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Arrêt
publié le 07 août 2019

Extrait de l'arrêt n° 16/2019 du 31 janvier 2019 Numéro du rôle : 6837 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 220, § 1 er , 221, § 1 er et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 16/2019 du 31 janvier 2019 Numéro du rôle : 6837 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 220, § 1er, 221, § 1er et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 24 janvier 2018 en cause du ministère public et du Service public fédéral Finances contre A.V., N.S., R.H. et C.B., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 30 janvier 2018, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « I. Les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, combinés avec l'article 1382 du Code civil et avec la règle qui en découle, selon laquelle tout débiteur d'une chose doit en payer la contre-valeur à titre de dommages-intérêts s'il l'a soustraite à son créancier ou lorsque, par son fait, il manque à l'obligation de livrer la chose, ainsi qu'avec les articles 44 et 50 du Code pénal, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans l'interprétation selon laquelle ils obligent toujours le juge pénal à condamner solidairement le prévenu qu'il a condamné pour soustraction de biens à la surveillance douanière - et à charge duquel il doit ordonner la confiscation - à payer, à titre de réparation du préjudice résultant de l'infraction même qui est commise, la contre-valeur des biens soustraits, confisqués et non représentés, que le préjudice subi par l'Etat belge en raison de l'infraction de soustraction corresponde ou non à la contre-valeur desdits biens, alors que, dans d'autres cas où il applique l'article 1382 du Code civil et les articles 44 et 50 du Code pénal, le juge doit examiner concrètement quel est le préjudice causé par la faute ou par l'infraction et quel est le préjudice que la personne lésée n'aurait pas subi si la faute ou l'infraction n'avaient pas été commises ? II. Les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, combinés avec l'article 1382 du Code civil et avec la règle qui en découle, selon laquelle tout débiteur d'une chose doit en payer la contre-valeur à titre de dommages-intérêts s'il l'a soustraite à son créancier ou lorsque, par son fait, il manque à l'obligation de livrer la chose, ainsi qu'avec les articles 44 et 50 du Code pénal, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans l'interprétation selon laquelle ils obligent toujours le juge pénal à condamner solidairement le prévenu qu'il a condamné pour soustraction de biens à la surveillance douanière - et à charge duquel il doit ordonner la confiscation - à payer la contre-valeur des biens confisqués, en cas de non-représentation, et ce, à titre de dommages-intérêts comme conséquence civile de la condamnation pénale à la confiscation et sur la base de la règle, qui découle de l'article 1382 du Code civil, selon laquelle tout débiteur d'une chose doit en payer la contre-valeur à titre de dommages-intérêts s'il l'a soustraite à son créancier ou lorsque, par son fait, il manque à l'obligation de livrer la chose, mais - aussi - que cette non-représentation résulte ou non, en tant que telle, d'un comportement fautif, alors que dans d'autres cas où il applique l'article 1382 du Code civil, le juge doit examiner si le préjudice à réparer a été causé par la faute désignée comme étant à l'origine du préjudice, à savoir, en l'espèce, si la non-présentation ou la non-livraison de la chose confisquée sont dues au comportement fautif de l'intéressé ? III. Les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, combinés avec l'article 1382 du Code civil et avec la règle qui en découle, selon laquelle tout débiteur d'une chose doit en payer la contre-valeur à titre de dommages-intérêts s'il l'a soustraite à son créancier ou lorsque, par son fait, il manque à l'obligation de livrer la chose, ainsi qu'avec les articles 44 et 50 du Code pénal, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans l'interprétation selon laquelle ils obligent toujours le juge pénal à condamner solidairement le prévenu qu'il a condamné pour soustraction de biens à la surveillance douanière - et à charge duquel il doit ordonner la confiscation - à payer la contre-valeur des biens confisqués, en cas de non-représentation, que cette non-représentation résulte ou non, en tant que telle, d'un comportement fautif, alors qu'en vertu de l'article 263 de la loi générale sur les douanes et accises, l'Administration des douanes et accises peut, dans le cadre d'une transaction, par exemple sur la base de circonstances atténuantes ou parce que le contrevenant n'avait pas connaissance et ne pouvait pas non plus raisonnablement avoir connaissance de la suite réservée aux biens, dispenser le contrevenant en tout ou en partie de cette obligation de payer la contre-valeur ? IV. Les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, combinés avec l'article 1382 du Code civil et avec la règle qui en découle, selon laquelle tout débiteur d'une chose doit en payer la contre-valeur à titre de dommages-intérêts s'il l'a soustraite à son créancier ou lorsque, par son fait, il manque à l'obligation de livrer la chose, ainsi qu'avec les articles 44 et 50 du Code pénal, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à cette Convention, dans l'interprétation selon laquelle ils obligent toujours le juge pénal à condamner solidairement le prévenu qu'il a condamné pour soustraction de biens à la surveillance douanière - et à charge duquel il doit ordonner la confiscation - à payer la contre-valeur desdits biens en cas de non-représentation, que cette non-représentation résulte ou non, en tant que telle, d'un comportement fautif, alors que l'obligation de payer la contre-valeur des biens confisqués en cas de non-représentation de ceux-ci peut affecter à ce point la situation financière de la personne à qui elle est imposée qu'elle pourrait constituer une mesure disproportionnée à l'objectif légitime de la loi et une violation du droit au respect des biens, consacré par l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977 (ci-après : la LGDA), lus en combinaison avec l'article 1382 du Code civil et avec les articles 44 et 50 du Code pénal.

