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Arrêt
publié le 28 octobre 2020

Extrait de l'arrêt n° 94/2020 du 25 juin 2020 Numéros du rôle : 6704, 6723 et 6724 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017 « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 94/2020 du 25 juin 2020 Numéros du rôle : 6704, 6723 et 6724 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne », posées par le tribunal correctionnel de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 4 juillet 2017, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 juillet 2017, le tribunal correctionnel de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer [instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne] viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il oblige les cours et tribunaux qui condamnent un prévenu [du] chef d'une infraction pénale de lui imposer également le paiement de la contribution au Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne au motif qu'il n'en bénéficie pas, bien qu'il soit dans les conditions légales pour y prétendre, alors que les justiciables qui, à l'instar de ce prévenu, sont dans les conditions légales de l'aide juridique de deuxième ligne et en bénéficie [nt] effectivement ne peuvent être condamnés à cette contribution ? ».b. Par deux jugements du 31 août 2017, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 7 septembre 2017, le tribunal correctionnel de Liège, division Liège, a posé la même question préjudicielle. Ces affaires, inscrites sous les numéros 6704, 6723 et 6724 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1.1. La loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne » (ci-après : la loi du 19 mars 2017) institue un « fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne » auprès du Service public fédéral Justice (article 2). Les recettes du fonds sont utilisées pour financer les indemnités des avocats chargés de l'aide juridique de deuxième ligne, ainsi que les frais liés à l'organisation des bureaux d'aide juridique (article 3).

Le législateur a fixé le montant de la contribution au fonds à vingt euros. Ce montant est indexé conformément à l'article 5 de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer.

B.1.2. Le fonds est alimenté par des contributions perçues dans le cadre de procédures judiciaires. L'article 4 de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer détermine dans quelles affaires la contribution est due, qui doit la payer et comment elle doit être perçue. Le législateur établit en outre une distinction entre les affaires qui sont traitées selon la procédure civile (article 4, § 2), les affaires pénales (article 4, § 3) et les affaires portées devant le Conseil d'Etat et le Conseil du contentieux des étrangers (article 4, § 4). B.2.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer, qui dispose : « Sauf s'il bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne, chaque suspect, inculpé, prévenu, accusé ou personne responsable civilement du délit qui est condamné par une juridiction pénale est condamné au paiement d'une contribution au fonds.

Sauf si elle bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne, la partie civile, lorsqu'elle a pris l'initiative de la citation directe ou lorsqu'une enquête a été ouverte à la suite de son action en tant que partie civile et qu'elle succombe, est condamnée au paiement d'une contribution au fonds.

La juridiction liquide le montant de la contribution au fonds dans la décision définitive qui prononce la condamnation aux dépens.

La contribution est recouvrée selon les règles qui s'appliquent en matière de recouvrement des amendes pénales ».

B.2.2. Il ressort du libellé des questions préjudicielles, ainsi que de la motivation des décisions de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 4, § 3, alinéa 1er, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que, en n'exemptant de la contribution (au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne) que les prévenus condamnés par le tribunal correctionnel qui bénéficient de l'aide juridique de deuxième ligne, cette disposition législative ferait naître une différence de traitement discriminatoire entre deux catégories de prévenus qui remplissent les conditions de fond d'obtention de cette aide : d'une part, ceux qui bénéficient de cette aide et, d'autre part, ceux qui ont choisi de se défendre sans avocat et qui n'en bénéficient donc pas.

B.3. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.1. Les développements de la proposition de loi qui est à l'origine de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer indiquent : « L'augmentation régulière du nombre de dossiers dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne nécessite des moyens supplémentaires.

La présente proposition vise donc à créer un fonds d'aide juridique de deuxième ligne en vue de permettre un financement supplémentaire du régime de l'aide juridique, et ce, afin de garantir une rémunération plus élevée aux avocats, tout en conservant avant tout le droit au libre accès à la justice consacré par la Constitution.

La présente proposition de loi prévoit que la personne condamnée à payer une amende pénale doit, en plus de cette amende, payer une contribution fixe au fonds.

