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Arrêt
publié le 02 décembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 85/2020 du 18 juin 2020 Numéro du rôle : 7054 En cause : le recours en annulation du chapitre 1 er du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant les décrets des 12 f(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 85/2020 du 18 juin 2020 Numéro du rôle : 7054 En cause : le recours en annulation du chapitre 1er (articles 1er à 15) du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant les décrets des 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public, visant à renforcer la gouvernance et l'éthique au sein des organismes wallons », introduit par la SA « Investsud ». La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 novembre 2018 et parvenue au greffe le 21 novembre 2018, la SA « Investsud », assistée et représentée par Me P.-P. Hendrickx et Me V. Vanden Acker, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation du chapitre 1er (articles 1er à 15) du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant les décrets des 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public, visant à renforcer la gouvernance et l'éthique au sein des organismes wallons » (publié au Moniteur belge du 14 mai 2018). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à l'intérêt de la partie requérante B.1.1. La partie requérante demande l'annulation du chapitre Ier du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant les décrets des 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public, visant à renforcer la gouvernance et l'éthique au sein des organismes wallons » (ci-après : le décret attaqué). Les deux premiers moyens visent le chapitre Ier en question. Le troisième moyen vise l'article 9 du décret précité et le quatrième moyen vise l'article 2 du même décret.

B.1.2. Le décret attaqué « traduit [...] les recommandations formulées par le rapport de la Commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner la transparence et le fonctionnement du Groupe PUBLIFIN du 6 juillet 2017 » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1051/1, p. 3). L'exposé des motifs précise : « L'ensemble du dispositif qui est envisagé par le présent décret vise à améliorer les règles de bonne gouvernance, en apportant de la transparence dans la manière dont l'argent public est dépensé, en délimitant plus précisément le cadre juridique dans lequel le Gouvernement doit agir pour désigner ses représentants au sein des structures parapubliques wallonnes et en instaurant un véritable contrôle des personnes qui seront désignées pour administrer ces structures » (ibid., p. 7).

B.2.1. Le Gouvernement wallon considère que les deux premiers moyens sont irrecevables en ce qu'ils ne précisent pas les dispositions qui sont visées.

B.2.2. La Cour doit déterminer l'étendue du recours en annulation à partir du contenu de la requête et en particulier sur la base de l'exposé des moyens. La Cour limite dès lors son examen aux dispositions contre lesquelles des griefs sont exprimés.

B.2.3. Elle examine par ailleurs l'intérêt de la partie requérante au regard de chacune des dispositions visées.

Quant aux premier et deuxième moyens B.3.1. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 39 de la Constitution et de l'article 6, § 1er, VI, alinéas 1er, 3, 4, 3° et 5, 5°, et de l'article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, lus ou non en combinaison avec les principes de libre circulation consacrés par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et avec le principe de la liberté de commerce et d'industrie.

Le deuxième moyen est pris de la violation de l'article 39 de la Constitution, de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

B.3.2. La partie requérante fait principalement grief aux dispositions attaquées de rendre applicables, aux entreprises de droit privé dans lesquelles un des « organismes » visés par le premier paragraphe de l'article 3 du décret de la Région wallonne du 12 février 2004 « relatif au statut de l'administrateur public » (ci-après : le décret du 12 février 2004) détient une « participation qualifiée » au sens de l'article 2, 22°, du même décret, les ingérences dans le fonctionnement, la gestion et l'administration de ces entreprises prévues par le chapitre Ier de ce décret.

Il ressort de la formulation de ce grief que les moyens visent en premier lieu l'article 3, § 7, alinéa 1er, du décret du 12 février 2004, introduit par l'article 2, 2°, du décret attaqué. Cet article 3, § 7, du décret du 12 février 2004 dispose : « Les articles 1er à 16 inclus, 18, 18bis et 19 du présent décret sont applicables à tout administrateur public et à tout gestionnaire exerçant ses fonctions dans les entités dans lesquelles les organismes visés au paragraphe 1er détiennent directement ou indirectement une participation qualifiée.

Par dérogation à l'alinéa 1er, les articles 1er à 16, 18, 18bis et 19 ne sont pas applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires : 1° des entités dans lesquelles un organisme détient une participation à caractère temporaire, en ce compris une participation qualifiée, lorsqu'il détient cette participation, dans le but exclusif de l'aide à la création, au développement ou à la restructuration d'une entreprise au sens de l'article I.1, 1°, du Code de droit économique qui n'exploitent pas un service public et/ou auxquelles n'est délégué aucun attribut de puissance publique; 2° pour lesquels, sur demande écrite, préalable et motivée de l'entité considérée, une dérogation motivée a été accordée par arrêté de Gouvernement. Pour les entités dans lesquelles un organisme détient une participation qualifiée, une étude comparative de rémunérations sera réalisée préalablement au recrutement ou à toute modification de la rémunération des gestionnaires ».

B.4.1. L'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004, tel qu'il a été modifié en dernier lieu par l'article 2 du décret de la Région wallonne du 24 novembre 2016 « modifiant le décret du 12 février 2004 relatif au statut de l'administrateur public et le décret du 12 février 2004 relatif aux commissaires du Gouvernement et aux missions de contrôle des réviseurs au sein des organismes d'intérêt public », dispose : « Les articles 1er à 16 inclus, 18, 18bis et 19 sont applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires exerçant leurs fonctions dans les personnes morales suivantes : [...] 48° la Société wallonne de Financement et de Garantie des P.M.E. (SOWALFIN); [...] 51° Investsud; [...] ».

Cette disposition n'est pas modifiée par le décret attaqué.

B.4.2. La partie requérante, la société anonyme « Investsud », est donc mentionnée sur la liste figurant à l'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004, à l'origine en son point 23° et actuellement en son point 51°. Les articles 1er à 16 inclus, 18, 18bis et 19 du décret du 12 février 2004 sont donc directement applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires assumant des mandats ou fonctions en son sein en vertu de cette disposition, qui est antérieure au décret attaqué.

B.5.1. Les articles 1er à 16 inclus, 18, 18bis et 19 du décret du 12 février 2004 pourraient également être applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires assumant des mandats ou fonctions au sein de la société requérante en vertu de l'article 3, § 7, alinéa 1er, de ce décret, introduit par l'article 2, 2°, du décret attaqué, dès lors que la société requérante est détenue à concurrence de 26 % par la Société wallonne de financement et de garantie des PME (Sowalfin), qui est elle-même mentionnée sur la liste figurant à l'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004 précité, en son point 48°.

B.5.2. Toutefois, dès lors que la société requérante était déjà, préalablement aux dispositions attaquées, mentionnée sur la liste figurant à l'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004, l'entrée en vigueur de l'article 3, § 7, alinéa 1er, de ce décret, introduit par l'article 2, 2°, du décret attaqué, n'a eu aucune incidence sur sa situation.

B.5.3. Il résulte de ce qui précède que la partie requérante n'a pas intérêt à poursuivre l'annulation de l'article 3, § 7, alinéa 1er, du décret du 12 février 2004, introduit par l'article 2, 2°, du décret attaqué, puisque même en cas d'annulation de cette disposition, le décret du 12 février 2004 lui resterait entièrement applicable en vertu de son article 3, § 1er, 51°. La circonstance que la partie requérante a demandé à plusieurs reprises aux autorités régionales d'être omise de cette liste ne lui procure pas un intérêt à poursuivre l'annulation de l'article 2, 2°, du décret attaqué, dès lors que rien n'indique que le législateur décrétal ait l'intention d'opérer un retrait de la société requérante de la liste des organismes visés. Au surplus, il ne revient pas à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si c'est à bon droit que la société requérante figure sur cette liste.

