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Arrêt
publié le 10 juin 2020

Extrait de l'arrêt n° 185/2019 du 20 novembre 2019 Numéros du rôle : 6940 et 6948 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle, posées par le Tribunal correctionnel francophone de La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, des juges L. Lavrysen, J(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 185/2019 du 20 novembre 2019 Numéros du rôle : 6940 et 6948 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle, posées par le Tribunal correctionnel francophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen et M. Pâques, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugement du 25 mai 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 mai 2018, le Tribunal correctionnel francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle interprétés comme n'autorisant pas le prévenu à démontrer son absence de culpabilité dès lors qu'il n'a pas visé cette problématique dans son acte d'appel, et limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de soulever d'office les moyens qu'il vise pour les seuls faits dont la juridiction est saisie, ce qui concrètement, d'une part, prive la disposition légale de toute portée pratique puisqu'il relève de la mission du juge de qualifier les faits dont il est saisi et de dire si ceux-ci sont établis, mais également parce que cet article ne paraît avoir d'intérêt précisément que dans l'hypothèse où le prévenu n'a pas soumis régulièrement à la juridiction d'appel la question de sa culpabilité et, d'autre part, empêche le juge du fond d'apprécier la pertinence de moyens d'ordre public susceptibles d'avoir une incidence sur la culpabilité du prévenu notamment lorsque ces moyens sont découverts après le dépôt de la requête d'appel qui limite la saisine du juge d'appel, violent-ils l'article 13 de la Constitution, combiné ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? ».b. Par jugement du 11 juin 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 14 juin 2018, le Tribunal correctionnel francophone de Bruxelles a posé la même question préjudicielle. Ces affaires, inscrites sous les numéros 6940 et 6948 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle avec l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.1.2. L'article 204 du Code d'instruction criminelle, tel qu'il a été remplacé par l'article 89 de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer « modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice » (ci-après : la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer), dispose : « A peine de déchéance de l'appel, la requête indique précisément les griefs élevés, y compris les griefs procéduraux, contre le jugement et est remise, dans le même délai et au même greffe que la déclaration visée à l'article 203. Elle est signée par l'appelant, son avocat ou tout autre fondé de pouvoir spécial. Dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à la requête.

Cette requête peut aussi être remise directement au greffe du tribunal ou de la cour où l'appel est porté.

Un formulaire dont le modèle est déterminé par le Roi peut être utilisé à cette fin.

La présente disposition s'applique également au ministère public ».

L'article 210 du même Code, tel qu'il a été complété d'un deuxième et d'un troisième alinéas par l'article 94 de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer précitée, dispose : « Avant que les juges émettent leur opinion, le prévenu, soit qu'il ait été acquitté, soit qu'il ait été condamné, les personnes civilement responsables du délit, la partie civile, ou leur avocat et le procureur général seront entendus sur les griefs précis élevés contre le jugement et dans l'ordre qui sera réglé par le juge. Le prévenu ou son avocat, s'il le demande, aura toujours le dernier la parole.

Outre les griefs soulevés comme prescrit à l'article 204, le juge d'appel ne peut soulever d'office que les moyens d'ordre public portant sur les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ou sur : - sa compétence; - la prescription des faits dont il est saisi; - l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi quant à la culpabilité ou la nécessité de les requalifier ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits.

Les parties sont invitées à s'exprimer sur les moyens soulevés d'office ».

B.1.3.1. La loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer (aussi appelée la loi pot-pourri II ») vise à améliorer et à moderniser le droit pénal et la procédure pénale, afin de rendre l'administration de la justice plus efficace, plus rapide et plus économique sans compromettre la qualité de l'administration de la justice ou les droits fondamentaux des justiciables (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 3, et DOC 54-1418/005, p. 5).

La modification de l'article 204 du Code d'instruction criminelle vise un « traitement plus efficace des procédures pénales par l'introduction de l'obligation de déposer une requête en appel » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 3), par laquelle il y a lieu « de définir précisément les griefs formulés contre le jugement rendu en première instance » (ibid., p. 83). L'article 204 du Code d'instruction criminelle « ancre l'obligation de déposer en cas d'appel une requête dans laquelle sont définis précisément les griefs élevés contre le jugement attaqué, en ce compris (cf. avis du Conseil d'Etat, n° 69) les griefs relatifs à la procédure. Cela implique de préciser non les moyens mais les points sur lesquels et les raisons pour lesquelles il y a lieu de modifier la décision rendue en première instance. Cette obligation vaut également pour le ministère public. A défaut, le juge peut déclarer l'appel irrecevable » (ibid., p. 84).

Par ailleurs, « seuls les griefs soulevés par les parties doivent être examinés par la juridiction d'appel. Par conséquent, l'examen de degré d'appel devra se limiter le cas échéant à certaines préventions ou à la peine » (ibid., p. 87).

