publié le 10 novembre 2020
Extrait de l'arrêt n° 76/2020 du 28 mai 2020 Numéro du rôle : 7196 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 41 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel d'Anvers. La Cour constitutionnelle, comp après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procéd(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 76/2020 du 28 mai 2020 Numéro du rôle : 7196 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 41 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel d'Anvers.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul, J. Moerman et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 28 mai 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 5 juin 2019, la Cour d'appel d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « Le principe d'égalité, tel qu'il est garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, est-il violé si l'article 41 du CIR 1992 est interprété en ce sens qu'un commerçant personne physique qui tient une comptabilité simplifiée n'est pas imposé sur la plus-value portant sur des terrains qu'il utilise à des fins professionnelles, mais sur lesquels il n'a pas comptabilisé de réduction de valeur, alors qu'un contribuable qui tient une comptabilité en partie double est imposé sur cette plus-value parce qu'il doit inscrire ce terrain à l'actif du bilan, même s'il n'a pas comptabilisé de réduction de valeur sur ces terrains ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 41 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992), qui dispose : « Pour l'application des articles 24, alinéa 1er, 2°, 27, alinéa 2, 3° et 28, sont considérées comme affectées à l'exercice de l'activité professionnelle : 1° les immobilisations acquises ou constituées dans le cadre de cette activité professionnelle et figurant parmi les éléments de l'actif;2° les immobilisations ou la partie de celles-ci en raison desquelles des amortissements ou des réductions de valeurs sont admis fiscalement;3° les immobilisations incorporelles constituées pendant l'exercice de l'activité professionnelle et qui figurent ou non parmi les éléments de l'actif ». B.2. Il est demandé à la Cour si l'article 41, 1° et 2°, du CIR 1992 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle un commerçant personne physique qui tient une comptabilité simplifiée n'est pas imposable sur la plus-value portant sur des terrains qu'il utilise à des fins professionnelles et sur lesquels il n'a pas comptabilisé de réduction de valeur, alors qu'un contribuable qui tient une comptabilité en partie double est imposable sur cette plus-value parce qu'il doit inscrire ces terrains à l'actif du bilan, même s'il n'a pas comptabilisé de réduction de valeur sur ceux-ci.
B.3. Selon l'article 23 du CIR 1992, les revenus professionnels sont des revenus imposables. Les revenus professionnels sont les revenus qui proviennent, directement ou indirectement, d'activités de toute nature, et comprennent notamment les bénéfices (article 23, § 1er, 1°, du CIR 1992).
Selon l'article 24, alinéa 1er, 2°, du CIR 1992, les bénéfices des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles quelconques sont ceux qui proviennent notamment de « tout accroissement de la valeur des éléments d'actif affectés à l'exercice de l'activité professionnelle et de tout amoindrissement de la valeur des éléments du passif résultant de cette activité, lorsque ces plus-values ou moins-values ont été réalisées ou exprimées dans la comptabilité ou les comptes annuels ».
L'article 41 du CIR 1992 - la disposition en cause - définit les éléments de l'actif qui doivent être considérés comme affectés à l'exercice de l'activité professionnelle.
Selon l'article 43 du CIR 1992, la plus-value réalisée est égale à la différence positive entre, d'une part, l'indemnité perçue ou la valeur de réalisation du bien diminuée des frais de réalisation et, d'autre part, sa valeur d'acquisition ou d'investissement diminuée des réductions de valeur et amortissements admis antérieurement.
B.4.1. La disposition en cause trouve son origine dans l'article 32quinquies, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1964, tel qu'il a été inséré par l'article 258 de la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer « portant des dispositions fiscales ».
Les travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer mentionnent : « Le principe existant selon lequel les plus-values constituent des revenus imposables est complété par une définition de celles-ci; cette définition ressortait jusqu'à présent de l'interprétation administrative; elle est désormais clairement inscrite dans la loi » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 806/3, p. 65).
B.4.2. Il apparaît que, par la disposition en cause, le législateur a entendu, dans le cadre des revenus imposables qui proviennent d'accroissements de valeur, fixer des critères sur la base desquels les éléments de l'actif qui doivent être considérés comme affectés à l'exercice de l'activité professionnelle peuvent être déterminés, critères qui sont notamment importants lorsqu'un bien immobilier est utilisé en partie à des fins privées et en partie à des fins professionnelles.
B.4.3. Il ressort de la décision de renvoi que le juge a quo part de l'hypothèse que les critères contenus dans l'article 41 du CIR 1992 ont un caractère exhaustif. La Cour répond à la question préjudicielle dans cette interprétation.
B.5. En ce qui concerne les immobilisations, le législateur a prévu deux critères sur la base desquels il peut être déterminé si ces éléments de l'actif doivent être considérés comme affectés à l'exercice de l'activité professionnelle. Le premier critère est contenu dans l'article 41, 1°, du CIR 1992 et porte sur la comptabilisation des éléments de l'actif acquis ou constitués dans le cadre de cette activité. Le second critère est contenu dans l'article 41, 2°, du CIR 1992 et concerne l'admission d'amortissements ou de réductions de valeur portant sur des immobilisations ou sur une partie de celles-ci.
B.6.1. Selon l'article 5 de la loi du 17 juillet 1975Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/07/1975 pub. 30/06/2010 numac 2010000387 source service public federal interieur Loi relative à la comptabilité des entreprises fermer « relative à la comptabilité des entreprises », tel qu'il était applicable à l'époque des faits sur lesquels le juge a quo doit se prononcer, abrogé dans l'intervalle par la loi du 17 juillet 2013 « portant insertion du Livre III ' Liberté d'établissement, de prestation de service et obligations générales des entreprises ', dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre III et des dispositions d'application de la loi propres au livre III dans les livres I et XV du Code de droit économique », les commerçants personnes physiques dont le chiffre d'affaires du dernier exercice comptable, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée, n'excède pas un montant fixé par le Roi, ne doivent pas tenir leur comptabilité selon les prescriptions des articles 3 et 4 de cette loi, qui portent sur la comptabilité en partie double, à condition de tenir sans retard, de manière fidèle et complète et par ordre de dates au moins trois journaux (la comptabilité dite simplifiée).
B.6.2. Contrairement aux personnes qui tiennent une comptabilité en partie double, les commerçants personnes physiques qui tiennent une comptabilité simplifiée conformément à la législation applicable ne doivent pas comptabiliser parmi les éléments de l'actif les immobilisations acquises ou constituées dans le cadre de l'activité professionnelle.
B.7.1. Vu que les immobilisations acquises ou constituées dans le cadre d'une activité professionnelle et figurant parmi les éléments de l'actif doivent, en vertu de l'article 41, 1°, du CIR 1992, être considérées comme affectées à l'exercice de l'activité professionnelle, le contribuable qui tient une comptabilité en partie double est imposable sur la plus-value réalisée sur une parcelle de terrain, même s'il n'a pas comptabilisé de réduction de valeur sur ce terrain.
B.7.2. Etant donné que les contribuables qui tiennent une comptabilité simplifiée ne doivent pas comptabiliser parmi les éléments de l'actif les immobilisations acquises ou constituées dans le cadre de l'activité professionnelle, cet actif ne peut, en vertu de l'article 41, 1°, du CIR 1992, être considéré comme affecté à l'exercice de l'activité professionnelle. En revanche, cet actif peut, en vertu de l'article 41, 2°, du CIR 1992, être considéré comme affecté à l'exercice de l'activité professionnelle, si ce n'est que cette qualification requiert qu'il s'agisse d'immobilisations ou d'une partie de celles-ci pour lesquelles des amortissements ou des réductions de valeur ont été admis fiscalement.
B.7.3. Selon l'article 45 de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 « portant exécution du code des sociétés », abrogé dans l'intervalle par l'arrêté royal du 29 avril 2019 « portant exécution du Code des sociétés et des associations », qui prévoit une disposition analogue, les amortissements portent sur des immobilisations dont l'utilisation est limitée dans le temps, alors que les réductions de valeur portent sur des immobilisations dont l'utilisation est illimitée dans le temps. Eu égard à l'utilisation limitée dans le temps, les bâtiments peuvent faire l'objet d'amortissements. En raison de leur utilisation illimitée dans le temps, les terrains peuvent faire l'objet de réductions de valeur.
B.8.1. Par un arrêt du 21 juin 2018, la Cour de cassation a jugé : « 2. Lorsqu'un contribuable tient une comptabilité simplifiée, dans le cadre de laquelle il n'applique que des amortissements et ne procède à aucune réduction de valeur, il y a lieu de considérer que le terrain, qui peut faire l'objet d'une réduction de valeur mais pas d'un amortissement, n'est pas un élément d'actif affecté à l'exercice de l'activité professionnelle. La plus-value imposable ne peut dès lors être déterminée qu'en ventilant le prix de vente entre le terrain et le bâtiment. 3. Les juges d'appel qui décident que le terrain et le bâtiment forment un tout indissociable et que c'est la plus-value réalisée sur l'ensemble de cet actif qui est soumise à l'impôt, que le fait que les amortissements aient été calculés sur une partie du bâtiment n'empêche pas qu'il s'agisse d'amortissements sur l'ensemble du bien immobilier, et qui déterminent ensuite la plus-value fiscale de la partie professionnelle en multipliant la plus-value du terrain et du bâtiment par la valeur d'acquisition de la partie professionnelle du bâtiment divisée par la valeur d'acquisition de l'ensemble du bâtiment, et qui rejettent ainsi le point de vue des demandeurs selon lequel seule la plus-value sur les immobilisations ou les parties de celles-ci ayant effectivement fait l'objet d'un amortissement ou d'une réduction de valeur est imposable, ce qui n'est pas le cas de la plus-value sur le terrain, ne justifient pas leur décision en droit » (Cass., 21 juin 2018, F.16.0028.N).
B.8.2. L'arrêt de la Cour de cassation précité a pour effet que, lorsqu'un contribuable qui tient une comptabilité simplifiée, n'appliquant que des amortissements et non des réductions de valeur, réalise une plus-value par suite de la vente d'une parcelle de terrain et d'un bâtiment érigé sur celle-ci, cette plus-value ne peut être considérée comme un revenu imposable que dans la mesure où elle concerne le bâtiment. La plus-value réalisée sur le terrain ne peut donc, du fait de la non-admission de réductions de valeur sur ce terrain, être considérée comme un revenu imposable.
B.9. Il résulte de ce qui précède que la disposition en cause fait naître une différence de traitement entre les contribuables, selon qu'ils tiennent une comptabilité simplifiée ou une comptabilité en partie double, en ce qui concerne l'impôt sur la plus-value portant sur des terrains qui, indépendamment de leur qualification en droit fiscal, sont affectés, dans les faits, à l'exercice de l'activité professionnelle, et qui n'ont pas fait l'objet de réductions de valeur.
B.10. Contrairement à ce que fait valoir la partie demanderesse devant le juge a quo, les deux catégories de contribuables se trouvent, eu égard à la mesure en cause, dans des situations suffisamment comparables. Les deux catégories de contribuables ont en effet réalisé une plus-value sur des terrains que ceux-ci affectent, dans les faits, à l'exercice de l'activité professionnelle.
B.11. La différence de traitement mentionnée en B.9 repose sur un critère objectif, plus précisément sur la nature de la comptabilité que tiennent les contribuables concernés conformément aux règles légales en vigueur en la matière.
B.12. Lorsqu'il détermine sa politique en matière fiscale, le législateur dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu. Tel est notamment le cas lorsqu'il détermine la base imposable et les redevables des impôts qu'il prévoit. Dans cette matière, la Cour ne peut censurer les choix politiques du législateur et les motifs qui les fondent que s'ils reposent sur une erreur manifeste ou sont manifestement déraisonnables.
B.13.1. Comme il est dit en B.4.2, par la disposition en cause, le législateur a entendu, dans le cadre des revenus imposables qui proviennent d'accroissements de valeur, fixer des critères sur la base desquels les éléments de l'actif qui doivent être considérés comme affectés à l'exercice de l'activité professionnelle peuvent être déterminés.
Cet objectif tient à pallier l'insécurité juridique qui s'était installée avant l'intervention du législateur quant à la question de savoir quels éléments de l'actif peuvent être considérés comme investis dans une entreprise. Par un arrêt du 13 décembre 1956, la Cour de cassation avait défini les éléments de l'actif investis dans une entreprise comme étant ceux qui sont à la fois affectés à des fins professionnelles et soumis à tous les risques de l'entreprise par le fait de leur propriétaire ou de son consentement (Cass., 13 décembre 1956, Pas., 1957, p. 388). L'interprétation à donner au critère, contenu dans cette définition, des éléments de l'actif soumis aux risques de l'entreprise divisait la doctrine, les uns interprétant ce critère sur la base de la mesure dans laquelle le bien était intégré dans l'entreprise, les autres estimant qu'il fallait toujours qu'il y ait un élément intentionnel de la part du contribuable, en particulier l'intention de comptabiliser dans le résultat de son entreprise toutes les fluctuations de la valeur de l'actif.
B.13.2. Lorsqu'il a adopté l'article 32quinquies, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1964, mentionné en B.4.1, et également lorsqu'il a adopté la disposition en cause, le législateur a suivi le second courant doctrinal. En effet, les immobilisations ne sont considérées comme affectées à l'exercice de l'activité professionnelle que lorsque, par le fait du contribuable même, elles sont comptabilisées parmi les éléments de l'actif ou qu'elles ont fait l'objet d'amortissements ou de réductions de valeur.
B.14.1. Eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur, il n'est pas manifestement déraisonnable qu'un commerçant personne physique qui tient une comptabilité simplifiée ne soit pas imposable sur la plus-value portant sur des terrains qu'il affecte à l'exercice de son activité professionnelle, lorsqu'aucune réduction de valeur n'a été admise sur ces terrains. Du fait de la non-admission de réductions de valeur sur ces terrains, il convient en effet de partir du principe que le contribuable n'a pas eu l'intention de comptabiliser dans le résultat d'exploitation les fluctuations de la valeur des terrains.
S'il fallait partir de l'hypothèse qu'un bâtiment et le terrain sur lequel ce bâtiment est érigé constituent un ensemble et que la plus-value portant sur cet ensemble est imposable lorsque le contribuable a appliqué des amortissements sur le bâtiment, mais n'a pas appliqué de réductions de valeur sur les terrains, l'article 41, 2°, du CIR 1992 ferait naître une différence de traitement injustifiée entre les contribuables qui tiennent une comptabilité simplifiée, selon qu'ils réalisent une plus-value sur un bien immobilier non bâti ou sur un bien immobilier bâti, qu'ils affectent, partiellement ou non, à l'exercice de leurs activités professionnelles. En effet, la plus-value réalisée sur le terrain serait imposable lorsqu'il s'agit d'un bien immobilier bâti, alors qu'elle ne le serait pas lorsqu'il s'agit d'un bien immobilier non bâti.
B.14.2. Pour un contribuable qui tient une comptabilité en partie double et qui décide de comptabiliser des immobilisations parmi les éléments de l'actif, il convient de partir de l'hypothèse que celui-ci a effectivement eu l'intention de comptabiliser les fluctuations de la valeur des terrains dans le résultat d'exploitation.
B.15. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 41, 1° et 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 mai 2020.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen