publié le 09 avril 2020
Extrait de l'arrêt n° 147/2019 du 24 octobre 2019 Numéro du rôle : 6841 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 14bis, alinéa 2, des lois sur le Cons(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 147/2019 du 24 octobre 2019 Numéro du rôle : 6841 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 14bis, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, et à l'article 6, § 1er, II, alinéa 2, 2°, et § 4, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 240.599 du 26 janvier 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1er février 2018, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 14bis, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors qu'il ne permet pas aux personnes autres que l'Etat belge, les Communautés, les Régions et la Commission communautaire commune d'invoquer, dans le cadre d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat, la violation des obligations de collaboration qu'il vise alors que ces mêmes violations peuvent être invoquées par toute personne contre une norme de valeur législative devant la Cour constitutionnelle ? »;2. « Les articles 6, § 1er, II, dernier alinéa, 2°, et 6, § 4, 1°, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 méconnaissent-ils le principe d'égalité inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ne prévoient pas que l'adoption de normes arrêtant des mesures de protection contre les ondes ionisantes fasse l'objet d'une association des gouvernements régionaux, alors qu'une telle faculté est prévue pour ce qui concerne les normes de produits, par les articles 6, § 1er, II, dernier alinéa, 1°, et 6, § 4, 1°, de la même loi spéciale ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est saisie de deux questions préjudicielles, posées par le Conseil d'Etat, dans le cadre d'un recours en annulation dirigé contre l'arrêté royal du 31 mai 2016 « relatif à la protection de la santé de la population en ce qui concerne les substances radioactives dans les eaux destinées à la consommation humaine » (ci-après : l'arrêté royal du 31 mai 2016).
L'arrêté royal du 31 mai 2016 transpose en droit belge la directive 2013/51/EURATOM du Conseil du 22 octobre 2013 « fixant les exigences pour la protection de la santé de la population en ce qui concerne les substances radioactives dans les eaux destinées à la consommation humaine » (ci-après : la directive 2013/51/EURATOM).
B.1.2. Dans le cadre de ce recours en annulation, les parties requérantes devant le juge a quo, qui sont des associations actives dans le secteur de l'eau, critiquent le fait que le Gouvernement wallon n'a pas été associé à l'élaboration de l'arrêté royal du 31 mai 2016. Selon les parties requérantes, l'arrêté royal du 31 mai 2016 établirait non pas des normes qui visent à la protection de la santé publique, mais des « normes de produits » au sens de l'article 6, § 1er, II, alinéa 2, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, pour l'élaboration desquelles les gouvernements régionaux doivent être associés, conformément à l'article 6, § 4, 1°, de la même loi spéciale du 8 août 1980. Quant à la première question préjudicielle B.2. La première question préjudicielle porte sur l'article 14bis, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat).
B.3.1. La section du contentieux administratif du Conseil d'Etat statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre des actes et règlements (article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat).
La section du contentieux administratif annule en règle un acte administratif attaqué lorsque celui-ci est irrégulier. Tel n'est toutefois pas le cas lorsque l'irrégularité n'était pas susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise, lorsqu'elle n'a privé les intéressés d'aucune garantie ou n'a pas eu pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte (article 14, § 1er, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat).
B.3.2. L'article 14bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, tel qu'il a été inséré par l'article 14 de la loi du 16 juin 1989 « portant diverses réformes institutionnelles » et modifié par l'article 9 de la loi du 4 août 1996 « modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 » et par l'article 2 de la loi du 8 septembre 1997, dispose : « Pour l'application de l'article 14 des mêmes lois coordonnées, sont considérées comme des formes substantielles, les concertations, les associations, les transmissions d'informations, les avis, les avis conformes, les accords, les accords communs, à l'exception des accords de coopération visés à l'article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, et les propositions qui concernent les relations entre l'Etat, les Communautés et les Régions et qui sont prévus par ou en vertu des lois prises en exécution des articles 39, 127, § 1er, 128, § 1er, 129, § 1er, 130, § 1er, 135, 136, alinéa 1er, 140, 175, 176 et 177 de la Constitution.