Il ressort de l'exposé des motifs que l'article 204 du Code d'instruction criminelle a été conçu comme étant « dans l'intérêt de toutes les parties », dès lors qu'il avait pour but de faire « prendre conscience [aux appelants qui n'ont ni avocat ni une grande instruction] de la portée de l'acte d'appel et de la faculté de le limiter » (ibid., p. 85).

Les travaux préparatoires indiquent à ce sujet : « Trop souvent, aujourd'hui, un condamné forme un appel ou une opposition sans y réfléchir. Or, si l'opposition ne peut nuire à l'opposant, il n'en va pas de même pour l'appelant : si son appel est suivi, il peut en résulter une aggravation de la peine en degré d'appel.

Il arrive aussi que les intérêts civils ne soient aucunement contestés mais que le condamné ne soit pas conscient qu'un appel interjeté à l'aveuglette contre toutes les dispositions du jugement vise également les dispositions civiles, ce qui entraîne des soucis et frais pour les parties et une charge de travail pour la justice parfaitement inutiles.

En limitant son appel, un condamné peut même dans certains cas convaincre le ministère public qu'il assume pour l'essentiel sa condamnation et qu'il n'est pas nécessaire de suivre l'appel en l'étendant à toutes les dispositions. Il arrive ainsi que seule la répartition des frais entre les condamnés soit contestée » (ibid.).

B.1.3.2. L'indication des griefs dans la requête d'appel tend à assurer un traitement plus efficace de la procédure pénale en appel, en permettant à toutes les parties de préparer l'affaire, selon la nature des griefs soulevés, avant la première audience : « Pour les parties intimées et le juge d'appel, la précision de la saisine de celui-ci permettra de préparer utilement l'affaire avant la première audience, ce qui pourra éviter pour des affaires simples de devoir préciser à cette audience la raison de l'appel et de remettre l'examen de l'affaire à une audience ultérieure afin de permettre aux intimés de se préparer » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/005, pp. 16 et 116).

Le législateur était toutefois conscient que l'indication des griefs pourrait requérir un temps d'analyse additionnel, puisqu'il a décidé d'augmenter le délai d'appel « vu l'instauration de l'obligation de définir les griefs » (ibid., p. 116).

Pour le surplus, le rapport indique que, « concernant le modèle de formulaire pour la communication des griefs afin d'interjeter appel, le ministre rejoint les membres qui plaident pour une évaluation de son application » (ibid., p. 59).

B.1.4. La modification de l'article 210 du Code d'instruction criminelle est intervenue à la suite d'une observation émise par la section de législation du Conseil d'Etat.

A cet égard, l'exposé des motifs précise : « Le juge d'appel peut cependant, concernant les préventions visées par l'appel, soulever d'office des moyens touchant l'ordre public.

Comme l'indique le Conseil d'Etat : ' En tout cas, dans l'hypothèse où la mesure a une influence (à préciser) sur la saisine du juge d'appel - et il ressort de la déclaration du délégué que c'est bien l'intention - il faudrait indiquer clairement que la règle à introduire empêche certes les parties d'invoquer d'autres griefs que ceux mentionnés dans l'acte d'appel, mais que le juge d'appel n'est pas privé de la possibilité, du moins en ce qui concerne la ou les imputations sur laquelle/lesquelles porte l'appel, de soulever d'office des questions de droit qui touchent à l'ordre public et d'y donner la suite voulue. Ainsi, il doit toujours examiner sa compétence, avoir la possibilité de constater que le fait imputé ne constitue pas une infraction ou de lui donner une autre qualification, ou, comme l'indique le délégué, de décider que l'enquête ou la poursuite est entachée d'une nullité irréparable ou que l'action publique est prescrite, même si cela n'est pas soulevé par la partie qui a formé l'appel. ' (avis 57 792/1/V du Conseil d'Etat, n° 69, traduction libre).

Le devoir de qualifier exactement les faits ou de constater qu'ils ne constituent pas une infraction ne peut cependant amener le juge à outrepasser sa saisine en remettant en cause d'office la commission de faits non contestés par un grief avancé.

Il va de soi cependant que l'introduction d'un appel en matière pénale sur la culpabilité implique également un appel sur la peine » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 88).

B.1.5. L'article 13 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. [...] ».

B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si les articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle, interprétés comme n'autorisant pas le prévenu à démontrer son absence de culpabilité lorsqu'il n'a pas visé ce grief concernant une prévention identifiée dans son acte d'appel et limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de soulever d'office des moyens énumérés à l'article 210 pour les seuls faits dont la juridiction est saisie par le prévenu quant à la culpabilité, sont compatibles avec l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Selon la juridiction a quo, une telle interprétation priverait tout d'abord concrètement les dispositions légales en cause de toute portée pratique puisqu'il relève de la mission du juge de qualifier les faits dont il est saisi et de dire si ceux-ci sont établis et que l'article 210 du Code d'instruction criminelle ne paraît avoir d'intérêt que dans l'hypothèse où le prévenu n'a pas soumis régulièrement à la juridiction d'appel la question de sa culpabilité. Ensuite, une telle interprétation empêcherait le juge du fond d'apprécier la pertinence de moyens d'ordre public susceptibles d'avoir une incidence sur la culpabilité du prévenu notamment lorsque ces moyens sont découverts après le dépôt de la requête d'appel qui limite la saisine du juge d'appel.

B.3.1. Le second aspect de la critique de la juridiction a quo est lié à la découverte d'un « élément nouveau » après le dépôt de la requête d'appel, et à la possibilité pour le juge de soulever d'office ce moyen.

B.3.2. En ce qui concerne l'hypothèse de survenance, après le dépôt de la requête d'appel, d'un « élément nouveau » susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, alors même que la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête ou dans le formulaire de griefs, la Cour a jugé, par son arrêt n° 67/2019 du 16 mai 2019 : « B.15.1. En cas de survenance d'un ' élément nouveau ', dont seul le juge d'appel pourrait avoir connaissance à l'exclusion du premier juge, et qui est susceptible d'avoir une incidence sur la culpabilité, l'impossibilité pour le juge d'appel de soulever d'office un moyen d'ordre public pris de l'absence d'infraction au sens de l'article 210, alinéa 2, troisième tiret, du Code d'instruction criminelle en dehors des griefs au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, parce que la déclaration de culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, est disproportionnée au regard du droit d'accès au juge, en ce qu'elle vide de sa substance l'appel en matière pénale alors que la juridiction en est saisie.

B.15.2. Ce constat vaut dans l'hypothèse d'un ' élément nouveau ', conçu comme un élément survenu après le dépôt de la requête d'appel, dont seul le juge d'appel pourrait avoir connaissance à l'exclusion du premier juge, et qui pourrait dès lors fonder un moyen nouveau, qui n'aurait aucunement pu être soumis au premier juge et qui serait susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, même si la question de la culpabilité n'a pas été visée dans cette requête ou dans le formulaire de griefs.

Le caractère imprévisible de l'' élément nouveau ' empêche, par définition, l'appelant d'avoir pu le prendre en compte quand il a défini ses griefs. L'impossibilité pour le juge de soulever cet ' élément nouveau ' susceptible d'établir l'absence d'infraction est une mesure disproportionnée au regard de l'objectif de conscientiser les parties sur la portée de l'acte d'appel.

Le fait de n'avoir pas visé la question de la culpabilité dans la requête ne peut, à l'égard de cet ' élément nouveau ', lequel est intrinsèquement imprévisible et qu'il était dès lors impossible de produire en instance, signifier que l'appelant aurait renoncé à contester sa culpabilité ni que le juge d'appel ne peut décider d'office qu'il n'est pas coupable.

Pour le surplus, comme il est dit en B.2.3, c'est au juge a quo qu'il appartient d'apprécier s'il existe, en l'espèce, un tel ' élément nouveau '.

B.15.3. Enfin, la circonstance que, dans l'hypothèse de la survenance d'un ' fait nouveau ' susceptible d'avoir une incidence sur la culpabilité, le condamné ait la possibilité de demander la révision de sa condamnation, en vertu des articles 443 à 447bis du Code d'instruction criminelle, n'est pas de nature à atténuer le caractère disproportionné de la disposition en cause dans l'hypothèse de la survenance d'un ' élément nouveau ', tel qu'il est délimité en B.15.2.

En effet, les articles 443 à 447bis du Code d'instruction criminelle organisent, selon des conditions très strictes, une procédure de révision des condamnations pénales passées en force de chose jugée, et cette voie de recours extraordinaire ne peut se substituer à l'appel en matière pénale, qui constitue une voie de recours ordinaire permettant de réformer une décision d'instance, notamment quand le juge d'appel décide, sur la base des faits dont il est saisi, que la culpabilité n'est pas établie.

B.16. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative ».

La Cour a dès lors dit pour droit : « L'article 210 du Code d'instruction criminelle viole l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le juge d'appel ne peut pas soulever d'office un moyen d'ordre public relatif à l'absence d'infraction résultant d'un élément nouveau survenu après le dépôt de la requête d'appel, lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans cette requête ou dans le formulaire de griefs ».

Comme la Cour l'a précisé dans le B.2.3, alinéa 2, de son arrêt n° 67/2019, elle a, dans cet arrêt, limité son examen à cette hypothèse de survenance, après le dépôt de la requête d'appel, d'un « élément nouveau » susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, alors même que la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête ou dans le formulaire de griefs.

B.3.3. Il résulte de cet arrêt qu'en cas de survenance d'un « élément nouveau » susceptible d'établir l'absence d'infraction et, partant, d'avoir une incidence sur la culpabilité, alors même que la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête ou dans le formulaire de griefs, le juge doit pouvoir soulever d'office un moyen d'ordre public relatif à l'absence d'infraction (voy. Cass., 29 mai 2019, P.18.0636.F).

B.3.4. Contrairement à la question préjudicielle à laquelle il a été répondu par l'arrêt n° 67/2019, les questions préjudicielles dont est saisie la Cour en l'espèce ne portent pas sur la survenance, après le dépôt de la requête d'appel, d'un élément nouveau dont seul le juge d'appel pourrait connaître à l'exclusion du premier juge, cet élément pouvant dès lors servir de fondement à un moyen nouveau, qui n'aurait en aucun cas pu être soumis au premier juge et qui pourrait aboutir au constat que les faits ne constituent pas une infraction et, dès lors, avoir une incidence sur la culpabilité.

Dès lors que les présentes affaires ne sont pas concernées par la survenance d'un « élément nouveau », tel qu'il est visé par l'arrêt n° 67/2019 précité, les questions préjudicielles, en ce qu'elles portent sur cet aspect, n'appellent pas de réponse.

En ce qu'elles critiquent par contre la possibilité pour le juge de soulever d'office le moyen pris de l'absence de culpabilité en dehors de l'hypothèse de survenance, après le dépôt de la requête d'appel, d'un « élément nouveau », les questions préjudicielles portent sur une situation qui n'a pas été examinée dans l'arrêt n° 67/2019.

La Cour examine dès lors une situation différente de celle qui est visée par l'arrêt n° 67/2019 précité.

B.4. Il convient maintenant d'examiner, indépendamment de la survenance d'un « élément nouveau », la compatibilité avec l'article 13 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle, interprétés comme (1) n'autorisant pas le prévenu à démontrer son absence de culpabilité lorsqu'il n'a pas visé ce grief concernant une prévention identifiée dans sa requête d'appel ou dans le formulaire de griefs (article 204 du Code) et (2) limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de qualifier d'office les faits dont elle est saisie et de dire si ceux-ci sont établis ou non lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête ou dans le formulaire de griefs (article 210 du Code).

B.5. L'article 13 de la Constitution garantit le droit d'accès au juge compétent. Il garantit également à toutes les personnes qui se trouvent dans la même situation le droit d'être jugées selon les mêmes règles en ce qui concerne la compétence et la procédure.

Le droit d'accès au juge serait vidé de tout contenu s'il n'était pas satisfait aux exigences du procès équitable, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Par conséquent, lors d'un contrôle au regard de l'article 13 de la Constitution, il convient de tenir compte de ces garanties.

B.6.1. Le droit d'accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut être soumis à des conditions de recevabilité, notamment en ce qui concerne l'introduction d'une voie de recours. Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s'en trouve atteint dans sa substance même.

Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s'il n'existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La compatibilité de ces limitations avec le droit d'accès à un tribunal dépend des particularités de la procédure en cause et s'apprécie au regard de l'ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière A.S.B.L. c. Belgique, § 36; 29 mars 2011, R.T.B.F. c.

Belgique, § 70; 18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 64; 17 juillet 2018, Vermeulen c. Belgique, § 48).

B.6.2. Plus particulièrement, les règles relatives aux formalités et aux délais fixés pour former un recours visent à assurer une bonne administration de la justice et à écarter les risques d'insécurité juridique. Si la simplification et l'accélération de la procédure constituent des objectifs légitimes (CEDH, 18 octobre 2016, Miessen c.

Belgique, § 71), les règles de procédure ne peuvent toutefois pas, en raison d'un formalisme excessif, empêcher les justiciables de se prévaloir des voies de recours disponibles.

La Cour européenne des droits de l'homme rappelle ainsi que l'application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d'accès à un tribunal, notamment quand l'interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l'examen au fond du recours exercé par l'intéressé (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière A.S.B.L. c. Belgique, § 38; 29 mars 2011, R.T.B.F. c. Belgique, § 71;18 octobre 2016, Miessen c. Belgique, § 66).

B.7.1. Ni l'article 13 de la Constitution, ni l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne garantissent, de manière générale, un droit à un double degré de juridiction (CEDH, grande chambre, 26 octobre 2000, Kudla c. Pologne, § 122; 18 décembre 2007, Marini c. Albanie, § 120; 17 juillet 2012, Muscat c. Malte, § 42).

En matière pénale cependant, le droit à un double degré de juridiction est garanti par l'article 2 du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que par l'article 14, paragraphe 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

En ce qui concerne l'article 2, le point 17 du Rapport explicatif relatif à ce Protocole précise : « Cet article reconnaît à toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. Il n'est pas exigé que, dans tous les cas, cette personne ait la possibilité de faire examiner à la fois la déclaration de culpabilité et la condamnation. Ainsi, par exemple, si la personne condamnée s'est avouée coupable de l'infraction dont elle a été inculpée, ce droit peut être restreint à la révision de sa condamnation. Par rapport au libellé de la disposition correspondante du Pacte des Nations Unies (article 14, paragraphe 5), le terme ' tribunal ' a été ajouté pour qu'il soit bien clair que cet article ne concerne pas les infractions jugées par des autorités qui ne sont pas des tribunaux au sens de l'article 6 de la Convention ».

Le droit d'appel ne doit donc pas nécessairement porter à la fois sur la déclaration de culpabilité et sur la condamnation. Ainsi, si la personne a avoué l'infraction qu'on lui reproche, l'appel peut être limité à la condamnation uniquement.

L'article 14, paragraphe 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques doit raisonnablement être interprété dans le même sens.

B.7.2. En ce qui concerne l'article 2, paragraphe 1, du Septième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé : « Les Etats contractants disposent en principe d'un pouvoir discrétionnaire pour décider des modalités d'exercice du droit prévu par l'article 2 du Protocole n° 7. Ainsi, l'examen d'une déclaration de culpabilité ou d'une condamnation par une juridiction supérieure peut porter tant sur des questions de fait que de droit ou se limiter aux points de droit; par ailleurs, dans certains pays, le justiciable désireux de saisir l'autorité de recours doit, dans certains cas, solliciter une autorisation à cette fin. Toutefois, les limitations apportées par les législations internes au droit de recours mentionné par cette disposition doivent, par analogie avec le droit d'accès au tribunal consacré par l'article 6 de la Convention, poursuivre un but légitime et ne pas porter atteinte à la substance même de ce droit (Haser c. Suisse (déc.), n° 33050/96, 27 avril 2000) » (CEDH, 13 février 2001, Krombach c. France, § 96; 8 janvier 2009, Panou c.

Grèce, § 32; 8 janvier 2009, Patsouris c. Grèce, § 35).

B.7.3. D'une manière générale, il incombe au législateur, lorsqu'il organise une voie de recours, de garantir le déroulement équitable de la procédure.

B.7.4. Il résulte de ce qui précède que le droit d'accès au juge, en ce compris dans le cadre de l'appel d'une décision pénale, peut faire l'objet de certaines limitations, notamment quant à son objet, c'est-à-dire à l'étendue de la saisine, à condition que celles-ci n'atteignent pas le droit dans sa substance même, qu'elles tendent vers un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.8. Même si les articles 204 et 210 du Code d'instruction criminelle doivent être lus conjointement, ces dispositions ont un objet différent : l'article 204 du Code d'instruction criminelle vise la limitation de la saisine du juge d'appel aux griefs visés dans la requête d'appel, tandis que l'article 210 du Code d'instruction criminelle concerne la possibilité, pour le juge d'appel, de soulever d'office un moyen.

La Cour examine dès lors ces deux dispositions de manière séparée.

B.9.1. Il convient d'abord d'examiner si, interprété comme n'autorisant pas le prévenu à démontrer son absence de culpabilité lorsqu'il n'a pas visé ce grief concernant une prévention identifiée dans sa requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, l'article 204 du Code d'instruction criminelle n'emporte pas une restriction disproportionnée au droit d'accès au juge, dont les exigences sont rappelées en B.6 et B.7.

B.9.2. L'article 204, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle fait obligation à l'appelant, à peine de déchéance de l'appel, de déposer une requête indiquant précisément les griefs élevés, y compris les griefs procéduraux, contre le jugement.

En vertu de l'article 204, alinéa 3, du même Code, l'appelant peut utiliser à cette fin un formulaire dont le modèle est déterminé par le Roi. L'arrêté royal du 18 février 2016 « portant exécution de l'article 204, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle » a établi ce formulaire, modifié ensuite par l'arrêté royal du 23 novembre 2017 « remplaçant l'annexe de l'arrêté royal du 18 février 2016 portant exécution de l'article 204, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle ».

B.9.3. Tel qu'il a été utilisé en l'espèce pour la saisine de la juridiction a quo, le formulaire publié en annexe à l'arrêté royal du 18 février 2016 précité, avant sa modification par l'arrêté royal du 23 novembre 2017, invite à cocher une ou plusieurs « dispositions » du premier jugement contre lesquelles un grief est élevé. Ces dispositions sont, en ce qui concerne l'action publique, la culpabilité, la qualification de l'infraction, les règles concernant la procédure, le taux de la peine, l'internement, la non-application du sursis simple, du sursis probatoire, de la suspension simple ou de la suspension probatoire, la confiscation, les autres mesures que sont la remise en état ou l'astreinte, la prescription, la violation de la Convention européenne des droits de l'homme, l'acquittement et les autres dispositions. En ce qui concerne l'action civile, les dispositions sont la recevabilité, le lien causal, l'évaluation du dommage (montant), les intérêts et les autres dispositions.

B.9.4. Conformément au formulaire de griefs établi par l'arrêté royal du 18 février 2016 précité, de même que par l'arrêté royal du 23 novembre 2017 qui le modifie, la déclaration de culpabilité constitue une disposition du jugement contre laquelle un grief peut être élevé, qui doit être spécifiquement visée dans la requête d'appel.

B.9.5. Selon la Cour de cassation, constitue un grief au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, la désignation spécifique, par l'appelant, d'une décision du jugement entrepris, dont il demande la réformation par le juge d'appel. Il n'est pas requis que, dans sa requête ou son formulaire de griefs, l'appelant indique déjà les motifs pour lesquels il demande cette réformation; le juge d'appel apprécie souverainement, en fait, si, dans la requête ou le formulaire de griefs, l'appelant a indiqué de manière suffisamment précise ses griefs. L'indication des griefs est précise au sens de cette disposition lorsqu'elle permet aux juges d'appel et aux parties de déterminer avec certitude la décision ou les décisions du jugement entrepris, dont la partie appelante demande la réformation, en d'autres mots de déterminer la saisine des juges d'appel (Cass., 18 avril 2017, P.17.0031.N, P.17.0087.N, P.17.0105.N et P.17.0147.N; 3 mai 2017, P.17.0145.F; 28 juin 2017, P.17.0176.F; 27 septembre 2017, P.17.0257.F. Voir également : Cass., 6 février 2018, P.17.0457.N; 27 février 2018, P.18.0021.N; 13 mars 2018, P.17.0695.N; 30 mai 2018, P.18.0387.F).

B.10.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer que la requête d'appel visée à l'article 204 du Code d'instruction criminelle a pour effet d'encadrer la saisine du juge d'appel, de sorte que les parties ne sont pas autorisées à invoquer de nouveaux griefs après l'expiration du délai pour déposer la requête (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 87).

Le juge d'appel ne peut en principe pas connaître des dispositions du jugement qui ne sont frappées d'appel par aucune des parties.

B.10.2. Conformément à l'article 204 du Code d'instruction criminelle, c'est à l'appelant qu'il appartient de déterminer lui-même, dans la requête d'appel, les dispositions du jugement qu'il entend contester.

Rien ne fait obstacle à ce que l'appelant formule, dans la requête d'appel, des griefs relatifs à l'ensemble des dispositions du jugement, pourvu que les griefs en question soient suffisamment précis. Comme l'indiquent les travaux préparatoires de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer, cette mesure vise à responsabiliser les parties au procès pénal en leur faisant prendre conscience de la portée de l'appel.

B.10.3. Ainsi que la Cour l'a jugé par son arrêt n° 148/2017 du 21 décembre 2017 en ce qui concerne l'appel sur griefs au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, les « griefs » ne s'identifient pas à des « moyens » : « B.45.1. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la notion de ' grief ', au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, ne se confond pas avec la notion de ' moyen ' au sens où l'entendent les parties requérantes. La disposition attaquée prescrit donc que l'appelant désigne, dans sa requête, les parties du jugement de première instance qu'il entend voir réformer et non les arguments qu'il souhaite avancer à cette fin.

B.45.2. Par conséquent, la disposition attaquée n'empêche pas que l'appelant invoque, pour la première fois en degré d'appel et en cours de procédure, les moyens qu'il estime appropriés pour obtenir la réformation de la décision rendue en première instance, en ce compris, le cas échéant, le dépassement du délai raisonnable ou encore un revirement de jurisprudence intervenu entre les deux instances ».

B.11.1. Comme il est dit en B.1.3.2 et B.10.2, le système d'appel sur griefs visait à améliorer l'efficacité de la procédure pénale, en responsabilisant les parties quant à la portée de la requête d'appel ou du formulaire de griefs, et en permettant ainsi à toutes les parties de préparer l'affaire, selon la nature des griefs soulevés, avant la première audience et d'éviter ainsi de devoir reporter des points à une audience ultérieure (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/005, pp. 16 et 116).

Cet objectif d'un traitement plus efficace de la procédure pénale et d'une responsabilisation accrue des parties est légitime et bénéficie à toutes les parties.

B.11.2. La poursuite d'un tel objectif justifie de considérer que l'absence d'indication du grief de culpabilité dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs emporte une déchéance de l'appel sur ce point, le prévenu ayant choisi de renoncer à exercer un appel quant à sa culpabilité.

Le fait de ne plus permettre au prévenu de contester en appel sa culpabilité, lorsqu'il a volontairement renoncé à contester cet aspect du jugement ne peut être considéré comme relevant d'un formalisme excessif, dès lors que le prévenu qui souhaite introduire un appel ne peut en ignorer les conditions de recevabilité. En outre, ce prévenu dispose de la possibilité d'indiquer ses griefs dans la requête d'appel mais aussi dans le formulaire établi afin de le guider pour ce faire.

B.11.3. Interprété comme n'autorisant pas le prévenu à démontrer son absence de culpabilité lorsqu'il n'a pas visé ce grief concernant une prévention identifiée dans sa requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, l'article 204 du Code d'instruction criminelle ne porte pas atteinte d'une manière disproportionnée au droit d'accès à un juge en matière pénale, en ce compris les droits de la défense et le droit d'exercer un recours effectif.

B.11.4. Les questions préjudicielles, en ce qu'elles visent l'article 204 du Code d'instruction criminelle, appellent dès lors une réponse négative.

B.12. Il convient ensuite d'examiner si, indépendamment de l'éventuel souhait du prévenu de contester sa culpabilité en appel alors qu'il n'aurait pas visé le grief de culpabilité dans sa requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, l'article 210 du Code d'instruction criminelle n'emporte pas une restriction disproportionnée du droit d'accès au juge, dont les exigences sont rappelées en B.6 et B.7, lorsqu'il est interprété comme limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de soulever d'office l'absence de culpabilité du prévenu à l'égard des faits dont elle est saisie lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans ladite requête ou dans le formulaire de griefs.

B.13.1. L'article 210, alinéa 2, troisième tiret, du Code d'instruction criminelle permet au juge de soulever d'office, outre les griefs soulevés comme prescrit à l'article 204 du même Code, les moyens d'ordre public pris de « l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont il est saisi quant à la culpabilité ou la nécessité de les requalifier ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits ».

Il convient maintenant d'examiner quelle est l'incidence de cette disposition lorsque le grief « culpabilité » n'a pas été coché dans le formulaire de griefs.

B.13.2. En ce qui concerne les moyens d'ordre public que le juge d'appel peut soulever d'office dans les conditions prévues par l'article 210, alinéa 2, du même Code, les travaux préparatoires de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer ont indiqué que « le devoir de qualifier exactement les faits ou de constater qu'ils ne constituent pas une infraction ne peut cependant amener le juge à outrepasser sa saisine en remettant en cause d'office la commission de faits non contestés par un grief avancé » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 88).

B.13.3. La Cour de cassation a jugé : « L'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle [...] énumère les moyens d'ordre public que le juge d'appel peut, outre les griefs élevés comme prescrit à l'article 204, soulever d'office.

Ces moyens sont, notamment, ceux qui portent sur l'absence d'infraction que présenteraient les faits dont le juge d'appel est saisi quant à la culpabilité, ou la nécessité de les requalifier, ou une nullité irréparable entachant l'enquête portant sur ces faits.

Ainsi qu'elle l'énonce, cette disposition visée au troisième tiret de l'article 210, alinéa 2, précité, s'applique aux préventions ayant fait l'objet d'une déclaration de culpabilité que l'appelant a déférée aux juges d'appel en indiquant précisément dans la requête d'appel un grief portant sur cette déclaration ou en cochant la case adéquate dans le formulaire de griefs.

Il faut donc que, par la requête visée à l'article 204 du Code d'instruction criminelle, le juge d'appel soit saisi d'une contestation relative à la culpabilité du chef d'une prévention, avant de pouvoir soulever d'office tout moyen d'ordre public relatif à la qualification de cette prévention, à la nullité de l'enquête qui en a établi les faits, ou à l'absence de toute disposition légale érigeant ceux-ci en infraction » (Cass., 11 avril 2018, P.17.1303.F; dans le même sens, voir également : Cass., 19 avril 2017, P.17.0055.F; 18 octobre 2017, P.17.0656.F; 6 février 2018, P.17.0457.N).

Ainsi, cette interprétation de la notion de « moyens d'ordre public » au sens de l'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, lu en combinaison avec le formulaire de griefs établi par l'arrêté royal du 18 février 2016 précité, a pour conséquence que le juge d'appel ne peut soulever d'office des moyens d'ordre public portant sur l'absence d'infraction que représenteraient les faits dont il est saisi que s'il l'est « quant à la culpabilité », en d'autres termes, uniquement si l'un des griefs soulevés par l'appelant dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs porte sur la question de la culpabilité.

B.13.4. Il convient maintenant d'examiner si l'interprétation de la notion de « moyen d'office » contenue dans les travaux préparatoires cités en B.13.2 et dans la jurisprudence citée en B.13.3 n'emporte pas une restriction disproportionnée au droit d'accès au juge, quand est en cause l'absence de culpabilité du prévenu.

B.14.1. Comme il est dit en B.1.3, l'article 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle s'inscrit dans l'objectif d'un traitement plus efficace des affaires pénales en degré d'appel, poursuivi, d'une part, par la limitation du débat en appel aux seuls griefs élevés, dans la requête, par les parties contre le jugement d'instance (article 204 du Code d'instruction criminelle) et, d'autre part, par la limitation de la faculté pour le juge de soulever d'office des moyens d'ordre public (article 210 du Code d'instruction criminelle).

Ces mesures contribuent également à renforcer la sécurité juridique liée à l'autorité qui s'attache aux dispositions d'un jugement qui ne sont pas contestées en appel.

B.14.2. Comme il est dit en B.7.2, l'obligation d'organiser un double degré de juridiction en matière pénale n'implique pas qu'il faille nécessairement permettre en appel un réexamen complet de l'affaire.

L'appel peut être limité à certaines dispositions du jugement. Aussi, la limitation de la saisine du juge d'appel ne saurait en soi constituer une violation des droits de la défense ou du droit d'exercer un recours effectif.

B.14.3. Pour apprécier la proportionnalité de la mesure en cause, il convient toutefois de tenir compte de la nature particulière du constat que pourrait soulever d'office le juge d'appel quant à l'absence de culpabilité, et de l'importance fondamentale que revêt un tel constat en matière pénale.

D'une part, la déclaration de culpabilité conditionne un grand nombre d'autres éléments de la décision pénale, y compris les effets civils, qui en découlent. Pour cette raison, d'ailleurs, les travaux préparatoires constatent que le fait de viser le grief de culpabilité emporte de plano l'indication du grief pris de la peine (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 88).

D'autre part, la déclaration de culpabilité, en matière pénale, est souvent susceptible d'emporter une peine d'emprisonnement. Eu égard à l'importance fondamentale de l'habeas corpus, toutes les limitations de la liberté individuelle doivent être interprétées de manière restrictive et leur constitutionnalité doit être examinée avec la plus grande circonspection.

Enfin, en matière pénale, le juge d'appel est, par l'effet dévolutif de l'appel, saisi, dans la mesure des griefs, des faits portés devant le juge d'instance qui ont fondé la décision contestée en appel.

L'exercice effectif de l'appel comme voie de recours ordinaire suppose que le juge d'appel puisse, pour apprécier les griefs dont il est saisi, tenir compte de ces faits et décider de l'éventuelle absence de culpabilité.

B.14.4. Bien que sa saisine soit limitée par les griefs, le juge d'appel doit, pour que l'appel en matière pénale soit une voie de recours effective, conserver la possibilité de soulever d'office un moyen d'ordre public pris de l'absence d'infraction, s'il ressort des faits dont il est saisi que le prévenu n'est pas coupable.

Il serait en effet contraire à l'ordre public qu'un juge d'appel ne puisse constater que le prévenu n'est pas coupable, alors même que l'examen des faits dont il est saisi conduit à déclarer l'absence de culpabilité. Empêcher le juge d'appel de constater, sur la base des faits dont il est saisi, l'absence de culpabilité du prévenu non seulement l'empêcherait d'exercer sa mission juridictionnelle en appel, dans la matière pénale, mais atteindrait, en outre, dans sa substance même le droit d'accès au juge d'appel en matière pénale.

B.14.5. Interprété comme empêchant le juge d'appel de soulever d'office, sur la base des faits dont il est saisi, un moyen d'ordre public pris de l'absence d'infraction, en dehors des griefs au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle, parce que la déclaration de culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, l'article 210 du Code d'instruction criminelle emporte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge et au droit d'exercer un recours effectif, en ce qu'il vide de sa substance le principe de l'appel en matière pénale.

B.15. Dans cette interprétation, les questions préjudicielles, en ce qu'elles visent l'article 210 du Code d'instruction criminelle, appellent une réponse affirmative.

B.16. La Cour constate cependant que, comme le soutient d'ailleurs le Conseil des ministres, la disposition en cause peut être interprétée différemment.

L'article 210 du Code d'instruction criminelle peut en effet être interprété comme ne limitant pas la possibilité pour la juridiction d'appel de qualifier d'office les faits dont elle est saisie et de dire si ceux-ci sont établis ou non lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs.

Dans cette interprétation, les questions préjudicielles, en ce qu'elles visent l'article 210 du Code d'instruction criminelle, appellent une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. Interprété comme n'autorisant pas le prévenu à démontrer son absence de culpabilité lorsqu'il n'a pas visé ce grief concernant une prévention identifiée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, l'article 204 du Code d'instruction criminelle ne viole pas l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.2. - Interprété comme limitant la possibilité pour la juridiction d'appel de qualifier d'office les faits dont elle est saisie et de dire si ceux-ci sont établis ou non lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, l'article 210 du Code d'instruction criminelle viole l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. - Interprétée comme ne limitant pas la possibilité pour la juridiction d'appel de qualifier d'office les faits dont elle est saisie et de dire si ceux-ci sont établis ou non lorsque la question de la culpabilité n'a pas été visée dans la requête d'appel ou dans le formulaire de griefs, la même disposition ne viole pas l'article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 novembre 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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