Celui qui est condamné à une autre peine doit également verser une contribution fixe au fonds.

Celui qui est condamné à la fois à une amende et à une autre peine doit payer cumulativement la contribution prévue lors de la condamnation à une amende ainsi que celle prévue lors de la condamnation à une autre peine.

Cette obligation de contribuer vaut également en cas de transaction pénale visée à l'article 216bis du Code d'instruction criminelle » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1851/001, p. 3).

B.4.2. La proposition de loi initiale entendait soumettre toute personne condamnée du chef d'une infraction pénale au paiement d'une contribution au fonds, y compris les bénéficiaires de l'aide juridique de deuxième ligne.

La section de législation du Conseil d'Etat a critiqué ce choix en ces termes : « L'imposition de la contribution visée dans la proposition de loi s'applique sans distinction aucune à toutes les personnes condamnées pénalement, et dès lors également à toutes les personnes condamnées qui bénéficient de l'assistance judiciaire entièrement gratuite.

Compte tenu de l'affectation de la contribution à imposer, ces dernières contribuent notamment au financement de cette assistance. A cet égard, on peut rappeler les observations suivantes que le Conseil d'Etat, section de législation, a formulées dans l'avis 53.322/3 du 10 juin 2013 sur un avant-projet de loi ' modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l'aide juridique ' : ' [L]es articles 6, paragraphe 3, c), de la CEDH et 14, paragraphe 3, d), du PIDCP, garantissent à la personne qui ne dispose pas des moyens suffisants le droit à une assistance judiciaire gratuite en matière pénale. La seule restriction expressément mentionnée dans les dispositions précitées est que les '' intérêts de la justice '' exigent que l'assistance judiciaire gratuite soit accordée.

La question se pose dès lors de savoir si le principe de la gratuité de l'assistance judiciaire pour les personnes précitées peut être limité en leur réclamant des contributions.

La notion de '' gratuité '' n'apparaît pas seulement à l'article 6, paragraphe 3, c), de la CEDH, mais aussi à l'article 6, paragraphe 3, e), de la CEDH, selon lequel tout accusé peut se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. [...] ' » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1851/005, p. 7).

Renvoyant ensuite à l'arrêt Luedicke, Belkacem et Koç c. Allemagne du 28 novembre 1978, dans le cadre duquel la Cour européenne des droits de l'homme s'est prononcée sur la portée du terme « gratuitement », la section de législation du Conseil d'Etat a observé : « Il semble dès lors qu'il faille en conclure que le respect de l'article 6, paragraphe 3, c), de la Convention européenne des droits de l'Homme requiert que les bénéficiaires d'une aide juridique de deuxième ligne entièrement gratuite soient totalement exonérés de la contribution proposée et que ceux qui bénéficient d'une aide juridique de deuxième ligne partiellement gratuite en soient partiellement exonérés » (ibid., p. 10).

B.5.1. Il résulte des travaux préparatoires précités que le législateur entendait dispenser de la contribution au fonds toutes les personnes condamnées du chef d'une infraction pénale qui avaient bénéficié de l'aide juridique de deuxième ligne.

B.5.2. L'accès à l'aide juridique de deuxième ligne et à l'assistance judiciaire est accordé au demandeur qui ne dispose pas de moyens de subsistance suffisants pour payer les services de son avocat et les frais de justice. Cet accès est accordé après un examen de tous les moyens de subsistance de la personne qui demande l'aide, sur la base des preuves produites par le demandeur, ce qui ne saurait être considéré comme étant dénué de justification raisonnable, comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 77/2018 du 21 juin 2018.

En exonérant ces personnes de la contribution en cause, le législateur a voulu préserver le droit d'accès au juge pour les plus démunis.

B.6.1. La différence de traitement en cause repose sur le fait que la personne concernée a demandé ou non le bénéfice de l'aide juridique de deuxième ligne. Un tel critère est objectif. La Cour doit examiner s'il est pertinent eu égard à l'objet de cette mesure et si celle-ci n'entraîne pas des conséquences disproportionnées pour les personnes qui n'ont pas demandé à bénéficier de l'aide juridique de deuxième ligne, mais qui se trouvent clairement dans des conditions analogues en ce qui concerne leurs moyens de subsistance.

Il faut en outre tenir compte de ce que le paiement d'une contribution fixe au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne, auquel les personnes concernées qui sont condamnées au pénal ne font pas appel, diffère fondamentalement d'une indemnité de procédure modulable que doit payer une partie succombante à titre d'intervention forfaitaire dans les dépenses supportées effectivement par la partie adverse pour les frais et honoraires de son avocat, dont la Cour, par son arrêt n° 19/2011 du 3 février 2011, a jugé qu'elle est compatible avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.6.2. S'il peut être admis que les personnes ayant choisi de ne pas faire appel à l'aide juridique de deuxième ligne doivent en assumer les conséquences sur le plan de leur défense en justice, elles ne sauraient être supposées avoir également accepté les conséquences attachées par la disposition en cause à ce choix en ce qui concerne l'incidence, sur leur situation financière, d'une condamnation éventuelle. En effet, ainsi que le relève d'ailleurs le Conseil des ministres, le choix fait par un prévenu de se défendre sans l'assistance d'un avocat alors qu'il pourrait obtenir le bénéfice de l'aide juridique de deuxième ligne s'il la demandait n'est pas un choix motivé par des considérations financières, mais une décision quant à la manière dont il entend se défendre.

B.6.3. Les personnes qui bénéficient de l'aide juridique de deuxième ligne et celles qui, tout en se trouvant clairement dans une situation analogue en ce qui concerne leurs moyens de subsistance, n'y font pas appel, se trouvent dans une situation d'indigence identique, de sorte que le paiement de la contribution en cause a la même incidence sur leurs situations financières. Dès lors, les motifs liés à la situation financière des personnes concernées qui ont conduit le législateur à exempter de la contribution au fonds les personnes condamnées qui ont bénéficié de l'aide juridique de deuxième ligne sont également valables pour les personnes condamnées qui, en raison de leur choix de se défendre seules, n'ont pas fait appel à l'aide juridique de deuxième ligne, tout en se trouvant clairement dans une situation analogue.

B.6.4. Il découle de ce qui précède que la différence de traitement résultant de la disposition en cause, au sein d'un groupe de personnes se trouvant dans des situations de précarité financière équivalentes, entre celles qui sont exemptées du paiement de la contribution au fonds et celles qui n'en sont pas exemptées ne repose pas sur un critère pertinent. En omettant de viser la catégorie de personnes qui, tout en se trouvant clairement dans une situation analogue en ce qui concerne leurs moyens de subsistance, ne font pas appel à l'aide précitée, soit parce qu'elles choisissent de ne pas se défendre, soit qu'elles choisissent de se défendre personnellement, le législateur n'a pas rencontré l'objectif qu'il entendait atteindre en dispensant les personnes qui ne disposent pas de moyens suffisants pour contribuer elles-mêmes au financement d'un fonds créé, précisément, pour permettre d'assurer l'aide dont elles pourraient bénéficier.

B.7. Il n'est pas raisonnablement justifié de mettre à charge des personnes qui, en ce qui concerne les moyens de subsistance, se trouvent clairement dans une situation comparable à celle dans laquelle se trouvent les personnes qui bénéficient de l'aide juridique de deuxième ligne une contribution financière dans le but de financer une aide à laquelle elles ne font pas appel.

Sur ce point, la disposition en cause n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.8. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.7 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application de la disposition en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient au juge a quo de mettre fin à la violation de ces normes.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne » viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il ne prévoit pas que le juge qui condamne des personnes du chef d'une infraction pénale puisse exempter de la contribution au fonds précité celles qui, en ce qui concerne leurs moyens de subsistance, se trouvent clairement dans une situation analogue à celle dans laquelle se trouvent les personnes qui bénéficient de l'aide juridique de deuxième ligne.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 juin 2020.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut F. Daoût

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