publié le 03 avril 2020
Extrait de l'arrêt n° 119/2019 du 29 août 2019 Numéro du rôle : 7082 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 47, 2°, et 54 du décret de la Communauté flamande du 12 juillet 2013 « relatif à l'aide intégrale à la jeunes La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-V(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 119/2019 du 29 août 2019 Numéro du rôle : 7082 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 47, 2°, et 54 du décret de la Communauté flamande du 12 juillet 2013 « relatif à l'aide intégrale à la jeunesse », posées par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Bruges.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-Van Goey, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 14 décembre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 décembre 2018, le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Bruges, a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les articles 47, 2°, et 54 du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse, lus en combinaison avec l'article 51, alinéa 1er, du même décret et avec les articles 52ter, alinéas 1er et 2, 54, alinéa 1er, 52ter, alinéa 6, et 59 de la loi relative à la protection de la jeunesse, violent-ils les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'article 54 du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse ne prévoit, en cas d'organisation de services volontaires d'aide à la jeunesse, ni un débat contradictoire au cours duquel le mineur est auditionné, représenté ou non par son conseil, ni la possibilité, pour les parties concernées, d'interjeter appel et ne garantit donc pas un accès au juge, alors que cette possibilité est prévue pour un mineur dont l'affaire est pendante devant le tribunal de la jeunesse conformément à l'article 47, 1°, de la loi relative à la protection de la jeunesse, l'article 51, alinéa 1er, du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse et les articles 52ter, alinéas 1er et 2, 54, alinéa 1er, 52ter, alinéa 6, et 59 de la loi relative à la protection de la jeunesse étant applicables, alors que, tant dans une situation inquiétante d'extrême urgence (article 47, 2°, du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse) que dans une situation inquiétante ordinaire (article 47, 1°, du même décret), une mesure peut être retirée parce que des services volontaires d'aide à la jeunesse peuvent être organisés ? 2. Les articles 47, 2°, et 54 du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse, lus en combinaison avec l'article 51, alinéa 1er, du même décret et avec les articles 52ter, alinéas 1er et 2, 54, alinéa 1er, 52ter, alinéa 6, et 59 de la loi relative à la protection de la jeunesse, violent-ils les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'article 54 du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse confère au service social un pouvoir décisionnel discrétionnaire lorsque le tribunal de la jeunesse est saisi d'une affaire qui concerne une situation inquiétante d'extrême urgence au sens de l'article 47, 2°, du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse et que le juge de la jeunesse est de ce fait contraint, par ce décret, à prendre une décision judiciaire sans la moindre forme de contrôle (marginal), comme celui de l'intérêt de l'enfant ou de l'ordre public, sans que soit organisé un débat contradictoire préalable et sans donc que l'accès au juge soit garanti, alors que, lorsque le tribunal de la jeunesse est saisi d'une affaire conformément à l'article 47, 1°, du décret relatif à l'aide intégrale à la jeunesse, le service social dispose d'une fonction purement consultative, un débat contradictoire est organisé avec toutes les personnes concernées avant que le juge de la jeunesse prenne une décision judiciaire et l'accès au juge est garanti ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles portent sur les articles 47, 2°, et 54 du décret de la Communauté flamande du 12 juillet 2013 « relatif à l'aide intégrale à la jeunesse » (ci-après : le décret du 12 juillet 2013), lus en combinaison avec l'article 51, alinéa 1er, du décret précité et avec les articles 52ter, alinéas 1er, 2 et 6, 54 et 59 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait » (ci-après : la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).
B.2.1. L'article 47 du décret du 12 juillet 2013 dispose : « Le juge de la jeunesse prend connaissance de situations inquiétantes sur requête du ministère public afin d'imposer des mesures judiciaires aux mineurs concernés et, éventuellement, à leurs parents et, le cas échéant, à leurs responsables de l'éducation : 1° si le ministère public démontre que les conditions suivantes sont remplies de manière cumulative : a) il n'est pas possible d'accorder des services volontaires d'aide à la jeunesse;b) tout a été mis en oeuvre pour réaliser des services volontaires d'aide à la jeunesse en ce sens où il a été fait appel au centre de soutien ou au centre de confiance pour enfants maltraités et que ce centre a déféré le mineur vers le ministère public en application de l'article 39 ou 42, § 3;2° si le ministère public démontre que les conditions suivantes sont remplies de manière cumulative : a) une mesure judiciaire s'impose d'urgence;b) il existe suffisamment d'indications que le mineur doit être protégé immédiatement contre une forme de violence physique ou mentale, des lésions ou abus, une négligence physique ou mentale ou un traitement négligent, des faits de maltraitance ou d'exploitation, y compris les abus sexuels;c) l'octroi de services volontaires d'aide à la jeunesse n'est pas possible immédiatement ». B.2.2. L'article 54 du décret précité dispose : « Si le juge de la jeunesse a pris une mesure judiciaire en application de l'article 53, le service social reconnaît, conjointement avec les parties concernées, les possibilités d'organiser des services volontaires d'aide à la jeunesse. Si les services d'aide à la jeunesse ont été organisés sur une base volontaire, le service social communique la date de reprise par l'aide à la jeunesse au juge de la jeunesse et au ministère public. Le juge de la jeunesse retire, immédiatement et au plus tard le jour ouvrable suivant la communication de cette date la mesure qu'il a ordonnée. Si des services volontaires d'aide à la jeunesse ne peuvent pas être organisés, le service social le signale au ministère public et au juge de la jeunesse. Dans ce cas, le ministère public et le juge de la jeunesse agissent comme si la mesure, visée à l'alinéa premier, avait été imposée après une requête telle que visée à l'article 47, 1°.
Le Gouvernement flamand en arrête les modalités ».
B.2.3. En vertu de l'article 53 du décret du 12 juillet 2013, le juge de la jeunesse peut, après une requête du ministère public, visée à l'article 47, 2°, prendre une des mesures énumérées à l'article 48. En fonction des circonstances, ces mesures peuvent être plus ou moins intrusives. L'article 51, alinéa 1er, dispose que les mesures visées à l'article 48, § 1er, alinéa 1er, peuvent être prises en ce qui concerne le fond de l'affaire, tant durant la procédure préparatoire que durant et après la procédure, et qu'elles peuvent être retirées à tout moment par le juge de la jeunesse ou, sur requête des intéressés, remplacées par une autre mesure.
B.2.4. Les questions préjudicielles renvoient également aux articles 52ter, 54 et 59 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer. Lors de l'application des procédures devant le juge de la jeunesse qui découlent de l'article 47 du décret du 12 juillet 2013, la procédure est réglée par le chapitre IV de la loi précitée, pour autant qu'elle n'ait pas été établie par le législateur décrétal dans les limites de sa compétence.
L'article 52ter de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer dispose que le jeune est en principe entendu personnellement avant que le juge de la jeunesse prenne la moindre mesure (alinéa 1er), garantit à ce jeune l'assistance d'un avocat (alinéa 2) et règle l'appel interjeté contre les décisions prises par le juge de la jeunesse (alinéa 6). L'article 54 de la loi du 8 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/04/1965 pub. 02/08/2010 numac 2010000404 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié et à la réparation du dommage causé par ce fait. - Coordination officieuse en langue allemande fermer règle la comparution du jeune devant le tribunal, tandis que l'article 59 habilite le juge saisi de l'appel à prendre des mesures provisoires.
B.3. En posant les deux questions préjudicielles, le juge a quo souhaite savoir si les dispositions en cause sont compatibles avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que, lorsque le service social signale au juge de la jeunesse que des services volontaires d'aide à la jeunesse ont été organisés, ce dernier est tenu de retirer, immédiatement et au plus tard le jour suivant cette communication, la mesure d'extrême urgence qu'il a prise en vertu de l'article 47, 2°, du décret du 12 juillet 2013, sans qu'existe, pour les intéressés, la garantie d'un accès au juge et d'un débat contradictoire, de sorte que le service social dispose d'un pouvoir de décision, alors que de telles garanties existeraient pour le mineur dont l'affaire est pendante devant le juge de la jeunesse en vertu de l'article 47, 1°, du décret précité, lorsque le juge de la jeunesse retire une mesure judiciaire au motif qu'il est possible d'organiser des services volontaires d'aide à la jeunesse, le service social n'ayant alors qu'un pouvoir consultatif.
B.4.1. Le but du décret du 12 juillet 2013 est d'offrir au maximum une aide sur mesure au mineur, à ses parents et, le cas échéant, aux responsables de son éducation et aux personnes de son entourage (article 5). A l'exception de l'aide judiciaire à la jeunesse, les services d'aide ne peuvent être accordés qu'avec le consentement des personnes auxquelles ils s'adressent et reposent sur la collaboration volontaire des personnes concernées (article 6). Le décret se fonde sur le principe de la subsidiarité, ce qui signifie qu'à résultat égal, c'est toujours la forme la moins intrusive d'aide à la jeunesse qui sera proposée et que la priorité est donnée à l'aide volontaire plutôt qu'aux mesures judiciaires (Doc. parl., Parlement flamand, 2012-2013, n° 1952/1, pp. 22, 53 et 56).
B.4.2. Les dispositions en cause font partie du chapitre 11 du décret du 12 juillet 2013, qui règle l'aide judiciaire à la jeunesse et qui confère au juge de la jeunesse le pouvoir de prendre des mesures dans des situations dites « inquiétantes » (article 47).