B.6.1. La partie requérante a en revanche intérêt à poursuivre l'annulation des dispositions, introduites par le décret attaqué, qui imposent de nouvelles obligations ou interdictions aux administrateurs publics et aux gestionnaires qui exercent leur mandat ou fonction en son sein.

B.6.2. Au sujet de ces obligations ou interdictions, il ressort de la requête que la partie requérante fait grief au décret attaqué de prévoir des ingérences dans le fonctionnement, la gestion et l'administration des entreprises commerciales soumises au décret, en violation de la compétence réservée au législateur fédéral par l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles en matière d'organisation de l'économie et par l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la même loi spéciale en matière de droit des sociétés.

B.6.3. La partie requérante reproche aux dispositions attaquées de créer des pouvoirs exorbitants pour l'actionnaire public en termes de nomination, de rémunération et de révocation des administrateurs ou de certains d'entre eux, d'obliger les sociétés visées à créer un « bureau exécutif », un « comité de rémunération » et un « comité d'audit » au sein de leur conseil d'administration, d'interdire aux administrateurs publics et aux gestionnaires d'exercer leur mandat ou fonction par le biais d'une personne morale, d'imposer des limitations aux pouvoirs du conseil d'administration quant à la nomination et à la rémunération des personnes chargées de la gestion journalière et quant à la rémunération des autres membres du personnel de la société, d'imposer des obligations de reporting nominatif (communication financière) sur les mandats et les rémunérations des administrateurs publics et des gestionnaires, ainsi que sur la composition de ses organes, d'imposer aux administrateurs publics et aux gestionnaires de déposer une déclaration annuelle relatives à leurs mandats et rémunérations auprès de la Région wallonne, de créer un pouvoir permettant à l'organe de contrôle de sanctionner les décisions de la société quant à la nomination ou à la rémunération de ses administrateurs publics ou de ses gestionnaires et de créer un recours au Conseil d'Etat contre certaines décisions relatives aux administrateurs publics prises par l'assemblée générale.

B.6.4. Le Conseil des ministres fait également grief au décret attaqué de comporter des immixtions excessives et injustifiées dans le fonctionnement des entreprises privées dans lesquelles les autorités wallonnes prennent des participations, en ce qui concerne la composition du bureau exécutif, l'obligation de constituer un comité d'audit et un comité de rémunération, l'obligation de reporting incombant à la personne chargée de la gestion journalière et l'interdiction de confier la gestion journalière à une personne morale.

B.7.1. En ce qui concerne la nomination, la rémunération et la révocation des administrateurs, il ressort de la requête que les griefs visent les dispositions suivantes : - l'article 8, § 2, du décret du 12 février 2004, remplacé par l'article 4 du décret attaqué, qui prévoit des incompatibilités entre le mandat de président, de vice-président ou l'exercice de fonctions spéciales au sein d'un organisme et la qualité de membre du cabinet du ministre du Gouvernement dont l'organisme relève ou du cabinet du ministre-président et des vices-présidents du Gouvernement; - l'article 15bis, §§ 1er à 3, du décret du 12 février 2004, remplacé par l'article 12, 1°, du décret attaqué, qui fixe des règles relatives à la rémunération de l'administrateur public et du gestionnaire; - les articles 15/4 et 15/5 du décret du 12 février 2004, insérés par les articles 9 et 10 du décret attaqué, qui prévoient les cas dans lesquels l'autorité qui a confié les mandats publics peut révoquer ces mandats, qui établissent la procédure à cette fin et qui interdisent de désigner à nouveau à ce mandat pendant une durée de deux ans la personne dont le mandat public a été révoqué.

B.7.2. En ce qui concerne l'obligation de constituer un bureau exécutif, un comité d'audit et un comité de rémunération, les griefs visent les dispositions suivantes : - le nouvel alinéa de l'article 2 du décret du 12 février 2004, inséré par l'article 1er, e), du décret attaqué, qui impose aux sociétés visées de créer en leur sein un « bureau exécutif »; - l'article 15quater du décret du 12 février 2004, inséré par l'article 15 du décret attaqué, qui impose aux sociétés visées de créer un « comité d'audit ».

Les dispositions relatives au comité de rémunération, citées par la partie requérante et par le Conseil des ministres, sont préexistantes au décret attaqué et ne sont pas modifiées par celui-ci, de sorte qu'en ce qu'ils visent ce comité, les premier et deuxième moyens sont irrecevables.

B.7.3. En ce qui concerne la nature de la personne exerçant un mandat d'administrateur public ou une fonction de gestionnaire, les griefs visent l'article 3, § 6, alinéa 2, du décret du 12 février 2004, tel qu'il est remplacé par l'article 2 du décret attaqué, qui interdit que le gestionnaire et l'administrateur public soient des personnes morales.

B.7.4. Enfin, en ce qui concerne les obligations de reporting, les griefs visent les articles 15, 15/1, 15/2 et 15/3 du décret du 12 février 2004, introduits par les articles 5 à 8 du décret attaqué, et l'article 15/6 du décret du 12 février 2004, introduit par l'article 11 du décret attaqué, qui organisent ces obligations et sanctionnent leur non-respect.

B.8.1. L'article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose : « Dans les matières qui relèvent de leurs compétences, les Communautés et les Régions peuvent créer des services décentralisés, des établissements et des entreprises, ou prendre des participations en capital.

Le décret peut accorder aux organismes précités la personnalité juridique et leur permettre de prendre des participations en capital.

Le décret en règle la création, la composition, la compétence, le fonctionnement et le contrôle ».

B.8.2. Il en résulte que les régions peuvent, dans les matières qui leur ont été attribuées, prendre des participations en capital, notamment dans des sociétés privées. Toutefois, lorsqu'elles réglementent l'exercice des mandats qui sont attachés à la prise de capital dans ces sociétés, il n'est pas permis aux régions, sauf recours à l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, de déroger de manière générale au droit commercial et au droit des sociétés qui relèvent, en vertu de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de cette même loi spéciale, de la compétence exclusive de l'autorité fédérale.

B.8.3. Dans le cadre du présent recours, la Cour n'a pas à examiner si les activités des organismes énumérés ou désignés par l'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004 et dans lesquels la Région wallonne a pris, directement ou indirectement, des participations en capital relèvent des compétences attribuées à cette Région.

Ainsi qu'il se déduit de ce qui est dit en B.5.3, il ne revient pas non plus à la Cour, dans le cadre du présent recours, d'examiner l'extension du champ d'application personnel du décret du 12 février 2004 réalisé par l'article 2, 2°, du décret attaqué.

Elle n'a donc pas non plus à examiner la question de savoir s'il est nécessaire que les sociétés concernées par les règles applicables aux administrateurs publics et aux gestionnaires se soient vu confier une mission de service public, dès lors que la soumission de la SA « Investsud » aux dispositions du décret du 12 février 2004 est antérieure au décret attaqué.

B.9.1. Les dispositions citées en B.7 sont susceptibles d'avoir une incidence sur les règles qui régissent le fonctionnement des entités auxquelles elles sont applicables et elles peuvent donc représenter un empiétement sur les compétences de l'autorité fédérale en matière de droit des sociétés, dès lors que certaines de ces entités, comme c'est le cas de la partie requérante, ont adopté la forme d'une société commerciale.

B.9.2. La Cour doit encore examiner si les conditions d'application de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles sont remplies.

Cette disposition autorise notamment la Région wallonne à prendre des dispositions décrétales réglant une matière fédérale, pour autant que ces dispositions soient nécessaires à l'exercice de ses compétences, que cette matière se prête à un règlement différencié et que leur incidence sur la matière fédérale ne soit que marginale.

B.9.3. Prenant connaissance de certaines situations qu'il a considérées comme étant incompatibles avec les règles de bonne gouvernance et de transparence qu'il estimait essentielles au sein des organismes et entités visés, le législateur décrétal a pu considérer qu'il était nécessaire de prendre les dispositions attaquées, en vue de renforcer la bonne gouvernance et la transparence au sein des organismes ou entités contrôlés par la Région wallonne ou dans lesquels celle-ci a pris une participation en capital.

B.9.4. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, les dispositions attaquées n'ont pas pour effet d'octroyer des pouvoirs exorbitants aux autorités régionales en ce qui concerne la nomination ou la révocation des administrateurs, puisque ces autorités ne peuvent désigner des administrateurs qu'en vertu de la loi applicable à l'entité, de ses statuts ou d'une convention. Par ailleurs, les dispositions attaquées ne visent que les administrateurs publics et les gestionnaires désignés par l'autorité régionale ou par une personne morale qui en dépend et elles n'ont pas vocation à régler le fonctionnement des entités visées. Elles n'ont pas pour effet de décharger les organes des sociétés commerciales concernées de leur responsabilité et de leurs compétences ou de les autoriser ou de les contraindre à déroger aux dispositions fédérales du droit des sociétés. La matière réglée par les dispositions attaquées se prête dès lors à un règlement différencié.

B.9.5. Enfin, les dispositions attaquées ne s'appliquent qu'aux administrateurs publics et aux gestionnaires des sociétés visées à l'article 3 du décret du 12 février 2004, de sorte que leur incidence sur la matière du droit des sociétés est marginale, eu égard au nombre de personnes morales de droit privé soumises au droit des sociétés.

B.10. Au surplus, la partie requérante n'expose pas en quoi les dispositions qu'elle attaque représenteraient « autant de restrictions aux libertés fondamentales du Traité [sur le fonctionnement de l'Union européenne] au sens où l'entend la Cour de Justice ». En ce que la partie requérante renvoie à l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 6 décembre 2007, il y a lieu de relever que les dispositions attaquées ne permettent pas « aux actionnaires publics de bénéficier de la possibilité de participer à l'activité du conseil d'administration d'une société par actions de manière plus importante que leur qualité d'actionnaires ne le leur permettrait normalement » (CJCE, 6 décembre 2007, C-463/04 et C-464/04, Federconsumatori et autres c. Comune di Milano, point 23). En effet, les actions détenues par la personne morale de droit public n'ont pas une valeur supérieure, en termes de pouvoir de décision ou de contrôle au sein des organes de la société, à celles qui sont détenues par les autres actionnaires.

B.11. Les premier et deuxième moyens ne sont pas fondés.

Quant au troisième moyen B.12.1. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation, par l'article 9 du décret attaqué, des règles répartitrices de compétences entre l'Etat fédéral et les régions, de l'article 160 de la Constitution et de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

B.12.2. L'article 9 du décret attaqué insère dans le décret du 12 février 2004 un article 15/4 qui prévoit la possibilité, dans certaines hypothèses énumérées dans le premier paragraphe de cette disposition, pour l'autorité qui a confié des mandats publics, de les révoquer. Il ressort de la requête que le moyen vise le dernier alinéa du deuxième paragraphe de cette disposition, qui prévoit : « Un recours, fondé sur l'article 16 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, est ouvert contre cette décision. Il est introduit dans les quinze jours de sa notification ».

B.13.1. La partie requérante fait grief au législateur décrétal d'avoir, par cette disposition, fondamentalement modifié les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat), « dans la mesure où il ouvre un recours contre une décision qui n'est pas celle d'une autorité administrative ». Il ressort de l'exposé du moyen que la partie requérante estime que l'article 9 du décret attaqué « ouvre, à l'administrateur révoqué, un recours au Conseil d'Etat contre la décision d'une entreprise commerciale privée », à savoir la société au sein de laquelle l'administrateur public exerce le mandat qui lui a été confié par l'autorité publique.

B.13.2. La disposition attaquée précise que « l'autorité qui a confié des mandats publics » peut décider de révoquer ces mandats et qu'un recours au Conseil d'Etat est ouvert « contre cette décision ». Il en résulte que la décision visée par la disposition attaquée, décision contre laquelle un recours est ouvert au Conseil d'Etat, n'est pas une décision prise par l'assemblée générale ou par un autre organe de la société au sein de laquelle l'administrateur public exerce son mandat, mais par l'autorité publique qui a désigné cet administrateur pour la représenter au sein du conseil d'administration et qui l'a proposé à l'assemblée générale des actionnaires. Cette décision ne se confond pas avec les décisions prises par les organes de la société relativement à la nomination ou à la révocation des administrateurs, décisions qui peuvent être contestées devant le juge compétent.

B.13.3. Le troisième moyen n'est pas fondé.

B.14.1. Le Conseil des ministres fait quant à lui grief à la disposition attaquée de prévoir que le recours ouvert contre la décision de révocation est fondé sur l'article 16 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et qu'il doit être introduit dans les quinze jours, en dérogation au droit commun relatif à la compétence du Conseil d'Etat et à la procédure devant cette juridiction. Ce faisant, le Conseil des ministres prend un moyen nouveau, ce qu'il est autorisé à faire en application de l'article 85, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

B.14.2. A la suite de l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat invitant à justifier cette dérogation au droit commun (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1051/1, p. 38), les travaux préparatoires indiquent que le régime critiqué avait été élaboré en recherchant une cohérence avec le régime similaire applicable aux mandataires locaux organisé par le Code de la démocratie locale et de la décentralisation. Il en résulte que « l'ensemble des dispositions liées au contrôle sont en conséquence rédigées pour permettre le recours à une procédure unique et harmonisée par le même organe de contrôle » (ibid., p. 7).

B.14.3. En décidant que le recours introduit au Conseil d'Etat contre la décision de révocation de l'administrateur public ou du gestionnaire prise par l'autorité qui lui avait confié le mandat est fondé sur l'article 16 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et qu'il doit être introduit dans un délai de quinze jours, le législateur décrétal empiète sur la compétence réservée au législateur fédéral par l'article 160 de la Constitution. La Cour doit vérifier si cet empiétement de compétence peut être justifié sur la base de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

B.14.4. Pour des raisons de cohérence avec d'autres dispositions décrétales, mais également au motif qu'il considérait que la période d'incertitude créée par l'introduction du recours devait être la plus courte possible, dans l'intérêt des personnes concernées, de l'organisme au sein duquel le mandat ou la fonction était exercé ainsi que de l'autorité ayant confié le mandat ou la fonction, le législateur décrétal a pu juger nécessaire de déroger au droit commun du recours au Conseil d'Etat en décidant que le recours visé est introduit sur le fondement de l'article 16 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat dans les quinze jours de la notification de la décision.

B.14.5. La disposition attaquée ne concerne qu'un nombre limité de recours, de sorte que son incidence est marginale. Elle ne modifie pas la procédure devant la haute juridiction administrative mais se limite à assigner les recours contre certaines décisions prises en application de la législation décrétale au contentieux de pleine juridiction plutôt qu'au contentieux de l'annulation. La matière ressortissant à la compétence fédérale, ainsi limitée, se prête dès lors à un règlement différencié.

B.14.6. Le moyen nouveau pris par le Conseil des ministres n'est pas fondé.

Quant au quatrième moyen B.15. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 39 de la Constitution, avec l'article 6, § 1er, VI, alinéas 1er, 3, 4, 3° et 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, avec l'article 22 de la Constitution, avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe de la sécurité juridique.

B.16.1. Par la première branche, la partie requérante fait grief au législateur décrétal d'établir une discrimination entre les entreprises commerciales selon que la Région wallonne ou une autre personne morale de droit public détient ou non en leur sein une « participation qualifiée ». Ce grief semble dès lors être dirigé contre l'article 3, § 7, alinéa 1er, du décret du 12 février 2004, tel qu'il a été introduit par l'article 2, 2°, du décret attaqué.

B.16.2. Comme il est dit en B.5.3, la partie requérante n'a pas intérêt à poursuivre l'annulation de cette disposition. Le quatrième moyen, en sa première branche, est irrecevable.

B.17.1. Par la deuxième branche, la partie requérante fait grief à l'article 3, § 7, alinéa 2, du décret du 12 février 2004, cité en B.3.2, introduit par l'article 2, 2°, du décret attaqué, de ne prévoir des possibilités de dérogation que pour les administrateurs publics et les gestionnaires auxquels les articles 1er à 16 inclus, 18, 18bis et 19 du décret du 12 février 2004 s'appliquent en vertu de l'article 3, § 7, du même décret et non pour ceux auxquels ces dispositions s'appliquent en vertu de l'article 3, § 1er, de ce décret.

B.17.2. La différence de traitement critiquée par cette branche du moyen repose sur un critère pertinent, dès lors que le champ d'application ratione personae des dispositions du décret est défini, dans un cas, par l'énumération d'organismes pour lesquels le législateur décrétal décide que ces dispositions doivent être applicables alors que, dans l'autre cas, ce champ d'application est défini de manière abstraite, de sorte que le législateur décrétal ne pouvait raisonnablement déterminer de manière définitive si des exceptions devaient être prévues pour certaines entités.

Pour le surplus, il ne revient pas à la Cour, dans le cadre du présent recours, de se prononcer sur la pertinence de l'inscription ou du maintien de certains organismes dans la liste figurant à l'article 3, § 1er, du décret du 12 février 2004.

B.18.1. Par la troisième branche, la partie requérante dénonce une discrimination entre les entreprises commerciales de droit privé au regard du droit au respect de la vie privée, en ce que le chapitre Ier du décret du 12 février 2004 oblige les administrateurs publics et les personnes chargées de la gestion journalière au sein des entreprises commerciales de droit privé à déclarer leurs mandats et rémunérations auprès de l'organe de contrôle qui en fait une publicité nominative et que ce chapitre oblige également les entreprises commerciales de droit privé concernées à transmettre aux autorités régionales un rapport nominatif sur la rémunération des administrateurs publics et des personnes chargées de la gestion journalière ainsi que la liste de toutes les personnes disposant d'un mandat ou d'une fonction dans leurs organes ou ceux de leurs filiales. Ce moyen, en cette branche, semble viser les articles 15, 15/1, 15/2, 15/3 et 15/6 du décret du 12 février 2004, modifié ou introduits par les articles 5 à 8 et 11 du décret attaqué.

B.18.2. Le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est garanti par les articles 22 de la Constitution et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, a pour but essentiel de protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée.

Ce droit a une portée étendue et comprend entre autres la protection des données à caractère personnel et des informations personnelles.

B.18.3. Les droits que garantissent l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont toutefois pas absolus.

Ils n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée, mais exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle réponde à un besoin social impérieux dans une société démocratique et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive, pour l'autorité publique, de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays Bas, § 31; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78).

La marge d'appréciation n'est toutefois pas illimitée : pour qu'une réglementation légale soit compatible avec le droit au respect de la vie privée, le législateur doit ménager un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause.

B.18.4. Prenant connaissance de certaines situations qu'il a considérées comme étant incompatibles avec les règles de bonne gouvernance et de transparence qu'il estimait essentielles au sein des organismes et entités visés, le législateur décrétal a pu juger qu'il était nécessaire de prendre les dispositions attaquées afin de garantir la transparence quant à l'exercice des mandats et fonctions, même au sein de sociétés commerciales privées. Pour le surplus, la partie requérante ne démontre pas en quoi les dispositions qu'elle vise entraîneraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des personnes concernées.

B.19. Le quatrième moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 juin 2020.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût

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