et soeurs ne constitue pas en soi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de sa vie privée et familiale, d'autant moins lorsque le cadre juridique applicable à la détermination du nom de cette personne est caractérisé par un élément d'extranéité et donc par l'application de règles de droit international privé et qu'il diffère à cet égard fortement de celui qui a été appliqué, dans un pays étranger et en dehors de tout élément d'extranéité, à la détermination du nom de ses frères et soeurs, la seule question de nature à se poser à leur égard étant celle de la reconnaissance en Belgique de leur nom attribué à l'étranger.

B.12.4. En outre, la question présentement examinée se distingue des situations dans lesquelles une même personne, afin de disposer du même nom dans deux Etats avec lesquels elle présente un lien de rattachement, souhaite bénéficier dans le second Etat du même nom que celui qui lui a été attribué dans le premier Etat (CJCE, grande chambre, 14 octobre 2008, C-353/06, Grunkin et Paul; CEDH, 5 décembre 2013, Henry Kismoun c. France). En l'espèce, l'application des dispositions en cause n'a pas pour effet de porter atteinte à l'unicité du nom d'une même personne.

B.12.5. Enfin, les effets des dispositions en cause sont d'autant moins disproportionnés que les articles 3, § 3, 36, alinéa 2, et 38 du Code de droit international privé permettent à un étranger bénéficiant du statut de réfugié en Belgique d'introduire une demande de changement de nom auprès des autorités belges, à laquelle s'appliquent les articles 370/3 et suivants de l'ancien Code civil. L'autorité de qui ce changement dépend ne pourrait manquer de considérer comme sérieuse la demande qu'une personne lui ferait de porter le même nom que ses frères et soeurs.

B.13. Les articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé sont compatibles avec l'article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 3, § 3, et 37 du Code de droit international privé ne violent pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 février 2021.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut F. Daoût

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