L'article 220, § 1er, de la LGDA, dans sa version applicable au litige pendant devant le juge a quo, dispose : « Tout capitaine de navire ou patron d'une embarcation quelconque, tout transporteur, conducteur, porteur, et tous autres individus, qui, à l'entrée ou à la sortie, tenteraient d'éviter de faire, soit au premier, soit à tout autre bureau où cela devrait avoir lieu, les déclarations requises, et chercheraient ainsi à frauder les droits du Trésor, tout individu chez lequel on aura trouvé un dépôt prohibé par les lois en vigueur, seront punis d'un emprisonnement de quatre mois au moins et d'un an au plus ».

L'article 221 de la LGDA, dans sa version applicable au litige pendant devant le juge a quo, dispose : « § 1er. Dans les cas prévus par l'article 220, les marchandises seront saisies et confisquées, et les contrevenants encourront une amende comprise entre cinq et dix fois les droits fraudés, calculée d'après les droits les plus élevés de douanes ou d'accises. § 2. Pour les marchandises prohibées, l'amende sera comprise entre une et deux fois leur valeur. § 3. L'amende sera double en cas de récidive. § 4. Par dérogation au § 1er, la restitution des biens confisqués est accordée à la personne qui était propriétaire des biens au moment de la saisie et qui démontre qu'elle est étrangère à l'infraction.

En cas de restitution, les coûts éventuels liés à la saisie, la conservation et le maintien en état des biens restent à charge du propriétaire ».

L'article 257, § 3, de la LGDA, dans sa version applicable au litige pendant devant le juge a quo, dispose : « Quiconque donne, sans autorisation préalable de l'Administration générale des douanes et accises, aux marchandises faisant l'objet de documents de douane visés au § 1, une destination autre que celle qui y est expressément indiquée, est puni des peines prévues, suivant le cas, par l'article 157, les articles 220 à 225, 227 et 277 ou par l'article 231 ».

L'article 1382 du Code civil dispose : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

L'article 44 du Code pénal dispose : « La condamnation aux peines établies par la loi sera toujours prononcée sans préjudice des restitutions et dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties ».

L'article 50 du Code pénal dispose : « Tous les individus condamnés pour une même infraction sont tenus solidairement des restitutions et des dommages-intérêts.

Ils sont tenus solidairement des frais, lorsqu'ils ont été condamnés par le même jugement ou arrêt.

Néanmoins, le juge peut exempter tous ou quelques-uns des condamnés de la solidarité, en indiquant les motifs de cette dispense, et en déterminant la proportion des frais à supporter individuellement par chacun d'eux.

Les individus condamnés par des jugements ou arrêts distincts ne sont tenus solidairement des frais qu'à raison des actes de poursuite qui leur ont été communs ».

B.1.2. En vertu de l'article 221, § 1er, de la LGDA, le juge qui considère qu'une infraction douanière définie à l'article 220 de la LGDA est prouvée doit confisquer les biens concernés, de sorte que l'Etat belge devient de plein droit propriétaire de ces biens. La confiscation revêt un caractère réel, parce que son prononcé ne requiert pas que le condamné soit propriétaire des biens, ni que l'auteur de la fraude aux droits de douane soit connu (Cass., 19 janvier 2016, P.14.1519.N; 28 juin 2016, P.14.1588.N; 4 octobre 2016, P.14.1881.N).

La Cour de cassation en déduit que c'est aux condamnés qu'il incombe de représenter ces biens à l'Etat belge. Afin de préserver les droits de l'Etat belge, le juge qui prononce la confiscation doit aussi, à la demande du directeur des douanes et accises, assortir cette confiscation d'une condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués, qui devient exigible si ceux-ci ne sont pas représentés à temps à l'Etat belge.

Selon la Cour de cassation, cette dernière condamnation, qui n'est pas expressément mentionnée dans les dispositions en cause, découle des articles 1382 et 1383 du Code civil et des articles 44 et 50 du Code pénal. Selon la Cour de cassation, cette condamnation ne doit pas être considérée comme une peine, mais comme un effet civil de la condamnation pénale à la confiscation.

Cette condamnation constituant une application de l'article 1382 du Code civil, les dommages et intérêts doivent replacer l'Etat belge dans la situation dans laquelle il se trouverait si les biens lui avaient été représentés. En conséquence, les dommages et intérêts doivent toujours être équivalents à la contre-valeur de ces biens, de sorte que le juge n'est pas compétent pour modérer ces dommages et intérêts sur la base de circonstances atténuantes ou de la situation financière des auteurs.

Etant donné que cette condamnation constitue également une application de l'article 50 du Code pénal, elle doit être prononcée solidairement à l'égard de tous les auteurs condamnés pour l'infraction douanière, même si certains d'entre eux n'ont pas connaissance ou ne doivent pas avoir connaissance de la suite réservée aux biens et n'ont donc pas la possibilité de répondre à l'obligation de les représenter à l'Etat belge.

Enfin, la Cour de cassation considère que cette condamnation doit également être prononcée si le défaut de représentation des biens concernés à l'Etat belge n'est pas la conséquence d'un comportement qu'il y a lieu de distinguer de l'infraction déclarée établie. En effet, l'obligation de paiement de la contre-valeur des biens confisqués résulte directement de l'infraction commise en elle-même (Cass., 4 octobre 2016, P.14.1881.N).

Quant aux questions préjudicielles B.2. Le juge a quo souhaite savoir si les dispositions en cause, dans l'interprétation mentionnée en B.1.2, sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans la quatrième question préjudicielle, il souhaite également savoir si elles sont compatibles avec ces articles de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

La première question préjudicielle porte sur le montant de la réparation. Le juge a quo souhaite savoir si les normes de contrôle précitées sont violées en ce que le juge est obligé de condamner les auteurs de l'infraction douanière au paiement de la contre-valeur des biens confisqués, même si l'Etat belge avait subi un dommage inférieur à cette contre-valeur, alors que, dans d'autres applications de l'article 1382 du Code civil, le juge est compétent pour déterminer l'étendue du dommage.

La deuxième question préjudicielle porte sur l'absence d'une faute à distinguer de l'infraction. Le juge a quo souhaite savoir si les normes de contrôle précitées sont violées en ce que le juge doit condamner au paiement de la contre-valeur des biens confisqués les personnes qui n'ont commis aucune faute à distinguer de l'infraction, et qui consiste à ne pas avoir représenté les biens confisqués à l'Etat belge, alors que, dans d'autres applications de l'article 1382 du Code civil, le juge ne peut accorder des dommages et intérêts que si la faute, le dommage et le lien de causalité entre ceux-ci sont démontrés.

Les troisième et quatrième questions préjudicielles portent sur l'impossibilité pour le juge de modérer la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués. Le juge a quo souhaite savoir si les normes de contrôle précitées sont violées en ce que le juge ne dispose d'aucun pouvoir de modération s'il constate des circonstances atténuantes, alors que, lorsqu'une transaction au sens de l'article 263 de la LGDA est conclue, l'administration des douanes disposerait d'une telle compétence (troisième question préjudicielle), et en ce qu'il ne peut tenir compte de la situation financière des auteurs lors de la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués (quatrième question préjudicielle).

Quant à la recevabilité B.3.1. Le Conseil des ministres fait valoir que l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués ne découle pas des dispositions en cause, mais des articles 1382 du Code civil et 44 et 50 du Code pénal. Etant donné que ces dernières dispositions ne font pas l'objet des questions préjudicielles, ces questions seraient irrecevables.

Dans la mesure où elles portent sur la confiscation à proprement parler, les questions préjudicielles seraient irrecevables, par manque de pertinence pour trancher le litige au fond, étant donné que la confiscation même est déjà passée en force de chose jugée et que le juge a quo ne doit encore se prononcer que sur l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués.

B.3.2. Bien que l'action en paiement de la contre-valeur des biens confisqués ne soit pas expressément régie par les dispositions en cause, elle est indissociablement liée à la peine de confiscation visée à l'article 221, § 1er, de la LGDA. Pour le surplus, les questions préjudicielles renvoient également aux articles 1382 du Code civil et 44 et 50 du Code pénal, de sorte que les droits de la défense du Conseil des ministres ne sont pas compromis.

Du reste, les questions préjudicielles portent uniquement sur l'action en paiement de la contre-valeur des biens confisqués. Elles ne concernent pas la confiscation à proprement parler.

Les exceptions sont rejetées.

Quant au fond En ce qui concerne la qualification de la mesure en cause B.4.1. Les opinions des parties diffèrent en ce qui concerne la qualification de l'action en paiement de la contre-valeur des biens confisqués en tant que sanction pénale ou en tant que mesure civile.

B.4.2. Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt n° 181/2011 du 1er décembre 2011 de la Cour, le juge a quo avait qualifié cette action de sanction pénale. Etant donné que cette interprétation n'était pas manifestement déraisonnable, la Cour était tenue de répondre aux questions préjudicielles dans cette interprétation, sans toutefois devoir faire sienne cette qualification.

Dans le litige au fond, le juge a quo, s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de cassation mentionnée en B.1.2, qualifie cette mesure d'effet civil de la condamnation pénale à la confiscation.

B.4.3. La confiscation à proprement parler est une peine, prononcée en même temps que la peine d'emprisonnement visée à l'article 220 de la LGDA et que l'amende visée à l'article 221, § 1er, de la LGDA. Bien que l'action en paiement de la contre-valeur des biens confisqués soit indissociablement liée à cette peine, elle n'est elle-même qu'une simple action civile, qui constitue une application des articles 1382 du Code civil et 44 et 50 du Code pénal. En effet, elle ne poursuit aucun objectif préventif ou répressif, mais tend uniquement à préserver les droits de l'Etat belge vis-à-vis des biens dont il est devenu propriétaire à la suite de la confiscation.

La circonstance que la condamnation au paiement de dommages et intérêts peut avoir de graves conséquences financières pour la personne qui y est condamnée ne suffit pas pour la qualifier de sanction pénale. En effet, une réparation correspond, par sa nature, au dommage subi par la victime, dès lors qu'elle tend à la replacer dans la situation dans laquelle elle se trouverait si la faute n'avait pas été commise.

B.4.4. L'obligation solidaire aux restitutions et aux dommages-intérêts, visée à l'article 50 du Code pénal, ne saurait davantage être considérée comme une sanction pénale. En effet, cette disposition tend à attacher - en l'espèce, d'office - une conséquence essentiellement civile à la condamnation ou à la déclaration de culpabilité du chef d'une infraction.

En ce qui concerne l'étendue du dommage B.5.1. La première question préjudicielle part du constat que le dommage subi par l'Etat belge à la suite de l'infraction ne coïncide pas nécessairement avec la contre-valeur des biens confisqués.

B.5.2. S'il est vrai que l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués découle de l'infraction commise, elle n'a pas pour but de réparer le dommage résultant de cette infraction. Elle vise uniquement à indemniser l'Etat belge pour le dommage subi en ce que les biens dont il est devenu propriétaire à la suite de la confiscation ne lui ont pas été représentés. Ce dommage, qu'il y a lieu de distinguer de celui subi par l'Etat belge à la suite de l'infraction douanière, coïncide toujours avec la contre-valeur des biens confisqués.

B.5.3. En conséquence, le juge qui connaît de cette action civile établit l'importance concrète du dommage subi par l'Etat belge en déterminant la contre-valeur des biens confisqués. La différence de traitement par rapport aux « autres » cas d'application de l'article 1382 du Code civil, mentionnée dans la première question préjudicielle, n'existe donc pas.

La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

En ce qui concerne l'absence d'une faute à distinguer de l'infraction B.6.1. Les auteurs condamnés à la confiscation visée à l'article 221, § 1er, de la LGDA ont commis une infraction douanière définie à l'article 220 de la LGDA et ont ainsi commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil et de l'article 50 du Code pénal.

Bien que la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués ne tende pas à réparer le dommage résultant directement de l'infraction, ni la confiscation, ni sa conséquence civile ne pourraient être prononcées si l'infraction douanière déclarée établie n'avait pas été commise. En conséquence, la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués découle directement de l'infraction douanière.

B.6.2. La confiscation des biens est une peine prévue expressément par l'article 221, § 1er, de la LGDA. Dans le cas d'infractions à la législation en matière de douanes et accises notamment, l'exécution de cette peine est souvent rendue difficile par la mobilité des biens sur lesquels des droits de douane ou d'accise sont dus. La nécessité d'une sanction effective et égale en matière d'infractions douanières fait obstacle à ce que, lorsque l'auteur se défait des biens concernés, il puisse échapper à la peine de la confiscation.

Par conséquent, il découle de la nature même de cette peine que, dans les cas visés par l'article 220 de la LGDA, tout auteur peut raisonnablement s'attendre à ce que s'il néglige de représenter les biens confisqués, le juge pénal lui infligera le paiement de leur contre-valeur.

B.6.3. La confiscation et la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués ne sont pas des sanctions cumulatives. Bien que les deux condamnations soient prononcées à l'occasion du même jugement, la condamnation civile ne devient exigible que lorsque les biens confisqués ne sont pas représentés à temps à l'Etat belge.

La circonstance que certains auteurs n'ont pas connaissance ou ne doivent pas avoir connaissance de la suite réservée aux biens soustraits à la surveillance douanière, et ne commettent donc aucune faute à distinguer de l'infraction en ne représentant pas ces biens à l'Etat belge, n'empêche pas qu'ils devaient eux aussi savoir, au moment où l'infraction douanière a été commise, que celle-ci constitue une faute au sens des articles 1382 du Code civil et 50 du Code pénal et que, par conséquent, toutes les sanctions pénales et les sanctions civiles prévues par la loi pouvaient leur être infligées.

B.6.4. En conséquence, le juge qui prononce la condamnation solidaire au paiement de la contre-valeur des biens confisqués établit l'existence d'une faute, l'apparition conditionnelle du dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage. La différence de traitement par rapport aux « autres » cas d'application des articles 1382 du Code civil et 50 du Code pénal, mentionnée dans la deuxième question préjudicielle, n'existe donc pas.

La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.

En ce qui concerne l'absence de pouvoir de modération dans le chef du juge B.7.1. La troisième question préjudicielle part de la constatation que les dispositions en cause ne confèrent au juge aucun pouvoir de modération concernant l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués, alors que l'administration disposerait d'une telle compétence dans le cadre de la transaction visée à l'article 263 de la LGDA. B.7.2. L'article 263 de la LGDA dispose : « Il pourra être transigé par l'administration ou d'après son autorisation, en ce qui concerne l'amende, la confiscation, la fermeture des fabriques, usines ou ateliers, sur toutes infractions à la présente loi, et aux lois spéciales sur la perception des accises, toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, et qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée ».

En cas de circonstances atténuantes, cette disposition permet à l'administration de transiger, entre autres, sur l'amende et la confiscation mentionnées à l'article 221, § 1er, de la LGDA. En revanche, elle ne permet pas à l'administration de transiger sur des actions en dommages et intérêts, telles que l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués.

B.7.3. En conséquence, l'administration ne dispose pas d'un pouvoir de modération plus étendu que celui du juge en ce qui concerne cette action civile. La différence de traitement mentionnée dans la troisième question préjudicielle n'existe donc pas.

La troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.8.1. La quatrième question préjudicielle part de la constatation que le juge doit, selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour européenne des droits de l'homme, pouvoir modérer une sanction pénale financière si celle-ci peut affecter à ce point la situation financière de la personne à qui elle est imposée qu'elle constitue une limitation disproportionnée du droit de propriété de cette personne.

B.8.2. Comme il est dit en B.4.3, la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués ne constitue toutefois pas une sanction pénale, mais une mesure purement civile. Il relève de l'essence même de dommages et intérêts que leur montant corresponde au dommage subi par la victime.

B.8.3. S'il est vrai que l'obligation solidaire au paiement de la contre-valeur des biens confisqués suppose que l'Etat belge, si les biens confisqués ne lui sont pas représentés, peut exiger de n'importe quel auteur le paiement de leur contre-valeur totale, elle emporte également la garantie que l'auteur en question puisse à son tour exercer une action récursoire contre les autres auteurs.

La quatrième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977, lus ou non en combinaison avec l'article 1382 du Code civil et avec les articles 44 et 50 du Code pénal, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 31 janvier 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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