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Arrêt
publié le 08 décembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 71/2020 du 28 mai 2020 Numéros du rôle : 6907 et 6960 En cause: les questions préjudicielles relatives à l'article 1385undecies, alinéa 1 er , du Code judiciaire et aux articles 366 à 375 du Code des impôts sur La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerm(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 71/2020 du 28 mai 2020 Numéros du rôle : 6907 et 6960 En cause: les questions préjudicielles relatives à l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et aux articles 366 à 375 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 29 mars 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 avril 2018, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire viole-t-il les articles 10 et 11 et 145 de la Constitution en ce que cette disposition prive le contribuable à l'impôt sur les revenus du droit de saisir directement le Tribunal de première instance d'une contestation au sens de l'article 569, 32°, du Code judiciaire et subordonne la recevabilité du recours formé par un tel contribuable qui se plaint de la violation par l'administration fiscale des droits subjectifs que lui confère la législation fiscale à l'épuisement préalable du recours administratif, alors que les justiciables qui se plaignent de la violation par l'administration de droits subjectifs autres que fiscaux ne sont pas soumis à cette condition spéciale de recevabilité de leur action en justice et alors que, dans le contentieux entre les citoyens et l'administration, la règle de l'épuisement préalable des recours administratifs ne concerne que le contentieux objectif, où le justiciable ne se prévaut pas de la violation de ses droits subjectifs mais conteste uniquement la manière dont l'administration exerce une compétence de nature discrétionnaire ? Les articles 366 à 375 du CIR 1992, interprétés comme organisant un recours administratif par ou en vertu de la loi, au sens de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils subordonnent la saisine des Tribunaux par le contribuable qui se plaint de la violation par l'administration de ses droits subjectifs découlant de l'application du CIR 1992 à l'exercice préalable d'un recours administratif alors que les contribuables qui se plaignent de la violation par l'administration de leurs droits subjectifs découlant de l'application d'une autre législation fiscale, spécialement en matière d'impôts indirects, ne sont pas soumis à la même exigence ? Dès lors que le contribuable à l'impôt sur les revenus ne peut saisir directement le Tribunal de première instance d'une contestation au sens de l'article 569, 32°, du Code judiciaire en raison du caractère obligatoire du recours administratif préalable spécial devant le directeur régional des contributions directes régi par les articles 366 et 371 du CIR 1992, l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et ne porte-t-il pas atteinte de manière disproportionnée aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, alors que les autres contribuables, assujettis à la TVA ou tous les autres redevables d'autres impôts et autres justiciables qui contestent les conséquences patrimoniales d'autres actes administratifs, peuvent agir directement devant un juge indépendant et impartial sans devoir attendre la position du directeur régional de l'administration fiscale et sans perdre définitivement le droit de se défendre en justice en raison d'un manque de diligence ou tout autre motif qui [les] aurait exposé [s] à l'irrecevabilité de la réclamation ou fait omettre de l'exercer ? ». Le 16 mai 2018, en application de l'article 71, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et E. Derycke, en remplacement de la juge J. Moerman, légitimement empêchée, ont informé le président qu'ils pourraient être amenés à proposer à la Cour, siégeant en chambre restreinte, de rendre un arrêt constatant que les questions préjudicielles sont irrecevables.

Par ordonnance du 5 juillet 2018Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 05/07/2018 pub. 12/07/2018 numac 2018031497 source region de bruxelles-capitale Ordonnance relative aux modes spécifiques de gestion communale et à la coopération intercommunale type ordonnance prom. 05/07/2018 pub. 11/07/2018 numac 2018031498 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance autorisant l'Office bicommunautaire de la santé, de l'aide aux personnes et des prestations familiales à participer au régime de pension instauré par la loi du 28 avril 1958 relative à la pension des membres du personnel de certains organismes d'intérêt public et de leurs ayants droit fermer, la Cour a décidé de poursuivre l'examen de l'affaire suivant la procédure ordinaire. b. Par jugement du 21 juin 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 juin 2018, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et l'article 366 du CIR 1992, auquel renvoie l'article 12 de la loi du 24 décembre 1996 relative à l'établissement et au recouvrement des taxes provinciales et communales, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que ces dispositions placent le redevable d'une taxe communale qui la conteste devant le juge judiciaire dans la même situation qu'un justiciable qui introduirait un recours devant le Conseil d'Etat, étant tous deux soumis à la règle de l'épuisement préalable des recours administratifs, alors que le juge judiciaire et le Conseil d'Etat n'ont pas le même rôle et que le redevable porte devant chacun d'eux un contentieux de nature fondamentalement différente puisque, dans le contentieux objectif, le justiciable ne se prévaut pas de la violation de ses droits subjectifs mais conteste uniquement la manière dont l'administration exerce une compétence de nature discrétionnaire, ce qui l'oppose au contentieux judiciaire où les droits subjectifs sont au centre des débats ? L'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et l'article 366 du CIR 1992, auquel renvoie l'article 12 de la loi du 24 décembre 1996 relative à l'établissement et au recouvrement des taxes provinciales et communales, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que ces dispositions privent le redevable d'une taxe communale du droit de saisir directement le Tribunal de première instance d'une contestation au sens de l'article 569, 32°, du Code judiciaire et du droit de pouvoir bénéficier du contrôle de légalité incident prévu à l'article 159 de la Constitution parce qu'ils subordonnent la recevabilité du recours formé par un tel redevable qui se plaint de la violation par l'administration fiscale des droits subjectifs que lui confère la législation fiscale communale à l'épuisement préalable du recours administratif, alors qu'il existe une catégorie de justiciables qui peuvent contester la légalité d'un acte administratif devant le pouvoir judiciaire de manière directe et immédiate, sans être tenus d'épuiser les voies de recours administratifs préalablement organisés, et qui peuvent obtenir du juge judiciaire qu'il écarte un acte administratif irrégulier dans le cadre du contrôle incident de la légalité d'un acte administratif en vertu de l'article 159 de la Constitution, sans être soumis à cette condition spéciale de recevabilité de leur action en justice ? Dès lors que le redevable d'une taxe communale ne peut saisir directement le Tribunal de première instance d'une contestation au sens de l'article 569, 32°, du Code judiciaire en raison du caractère obligatoire du recours administratif préalable spécial devant le collège communal, régi par les articles 366 et 371 du CIR 1992, ou est privé du droit à un recours juridictionnel effectif devant un tel Tribunal parce qu'il aurait omis d'exercer la réclamation ou, même en l'ayant exercée, se heurte à son irrégularité et son irrecevabilité, l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire, auquel renvoie l'article 12 de la loi du 24 décembre 1996 relative à l'établissement et au recouvrement des taxes provinciales et communales, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou en combinaison avec l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 1er de son Premier protocole additionnel, et ne porte-t-il pas atteinte de manière disproportionnée aux droits de la défense de ce redevable, alors qu'il existe une autre catégorie de justiciables qui peuvent agir directement devant un juge indépendant et impartial sans devoir attendre la position intermédiaire d'une instance administrative et sans perdre définitivement le droit de se défendre en justice en raison d'un manque de diligence ou tout autre motif qui [les] aurait exposé[s] à l'irrecevabilité de la réclamation ou fait d'omettre de l'exercer ? ». Ces affaires, inscrites sous les numéros 6907 et 6960 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) Quant aux articles en cause B.1.1. Inséré par l'article 9 de la loi du 23 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/03/1999 pub. 27/03/1999 numac 1999003181 source ministere des finances Loi relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale fermer « relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale » (ci-après : la loi du 23 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/03/1999 pub. 27/03/1999 numac 1999003181 source ministere des finances Loi relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale fermer) et complété par l'article 3 de la loi du 10 juillet 2017 « renforçant le rôle du service de conciliation fiscale », l'article 1385undecies du Code judiciaire disposait, avant sa modification par l'article 14 de la loi du 29 mars 2018 « visant à élargir les missions et à renforcer le rôle du service de conciliation fiscale » et par l'article 4 de la loi du 15 avril 2018 « modifiant l'article 375 du Code des impôts sur les revenus 1992 » : « Contre l'administration fiscale, et dans les contestations visées à l'article 569, alinéa 1er, 32°, l'action n'est admise que si le demandeur a introduit préalablement le recours administratif organisé par ou en vertu de la loi.

L'action est introduite au plus tôt six mois après la date de réception du recours administratif au cas où ce recours n'a pas fait l'objet d'une décision et, à peine de déchéance, au plus tard dans un délai de trois mois à partir de la notification de la décision relative au recours administratif.

Le délai de six mois visé à l'alinéa 2 est prolongé de trois mois lorsque l'imposition contestée a été établie d'office par l'administration.

Le délai de six mois visé à l'alinéa 2, éventuellement prolongé comme prévu à l'alinéa 3, est prolongé de quatre mois au maximum lorsque le contribuable a introduit une demande de conciliation déclarée recevable auprès du service de conciliation fiscale visé à l'article 116 de la loi du 25 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/04/2007 pub. 08/05/2007 numac 2007201376 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses (1) fermer portant des dispositions diverses (IV) ».

L'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire, inséré par l'article 4 de la loi du 23 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/03/1999 pub. 27/03/1999 numac 1999003181 source ministere des finances Loi relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale fermer, dispose : « Le tribunal de première instance connaît : [...] 32° des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt ». B.1.2. Les articles 366 à 375 du Code des impôts sur les revenus (ci-après : CIR 1992) font partie de la section 1re (« Recours administratif ») du chapitre VII (« Voies de recours ») du titre VII (« Etablissement et perception des impôts ») de ce Code.

B.2.1. Par la première question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6907, la Cour est notamment invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire avec l'article 145 de la Constitution.

B.2.2. L'article 145 de la Constitution ne relève pas des normes de référence, telles qu'elles sont déterminées à l'article 142 de la Constitution ou, en exécution de cette disposition, dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. La Cour n'est dès lors pas compétente pour exercer un contrôle direct au regard de l'article 145 de la Constitution.

Quant au fond Différence de traitement dans des situations identiques B.3. Par la première question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6907, la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition ferait naître une différence de traitement entre, d'une part, « le contribuable à l'impôt sur les revenus [...] qui se plaint de la violation par l'administration fiscale des droits subjectifs que lui confère la législation fiscale », et, d'autre part, « les justiciables qui se plaignent de la violation par l'administration de droits subjectifs autres que fiscaux ».

Par la deuxième question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6907, la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité des articles 366 à 375 du CIR 1992 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions feraient naître une différence de traitement entre, d'une part, « le contribuable qui se plaint de la violation par l'administration de ses droits subjectifs découlant de l'application du CIR 1992 » et, d'autre part, les « contribuables qui se plaignent de la violation par l'administration de leurs droits subjectifs découlant de l'application d'une autre législation fiscale, spécialement en matière d'impôts indirects ».

Par la troisième question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6907, la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition législative ferait naître une différence de traitement entre, d'une part, « le contribuable à l'impôt sur les revenus », et, d'autre part, les « autres contribuables, assujettis à la TVA ou tous les autres redevables d'autres impôts et autres justiciables qui contestent les conséquences patrimoniales d'autres actes administratifs ».

Par la deuxième question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6960, la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et de l'article 366 du CIR 1992 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions feraient naître une différence de traitement entre, d'une part, la personne qui est « redevable d'une taxe communale » et qui est privée du droit « de saisir directement le tribunal de première instance d'une contestation au sens de l'article 569, 32°, du Code judiciaire et du droit de pouvoir bénéficier du contrôle de légalité incident », et, d'autre part, « une catégorie de justiciables [...] qui peuvent contester la légalité d'un acte administratif devant le pouvoir judiciaire de manière directe et immédiate ».

Par la troisième question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6960, la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à celle-ci, en ce que cette disposition créerait une différence de traitement entre, d'une part, la personne qui est « redevable d'une taxe communale » et qui « ne peut saisir directement le tribunal de première instance d'une contestation » [...] « en raison du caractère obligatoire du recours administratif préalable spécial devant le collège communal », et, d'autre part, « une autre catégorie de justiciables qui peuvent agir directement devant un juge indépendant et impartial ».

B.4. Les différentes questions préjudicielles portent toutes sur l'éventuelle inconstitutionnalité de l'exigence de l'épuisement du recours administratif organisé (article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire) pour que le tribunal de première instance puisse être saisi d'un litige, de sorte que les questions sont examinées conjointement.

Le législateur peut faire de l'introduction d'un recours administratif préalable une condition d'admissibilité de l'action portée devant les cours et tribunaux.

B.5. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.6.1. Conformément à la loi du 15 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/03/1999 pub. 27/03/1999 numac 1999003180 source ministere des finances Loi relative au contentieux en matière fiscale fermer « relative au contentieux en matière fiscale », le « juge de l'ordre judiciaire » est actuellement compétent pour « connaître des litiges en matière fiscale, avec application en principe du droit commun de la procédure, [...] à moins que ne soient prévues des règles particulières » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, nos 1341/1 et 1342/1, p. 2).

Le contribuable ne peut toutefois s'adresser au juge qu'après avoir épuisé les recours administratifs : « En effet, il s'avère que l'administration parvient, dans la majorité des litiges, à trouver une solution qui satisfait le contribuable.

Elle ne doit toutefois pas être nécessairement investie, pour ce faire, d'une fonction juridictionnelle. Au contraire, dans la mesure où elle ne sera plus tenue aux exigences imposées exclusivement aux juges et à la procédure juridictionnelle, elle pourra traiter rapidement et efficacement les recours, désormais purement administratifs, dont elle sera saisie. D'autre part, le fisc doit pouvoir corriger lui-même ses erreurs et il convient d'éviter que le pouvoir judiciaire soit submergé de requêtes dont le caractère manifestement non fondé peut être aperçu directement par le contribuable ou après un nouvel examen du dossier par l'administration » (ibid., p. 3).

En outre, selon les travaux préparatoires de cette loi, ce dialogue obligatoire avec l'administration « n'est pas aussi inutile qu'il y paraît, puisque les statistiques montrent qu'il y a environ 180 000 réclamations par an et qu'il n'y a que 2 000 procédures judiciaires qui sont engagées » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-966/11, p. 230).

B.6.2. La section de législation du Conseil d'Etat a observé : « Le fait d'interdire l'accès à la justice à qui n'a pas épuisé les voies de recours mises à sa disposition auprès de l'administration, ne paraît heurter aucun principe juridique fondamental » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, nos 1341/1 et 1342/1, p. 66).

B.6.3. En ce qui concerne les impôts sur les revenus, l'article 366 du CIR 1992 prévoit que le redevable peut introduire auprès du conseiller général de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus une réclamation contre la cotisation établie à son nom. En ce qui concerne les taxes communales, la réclamation doit être introduite auprès du collège des bourgmestre et échevins (actuellement, en Région wallonne, le collège communal).

Il n'est par ailleurs pas fixé de délai obligatoire dans lequel le conseiller général ou le collège doit statuer sur la réclamation, ni prévu de sanction en l'absence d'une telle décision. Un délai indicatif est toutefois prévu, puisque, conformément à l'article 1385undecies du Code judiciaire, le redevable, qui ne peut introduire une action devant le tribunal de première instance compétent que s'il a préalablement épuisé le recours administratif organisé par ou en vertu de la loi, ne peut introduire cette action qu'au plus tôt six mois après la date de réception du recours administratif, s'il n'a pas été statué sur ce recours. L'introduction de l'action devant le tribunal a pour conséquence que « dès que le contribuable choisit d'introduire un recours devant le tribunal de première instance, il dessaisit automatiquement l'administration de son dossier. Il ne peut donc jamais y avoir de coïncidence des deux procédures (administrative et juridictionnelle) » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1341/23, p. 20).

Dans les mêmes travaux préparatoires, ce mécanisme a été justifié comme étant un « mécanisme de protection du contribuable » (ibid., p. 16). Le législateur voulait ainsi concilier avec le droit d'accès au juge l'obligation, faite au contribuable, d'épuiser le recours administratif avant de pouvoir s'adresser au juge.

B.7.1. Il appartient au législateur compétent de déterminer, compte tenu de l'autonomie des autorités administratives qui imposent les cotisations, si un recours administratif doit être organisé. Il n'apparaît pas que le législateur ait, à cet égard, fait un choix sans justification raisonnable, d'autant que le législateur a voulu permettre un traitement rapide et efficace des litiges concernant les cotisations dues (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, nos 1341/1 et 1342/1, p. 3), sans porter atteinte aux droits de la défense du contribuable et sans augmenter la charge de travail des cours et tribunaux.

B.7.2. Le droit d'accès à un juge, qui doit être garanti à chacun dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, peut faire l'objet de limitations, pour autant que ces limitations ne portent pas atteinte à l'essence même du droit d'accès à un juge.

B.7.3. Le seul fait de devoir exercer un recours administratif devant le conseiller général de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus, devant le collège des bourgmestre et échevins ou devant le collège communal, avant de pouvoir saisir le tribunal de première instance, n'est nullement discriminatoire.

L'obligation d'épuiser un recours administratif organisé n'empêche pas que le réclamant peut soumettre sa contestation à un juge indépendant et impartial, en pouvant toujours soulever des moyens qu'il n'avait pas invoqués dans son recours administratif.

B.7.4. L'obligation d'exercer un recours administratif préalable est une mesure qui n'est pas déraisonnable eu égard au but poursuivi, en ce qu'elle ne porte pas atteinte à la substance du droit de saisir le juge. Il ne saurait être question d'une atteinte à ce droit, dès lors qu'il est prévu un délai au terme duquel le tribunal peut être saisi, en cas d'inertie de l'administration. Ce délai, qui est de six mois et qui est porté à neuf mois en cas d'imposition d'office, n'est pas sans justification raisonnable.

B.8. Le contrôle au regard des autres normes de référence ne conduit pas à une autre conclusion.

B.9. Les trois questions préjudicielles posées dans l'affaire n° 6907 et les deuxième et troisième questions préjudicielles posées dans l'affaire n° 6960 appellent une réponse négative.

Identité de traitement de situations différentes B.10. Par la première question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6960, la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et de l'article 366 du CIR 1992 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions soumettent une personne qui est « redevable d'une taxe communale et qui la conteste devant le juge judiciaire » et « un justiciable qui introduirait un recours devant le Conseil d'Etat » à la règle de l'épuisement préalable des recours administratifs, « alors que le juge judiciaire et le Conseil d'Etat n'ont pas le même rôle et que le redevable porte devant chacun d'eux un contentieux de nature fondamentalement différente ».

B.11. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12.1. Il convient tout d'abord de relever que les justiciables qui introduisent un recours en annulation devant le Conseil d'Etat sont en principe soumis à la règle, prévue, de l'épuisement préalable des recours administratifs organisés. Des dispositions législatives expresses peuvent toutefois y déroger.

Le législateur compétent peut en effet instaurer un recours administratif organisé. Il ne fait pas un choix déraisonnable lorsque cette règle tend à une solution rapide et souple des litiges administratifs en question sans toutefois augmenter la charge de travail des juridictions.

B.12.2. En outre, il n'existe pas de principe général de droit qui conférerait à toute personne faisant l'objet d'un acte administratif le droit d'introduire contre cet acte un recours administratif organisé.

B.13.1. La situation dans laquelle se trouve un contribuable impliqué dans un contentieux en matière d'impôts sur les revenus ou en matière de taxes communales ne diffère pas, à cet égard, de celle d'un justiciable impliqué dans un contentieux objectif. Quand tous deux sont tenus d'épuiser le recours administratif organisé, l'administration fiscale compétente ou l'autorité administrative doit prendre une nouvelle décision.

B.13.2. Le législateur peut donc raisonnablement considérer que les litiges fiscaux aussi doivent être soumis à l'exercice obligatoire d'un recours administratif organisé préalable. Cette règle garantit que le contentieux fiscal pourra être traité de manière rapide et efficace et que le fisc aura la possibilité de corriger ses éventuelles erreurs. Elle permet aussi d'éviter que le pouvoir judiciaire soit submergé de demandes manifestement non fondées.

B.14. Le traitement identique d'une personne qui conteste une taxe communale et d'un justiciable qui introduit un recours en annulation devant le Conseil d'Etat n'est donc pas, en ce qui concerne l'exigence de l'épuisement d'un recours administratif organisé, sans justification raisonnable.

La première question préjudicielle posée dans l'affaire n° 6960 appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1385undecies, alinéa 1er, du Code judiciaire et les articles 366 à 375 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 mai 2020.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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