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Arrêt
publié le 25 février 2020

Extrait de l'arrêt n° 86/2019 du 28 mai 2019 Numéro du rôle : 6891 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour cons composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, T. Giet(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 86/2019 du 28 mai 2019 Numéro du rôle : 6891 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, T. Giet, R. Leysen et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 20 mars 2018 en cause de la Région flamande contre Herman De Saegher et Jeanine Jacobs, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 avril 2018, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14 du Code des droits d'enregistrement, en ce qu'il n'est applicable qu'aux dispositions dépendantes qui font l'objet d'un même acte, est-il compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dès lors qu'il permet une différence de traitement entre deux catégories de personnes : - d'une part, la catégorie des époux qui peuvent effectuer ou effectuent des donations réciproques, par le biais d'une donation indirecte, d'un don manuel ou d'une donation par virement bancaire, dans le cadre desquelles des droits d'enregistrement ne seront perçus qu'une seule fois (à savoir le droit le plus élevé) sur l'écrit rédigé à titre de preuve des donations et soumis à l'enregistrement et - d'autre part, la catégorie des époux qui, en raison de l'interdiction imposée par l'article 1097 du Code civil, se voient contraints d'effectuer des donations réciproques notariées par le biais de deux actes notariés séparés dans le cadre desquels des droits d'enregistrement distincts seront perçus sur chacun de ces actes ? Dans l'interprétation précitée, l'application de l'article 14 du Code des droits d'enregistrement devrait en effet être écartée parce que l'application de cet article nécessite que les dispositions dépendantes fassent l'objet d'un seul acte ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 14 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe (ci-après : Code des droits d'enregistrement), tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, dispose : « Lorsqu'un acte contient plusieurs dispositions dépendantes ou dérivant nécessairement les unes des autres et qui sont intervenues entre les mêmes contractants, il n'est dû qu'un droit pour l'ensemble de ces dispositions.

Le droit est perçu d'après celle de ces dispositions qui donne lieu au droit le plus élevé ».

L'article 15 du Code des droits d'enregistrement, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo dispose : « Lorsque, dans un acte, il y a plusieurs dispositions indépendantes ou ne dérivant pas nécessairement les unes des autres, il est dû pour chacune d'elles et selon sa nature un droit particulier.

Cette règle n'est pas applicable au droit fixe général ».

B.1.2. En Région flamande, ces dispositions ont été abrogées à partir du 1er janvier 2015 par l'article 5.0.0.0.1, 5°, du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013. Leur contenu a été repris, mutatis mutandis, à partir de cette date, dans plusieurs dispositions du Code flamand de la fiscalité, chacune applicable pour un impôt flamand déterminé. Pour l'impôt sur les donations, il s'agit de l'article 2.8.4.1.2 du Code flamand de la fiscalité, qui dispose : « Lorsqu'un acte ou un écrit, convenu entre les mêmes parties, contient des réglementations dépendantes l'une de l'autre ou découlant nécessairement l'une de l'autre, et en vertu desquelles une donation est soumise aux droits de donation, le droit qui est perçu est le droit d'application en vertu de la réglementation qui donne lieu à la perception du droit le plus élevé, constaté en application des chapitres 8 à 11.

Lorsqu'un acte ou un écrit, convenu entre les mêmes parties, contient des réglementations indépendantes l'une de l'autre ou ne découlant pas nécessairement l'une de l'autre, et en vertu desquelles une donation est soumise aux droits de donation, le droit est perçu selon chaque réglementation, et selon les cas, conformément aux dispositions des chapitres 8 à 11 ».

Ces modifications n'ont pas d'incidence sur le litige au fond, dans le cadre duquel les actes notariés ont été passés et présentés à l'enregistrement avant le 1er janvier 2015, et dans le cadre duquel la décision administrative attaquée est également antérieure à cette date.

B.1.3. L'article 1096 du Code civil dispose : « Toutes donations faites entre époux pendant le mariage autrement que par contrat de mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables.

Ces donations ne seront point révoquées par la survenance d'enfants ».

L'article 1097 du Code civil dispose : « Les époux ne pourront, pendant le mariage, se faire, ni par acte entre vifs autre que le contrat de mariage, ni par testament, aucune donation mutuelle et réciproque par un seul et même acte ».

B.2. Le juge a quo interroge la Cour au sujet de la compatibilité de l'article 14 du Code des droits d'enregistrement avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'il traite différemment les donations réciproques entre époux selon la technique qui est utilisée.

Si les époux recourent à la technique des dons manuels réciproques, à celle des dons bancaires réciproques ou à celle des donations indirectes réciproques, ils ne doivent s'acquitter qu'une seule fois d'un droit d'enregistrement pour l'écrit présenté à l'enregistrement qui est établi pour apporter la preuve des donations. S'ils recourent par contre à la technique des donations réciproques, ils sont tenus de payer deux fois les droits d'enregistrement, étant donné qu'eu égard à l'article 1097 du Code civil, deux actes authentiques doivent être présentés à l'enregistrement.

B.3.1. En vertu de l'article 15 du Code des droits d'enregistrement, plusieurs droits d'enregistrement sont dus lorsqu'un acte présenté à l'enregistrement contient plusieurs dispositions. Dans ce cas, il est dû pour chacune de ces dispositions un droit d'enregistrement applicable selon sa nature. On évite ainsi que des parties puissent se soustraire aux droits d'enregistrement en faisant enregistrer dans un même écrit plusieurs actes juridiques indépendants.

La disposition en cause contient une exception à cette règle. Elle garantit qu'un seul droit d'enregistrement ne sera dû lorsqu'un seul acte contient plusieurs dispositions entre les mêmes contractants, pour autant que ces dispositions soient « dépendantes ou [dérivent] nécessairement les unes des autres ». Dans ce cas, seule la disposition qui donne lieu au droit le plus élevé est soumise au droit d'enregistrement. On évite ainsi que plusieurs droits d'enregistrement soient dus, pour des actes juridiques distincts qui constituent un tout juridique.

B.3.2. Dans l'interprétation que lui donne le juge a quo, la disposition en cause ne trouve à s'appliquer que pour autant que les dispositions dépendantes soient enregistrées dans le même acte, mais elle ne peut s'appliquer à des dispositions dépendantes qui sont enregistrées dans deux ou plusieurs actes.

Cette interprétation, qui est également celle du Service flamand des impôts (Vlabel, position n° 15137 du 12 octobre 2015), n'est pas manifestement erronée, étant donné qu'elle correspond au texte littéral de la disposition en cause. La Cour répond dès lors à la question préjudicielle dans cette interprétation.

Quant à la recevabilité de la question préjudicielle B.4.1. Selon le Conseil des ministres et le Gouvernement flamand, les donations réciproques d'un montant identique ou d'une créance identique ne peuvent constituer une donation effective, étant donné qu'aucun des deux donateurs ne s'appauvrit. Il serait plutôt question d'une convention d'échange.

B.4.2. La nullité civile d'un acte présenté à l'enregistrement ne porte pas atteinte à l'obligation de payer les droits d'enregistrement dus (Cass., 18 mai 1866, Pas., 1866, p. 190; Vlabel, position n° 15137 du 12 octobre 2015). Par conséquent, la Cour n'a pas à examiner si les actes juridiques sur lesquels porte le litige soumis au juge a quo sont valables, ni si les parties les ont qualifiés correctement.

L'exception est rejetée.

B.5.1. Selon le Gouvernement flamand, la différence de traitement soumise à la Cour ne trouve pas son origine dans la disposition en cause, mais dans l'article 1097 du Code civil.

B.5.2. La différence de traitement soumise à la Cour porte sur le traitement fiscal de dons réciproques entre époux. Cette différence découle de la disposition en cause, qui ne prévoit un droit d'enregistrement unique que lorsque des dispositions dépendantes sont contenues dans un seul et même acte présenté à l'enregistrement, et non lorsqu'elles sont contenues dans des actes distincts présentés à l'enregistrement.

L'exception est rejetée.

Quant au fond B.6.1. La différence de traitement soumise à la Cour ne porte pas sur une comparaison de deux régimes légaux, mais sur la comparaison d'un régime légal avec des figures juridiques qui se sont développées dans la pratique.

B.6.2. La donation entre vifs est réglée par les articles 931 à 959 du Code civil. En vertu de l'article 931 du Code civil, tous les actes portant donation sont passés devant notaire. En vertu de l'article 938 du Code civil, la propriété des objets donnés est transférée au donataire, par l'acceptation de la donation, sans qu'il soit besoin d'autre tradition.

En vertu de l'article 19, alinéa 1er, 1°, du Code des droits d'enregistrement, tel qu'il est applicable dans l'affaire portée devant le juge a quo, un acte de donation notarié est soumis à l'obligation d'enregistrement. L'article 131, § 2, alinéa 1er, 1°, du même Code, tel qu'il est applicable dans l'affaire portée devant le juge a quo, soumet les donations de biens meubles entre époux à un droit d'enregistrement de 3 % sur la part brute du donataire.

Pour les dons réciproques entre époux qui prennent la forme de donations entre vifs, ce droit d'enregistrement est dû deux fois, puisqu'en vertu de l'article 1097 du Code civil, les donations réciproques entre époux doivent faire l'objet de deux actes notariés distincts.

B.6.3. Le don manuel, le don bancaire et la donation indirecte sont des figures juridiques qui se sont développées dans la pratique. Ces figures juridiques diffèrent à plusieurs égards de la donation entre vifs.

Un don manuel s'effectue par le transfert matériel d'un bien meuble par le donateur au donataire. Il n'est valable que s'il est réalisé animus donandi par le donateur et si le donataire accepte le don de leur vivant à tous les deux.

Une donation indirecte consiste en un transfert définitif et irrévocable d'un bien en vertu d'un acte juridique autre qu'une donation entre vifs ou un don manuel. Cet acte juridique a un statut autonome propre et respecte les conditions qui y sont attachées.

L'écrit de cet acte juridique ne fait pas mention de sa cause.

Un don bancaire est une forme de donation indirecte qui s'effectue par le virement d'un montant sur le compte bancaire du donataire, qui accepte expressément ou tacitement le don.

Ces techniques diffèrent de la donation entre vifs en ce qu'elles ne s'opèrent pas par l'établissement d'un acte authentique ou d'un quelconque autre écrit, mais par le fait de poser l'acte correspondant, pourvu qu'il soit satisfait aux autres conditions de validité.

Néanmoins, dans la pratique, il est souvent établi post factum un acte visant à prouver un don manuel ou un don bancaire. Un tel acte sous seing privé n'est pas soumis à une obligation d'enregistrement. Pour les donations réciproques entre époux réalisées sous la forme d'un don manuel ou d'un don bancaire, aucun droit d'enregistrement n'est donc dû en principe. Si les époux choisissent toutefois de faire enregistrer volontairement cet acte sous seing privé, un droit d'enregistrement de 3% est applicable sur la part brute du donataire, visée à l'article 131, § 2, alinéa 1er, 1°, du Code des droits d'enregistrement.

Dans l'interprétation que lui donne le juge a quo, l'article 1097 du Code civil n'est pas applicable aux dons manuels et bancaires réciproques entre époux. Dans cette interprétation, un seul acte sous seing privé suffit pour prouver les deux dons. Si les époux choisissent de faire enregistrer cet écrit, la disposition en cause est applicable à cet écrit, de sorte qu'un droit d'enregistrement doit uniquement être payé sur le don qui donne lieu au droit le plus élevé.

B.7.1. Si les époux recourent à la technique des donations réciproques avec clause de retour, en cas de décès, sur la quotité donnée de l'actif net du conjoint décédé le premier, ils ne doivent pas payer des droits de succession à un taux progressif allant jusqu'à 27%, mais uniquement des droits d'enregistrement à un taux linéaire de 3% .

B.7.2. Le Service fédéral des décisions anticipées en matière fiscale a décidé que la disposition en cause est applicable si les époux recourent à cette fin à la technique des dons bancaires réciproques, à condition qu'ils établissent un seul écrit pour apporter la preuve des deux dons (décisions anticipées n° 900 097 du 23 juin 2009, n° 900 469 du 20 avril 2010 et n° 2011 260 du 6 septembre 2011). En pareil cas, un seul droit d'enregistrement doit être payé sur le montant donné le plus élevé.

B.7.3. Le Service flamand des Impôts a décidé que l'article 2.8.4.1.2, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité n'est pas applicable lorsque les époux recourent à cette fin à la technique des donations réciproques entre vifs et qu'eu égard à l'article 1097 du Code civil ils présentent à l'enregistrement deux actes authentiques (Vlabel, position n° 15137 du 12 octobre 2015). Dans ce document, le Service flamand des Impôts a considéré que la taxe d'enregistrement est perçue sur la base d' « actes et d'écrits », de sorte que l'écrit de l'acte juridique est déterminant. Des dispositions qui figurent dans deux actes distincts ne peuvent par conséquent être dépendantes les unes des autres au sens de l'article 2.8.4.1.2, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité.

B.8. Il appartient au législateur fiscal compétent de fixer le taux d'imposition et d'en établir les modalités. Lorsqu'il utilise à cet effet des critères de distinction, ceux-ci doivent être raisonnablement justifiés. Les taux et modalités doivent être appliqués de manière égale pour toutes les personnes qui se trouvent dans une situation équivalente au regard de la mesure considérée et du but poursuivi, sous la réserve que le législateur fiscal doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation.

B.9. La différence de traitement en cause repose sur le nombre d'actes présentés à l'enregistrement. Ce critère de distinction est objectif.

B.10.1. Le législateur a raisonnablement pu estimer qu'il n'est question d'actes juridiques formant un ensemble juridique à la lumière de la disposition en cause que s'ils sont dépendants les uns des autres et sont contenus dans un seul et même acte.

Cette dernière condition coïncide avec la nature d'un droit d'enregistrement, lequel, en vertu de l'article 1er du Code des droits d'enregistrement, est perçu sur « la copie, l'analyse ou la mention d'un acte ou d'un écrit ».

B.10.2. Il ne peut être reproché au législateur fiscal qui détermine dans quelles conditions un taux d'imposition préférentiel est applicable de ne pas tenir compte de chaque technique prévue en droit civil. Il ne peut pas davantage lui être reproché de ne pas avoir assimilé le traitement fiscal de régimes légaux, comme en l'espèce la donation entre vifs, au traitement fiscal de techniques qui se sont développées dans la pratique, a fortiori lorsque ces techniques visent précisément à déroger à ces régimes légaux en vue d'une optimisation fiscale.

B.10.3. Enfin, il est raisonnablement justifié que la qualification d'actes juridiques comme constituant des dispositions dépendantes les unes des autres au sens de la disposition en cause se fasse sur la base de critères objectifs. Si cette qualification était laissée aux parties, celles-ci pourraient en effet toujours se soustraire à une partie des droits d'enregistrement et la perception effective de cet impôt serait compromise.

B.11. Compte tenu de ce qui précède, la différence de traitement soumise à la Cour n'est pas dénuée de justification raisonnable.

La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 14 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 mai 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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