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Arrêt
publié le 17 avril 2020

Extrait de l'arrêt n° 154/2019 du 24 octobre 2019 Numéro du rôle : 7018 En cause : le recours en annulation de l'article 3, 2°, du décret de la Région flamande du 23 mars 2018 « modifiant les articles 3 et 19 de la loi du 14 août 1986 relativ La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 154/2019 du 24 octobre 2019 Numéro du rôle : 7018 En cause : le recours en annulation de l'article 3, 2°, du décret de la Région flamande du 23 mars 2018 « modifiant les articles 3 et 19 de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux », introduit par Eddy Van Langenhove.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 5 octobre 2018 et parvenue au greffe le 8 octobre 2018, Eddy Van Langenhove, assisté et représenté par Me J. Ghysels et Me J. Rams, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de l'article 3, 2°, du décret de la Région flamande du 23 mars 2018 « modifiant les articles 3 et 19 de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux » (publié au Moniteur belge du 5 avril 2018). (...) II. En droit (...) B.1. La disposition attaquée vise à promouvoir le bien-être des animaux en excluant des expositions, expertises ou concours les animaux qui ont subi une intervention interdite. Relève notamment des interventions interdites la caudectomie des chevaux. Il s'agit d'une intervention, pratiquée en particulier sur les chevaux de trait, par laquelle la queue du cheval est écourtée.

B.2.1. La loi du 14 août 1986 « relative à la protection et au bien-être des animaux » (ci-après : la loi du 14 août 1986) contenait déjà une interdiction d'« amputation totale ou partielle » de parties du corps d'un animal, « sauf lorsque, dans un cas particulier, elle s'avère nécessaire sur indication vétérinaire » (article 19).

Par la loi du 4 mai 1995, le législateur a voulu étendre la protection des animaux. La loi du 14 août 1986 interdit dorénavant d'effectuer sur un vertébré des « interventions » « entraînant l'amputation ou la lésion d'une ou plusieurs parties sensibles de son corps ». Cette interdiction ne s'applique pas à certains types d'interventions, comme les interventions « nécessaires d'un point de vue vétérinaire » ou les interventions « pour l'exploitation utilitaire de l'animal ou pour limiter la reproduction de l'espèce ». Le Roi peut établir la liste de ces dernières interventions (article 17bis).

B.2.2. Par arrêté royal du 17 mai 2001, le Roi a établi la liste précitée. En ce qui concerne les interventions autorisées sur les chevaux, seuls le marquage au fer rouge, le marquage au froid et la castration sont mentionnés. La caudectomie n'est pas mentionnée et doit dès lors être qualifiée d'intervention interdite, à moins qu'elle soit nécessaire d'un point de vue vétérinaire.

L'ASBL « Société royale Le Cheval de Trait belge » a attaqué cet arrêté devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat. Par son arrêt n° 174.317 du 10 septembre 2007, le Conseil d'Etat a rejeté ce recours. Il a estimé qu'il n'était pas prouvé que la queue amputée constituait une caractéristique essentielle du « cheval de trait belge » (point 3.6) et a notamment constaté « que les éléments figurant dans le dossier administratif, confrontés au principe légal suivant lequel l'intégrité de l'animal mérite une protection maximale, ne permettent pas au Conseil d'Etat de conclure que la partie défenderesse n'avait aucune raison de refuser d'une manière générale la caudotomie chez les chevaux; que même si les avis formulés contre l'interdiction de la caudotomie paraissaient peser plus lourd que les avis sur lesquels se fonde le refus contesté, comme le prétend la requérante, cette décision ne pourrait pas pour autant être en tout cas tenue pour manifestement déraisonnable » (point 5.5.2).

B.2.3. Par la même loi du 4 mai 1995, le législateur a prévu, à l'article 19 de la loi du 14 août 1986, un autre type d'interdictions : « § 1er. A partir du 1er janvier 2000, il est interdit de participer à des expositions, expertises ou concours avec des animaux ayant subi une intervention interdite à l'article 17bis. § 2. Il est interdit d'admettre à une exposition, à une expertise ou à un concours un animal ayant subi une intervention interdite à l'article 17bis. § 3. Il est interdit de commercialiser des animaux ayant subi une intervention interdite à l'article 17bis. § 4. Les dispositions des paragraphes précédents ne sont pas d'application s'il peut être prouvé que l'intervention a été effectuée avant l'entrée en vigueur de l'interdiction visée à l'article 17bis ».

B.2.4. A partir du 1er juillet 2014, les régions sont compétentes en ce qui concerne le bien-être des animaux (article 6, § 1er, XI, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles). Par le décret du 23 mars 2018, la Région flamande a ajouté un paragraphe 2bis à l'article 19, précité, de la loi du 14 août 1986 : « Les paragraphes 1er et 2 s'appliquent également aux animaux ayant subi une intervention, telle que visée à l'article 17bis, § 2, 1°, après l'entrée en vigueur du décret du 23 mars 2018 modifiant les articles 3 et 19 de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux ».

Il s'agit de la disposition attaquée. Elle tend à rendre les interdictions visées à l'article 19, § § 1er et 2, qui ne s'appliquent en principe pas aux animaux qui ont subi une intervention nécessaire d'un point de vue vétérinaire, applicables aux animaux qui ont subi une telle intervention après l'entrée en vigueur de la disposition, au 15 avril 2018.

B.2.5. Il ressort de l'exposé des motifs que la disposition attaquée a été dictée par le constat qu'en ce qui concerne spécialement les chevaux de trait belges et certaines races canines, des interventions qui sont normalement interdites par l'article 17bis, § 1er, de la loi du 14 août 1986 sont effectuées, sur la base de l'exception prévue pour les interventions nécessaires d'un point de vue vétérinaire (article 17bis, § 2, 1°, de la même loi), à une échelle telle qu'il existe de fortes présomptions d'un recours abusif à cette exception.

Par ailleurs, certains certificateurs préféreraient l'apparence traditionnelle des animaux qui ont subi l'intervention, de sorte que les participants qui n'ont pas fait faire l'intervention sur leurs animaux seraient désavantagés (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1482/1, p. 3).

B.2.6. La disposition attaquée n'est applicable qu'aux animaux qui ont subi une intervention après son entrée en vigueur, afin d'éviter que « les nombreux animaux qui ont subi une intervention douloureuse avant l'entrée en vigueur de ce projet de décret soient euthanasiés » (ibid.).

B.3. Grâce au régime transitoire précité, le requérant peut continuer à participer à des expositions, à des expertises et à des concours, certes avec ses chevaux de trait caudectomisés avant le 15 avril 2018.

Il n'est toutefois pas à exclure que certains chevaux du requérant doivent subir, après l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, une caudectomie nécessaire d'un point de vue vétérinaire. En dépit de ce que font valoir le Gouvernement flamand et le Gouvernement wallon, le requérant justifie donc de l'intérêt requis.

B.4. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec la liberté d'association et avec le principe de légalité en matière pénale. Le requérant fait essentiellement valoir que les détenteurs d'animaux ayant subi une intervention légale sont traités de la même manière que les détenteurs d'animaux ayant subi une intervention illégale, sans qu'existe une justification objective et raisonnable à cet égard.

B.5. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6. La protection du bien-être animal est un but légitime d'intérêt général, dont l'importance a déjà été relevée, notamment lors de l'établissement, par les Etats membres européens, du Protocole n° 33 « sur la protection et le bien-être des animaux », annexé au Traité instituant la Communauté européenne (JO 1997, C 340, p. 110), dont le contenu a été repris en grande partie dans l'article 13 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

B.7. La mesure attaquée traite de manière égale deux catégories de détenteurs d'animaux. Dans les deux cas, les animaux ont subi une intervention entraînant l'amputation ou la lésion d'une ou de plusieurs parties sensibles du corps. Dans les deux cas, cette intervention a été effectuée sur la base de l'exception prévue pour les interventions nécessaires d'un point de vue vétérinaire. Or, dans un cas, cette exception aurait été invoquée à juste titre et, dans l'autre, elle aurait été invoquée de manière abusive.

Ces deux cas sont traités de manière égale par le législateur décrétal, précisément parce qu'il est impossible de les distinguer clairement dans la pratique, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires : « Lors d'expositions, d'expertises ou de concours, il s'avère qu'un nombre inexplicablement élevé d'animaux, jusqu'à 100 %, ont tout de même subi une intervention interdite, sous le couvert d'une attestation vétérinaire. Il s'agit principalement de la caudectomie chez les chevaux et de l'écourtage d'oreilles et de queues chez certaines races canines. Une fois que l'intervention a été effectuée, il est toutefois très difficile, voire impossible, de prouver que cette intervention était nécessaire d'un point de vue vétérinaire. Il existe dès lors de très fortes présomptions d'un recours abusif à l'exception prévue pour les interventions nécessaires d'un point de vue vétérinaire.

Le nombre élevé d'animaux participant à des expositions, à des expertises ou à des concours qui ont subi une intervention donne également au public l'impression que cette intervention est toujours autorisée. Par ailleurs, les participants qui respectent les règles se plaignent régulièrement de ce que certains certificateurs privilégieraient toujours l'apparence plus traditionnelle d'animaux qui ont subi l'intervention douloureuse. Il s'ensuit une concurrence déloyale » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1482/1, p. 3).

En ce qui concerne particulièrement les chevaux, le ministre compétent a précisé, dans son exposé devant la Commission de l'Environnement, de la Nature, de l'Aménagement du territoire, de l'Energie et du Bien-être animal du Parlement flamand que « la tradition consistant à caudectomiser les chevaux de trait était une routine initialement dictée par l'exploitation utilitaire de l'animal. Certains comparent cette intervention à la coupe de la crinière, le ministre la compare à une ablation du museau, car il s'agit finalement de l'amputation du coccyx. L'animal ne peut de ce fait pas utiliser sa queue pour se rafraîchir, pour chasser les insectes et pour d'autres fonctions. A cela s'ajoute que l'argument utilitaire disparaît dès lors que des alternatives existent, comme le nouage et le protège-queue. Ne reste plus donc que l'argument de la tradition même, parce que certains trouvent cette apparence plus esthétique » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1482/2, p. 4).

B.8. L'interdiction de principe de participer à des expositions, à des expertises ou à des concours avec des animaux dont une ou plusieurs parties sensibles du corps ont été amputées ou lésées peut être considérée comme étant nécessaire pour garantir une protection efficace du bien-être de ces animaux et pour exclure tout risque de maltraitance physique ou psychique.

En dépit de ce que le requérant fait valoir, le législateur décrétal a pu raisonnablement constater que le fait d'imposer des mesures moins extrêmes, comme un contrôle renforcé des attestations vétérinaires, ne permet pas de garantir le niveau minimum de bien-être qu'il souhaitait atteindre.

Comme l'a déjà observé la section de législation du Conseil d'Etat dans le cadre de l'avant-projet de décret, « il peut raisonnablement être admis que l'existence effective d'une nécessité vétérinaire ne pourra, par après, pas, ou très difficilement, être infirmée et que, pour cette raison aussi, l'intervention disciplinaire et pénale à l'encontre de vétérinaires n'est pas efficace pour atteindre l'objectif. S'il s'avère que de telles mesures ne peuvent, dans la pratique, aboutir au respect effectif, par les détenteurs et par les vétérinaires, de l'interdiction contenue dans l'article 17bis de la loi du 14 août 1986, le législateur décrétal peut estimer que d'autres mesures réglementaires sont nécessaires pour garantir le respect effectif de l'interdiction » (ibid., p. 26).

Le Conseil d'Etat a ajouté que « le législateur décrétal n'est pas compétent pour légiférer à l'égard de l'Ordre des vétérinaires ou des actes vétérinaires spécifiques pratiqués par les vétérinaires et que ses compétences en ce qui concerne le traitement pénal d'infractions à l'article 17bis sont extrêmement limitées. Un contrôle obligatoire de la part de l'autorité avant que de telles interventions soient pratiquées non seulement représenterait une charge considérable pour l'administration, mais serait également impossible à exécuter en ce qui concerne les interventions qui ont lieu dans une autre région ou à l'étranger, ou les interventions urgentes nécessaires. Le législateur décrétal peut dès lors estimer qu'il n'est pas possible d'améliorer les contrôles, qu'une campagne de sensibilisation n'a pas de sens dans une situation où les intéressés perçoivent manifestement une impunité de fait et que seules des mesures complémentaires réprimant l'utilisation qui est faite d'animaux qui subissent une intervention sous prétexte (à juste titre ou non) de la nécessité vétérinaire, peuvent être efficaces » (ibid., pp. 26-27).

B.9. L'interdiction décrétale ne viole pas non plus la liberté d'association. La disposition attaquée n'empêche le requérant ni de faire partie d'une association, ni de participer aux activités de cette association. Contrairement à ce qu'il affirme, les dispositions constitutionnelles et conventionnelles citées ne garantissent pas le droit illimité et inconditionnel de participer à toutes les activités visant à réaliser les objectifs de l'association. Tel est d'autant moins le cas lorsque ces activités pourraient porter une atteinte disproportionnée au souci, mis en avant en B.6, du bien-être animal.

B.10. Enfin, l'interdiction de participer, avec certains animaux, à des expositions, à des expertises ou à des concours n'est pas une sanction pénale, mais une mesure préventive qui poursuit un objectif d'intérêt général, à savoir garantir l'intégrité physique et le bien-être des animaux concernés.

En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une mesure constitue une sanction pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir de la portée générale et du caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, § § 105-107; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, § § 30-31). Cette Cour utilise les mêmes critères pour l'application de l'article 7 de la même Convention (pour exemple CEDH, 4 octobre 2016, Zaja c. Croatie, § 86; 4 juin 2019, Rola c.

Slovénie, § 54).

Faute du moindre caractère répressif, la mesure ne remplit aucune des conditions fixées à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de sorte que cette disposition, lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, ne saurait être violée.

B.11. Le moyen unique n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 octobre 2019.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen

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