B.4.3. L'article 2, 54°, du décret du 12 juillet 2013 définit une situation inquiétante comme étant « une situation qui menace le développement d'un mineur parce qu'il est porté atteinte à son intégrité psychique, physique ou sexuelle ou à celle d'un ou de plusieurs membres de sa famille ou parce que ses chances d'épanouissement affectif, moral, intellectuel ou social sont mises en péril de sorte que, d'un point de vue social, il se peut qu'il soit nécessaire d'offrir des services d'aide à la jeunesse ».
B.4.4. Le juge de la jeunesse est assisté dans la préparation, dans la mise en oeuvre et dans le suivi de l'aide judiciaire à la jeunesse par le service social d'aide judiciaire à la jeunesse (articles 47 à 58 du décret du 12 juillet 2013). Le juge de la jeunesse ne peut prendre une mesure judiciaire dans le cadre d'une situation inquiétante que si le ministère public démontre que les conditions mentionnées à l'article 47 du décret du 12 juillet 2013 sont remplies, une distinction étant établie selon qu'il s'agit de la procédure ordinaire (article 47, 1°) ou de la procédure d'extrême urgence (article 47, 2°).
Les mesures judiciaires, les modalités et leur suivi par le juge de la jeunesse sont en grande partie identiques dans la procédure ordinaire et dans la procédure d'extrême urgence. Elles tendent à permettre au juge de la jeunesse d'intervenir de manière individualisée et d'adapter constamment son intervention à l'urgence, à la gravité et à l'évolution de la situation inquiétante et au moyen d'y remédier (Doc. parl., Parlement flamand, 2012-2013, n° 1952/1, pp. 62-64).
B.5.1. Il existe une différence importante entre la demande ordinaire, au sens de l'article 47, 1°, du décret du 12 juillet 2013, et la demande d'extrême urgence, au sens de l'article 47, 2°, en ce qui concerne l'examen de la possibilité d'aide volontaire. Tandis que, dans le premier cas, cet examen a déjà eu lieu avant l'intervention du juge de la jeunesse par laquelle celui-ci a constaté l'impossibilité d'aide volontaire, dans le second cas, le service social ne peut examiner la possibilité d'aide volontaire que parallèlement à ou après la prise d'une mesure d'urgence par le juge de la jeunesse pour protéger le mineur.
B.5.2. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.6.1. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Le droit au respect de la vie privée a une portée très étendue et touche notamment à l'intégrité physique et psychique d'une personne (CEDH, 26 mars 1985, X. et Y. c. Pays-Bas, § 22; 12 juin 2008, Bevacqua et S. c. Bulgarie, § 65).
B.6.2. Non seulement l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme a pour objet de prémunir l'individu contre une ingérence des pouvoirs publics, mais il impose aussi à l'autorité publique l'obligation positive d'adopter des mesures qui garantissent le respect effectif de la vie privée et familiale, jusque dans les relations des individus entre eux, en particulier vis-à -vis des enfants et d'autres personnes vulnérables (CEDH, 12 juin 2008, Bevacqua et S. c. Bulgarie, § 64; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78; 3 septembre 2015, M. et M. c. Croatie, § 176). L'autorité publique doit prévoir un cadre juridique adapté et des procédures effectives et accessibles afin de garantir l'intégrité aussi bien physique que psychique, en particulier celle des enfants (CEDH, 12 juin 2008, Bevacqua et S. c. Bulgarie, § 65; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, §§ 80-81; grande chambre, 16 juillet 2014, Hämäläinen c. Finlande, § 63).
B.6.3. Dans l'affaire soumise au juge a quo, une mesure d'aide judiciaire a été prise afin de remédier à la situation très inquiétante que connaissait un enfant très jeune chez ses parents. Des garanties à la fois matérielles et procédurales, en ce qui concerne de telles ingérences dans la vie familiale, découlent de la disposition conventionnelle précitée.
B.6.4. Tout d'abord, il est requis que de telles ingérences ménagent un juste équilibre entre les intérêts des parents et ceux de l'enfant et que, ce faisant, elles attachent une importance particulière à l'intérêt supérieur de l'enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l'emporter sur celui des parents (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, § 64; 22 juin 2017, Barnea et Caldararu c. Italie, § 64).L'intérêt de l'enfant suppose que ses liens avec son entourage normal puissent être maintenus, sauf si cet entourage est indigne, et qu'il puisse évoluer au mieux dans un environnement sûr et sain. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne saurait autoriser un parent à prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l'enfant (CEDH, grande chambre, 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 136).
B.6.5. Si l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne renferme aucune condition explicite de procédure, les enfants et leurs parents doivent, dans le cadre des procédures administratives et judiciaires ayant une incidence sur leurs droits, être suffisamment associés au processus décisionnel, considéré comme un tout, afin de protéger leurs intérêts, tels qu'ils sont garantis par la disposition conventionnelle précitée (CEDH, grande chambre, 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, §§ 65-69; 3 septembre 2015, M. et M. c. Croatie, §§ 180-181; 2 février 2016, N. TS. et autres c.
Géorgie, § 72).
B.6.6. L'article 22bis de la Constitution dispose : « Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.
Chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.
Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.
Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent ces droits de l'enfant ».
L'article 22bis, alinéas 2 et 4, de la Constitution, qui est étroitement lié à l'article 3, paragraphe 1, et à l'article 12, paragraphe 2, de la Convention relative aux droits de l'enfant, impose également aux juridictions de prendre en considération, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant et d'entendre, lors d'une telle procédure, le point de vue de l'enfant ou de son représentant légal.
B.7.1. Nonobstant sa volonté de donner la priorité à l'aide volontaire, le législateur décrétal a pu considérer qu'en vue de protéger le mineur, la prise d'une mesure d'aide forcée peut être nécessaire dans des situations inquiétantes. Compte tenu de la gravité de cette mesure forcée, qui est de nature à toucher personnellement le mineur et son entourage dans leur vie familiale, le législateur décrétal a recherché un juste équilibre entre les intérêts du mineur, des parents et de la société, en soumettant l'aide à la jeunesse forcée, sur requête du ministère public, au contrôle du juge de la jeunesse, préalablement et également dans des circonstances d'extrême urgence, des garanties procédurales étant prévues, compte tenu de ce qui est mentionné en B.6, qui assurent l'accès au juge et un débat contradictoire avec toutes les parties concernées.
B.7.2. L'article 54, en cause, du décret du 12 juillet 2013 prévoit l'obligation de retirer l'aide judiciaire à la jeunesse ordonnée par le juge de la jeunesse dans le cadre d'une procédure d'extrême urgence en vue de remédier à une situation inquiétante vécue par un mineur, lorsque le service social fait savoir que des services d'aide à la jeunesse ont été organisés sur une base volontaire.
B.7.3. Bien que le fait de retirer une mesure judiciaire, tout autant que le fait d'imposer cette mesure, touche à la situation personnelle du mineur et de son entourage et puisse être préjudiciable à leurs intérêts, le législateur décrétal n'a pas prévu, dans un tel cas, les garanties mentionnées en B.6. La disposition en cause contraint en effet le juge de la jeunesse à retirer, immédiatement et au plus tard le jour qui suit la communication du service social, la mesure de protection qu'il a prise, sans qu'il puisse apprécier si ce retrait est dans l'intérêt du mineur et sans que les intéressés puissent bénéficier d'un accès au juge de la jeunesse qui permettrait que cette décision judiciaire fasse l'objet d'un débat contradictoire et que le mineur, ses parents, le ministère public et d'autres intéressés soient entendus.
B.7.4. Ni le caractère d'extrême urgence de la procédure, ni l'impossibilité d'examiner au préalable si des services volontaires d'aide à la jeunesse peuvent être organisés, ni la volonté de donner la priorité aux services volontaires d'aide à la jeunesse ne sauraient justifier qu'il soit ainsi porté atteinte aux garanties mentionnées en B.6. Bien que l'aide judiciaire à la jeunesse revête un caractère subsidiaire et que le juge doive lui aussi prendre en considération la priorité des services volontaires d'aide à la jeunesse, ces garanties exigent que le juge de la jeunesse, qui a été saisi en extrême urgence au motif que le mineur concerné se trouve dans une situation inquiétante, puisse constater, avant d'être obligé de retirer la mesure qu'il a précédemment ordonnée, que les services volontaires d'aide à la jeunesse proposés garantissent l'intégrité physique et psychique du mineur.
B.8. L'article 54 du décret du 12 juillet 2013 n'est dès lors pas compatible avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, paragraphe 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que, lorsque le service social signale au juge de la jeunesse que des services d'aide à la jeunesse ont été organisés sur une base volontaire, le juge de la jeunesse est obligé de retirer, immédiatement et au plus tard le jour suivant cette communication, la mesure qu'il a ordonnée, sans qu'il puisse juger si ce retrait est justifié et sans que cette décision judiciaire puisse faire l'objet d'un débat contradictoire.
B.9. Les questions préjudicielles appellent une réponse affirmative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 54 du décret de la Communauté flamande du 12 juillet 2013 « relatif à l'aide intégrale à la jeunesse » viole les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6, paragraphe 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que, lorsque le service social signale au juge de la jeunesse que des services d'aide à la jeunesse ont été organisés sur une base volontaire, le juge de la jeunesse est obligé de retirer, immédiatement et au plus tard le jour suivant cette communication, la mesure qu'il a ordonnée, sans qu'il puisse juger si ce retrait est justifié et sans que cette décision judiciaire puisse faire l'objet d'un débat contradictoire.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 août 2019.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen