publié le 13 juillet 2020
Extrait de l'arrêt n° 32/2020 du 20 février 2020 Numéro du rôle : 7272 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 70, § 1 er bis, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal de première instanc La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 32/2020 du 20 février 2020 Numéro du rôle : 7272 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 70, § 1erbis, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal de première instance du Luxembourg, division de Marche-en-Famenne.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 16 octobre 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 octobre 2019, le Tribunal de première instance du Luxembourg, division de Marche-en-Famenne, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 70, § 1erbis, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il ne permet pas au tribunal de première instance d'assortir d'un sursis ou d'une mesure de probation l'amende prévue par cette disposition alors que le contrevenant pourrait en obtenir le bénéfice s'il comparaissait devant le tribunal correctionnel en raison des mêmes faits, pour se voir infliger les sanctions pénales prévues par les articles 73 et suivants du même code ? ».
Le 26 novembre 2019, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 70, § 1erbis, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : Code de la TVA) fait partie de la section première (« Amendes fiscales ») du chapitre XI (« Sanctions ») de ce Code.
Inséré par l'article 34, 1°, de la loi du 27 décembre 1977 « modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée, le Code des taxes assimilées au timbre et le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe », puis modifié par l'article 21 de la loi-programme du 20 juillet 2006, cet article 70, § 1erbis, dispose : « Quiconque a déduit indûment ou abusivement la taxe, encourt une amende égale au double du montant de cette taxe, dans la mesure où cette infraction n'est pas réprimée par le § 1er, alinéa 1er ».
B.1.2. L'article 73 du Code de la TVA, remplacé par l'article 18 de la loi du 20 septembre 2012Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/09/2012 pub. 22/10/2012 numac 2012009416 source service public federal justice Loi instaurant le principe « una via » dans le cadre de la poursuite des infractions à la législation fiscale et majorant les amendes pénales fiscales type loi prom. 20/09/2012 pub. 02/05/2013 numac 2013000279 source service public federal interieur Loi instaurant le principe " una via " dans le cadre de la poursuite des infractions à la législation fiscale et majorant les amendes pénales fiscales. - Traduction allemande fermer « instaurant le principe ' una via ' dans le cadre de la poursuite des infractions à la législation Iscale et majorant les amendes pénales Iscales » et modifié par l'article 99 de la loi du 17 juin 2013 « portant des dispositions fiscales et financières et des dispositions relatives au développement durable », dispose : « Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de 250 euros à 500.000 euros ou de l'une de ces peines seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, contrevient aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour son exécution.
Si les infractions visées à l'alinéa 1er ont été commises dans le cadre de la fraude fiscale grave, organisée ou non, le coupable est puni d'un emprisonnement de huit jours à 5 ans et d'une amende de 250 euros à 500.000 euros ou de l'une de ces peines seulement ».
B.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 70, § 1erbis, du Code de la TVA avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition législative ne permet pas au tribunal civil d'assortir d'un sursis la sanction qu'elle prévoit pour l'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée qui a déduit indûment ou abusivement la taxe, alors que cette personne pourrait, si elle était poursuivie devant le tribunal correctionnel pour le même fait visé par l'article 73 du Code de la TVA, solliciter le sursis à l'exécution de la peine en application de l'article 8 de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « concernant la suspension, le sursis et la probation ».
B.3. Une mesure constitue une sanction pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir la portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, § § 105-107; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, § § 30-31).
L'amende fiscale prévue à l'article 70, § 1erbis, du Code de la TVA a pour objet de prévenir et de sanctionner les déductions indues ou abusives de la taxe sur la valeur ajoutée que vise cette disposition.
Elle a donc un caractère répressif et est de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.4. L'article 8, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, remplacé par l'article 37, 1°, de la loi du 5 février 2016 « modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice », dispose : « Lorsque le condamné n'a pas encouru antérieurement de condamnation à une peine criminelle ou à un emprisonnement principal de plus de trois ans ou à une peine équivalente prise en compte conformément à l'article 99bis du Code pénal, les juridictions de jugement peuvent, lorsqu'elles ne condamnent pas à une ou plusieurs peines principales privatives de liberté supérieures à cinq ans d'emprisonnement, ordonner qu'il sera sursis à l'exécution de tout ou partie des peines principales et accessoires qu'elles prononcent ».
B.5. Contrairement à l'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée qui est poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir indûment ou abusivement déduit cette taxe, celui qui, en application de l'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire, conteste devant le tribunal civil l'amende prévue par l'article 70, § 1erbis, du Code de la TVA, ne peut solliciter un sursis à l'exécution de cette sanction puisqu'un sursis à l'exécution d'une peine ne peut, en vertu de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, être ordonné que par une juridiction pénale.
B.6.1. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et limiter ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.
Le législateur a toutefois opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, notamment en autorisant le juge à accorder des mesures de sursis.
B.6.2. Il appartient au législateur d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l'espèce, donne lieu à une fraude importante. Cette sévérité peut notamment porter sur les mesures de sursis.
La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition en cause avait pour effet de priver une catégorie de justiciables du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.7.1. Le sursis à l'exécution des peines a pour objectif de réduire les inconvénients inhérents à l'exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné. Il peut être ordonné à propos de peines d'amende. Il ressort en outre de l'article 157, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, remplacé par l'article 2 de la loi du 19 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/12/2008 pub. 31/12/2008 numac 2008024536 source service public federal securite sociale Loi portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 type loi prom. 19/12/2008 pub. 19/03/2009 numac 2009000182 source service public federal interieur Loi portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994. - Traduction allemande fermer « portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 » et modifié par l'article 5, 1°, de la loi du 29 mars 2012 « portant des dispositions diverses (II) », que le sursis n'est pas considéré par le législateur comme incompatible avec une amende imposée par une autorité autre qu'une juridiction pénale.
Sans doute le régime de l'amende fiscale en cause peut-il différer en divers éléments de celui de la sanction pénale prévue par l'article 73 du Code de la TVA ou de celui des sanctions administratives prévues en d'autres matières, qu'il s'agisse de la formulation différente de l'exigence de l'élément moral, de la possibilité de cumuler des amendes administratives, du mode de fixation des peines ou de l'application de décimes additionnels. S'il est vrai que de telles différences peuvent être pertinentes pour justifier l'application de règles spécifiques dans certains domaines, elles ne le sont pas dans celui qui fait l'objet de la question préjudicielle : en effet, qu'il soit accordé par le tribunal correctionnel ou par une autre juridiction, telle que le tribunal civil, le sursis peut inciter le condamné à s'amender, par la menace d'exécuter, s'il venait à récidiver, la condamnation au paiement d'une amende.
Si la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer n'est pas applicable, il appartient au législateur de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis, de même éventuellement qu'un sursis probatoire, peut être ordonné et de fixer les conditions et la procédure de son retrait.
B.7.2. Il résulte de ce qui précède que l'article 70, § 1erbis, du Code de la TVA n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas au tribunal civil d'accorder le bénéfice du sursis à l'assujetti visé en B.2.
B.7.3. Ce constat d'inconstitutionnalité partielle n'a toutefois pas pour conséquence que cette disposition ne pourrait plus, dans l'attente d'une intervention législative, être appliquée par les juridictions lorsque celles-ci constatent que les infractions sont établies, que le montant de l'amende n'est pas disproportionné à la gravité de l'infraction et qu'il n'y aurait pas eu lieu d'accorder un sursis même si cette mesure avait été prévue par la loi.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'il ne permet pas au tribunal civil d'assortir d'un sursis l'amende qu'il prévoit, l'article 70, § 1erbis, du Code de la TVA viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 février 2020.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût