publié le 23 septembre 2020
Extrait de l'arrêt n° 74/2020 du 28 mai 2020 Numéro du rôle : 7130 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1 er , alinéa 1 er , 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerm(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 74/2020 du 28 mai 2020 Numéro du rôle : 7130 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, R. Leysen, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 243.695 du 15 février 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 février 2019, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, en tant qu'il exclut les recours formés contre les décisions de la Commission de protection de la vie privée autres que celles relatives aux marchés publics et aux membres de son personnel, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il prive, par-là , les destinataires de ces décisions du droit d'en solliciter l'annulation devant le Conseil d'Etat, alors que les destinataires des décisions des autorités visées à l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, peuvent introduire auprès de celui-ci un recours contre les décisions de ces autorités administratives ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, tel qu'il a été inséré par la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer « modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire », puis modifié successivement par la loi du 15 mai 2007 « modifiant l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 » et par la loi du 20 janvier 2014 « portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil d'Etat », dispose : « Si le contentieux n'est pas attribué par la loi à une autre juridiction, la section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements : 1° des diverses autorités administratives;2° des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour constitutionnelle, du Conseil d'Etat et des juridictions administratives ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice, relatifs aux marchés publics, aux membres de leur personnel, ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire. Les irrégularités visées à l'alinéa 1er ne donnent lieu à une annulation que si elles ont été susceptibles d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise, ont privé les intéressés d'une garantie ou ont pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.
L'article 159 de la Constitution s'applique également aux actes et règlements visés à l'alinéa 1er, 2° ».
B.1.2. L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, a connu de nombreuses modifications, en conséquence notamment de plusieurs arrêts rendus par la Cour (arrêts nos 33/94 du 26 avril 1994, 31/96 du 15 mai 1996, 54/2002 du 13 mars 2002, 89/2004 du 19 mai 2004, 93/2004 du 26 mai 2004, 79/2010 du 1er juillet 2010, 36/2011 du 10 mars 2011 et 161/2011 du 20 octobre 2011). Le législateur a, sans affecter la notion même d'« autorité administrative », progressivement élargi la compétence du Conseil d'Etat à des actes administratifs accomplis par des autorités étrangères au pouvoir exécutif et aux organes qui en relèvent. Cette extension porte notamment sur les actes et règlements de la Chambre des représentants, pour autant qu'ils concernent les marchés publics et les membres de son personnel.
B.2.1. Il ressort de la décision de renvoi que l'acte attaqué devant le Conseil d'Etat concerne une décision prise par le comité sectoriel du Registre national. Ce comité sectoriel a été institué au sein de la Commission de la protection de la vie privée, dans le cadre de la procédure de demande d'accès au Registre national, ouverte aux « organismes publics ou privés de droit belge pour les informations nécessaires à l'accomplissement de tâches d'intérêt général qui leur sont confiées par ou en vertu d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance ou de tâches reconnues explicitement comme telles par le ministre ayant l'Intérieur dans ses fonctions » (article 5, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la loi du 8 août 1983 « organisant un Registre national des personnes physiques » (ci-après : la loi du 8 août 1983)). La décision attaquée consiste en un refus d'octroyer une autorisation de consulter le Registre national.
B.2.2. La Commission de la protection de la vie privée a été instituée auprès du ministère de la Justice par la loi du 8 décembre 1992 « relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel » (ci-après : la loi du 8 décembre 1992), puis transférée auprès de la Chambre des représentants par la loi du 26 février 2003 « modifiant la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel et la loi du 15 janvier 1990 relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-Carrefour de la sécurité sociale en vue d'aménager le statut et d'étendre les compétences de la Commission de la protection de la vie privée ».
Cette commission a été supprimée par loi du 30 juillet 2018Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/2018 pub. 05/09/2018 numac 2018040581 source service public federal justice, service public federal interieur et ministere de la defense Loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel fermer « relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel », entrée en vigueur le 5 septembre 2018.
Un comité sectoriel du Registre national a été créé au sein de la Commission de la protection de la vie privée (article 15 de la loi du 8 août 1983, inséré par l'article 12 de la loi du 25 mars 2003 « modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques et la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d'identité et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques »). A l'instar des autres comités sectoriels, il est compétent « pour instruire et statuer sur des demandes relatives au traitement ou à la communication de données faisant l'objet de législations particulières, dans les limites déterminées par [la loi] » (article 31bis, § 1er, de la loi du 8 décembre 1992), en l'espèce sur des demandes relatives à l'accès au Registre national.
B.2.3. Il convient de souligner que le législateur a modifié le régime légal qui fait l'objet de la question préjudicielle. Désormais, les décisions d'accès au Registre national sont confiées au ministre de l'Intérieur (article 15 de la loi du 8 août 1983, remplacé par l'article 18 de la loi du 25 novembre 2018 « portant des dispositions diverses concernant le Registre national et les registres de population »). Les décisions du ministre de l'Intérieur en la matière sont susceptibles de recours devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat (article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973).
B.3.1. Il ressort de la question préjudicielle que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, en ce qu'il prive les destinataires des décisions de la Commission de la protection de la vie privée autres que celles qui sont relatives aux marchés publics et aux membres de son personnel de tout recours contre celles-ci.
B.3.2. La décision attaquée devant le juge a quo concerne exclusivement le refus de la Commission de la protection de la vie privée de permettre à un tiers l'accès aux données contenues dans le Registre national. La Cour limite dès lors son examen à cette situation.
B.4.1. La décision de renvoi considère : « Il est permis de considérer que la Commission de la protection de la vie privée était un organe collatéral de la Chambre des représentants.
Cette qualification d'organe d'une assemblée législative ne suffit cependant pas à conclure à la compétence de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat. En effet, selon l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, la section du contentieux administratif ne peut connaître que des recours contre les actes de la Commission de la protection de la vie privée ' relatifs aux marchés publics, aux membres de leur personnel, ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire '.
L'acte attaqué qui s'analyse en un refus d'accès au Registre national, ne ressortit pas à cette catégorie d'actes en telle sorte que la section du contentieux administratif est sans compétence juridictionnelle pour connaître du présent recours. La nécessité de disposer d'un tel recours ne peut avoir pour effet de rendre compétente la section du contentieux administratif à propos d'actes que le législateur a soustraits à son contrôle ».
B.4.2. Le juge a quo estime que l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, doit être interprété en ce sens que le Conseil d'Etat ne serait pas compétent pour connaître d'un recours en annulation introduit par le destinataire d'une décision de la Commission de la protection de la vie privée relative à l'accès au Registre national. C'est dans cette interprétation que la Cour examine si la disposition en cause est compatible ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.5. En vertu de l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, les actes pris par la Commission de la protection de la vie privée, organe collatéral de la Chambre des représentants, sont susceptibles d'un recours en annulation au Conseil d'Etat pour autant qu'ils aient un objet bien spécifique. Ne sont en effet visées que les décisions relatives aux marchés publics, aux membres de son personnel, ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire. La Cour est amenée à se prononcer sur l'existence d'une différence de traitement entre ces actes susceptibles de recours et les décisions prises par le même organe en matière d'accès au Registre national.
B.6. Contrairement aux destinataires d'une décision de la Commission de la protection de la vie privée relative aux marchés publics, aux membres de son personnel, ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire, les destinataires d'une décision de refus d'accès au Registre national ne disposent d'aucun recours utile. Il n'existe en effet aucune voie de contestation ouverte à ceux-ci.
D'une part, ils ne disposent pas de la qualité pour introduire une demande en réformation visée à l'article 12 de l'arrêté royal du 17 décembre 2003 « fixant les modalités relatives à la composition et au fonctionnement de certains comités sectoriels institués au sein de la Commission de la protection de la vie privée », qui constitue la seule possibilité légale de revoir la décision de la Commission. D'autre part, aucun recours devant une juridiction de l'ordre judiciaire ne leur est ouvert.
B.7. La limitation du recours aux actes qui ont un objet spécifique traduit la volonté de ne pas étendre la compétence d'annulation du Conseil d'Etat à tous les actes extra-législatifs et de « respecter autant que possible l'indépendance des autorités non administratives » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2277/1, p. 10).
B.8.1. Relève des principes de base de la structure démocratique de l'Etat, la règle selon laquelle les assemblées législatives disposent dans l'exercice de leur mission de la plus large indépendance. Il en découle qu'une assemblée législative doit pouvoir régler elle-même les matières qui lui ont été confiées et exercer ses compétences de manière autonome.
Ce principe a pour effet que lorsque des assemblées législatives ou l'un de leurs organes posent des actes qui sont liés à leur activité politique ou législative, ces actes peuvent être soustraits au contrôle juridictionnel du Conseil d'Etat.
B.8.2. Toutefois, la nécessité de sauvegarder cette indépendance ne justifie pas de priver de tout recours les destinataires d'une décision de refus d'accès au Registre national, prise par la Commission de la protection de la vie privée, dès lors que cette Commission exerce, en l'espèce, une compétence qui n'est pas liée à l'activité politique ou législative de la Chambre des représentants.
B.8.3. L'absence de recours contre cette décision est contraire au principe d'égalité et de non-discrimination. Cette absence n'est pas pertinente par rapport au souci légitime de sauvegarder l'indépendance de la Chambre des représentants. L'intérêt protégé par l'instauration d'un recours en annulation est aussi réel et aussi légitime pour les destinataires d'une décision de la Commission de la protection de la vie privée en matière d'accès au Registre national que pour les destinataires d'une décision de la même Commission relative aux marchés publics, aux membres de son personnel, ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire.
B.9. La disposition en cause est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle ne permet pas aux destinataires d'une décision de la Commission de la protection de la vie privée en matière d'accès au Registre national d'introduire, auprès de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, un recours en annulation d'une décision de refus.
B.10. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.9 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application de la disposition en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient au juge a quo de mettre fin à la violation de ces normes.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse positive.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'il ne permet pas au destinataire d'une décision de la Commission de la protection de la vie privée en matière d'accès au Registre national d'introduire, auprès de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, un recours en annulation d'une décision de refus, l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 mai 2020.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût