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Arrêt
publié le 27 avril 2020

Extrait de l'arrêt n° 193/2019 du 28 novembre 2019 Numéro du rôle : 7129 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1047 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Courtrai.

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 193/2019 du 28 novembre 2019 Numéro du rôle : 7129 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1047 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Courtrai.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 12 février 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 février 2019, le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Courtrai, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1047 du Code judiciaire viole-t-il notamment les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec d'autres dispositions législatives, supranationales, dont, entre autres, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et, entre autres toujours, l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que le législateur organise un double degré de juridiction, en ce qu'il limite le rôle du juge en cas de défaut (article 806 du Code judiciaire) et en ce qu'il limite la possibilité d'opposition, en matière civile, aux procédures qui sont tranchées en première et dernière instance, l'excluant dans les procédures pour lesquelles un double degré de juridiction est prévu, et, en matière pénale, aux cas de force majeure ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'alinéa 1er de l'article 1047 du Code judiciaire, tel qu'il a été modifié par l'article 143 de la loi du 6 juillet 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2017 pub. 24/07/2017 numac 2017030652 source service public federal justice Loi portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice fermer « portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice » (dite « loi pot-pourri V ») : « Tout jugement par défaut rendu en dernier ressort peut être frappé d'opposition, sauf les exceptions prévues par la loi ».

Il résulte de cette modification que les jugements rendus par défaut en matière civile qui sont susceptibles d'appel ne peuvent plus être attaqués que par cette dernière voie de recours, conformément à l'article 1050 du Code judiciaire, pour autant que la loi n'en dispose pas autrement.

Quant aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec le droit d'accès au juge B.2. On peut déduire de la motivation de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 1047, alinéa 1er, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que cette disposition limite la possibilité d'opposition aux jugements par défaut qui ont été rendus en dernier ressort, eu égard, en particulier, à l'article 806 du Code judiciaire.

B.3.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.

B.3.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.3. L'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit d'accès au juge. Ce droit est également garanti par l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par un principe général de droit.

Le droit d'accès au juge garantit au justiciable que sa cause soit entendue par un juge indépendant et impartial.

Le droit d'accès à un juge indépendant n'est cependant pas absolu et peut faire l'objet de limitations, en vue de garantir, notamment, une bonne administration de la justice et la sécurité juridique. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne garantit pas le droit à un double degré de juridiction. Sauf en matière pénale, il n'existe en outre aucun principe général énonçant une telle garantie.

B.4.1. En limitant la possibilité d'opposition aux jugements par défaut ne pouvant faire l'objet d'un appel, le législateur a voulu promouvoir la solution définitive des litiges (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2259/001, pp. 117-118) et permettre ainsi que la procédure judiciaire se termine dans un délai raisonnable, conformément à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Cet objectif est légitime.

B.4.2. Il ressort des travaux préparatoires que le choix de prévoir comme critère de distinction le fait que le jugement par défaut soit susceptible d'appel ou non est basé sur une suggestion de la section de législation du Conseil d'Etat : « Si le but de l'auteur de l'avant-projet est effectivement de réduire les possibilités de faire opposition, il apparaît que la suggestion selon laquelle le défaut ne serait pas admis en cas de possibilité d'un appel rencontrerait de manière adéquate le but poursuivi sans restreindre de façon trop significative le droit d'introduire au moins un recours ordinaire » (ibid., p. 378).

Ce critère est objectif.

B.4.3. La mesure qui consiste à ne pas prévoir la possibilité de faire opposition à un jugement par défaut susceptible d'appel est également pertinente à la lumière de l'objectif poursuivi par le législateur, qui consiste à ne pas ralentir inutilement la procédure et à respecter la condition du délai raisonnable.

B.4.4. Enfin, les conséquences de la disposition en cause ne sont pas disproportionnées eu égard au but poursuivi.

L'opposition est une voie de recours ordinaire ouverte à la partie qui a été condamnée par défaut, en vue d'obtenir de la juridiction qui a statué par défaut une nouvelle décision après un débat contradictoire.

Un jugement par défaut qui n'a pas été rendu en dernier ressort demeure susceptible d'appel, ce qui permet à la personne concernée d'exercer pleinement ses droits de défense.

B.5.1. La portée de l'article 806 du Code judiciaire ne change rien à cette appréciation. L'article 806 du même Code dispose : « Dans le jugement par défaut, le juge fait droit aux demandes ou moyens de défense de la partie comparante, sauf dans la mesure où la procédure, ces demandes ou moyens sont contraires à l'ordre public, y compris les règles de droit que le juge peut, en vertu de la loi, appliquer d'office ».

B.5.2. Par son arrêt n° 72/2018 du 7 juin 2018, la Cour a dit pour droit : « L'article 806 du Code judiciaire ne viole pas les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

B.5.3. L'arrêt n° 72/2018, précité, est motivé comme suit : « B.5.2. La disposition en cause limite le pouvoir d'appréciation du juge statuant par défaut en lui enjoignant de faire droit aux demandes ou moyens de défense de la partie comparante, sauf dans l'hypothèse où la procédure, ces demandes ou moyens sont contraires à l'ordre public.

Le droit d'accès à un juge indépendant n'est cependant pas absolu et peut faire l'objet de limitations en vue de garantir, notamment, une bonne administration de la justice et la sécurité juridique.

B.6.1. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.3 et B.1.4, l'article 806 du Code judiciaire a été justifié par la volonté du législateur de mettre fin à une controverse doctrinale et jurisprudentielle relative à l'étendue des pouvoirs du juge statuant par défaut et d'éviter les discriminations entre justiciables. La mesure en cause est pertinente par rapport à cet objectif.

La Cour doit encore examiner si la limitation en cause n'a pas de conséquences disproportionnées pour le justiciable défaillant.

B.6.2. Il ressort des travaux préparatoires de la disposition en cause que le législateur a laissé au juge statuant par défaut le soin de préciser plus avant la notion d'ordre public, notion qui lui permet de refuser de faire droit aux demandes ou aux moyens de défense de la partie comparante : ' En principe, le juge peut décider librement de ce qui est d'ordre public, mais la Cour de cassation a le dernier mot; de plus, il s'agit d'un concept évolutif et il convient donc de laisser toute liberté au juge ' (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/005, pp. 100-101).

B.6.3. Il en ressort également que le législateur s'est interrogé sur le sort des demandes manifestement excessives en cas de défaut du défendeur : ' [Un membre] revient sur l'exemple précité de la présidente du tribunal de la famille : on demande à un justiciable dont les revenus sont de 1 100 euros de payer une pension alimentaire de 1 000 euros, ce qui est évidemment excessif. Mais, cette demande est-elle contraire à l'ordre public ? Le ministre répond que, lorsqu'il est prévu que le juge doit intervenir d'office, les choses sont simples. En revanche, il subsiste une catégorie ouverte " ordre public ". La Cour de cassation considérera peut-être un jour que le cas évoqué est contraire à l'ordre public - comme ce fut le cas dans les années 60 en ce qui concerne les clauses pénales excessives. Cette marge d'appréciation doit être réservée à la jurisprudence ' (ibid., p. 101).

B.7. Par son arrêt du 13 décembre 2016, cité par l'arrêt de renvoi, la Cour de cassation a jugé : ' 4. Il résulte de la genèse légale de cette disposition que le législateur a confié au juge le soin de préciser la notion d'ordre public. 5. Ce qui touche aux intérêts essentiels de l'Etat ou de la communauté ou détermine dans le droit privé les fondements juridiques sur lesquels repose l'ordre économique ou moral de la société est d'ordre public.6. Dans le contexte de l'article 806 du Code judiciaire, faire droit à une demande manifestement non fondée ou à une défense manifestement non fondée est contraire à l'ordre public. 7. Le juge statuant par défaut qui n'accueille pas les demandes ou moyens de défense de la partie comparante, est tenu de constater que l'accueil de ces demandes ou moyens est contraire à l'ordre public ' (Cass., 13 décembre 2016, P.16.0421.N).

B.8.1. Il résulte de ce qui précède que la notion d'ordre public qui figure dans l'article 806 du Code judiciaire permet au juge statuant par défaut de refuser de faire droit aux demandes dont il constate qu'elles sont manifestement non fondées ou manifestement excessives.

B.8.2. La disposition en cause ne porte dès lors pas d'atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge garanti par l'article 13 de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

B.5.4. Il ressort de cet arrêt que l'article 806 du Code judiciaire ne limite pas de manière disproportionnée la juridiction du juge qui statue par défaut. Quelle que soit l'étendue du pouvoir d'appréciation du juge dans le jugement par défaut qui n'a pas été rendu en dernier ressort, ce jugement continue en outre à pouvoir faire l'objet d'un appel, qui donnera lieu à une décision en pleine juridiction.

B.6. L'article 1047, alinéa 1er, du Code judiciaire n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Quant à la comparaison avec la procédure pénale B.7.1. Enfin, il ressort de la motivation de la décision de renvoi que la juridiction a quo interroge également la Cour sur la compatibilité de l'article 1047, alinéa 1er, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il fait naître une différence de traitement entre, d'une part, les personnes qui sont confrontées à un jugement par défaut dans une procédure civile et, d'autre part, les personnes qui sont condamnées par défaut dans une procédure pénale.

B.7.2. Le Conseil des ministres soutient que les deux catégories de personnes en cause ne sont pas comparables, au motif que les procédures civile et pénale se distinguent quant à la philosophie qui sous-tend les deux procédures.

B.7.3. Bien que la procédure civile et la procédure pénale poursuivent des objectifs distincts et bien qu'elles aient des objets fondamentalement différents, une personne condamnée peut aussi faire opposition à une condamnation civile prononcée par la juridiction pénale.

La personne condamnée par défaut dans le cadre d'une procédure civile se trouve donc dans une situation comparable à celle de la personne qui a été condamnée au pénal.

B.7.4. L'essence et la finalité mêmes de l'opposition sont de permettre le plein exercice des droits de la défense par une personne qui pourrait, en raison de sa défaillance, ne pas avoir connaissance de tous les éléments d'une cause ou tout au moins ne pas avoir pu s'expliquer sur eux.

B.7.5. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.7.6. Il est déjà apparu de l'examen de la première partie de la question préjudicielle que la disposition en cause ne limite pas le droit d'accès au juge de manière disproportionnée.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1047, alinéa 1er, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l'article 806 du même Code, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 novembre 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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