publié le 19 novembre 2020
Extrait de l'arrêt n° 87/2020 du 18 juin 2020 Numéro du rôle : 7090 En cause : le recours en annulation de l'article 2 du décret de la Région wallonne du 21 juin 2018 (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 87/2020 du 18 juin 2020 Numéro du rôle : 7090 En cause : le recours en annulation de l'article 2 du décret de la Région wallonne du 21 juin 2018 « visant à modifier l'article 57 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation en vue de supprimer la formule d'indexation de loyers applicable aux baux à résidence principale en cours au 1er avril 2016 », introduit par l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » et autres.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, R. Leysen, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 décembre 2018 et parvenue au greffe le 3 janvier 2019, un recours en annulation de l'article 2 du décret de la Région wallonne du 21 juin 2018 « visant à modifier l'article 57 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation en vue de supprimer la formule d'indexation de loyers applicable aux baux à résidence principale en cours au 1er avril 2016 » (publié au Moniteur belge du 29 juin 2018) a été introduit par l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires », Patrick Genin et Anne Crepin, assistés et représentés par Me E. Plasschaert et Me E. Montens, avocats au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) B.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de l'article 2 du décret de la Région wallonne du 21 juin 2018 « visant à modifier l'article 57 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation en vue de supprimer la formule d'indexation de loyers applicable aux baux à résidence principale en cours au 1er avril 2016 » (ci-après : le décret du 21 juin 2018).
B.2. Il ressort de l'exposé des moyens que les parties requérantes critiquent la disposition attaquée exclusivement en ce qu'elle s'applique aussi aux baux en cours au 31 mars 2018, et non uniquement aux baux en cours au 1er avril 2016. La Cour limite dès lors l'examen du recours dans cette mesure.
B.3. Par son arrêt n° 32/2018 du 15 mars 2018, la Cour a annulé le décret de la Région wallonne du 3 mars 2016 « visant à réaliser un saut d'index des loyers » (ci-après : le décret du 3 mars 2016).
L'article unique de ce décret complétait l'article 6 du livre III, titre VIII, chapitre II, section 2 (« Des règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur »), du Code civil, inséré par la loi du 20 février 1991 « modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer », par un alinéa rédigé comme suit : « Pour les baux en cours au 1er avril 2016, la formule d'indexation des loyers est, jusqu'à l'échéance du contrat, la suivante : loyer de base multiplié par l'indice à la date anniversaire précédent et divisé par l'indice de départ ».
Cependant, la Cour a maintenu définitivement les effets du décret annulé jusqu'à la prochaine date anniversaire des baux qui suit le 31 mars 2018, pour les motifs suivants : « Quant au maintien des effets B.17. Afin d'éviter de créer une insécurité juridique ou des difficultés financières pour les locataires concernés par le saut d'index des loyers, il y a lieu, en application de l'article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de maintenir les effets des dispositions annulées ainsi qu'il est indiqué dans le dispositif.
Ce maintien des effets a pour conséquence que sont définitivement maintenus, jusqu'à la prochaine date anniversaire du bail qui suit le 31 mars 2018, les loyers fixés en application de la formule d'indexation résultant du décret attaqué, de sorte que les locataires concernés ne devront pas payer la différence entre le montant des loyers indexés conformément à la formule d'indexation non limitée par le décret attaqué et le montant des loyers indexés en application du décret attaqué.
Les locataires et bailleurs concernés par un bail en cours au 1er avril 2016 sont ainsi traités de manière égalitaire, dès lors que la formule d'indexation limitée par le décret attaqué a pu sortir ses effets à leur égard à la date anniversaire du bail, deux années consécutives. Les baux auxquels le décret attaqué a été appliqué et qui sont en cours au 31 mars 2018 se verront ainsi appliquer, à la prochaine date anniversaire du bail qui suit le 31 mars 2018, la formule d'indexation non limitée par le décret attaqué ».
B.4. Le jour même du prononcé de l'arrêt n° 32/2018 précité, le législateur décrétal a adopté le décret du 15 mars 2018 « relatif au bail d'habitation » (ci-après : le décret du 15 mars 2018), dont l'article 57, alinéa 4, reproduit la disposition de l'article unique du décret du 3 mars 2016 : « Pour les baux en cours au 1er avril 2016, la formule d'indexation des loyers est, jusqu'à l'échéance du contrat, la suivante : loyer de base multiplié par l'indice à la date anniversaire précédent et divisé par l'indice de départ ».
En vertu de son article 94, le décret du 15 mars 2018 est entré en vigueur le 1er septembre 2018.
B.5. En vue de déférer à l'arrêt n° 32/2018, le législateur décrétal a pris le décret du 21 juin 2018.
L'article 1er de ce décret abroge l'article 57, alinéa 4, du décret du 15 mars 2018.
L'article 2 du décret du 21 juin 2018, qui est la disposition attaquée, est libellé comme suit : « Dans le [décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation], l'article 91 est complété par un alinéa rédigé comme suit : ' Pour les baux en cours au 31 mars 2018, la formule d'indexation des loyers est jusqu'à leur prochaine date anniversaire qui suit la date du 31 mars 2018 : loyer de base multiplié par l'indice à la date anniversaire précédent et divisé par l'indice de départ ' ».
Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, cet article 2 vise à mettre en oeuvre le maintien des effets décidé par la Cour par son arrêt n° 32/2018 : « [La] Ministre des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives. - Comme certains d'entre vous l'ont souligné, nous avons voté le décret Bail le jour où la Cour constitutionnelle a prononcé son arrêt. C'est un peu un concours de circonstances. Le contexte dans lequel le Parlement propose cette proposition de décret, il faut trouver une solution suite à cet arrêt et, dans l'arrêt, effectivement, la Cour maintient toute une série de droits pour les locataires pendant la période litigieuse, entre 2016 et 2018. Cette non-rétroactivité du droit des bailleurs a fait l'objet de questions en commission.
Pour nous, nous pensons que le texte, en l'état, peut tenir la route, mais nous entendons aussi les préoccupations relayées notamment par le Réseau de lutte contre la pauvreté et, à l'examen de l'amendement déposé par [...], il y a eu travail - je remercie d'ailleurs l'ensemble des collègues députés - pour améliorer encore le texte et éviter tout vide juridique par rapport à cette préoccupation de non-rétroactivité. L'amendement ici déposé a effectivement fait l'objet d'un consensus par rapport à cela.
Maintenant, nous avons un texte juridiquement solide qui répond à l'arrêt de la Cour constitutionnelle » (Parlement wallon - C.R.I., n° 20 (2017-2018) - mercredi 20 juin 2018, p. 37).
Le décret du 21 juin 2018 est entré en vigueur le 9 juillet 2018.
B.6. Après l'introduction du recours présentement examiné, le législateur décrétal a adopté le décret du 2 mai 2019 « modifiant le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable et le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation » (ci-après : le décret du 2 mai 2019).
L'article 17 de ce décret dispose : « Dans l'article 91, alinéa 2, du [décret du 15 mars 2018 ' relatif au bail d'habitation '], modifié par le décret du 21 juin 2018 visant à modifier l'article 57 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation en vue de supprimer la formule d'indexation de loyers applicable aux baux à résidence principale en cours au 1er avril 2016, les mots ' Pour les baux en cours au 31 mars 2018 ' sont remplacés par les mots ' Pour les baux en cours au 1er avril 2016 ' ».
Les travaux préparatoires indiquent, au sujet de cette disposition : « Le décret du 3 mars 2016 visait à réaliser un saut d'index des loyers.
Ce décret a été annulé par l'arrêt n° 32/2018 de la Cour constitutionnelle du 15 mars 2018. La Cour constitutionnelle a toutefois décidé de maintenir les effets du décret annulé jusqu'à la prochaine date anniversaire des baux qui suit le 31 mars 2018. Seuls les baux en cours au 1er avril 2016 étant visés par le décret annulé, le maintien des effets de ce décret ne peut donc concerner que les baux conclus au 1er avril 2016, et non les baux conclus au 31 mars 2018.
En conséquence, il convient de modifier l'article 91, alinéa 2, du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d'habitation afin de ne viser que les baux conclus au 1er avril 2016 » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1313/1, p. 6).
Conformément à l'article 18 du décret du 2 mai 2019, l'article 17 produit ses effets le 1er septembre 2018, ce qui correspond à la date d'entrée en vigueur du décret du 15 mars 2018.
L'article 17 du décret du 2 mai 2019 n'a pas fait l'objet d'un recours en annulation dans le délai légal.
B.7. Dès lors que l'article 2, attaqué, du décret du 21 juin 2018 a été modifié avec effet rétroactif par l'article 17 du décret du 2 mai 2019, que, du fait de cette modification, il ne s'applique plus qu'aux baux en cours au 1er avril 2016, et que l'article 17 du décret du 2 mai 2019 n'a pas fait l'objet d'un recours en annulation dans le délai légal, le grief des parties requérantes a perdu son objet.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 juin 2020.
Le greffier, Le président, F. Meersschaut F. Daoût