Toutefois, les personnes physiques et les personnes morales, à l'exception de l'Etat, des Communautés, des Régions et de la Commission communautaire commune en ce qui concerne les matières visées à l'article 63 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relatives aux institutions bruxelloises, ne peuvent invoquer la violation des formes visées à l'alinéa précédent ».
B.4.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, de l'article 14bis, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition ne permet pas aux personnes physiques ou morales autres que l'Etat belge, les communautés, les régions et la Commission communautaire commune d'invoquer, dans le cadre d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat, la violation des obligations de collaboration qu'il vise, « alors que ces mêmes violations peuvent être invoquées par toute personne contre une norme de valeur législative devant la Cour constitutionnelle ».
B.4.2. En vertu de l'article 1er, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour statue, par voie d'arrêt, sur les recours en annulation, en tout ou en partie, d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution pour cause de violation « des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des Communautés et des Régions ».
En vertu de l'article 30bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989, sont assimilées à des règles répartitrices de compétences au sens de l'article 1er, 1°, de la même loi spéciale « la concertation, l'association, la transmission d'informations, les avis, les avis conformes, les accords, les accords communs et les propositions prévus par la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, à l'exception des accords de coopération visés à l'article 92bis de ladite loi, ainsi que par la loi spéciale du 16 janvier 1989 sur le financement des communautés et Régions ou par toute autre loi prise en exécution des articles 39, 127, § 1er, 128, § 1er, 129, § 1er, 130, § 1er, 135, 136, 137, 140, 166, 175, 176 et 177 de la Constitution ».
Sauf à l'égard des mécanismes de fédéralisme coopératif précités, visés à l'article 30bis précité, la Cour n'est pas compétente pour contrôler le processus ou les modalités d'élaboration d'une loi.
La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ne limite pas la possibilité, pour les personnes physiques ou morales, d'invoquer la violation des règles visées à l'article 30bis de la même loi.
B.4.3. La question préjudicielle invite dès lors à comparer la situation des personnes physiques ou morales autres que l'Etat belge, les communautés, les régions et la Commission communautaire commune, selon qu'elles agissent en annulation devant le Conseil d'Etat ou devant la Cour constitutionnelle : dans le premier cas, elles ne peuvent invoquer la violation des mécanismes de fédéralisme coopératif visés à l'article 14bis, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, assimilés à des « formalités substantielles », alors que, dans le second cas, elles peuvent invoquer la violation des mécanismes de fédéralisme coopératif visés à l'article 30bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989, assimilés à des « règles répartitrices de compétences ».
B.5. Selon le Conseil des ministres et l'Agence fédérale de contrôle nucléaire, les personnes physiques ou morales qui agissent en annulation devant le Conseil d'Etat et les personnes physiques ou morales qui agissent en annulation devant la Cour constitutionnelle ne se trouveraient pas dans des situations suffisamment comparables, dès lors que la différence de traitement critiquée découle de la distinction, voulue par le Constituant, entre, d'une part, le contrôle des actes et règlements par le Conseil d'Etat et, d'autre part, le contrôle des normes législatives par la Cour constitutionnelle.
B.6.1. La Cour a déjà jugé que la procédure devant le Conseil d'Etat et la procédure devant la Cour constitutionnelle ne sont pas comparables (arrêt n° 22/91, B.7) et que la circonstance que les citoyens ne disposent pas des mêmes garanties juridictionnelles à l'égard d'un acte législatif que celles dont ils bénéficient à l'égard d'un acte administratif tient à la différence que le Constituant a établie en matière de contrôle de validité des normes entre les actes législatifs et les actes de nature administrative (arrêts n° 67/92, B.11.2; n° 55/99, B.6.2; n° 97/99, B.12 et n° 103/2000, B.5).
De même, en ce qui concerne l'exigence d'un intérêt à agir pour les entités fédérées requérantes devant le Conseil d'Etat, alors que cette exigence ne s'applique pas lorsqu'elles introduisent un recours en annulation contre une norme législative, la Cour a jugé que l'absence d'exigence d'intérêt pour les « requérants institutionnels », lorsqu'ils introduisent un recours en annulation auprès de la Cour, se fonde sur un choix opéré par le Constituant lui-même, qu'il n'appartient pas à la Cour de contrôler (arrêt n° 201/2004, B.8.3).
B.6.2. En l'espèce, toutefois, la différence de traitement critiquée ne tient pas à une option du Constituant d'établir une différence en matière de contrôle de validité des normes entre les actes législatifs et les actes de nature administrative. Elle découle en effet du choix, posé par le législateur, respectivement dans l'article 14bis, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et dans l'article 30bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, d'assimiler les mécanismes de fédéralisme coopératif y visés à des formes ou à des règles relevant, respectivement, de la compétence du Conseil d'Etat et de la Cour constitutionnelle.
B.6.3. Pour le surplus, il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. Les principes différents qui fondent le contrôle de validité des normes entre les actes législatifs et les actes de nature administrative peuvent certes constituer un critère dans l'appréciation du caractère raisonnable et proportionné d'une différence quant à la procédure ou à l'étendue du contrôle exercé, mais ils ne sauraient suffire pour conclure, en l'espèce, à la non-comparabilité de justiciables qui invoquent la violation de formes ou de règles identiques, que le législateur a choisi d'assimiler, de la même manière, à des normes de référence, respectivement, devant le Conseil d'Etat et devant la Cour constitutionnelle.
B.7. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.8.1. L'ancien article 124bis (actuellement l'article 30bis) de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle a été inséré par l'article 68 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions.
L'exposé des motifs indiquait à ce sujet : « L'article 124bis en projet a pour but de préciser que les dispositions qui imposent à l'Etat, aux Régions et aux Communautés, différents modes de concertation avant la mise en oeuvre de certaines de leurs compétences, sont elles-mêmes des règles de compétence dont la violation peut entraîner l'annulation de la norme législative.
La Cour d'arbitrage veillera au respect du caractère effectif de la procédure de concertation » (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 635/1, p. 49). L'association prévue par l'article 6, § 4, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles constituait une illustration de l'association prévue à l'article 124bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (Doc. parl., Sénat, 1988-1989, n° 562/2, p. 230).
Le rapport indiquait également : « Un membre souligne l'importance d'une précédente intervention précisant la portée du nouvel article 124bis contenu dans l'article à l'examen. Dès l'origine, en effet, la distinction entre les règles de forme et les règles de compétence a donné lieu à de longs débats. Au terme de ceux-ci, on aboutit à la conclusion que les violations des règles de forme n'ouvriraient pas l'action auprès de la Cour d'arbitrage. En l'espèce, c'est le fait de ne pas solliciter un avis qui est sanctionnable et pas le non-respect de l'avis rendu. L'article 68 met clairement les choses au point en transformant les règles de forme en règles de compétence.
Un membre conclut en observant que sont visées, à cet article, des exigences formelles qui s'insèrent dans le cadre de la répartition des compétences. Ces exigences formelles garantissent l'autonomie des Régions et des Communautés » (ibid., p. 232).
B.8.2. En ce qui concerne la version initiale de l'article 124bis en projet, qui limitait la possibilité pour une personne physique ou morale d'invoquer la violation d'une des règles visées dans cette disposition, la section de législation du Conseil d'Etat avait émis les observations suivantes : « On peut certes admettre que les règles précitées puissent soit être relatives à la compétence de l'autorité qui collabore à la préparation de la décision à prendre, soit influencer la décision prise par l'autorité compétente et que, dès lors, ces règles soient assimilées à des règles de compétence.
Mais, dans ce cas, les personnes privées qui, suivant l'article 2, 2°, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage peuvent, si elles justifient d'un intérêt, introduire un recours en annulation d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 26bis de la Constitution, devraient également pouvoir invoquer la violation de l'une des règles précitées. Or, l'article en projet, dans son deuxième alinéa, leur refuse un tel recours ' par dérogation à l'article 2, 2°, ' de la loi précitée.
Dans l'exposé des motifs (p. 90), la dérogation à l'article 2, 2°, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage est justifiée de la manière suivante : ' Il va de soi que seules les autorités lésées par la violation de telles dispositions peuvent invoquer celles-ci à l'appui d'un recours en annulation... '.
Une telle motivation serait adéquate si les dispositions en question énonçaient des formalités prévues dans le seul intérêt des autorités appelées à les respecter, mais elle est insuffisante dès lors que ces dispositions sont considérées comme des règles de compétence.
Puisque, suivant l'exposé des motifs (p. 90) : ' La Cour d'arbitrage veille au respect effectif de la procédure de concertation ', il est permis d'en conclure que la Cour d'arbitrage pourrait soulever d'office un moyen déduit de la violation d'une des règles visées dans l'article en projet » (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 635/1, p. 84).
B.8.3. Suivant cette observation de la section de législation du Conseil d'Etat, le législateur n'a pas repris l'exclusion de la possibilité pour une personne physique ou morale d'invoquer, devant la Cour constitutionnelle, la violation des mécanismes de fédéralisme coopératif visés dans l'ancien article 124bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, devenu l'article 30bis de la même loi.
B.9.1. La disposition en cause a été insérée dans les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat par l'article 14 de la loi du 16 juin 1989 « portant diverses réformes institutionnelles ».
Les travaux préparatoires exposent à ce sujet : « L'article 14 confirme la qualité de formalité substantielle des mécanismes de collaboration entre l'Etat, les Communautés et les Régions, prévus par et en vertu des lois prises en exécution des articles 59bis, 59ter, 107quater, 108ter et 115 de la Constitution.
Cela implique que le non-respect desdits mécanismes par les autorités administratives concernées est susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat. [...] Etant donné que cet article concerne la compétence du Conseil d'Etat, une majorité spéciale n'est pas requise. La loi spéciale sur la Cour d'arbitrage n'est en aucune façon modifiée : pour les actes et règlements contestés, les mécanismes de collaboration énumérés sont des formes substantielles. Ceci n'empêche pas qu'une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage doive être posée si l'élaboration d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance sont en cause.
Le deuxième alinéa implique que seules les personnes de droit public qui y sont énumérées, peuvent invoquer la violation des formes substantielles visées à l'alinéa premier. Cela n'empêche évidemment pas que l'article [159] de la Constitution trouve à s'appliquer, pour autant qu'une requête recevable et fondée sur d'autres moyens ait été introduite » (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 790/1, pp. 5-6).
B.9.2. En ce qui concerne la disposition en cause, la section de législation du Conseil d'Etat avait émis les observations suivantes : « Aux termes de l'article, ' les concertations, associations, etc. ' dont l'omission ou l'irrégularité constituent la violation de règles de compétence au sens de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, seront qualifiées de formes substantielles dans les lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Il ressortira de l'alinéa 2 que lorsque le Conseil d'Etat sera sollicité de refuser l'application d'une disposition législative pour omission ou irrégularité de ces mêmes concertations, etc., il devra poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage parce qu'il s'agira d'un moyen pris de la violation d'une règle de compétence. Mais s'il est sollicité de refuser l'application d'un règlement ou d'un acte individuel, ou d'annuler un tel acte, il devra considérer ces mêmes concertations, etc. comme des formes substantielles dont il ne pourra relever la violation qu'à la requête de l'Etat, des Communautés et des Régions.
D'une part, le législateur ordinaire ne saurait s'attribuer le pouvoir de qualifier des actes prescrits par le législateur spécial autrement que ne l'a fait celui-ci.
D'autre part, le législateur ne peut limiter les pouvoirs que le Conseil d'Etat, section administration, et les autres juridictions administratives tiennent de l'article [159] de la Constitution, au même titre que les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire.
Il s'ensuit que l'article 7 doit être omis » (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 790/1, pp. 32-33).
B.9.3. En réponse à cet avis, le rapport mentionne : « L'article 14 n'est que la confirmation expresse dans la loi de l'interprétation donnée par le législateur spécial d'août 1988 des diverses procédures de concertation qui régissent les relations entre l'Etat, les Communautés et les Régions.
En vertu de cet article, en effet, lorsque ces procédures s'imposent pour les actes et règlements dont le Conseil d'Etat peut prononcer l'annulation, il s'agit de formes substantielles prescrites dans l'intérêt de l'Etat, de la Communauté ou de la Région. C'est d'ailleurs pourquoi seules ces autorités ont intérêt à invoquer la violation d'une de ces procédures.
En revanche, lorsque ces procédures s'imposent pour l'adoption des normes de nature législative, il s'agit de règles de compétence qui relèvent de l'appréciation de la Cour d'arbitrage en vertu de la législation qui régit cette dernière » (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 790/3, p. 4).
B.10. Bien que l'objectif poursuivi par la disposition en cause n'apparaisse pas clairement dans les travaux préparatoires cités en B.9, il peut être rattaché au souci, légitime, de rationaliser le contentieux administratif.
En l'espèce toutefois, la disposition en cause présume, de manière irréfragable, que les personnes physiques ou morales autres que l'Etat belge, les communautés, les régions et la Commission communautaire commune n'ont jamais intérêt à invoquer la violation des mécanismes de fédéralisme coopératif visés à l'article 14bis, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, qui ne seraient édictés que dans le seul intérêt de l'Etat belge, des communautés, des régions et de la Commission communautaire commune (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 790/3, p. 4).
Ce présupposé, fondé sur la méconnaissance d'un mécanisme de fédéralisme coopératif, ne suffit toutefois pas à justifier la mesure en cause quand est en cause un acte administratif ou un règlement, dès lors que le législateur a expressément refusé ce postulat quand est en cause une norme législative au regard d'un grief identique.
B.11.1. En outre, l'article 14, § 1er, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat consacre dans la loi l'exigence de l'intérêt au moyen. Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, le requérant n'est en principe recevable à invoquer une irrégularité que lorsque celle-ci lèse ses intérêts.
Cette notion d'intérêt au moyen garantit dès lors à suffisance que ne seraient recevables à invoquer la violation des mécanismes de fédéralisme coopératif visés à l'article 14bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat que les personnes dont les intérêts sont lésés par l'adoption de l'acte attaqué, en méconnaissance des formes visées à l'alinéa 1er de l'article 14bis précité.
B.11.2. Enfin, les personnes physiques ou morales sont, en ce qui concerne l'invocation de la violation d'un mécanisme de fédéralisme coopératif, visé à l'article 14bis des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, entourant l'adoption d'un acte ou d'un règlement, privées de tout recours en annulation.
B.11.3. Le droit d'accès au juge constitue un principe général de droit qui doit être garanti à chacun dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution. En présumant, de manière irréfragable, que les personnes physiques ou morales autres que l'Etat belge, les communautés, les régions et la Commission communautaire commune n'ont jamais intérêt à invoquer la violation des mécanismes de fédéralisme coopératif visés à l'article 14bis, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, et en excluant dès lors ces personnes de toute possibilité d'invoquer la violation de ces formes, la disposition en cause limite de manière disproportionnée le droit d'accès au juge d'une catégorie de justiciables.
Par conséquent, la disposition en cause emporte une atteinte discriminatoire au droit d'accès au juge.
B.12. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
Quant à la seconde question préjudicielle B.13. La seconde question préjudicielle porte sur l'article 6, § 1er, II, alinéa 2, 2°, et § 4, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
B.14.1. L'article 39 de la Constitution dispose : « La loi attribue aux organes régionaux qu'elle crée et qui sont composés de mandataires élus, la compétence de régler les matières qu'elle détermine, à l'exception de celles visées aux articles 30 et 127 à 129, dans le ressort et selon le mode qu'elle établit. Cette loi doit être adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa ».
B.14.2. L'article 6, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, tel qu'il a été modifié par la loi spéciale du 6 janvier 2014, dispose : « Les matières visées à l'article 39 de la Constitution sont : [...] II. En ce qui concerne l'environnement et la politique de l'eau : 1° La protection de l'environnement, notamment celle du sol, du sous-sol, de l'eau et de l'air contre la pollution et les agressions ainsi que la lutte contre le bruit;2° La politique des déchets;3° La police des établissements dangereux, insalubres et incommodes sous réserve des mesures de police interne qui concernent la protection du travail;4° La protection et la distribution d'eau, en ce compris la réglementation technique relative à la qualité de l'eau potable, l'épuration des eaux usées et l'égouttage;5° L'intervention financière à la suite de dommages causés par des calamités publiques. [...] ».
B.14.3. L'article 6, § 1er, II, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles dispose : « L'autorité fédérale est toutefois compétente pour : 1° L'établissement des normes de produits;2° La protection contre les radiations ionisantes, en ce compris les déchets radioactifs;».
L'article 6, § 4, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles dispose : « Les Gouvernements seront associés : 1° à l'élaboration des réglementations fédérales en matière de normes de produits, visées au § 1er, II, alinéa 2, 1°; [...] ».
B.15. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 6, § 1er, II, alinéa 2, 2°, et § 4, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions « ne prévoient pas que l'adoption de normes arrêtant des mesures de protection contre les ondes ionisantes fasse l'objet d'une association des gouvernements régionaux, alors qu'une telle faculté est prévue pour ce qui concerne les normes de produits, par les articles 6, § 1er, II, alinéa 2, 1°, et 6, § 4, 1°, de la même loi spéciale ».
B.16.1. Dans leurs mémoires, les parties requérantes devant le juge a quo et le Gouvernement wallon soulèvent également, dans leur argumentation, la violation du principe de la loyauté fédérale visé à l'article 143, § 1er, de la Constitution.
B.16.2. Les parties intervenantes devant la Cour ne peuvent modifier ou étendre la portée d'une question préjudicielle, de sorte que l'examen de la question ne peut être étendu à la compatibilité des dispositions en cause avec le principe de la loyauté fédérale visé à l'article 143, § 1er, de la Constitution. C'est en effet à la juridiction a quo qu'il appartient de décider quelles sont les questions préjudicielles qui doivent être posées à la Cour et de déterminer ainsi l'étendue de la saisine.
B.17.1. Bien que la question préjudicielle ne fasse pas clairement apparaître quelles sont les catégories de personnes qui doivent être comparées au regard du principe d'égalité et de non-discrimination, il ressort des motifs de la décision de renvoi que sont comparés, d'une part, les destinataires de normes de produits, prises avec l'association des gouvernements régionaux, et, d'autre part, les destinataires de normes relatives à la protection contre les radiations ionisantes, prises sans l'association des gouvernements régionaux.
B.17.2. Les deux catégories de personnes comparées sont, dans les deux situations visées, des destinataires de normes relevant de la compétence matérielle de l'autorité fédérale.
La différence entre les deux catégories de personnes comparées, qui sont des destinataires de normes relevant de la compétence de l'autorité fédérale, réside dans le processus d'élaboration de ces normes fédérales, les unes étant prises avec l'association des gouvernements régionaux, conformément aux dispositions en cause, à la différence des secondes.
B.18.1. Conformément à l'habilitation large contenue dans l'article 39 de la Constitution, le législateur spécial détermine, à l'article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les matières qui relèvent de la compétence des régions et le mode d'exercice des compétences transférées, y compris les formes de coopération.
B.18.2. Comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 8/90 du 7 février 1990, les dispositions légales établies en vertu de la Constitution en vue de déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions constituent - avec les règles répartitrices établies par le texte même de la Constitution - des normes de référence à l'égard des lois, décrets et ordonnances. Il en découle que la Cour doit apprécier de telles dispositions légales en ce qui concerne leur conformité aux règles répartitrices de compétences établies par la Constitution (B.2.4).
B.18.3. Comme il est dit en B.17.2, les normes de produits et la protection contre les radiations ionisantes constituent deux matières différentes, qui relèvent de la compétence de l'autorité fédérale.
La comparaison que les requérants font entre les destinataires des normes distinctes émanant de l'autorité fédérale en matière de protection contre les radiations ionisantes ou de normes de produits n'est pas pertinente.
B.18.4. Pour le surplus, il appartient à la juridiction a quo, et non à la Cour, de décider si l'arrêté royal du 31 mai 2016 constitue ou non une norme de produit.
B.19. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. L'article 14bis, alinéa 2, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas aux personnes physiques ou morales autres que l'Etat belge, les communautés, les régions et la Commission communautaire commune d'invoquer, dans le cadre d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat, la violation des formes visées à l'article 14bis, alinéa 1er, des mêmes lois.2. L'article 6, § 1er, II, alinéa 2, 2°, et § 4, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 octobre 2019.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût