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Arrêt
publié le 04 avril 2019

Extrait de l'arrêt n o 44/2019 du 14 mars 2019 Numéros du rôle : 6805, 6807 et 6808 En cause : les recours en annulation totale ou partielle de la loi du 17 mai 2017 modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt no 44/2019 du 14 mars 2019 Numéros du rôle : 6805, 6807 et 6808 En cause : les recours en annulation totale ou partielle de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme, introduits par la Mutualité Saint-Michel et autres, par le centre public d'action sociale de Bruxelles et par l'ASBL « Association des Secrétaires de C.P.A.S. de la Région de Bruxelles-Capitale ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 2 janvier 2018 et parvenue au greffe le 3 janvier 2018, un recours en annulation de l'article 2 de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme (publiée au Moniteur belge du 3 juillet 2017) a été introduit par la Mutualité Saint-Michel, les centres publics d'action sociale d'Anderlecht, Auderghem, Berchem-Sainte-Agathe, Chapelle-lez-Herlaimont, Evere, Forest, Ganshoren, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Waremme et Woluwe-Saint-Lambert, l'ASBL « L'association de Défense des Allocataires Sociaux (aDAS) », l'ASBL « Association des psychologues praticiens d'orientation psychanalytique », l'ASBL « Fédération des Services Sociaux », l'ASBL « Ligue des Droits de l'Homme », l'ASBL « Association Syndicale des Magistrats », l'ASBL « Réseau wallon de lutte contre la pauvreté », l'union professionnelle « Union Belge des Médiateurs Professionnels » et l'ASBL « Union professionnelle Francophone des Assistants Sociaux », assistés et représentés par Me J.Fierens, avocat au barreau de Bruxelles. b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 décembre 2017 et parvenue au greffe le 3 janvier 2018, le centre public d'action sociale de Bruxelles, assisté et représenté par Me J. Sohier, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle, tel qu'il a été inséré par l'article 2 de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer précitée. c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 décembre 2017 et parvenue au greffe le 3 janvier 2018, l'ASBL « Association des Secrétaires de C.P.A.S. de la Région de Bruxelles-Capitale », assistée et représentée par Me J. Sohier, a introduit un recours en annulation de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer précitée.

Ces affaires, inscrites sous les numéros 6805, 6807 et 6808 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant à l'étendue des recours B.1. Les parties requérantes dans l'affaire n° 6805 demandent l'annulation de l'article 2 de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer « modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme » (ci-après : la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer). Cette disposition insère un article 46bis/1 dans le livre premier, chapitre IV, section II, du Code d'instruction criminelle.

Les parties requérantes dans l'affaire n° 6807 demandent l'annulation de l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle.

Les parties requérantes dans l'affaire n° 6808 demandent l'annulation de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer.

Quant à la disposition attaquée et à son contexte B.2. L'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle, tel qu'il est inséré par la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer, dispose : « § 1er. Dans le cadre de la recherche des infractions terroristes visées au livre II, titre Ierter, du Code pénal, le procureur du Roi peut, par une décision motivée et écrite, requérir toutes les institutions de sécurité sociale visées à l'article 2, alinéa 1er, 2°, de la loi du 15 janvier 1990Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/01/1990 pub. 08/07/2010 numac 2010000396 source service public federal interieur Loi relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-Carrefour de la Sécurité sociale. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-carrefour de la sécurité sociale et à l'article 2, alinéa 1er, 2°, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer ' la charte ' de l'assuré social de lui fournir les renseignements administratifs qu'il juge nécessaires.

Dans sa décision, le procureur du Roi décrit précisément les renseignements qu'il demande, et spécifie la forme sous laquelle ils lui seront communiqués. § 2. En application de l'exception visée à l'article 458 du Code pénal et par dérogation à toutes dispositions contraires, les institutions de sécurité sociale visées au paragraphe 1er, alinéa 1er, communiquent sans délai les renseignements qui y sont visés.

Toute personne qui, du chef de sa fonction, a connaissance de la mesure ou y prête son concours, est tenue de garder le secret. Toute violation du secret est punie conformément à l'article 458 du Code pénal.

Toute personne refusant de communiquer les renseignements sera punie d'une amende de vingt-six euros à dix mille euros. § 3. En application de l'exception visée à l'article 458 du Code pénal et par dérogation à des dispositions contraires, les membres du personnel des institutions de sécurité sociale visées au § 1er, alinéa 1er, qui, de par leur profession, prennent connaissance d'une ou de plusieurs informations pouvant constituer des indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal en font la déclaration conformément à l'article 29.

Sont exclues des informations visées à l'alinéa 1er les données médicales à caractère personnel visées à l'article 2, alinéa 1er, 6°, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer ' la charte ' de l'assuré social ».

A l'origine de cette loi se trouve une proposition de loi (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-2050/001) qui, de même qu'une proposition de loi insérant un article 458ter dans le Code pénal, levant le secret professionnel en cas de connaissance d'informations relatives au danger grave d'infractions terroristes (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1914/001), a été jointe à une proposition de loi modifiant la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'action sociale en vue de promouvoir la lutte contre les infractions terroristes (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1687/001).

B.3. Il ressort des développements de la proposition de loi que l'objectif poursuivi par le législateur était d'assurer une meilleure circulation d'informations entre les institutions de sécurité sociale et les autorités judiciaires, pour lutter efficacement contre le terrorisme : « Il s'avère que l'arsenal législatif dont disposent les pouvoirs publics pour lutter contre le terrorisme n'est pas toujours adéquat. [...] [...] La lutte contre le terrorisme requiert également une bonne circulation de l'information. Après le double attentat perpétré en Belgique, il s'est avéré que certaines données provenant de banques de données différentes pouvaient fournir des indications importantes dès qu'elles étaient réunies. Cela s'avère également important dans le cadre de la lutte contre la radicalisation. Certaines banques de données appartiennent à des institutions de sécurité sociale. Il est crucial que les informations administratives en possession des institutions de sécurité sociale puissent arriver jusqu'aux autorités judiciaires. [...] » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-2050/001, p. 3).

Avant que l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle soit adopté, la circulation des informations dans le cadre de la lutte contre le terrorisme s'est trouvée entravée par le secret professionnel auquel sont tenues certaines personnes travaillant au sein des institutions de sécurité sociale, notamment au sein des centres publics d'action sociale (ci-après : CPAS).

Ainsi, il ressort des développements de la proposition de loi : « Nous constatons en effet qu'il existe différentes pratiques en matière d'échange d'informations entre les différentes institutions, ainsi que différentes interprétations de la question du secret professionnel au niveau des institutions. Dans sa mercuriale de 2015, le procureur général de Bruxelles a, par exemple, attiré l'attention sur le fait que certains CPAS bruxellois refusaient catégoriquement de communiquer les renseignements pertinents à la police ou à la justice, en se retranchant derrière le secret professionnel, et ce, alors que les données en possession des institutions de sécurité sociale, tant les informations administratives que les autres informations obtenues auprès des clients, peuvent constituer une véritable mine d'informations dans le cadre d'enquêtes terroristes en cours. Les institutions sociales disposent non seulement de données telles que les adresses connues, les domiciles, les données relatives aux allocations, etc., mais en outre, grâce à la nature de la relation qu'ils entretiennent avec leurs clients, les membres de leur personnel peuvent également disposer d'informations uniques. Il est essentiel que l'ensemble de ces informations puissent arriver jusqu'aux autorités judiciaires. [...] » (ibid., pp. 3-4).

Il ressort des discussions menées en commission : « En dépit de l'arsenal législatif étoffé déjà à disposition pour lutter contre le terrorisme, certaines lacunes subsistent.

Le procureur général de Bruxelles a souligné à plusieurs reprises déjà que la justice se heurtait régulièrement au secret professionnel, invoqué principalement par le CPAS de Bruxelles dans des cas où cela ne se justifie pas.

Reconnaissant que le secret professionnel est essentiel pour le fonctionnement des institutions sociales, [...] confirme qu'elle n'a nullement l'intention de le vider de sa substance, en particulier pour les CPAS où il est indispensable de développer un lien fort entre les clients et les assistants sociaux. Le législateur n'a cependant jamais entendu conférer un caractère absolu au secret professionnel. Qu'il soit clair que celui-ci ne peut être invoqué lorsqu'il est question d'une infraction terroriste.

La proposition de loi DOC 54 2050/001 prévoit que lorsque le procureur du Roi demande des renseignements administratifs à des institutions sociales, celles-ci sont obligées de répondre à cette demande et de communiquer les données administratives.

Cette obligation n'est pas assortie d'une sanction pénale. L'intention n'est pas de rendre l'assistant social pénalement responsable dans le rare cas où il aurait mal évalué l'une ou l'autre situation. Il est essentiel que l'obligation s'applique à l'égard du CPAS » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2050/006, pp. 9-10).

B.4.1. Le dépositaire du secret professionnel doit en principe garder secrète toute information confidentielle obtenue dans les conditions visées à l'article 458 du Code pénal qui dispose : « Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice ou devant une commission d'enquête parlementaire et celui où la loi, le décret ou l'ordonnance les oblige ou les autorise à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de cent euros à mille euros ou d'une de ces peines seulement ».

L'obligation de secret, imposée au dépositaire par le législateur, vise, à titre principal, à protéger le droit fondamental à la vie privée de la personne qui se confie, parfois dans ce qu'elle a de plus intime. Par ailleurs, le respect du secret professionnel est la condition sine qua non pour que s'instaure un lien de confiance entre le détenteur du secret et la personne qui se confie. Seul ce lien de confiance permet au détenteur du secret professionnel d'apporter utilement une aide à la personne qui se confie à lui.

B.4.2.1. Le secret professionnel auquel sont tenues les personnes qui travaillent au sein des CPAS est spécifiquement réglé par les articles 36 et 50 de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'action sociale.

Dans sa version applicable dans la Région de Bruxelles-Capitale et en Communauté germanophone, l'article 36, alinéa 2, de la loi organique précitée dispose : « Les membres du conseil, ainsi que toutes les autres personnes qui, en vertu de la loi, assistent aux réunions du conseil, du bureau permanent et des comités spéciaux, sont tenus au secret ».

Dans sa version applicable en Région wallonne, l'article 36, alinéa 3, de la même loi organique dispose : « Les membres du conseil et du comité de gestion de l'hôpital, ainsi que toutes les autres personnes qui, en vertu de la loi, assistent aux réunions du conseil, du bureau permanent, des comités spéciaux et du comité de gestion de l'hôpital, sont tenus au secret ».

Ces dispositions sont rendues applicables aux membres du personnel des CPAS par l'article 50 de la même loi organique.

B.4.2.2. En Communauté flamande, au moment où l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle a été adopté, le décret du 19 décembre 2008 « relatif à l'organisation des centres publics d'aide sociale (CPAS) » réglait le secret professionnel au sein des CPAS. Ainsi, l'article 40, § 4, de ce décret disposait : « Les membres du conseil de l'aide sociale, ainsi que toute autre personne, qui en vertu de la loi ou du décret assistent aux réunions à huis clos du conseil de l'aide sociale, du bureau permanent et des comités spéciaux sont tenus au secret.

Cet article ne porte pas préjudice à la possibilité de poursuites pénales des membres du conseil de l'aide sociale, ainsi que de toutes les autres personnes visées à l'alinéa premier, du chef de violation du secret professionnel, conformément à l'article 458 du Code pénal ».

L'article 62, alinéa 2, du décret précité rendait l'article 40, § 4, applicable aux réunions du bureau permanent et des comités spéciaux.

L'article 109, § 3, du même décret rendait l'article 40, § 4, applicable aux membres du personnel des CPAS. B.5.1. Le secret professionnel n'est pas absolu.

Outre l'appel à rendre témoignage en justice ou devant une commission d'enquête parlementaire, le dépositaire du secret professionnel peut, à titre exceptionnel, se délier de son obligation de secret, en invoquant l'état de nécessité.

L'état de nécessité est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, eu égard à la valeur respective des obligations contradictoires et à l'existence d'un danger grave et imminent pour autrui, peut raisonnablement estimer qu'il ne lui est pas possible de sauvegarder, autrement qu'en commettant les faits qui lui sont reprochés, un intérêt plus impérieux qu'elle a le devoir ou qu'elle est en droit de sauvegarder avant tous les autres (notamment Cass., 13 mai 1987, Pas., 1987, I, n° 535; 28 avril 1999, P.98.1596.F; 13 novembre 2001, P.00.0366.N; 24 janvier 2007, P.06.1399.F).

B.5.2. Par ailleurs, les articles 458bis et 458ter du Code pénal instaurent un droit de parole dans des cas limitativement énumérés.

B.5.3. A la suite de l'arrêt de la Cour n° 127/2013 du 26 septembre 2013, le législateur a inséré un article 458quater dans le Code pénal, qui dispose : « Les articles 458bis et 458ter ne sont pas applicables à l'avocat en ce qui concerne la communication d'informations confidentielles de son client lorsque ces informations sont susceptibles d'exposer son client à des poursuites pénales ».

B.5.4. En vertu de l'article 29 du Code d'instruction criminelle, une obligation de dénonciation s'impose aux fonctionnaires lorsqu'ils acquièrent la connaissance d'un crime ou d'un délit.

Cette obligation de dénonciation est toutefois soumise à l'obligation de respecter le secret instituée par l'article 458 du Code pénal (Cass., 29 mai 1986, Pas., 1986, I, n° 609).

B.6. Par l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle, attaqué, le législateur a instauré une nouvelle exception à l'obligation de secret professionnel instituée par l'article 458 du Code pénal.

D'une part, en adoptant les paragraphes 1er et 2 de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle, le législateur a imposé une obligation d'information passive aux institutions de sécurité sociale, c'est-à-dire aux institutions « visées à l'article 2, alinéa 1er, 2°, de la loi du 15 janvier 1990Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/01/1990 pub. 08/07/2010 numac 2010000396 source service public federal interieur Loi relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-Carrefour de la Sécurité sociale. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à l'institution et à l'organisation d'une Banque-carrefour de la sécurité sociale et à l'article 2, alinéa 1er, 2°, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer ' la charte ' de l'assuré social ». L'obligation d'information passive implique que ces institutions doivent communiquer sans délai les renseignements administratifs que le procureur du Roi leur demande, lorsque celui-ci juge cette communication nécessaire dans le cadre de la recherche des infractions terroristes visées au livre II, titre Ierter, du Code pénal. La non-communication des renseignements demandés par le procureur du Roi est sanctionnée d'une amende de vingt-six euros à dix mille euros.

D'autre part, les membres du personnel des institutions de sécurité sociale se voient imposer une obligation d'information active (article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle). Les membres du personnel, qui, de par leur profession, prennent connaissance « d'une ou de plusieurs informations pouvant constituer des indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal » « en font la déclaration » « conformément à l'article 29 » du Code d'instruction criminelle. Les données médicales à caractère personnel « visées à l'article 2, alinéa 1er, 6°, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer ' la charte ' de l'assuré social » sont expressément exclues de cette obligation de dénonciation.

Quant au fond En ce qui concerne les moyens pris de la violation du principe de légalité en matière pénale B.7. Les parties requérantes dans l'affaire n° 6805 prennent un deuxième moyen de la violation des articles 12, alinéas 1er et 2, et 14 de la Constitution, de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu isolément ou en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et « du principe constitutionnel de sécurité juridique, de prévisibilité et d'accessibilité de la norme ».

Les parties requérantes dans les affaires nos 6807 et 6808 prennent un premier moyen de la violation des articles 12 et 14 de la Constitution, de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des principes généraux de légalité en matière pénale et de sécurité juridique, et du principe général de proportionnalité.

Elles estiment que les termes « renseignements administratifs [que le procureur du Roi] juge nécessaires », « informations pouvant constituer des indices sérieux d'une infraction terroriste », « données médicales à caractère personnel » et « mesure » ne répondent pas à l'exigence de précision requise par les dispositions et principes visés au moyen. Il en irait de même de l'identification des auteurs éventuels des infractions et des personnes responsables de la communication des renseignements demandés. En outre, les atteintes aux principes de légalité en matière pénale et de sécurité juridique ne seraient pas nécessaires et seraient disproportionnées à l'objectif poursuivi.

B.8.1. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit ».

L'article 14 de la Constitution dispose : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi ».

L'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ».

L'article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».

B.8.2. En ce qu'ils exigent que tout délit soit prévu par la loi, l'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue à celle de l'article 12, alinéa 2, de la Constitution. Les garanties fournies par ces dispositions forment dès lors, dans cette mesure, un tout indissociable.

B.9.1. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas des poursuites pénales sont possibles, l'article 12, alinéa 2, de la Constitution garantit à tout justiciable qu'aucun comportement ne sera punissable qu'en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.

En outre, le principe de légalité en matière pénale procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d'une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d'autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n'empêche pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s'appliquent et de l'évolution des comportements qu'elles répriment.

La condition qu'une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

Ce n'est qu'en examinant une disposition pénale spécifique qu'il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu'elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu'ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.

B.9.2. La Cour européenne des droits de l'homme a développé une jurisprudence analogue en ce qui concerne l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans l'arrêt Del Rio Prada (CEDH, 21 octobre 2013, Del Rio Prada c. Espagne, § 92), rendu en grande chambre, elle a jugé : « En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas présenter une précision absolue. L'une des techniques-types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu'à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique (Kokkinakis, précité, § 40, et Cantoni, précité, § 31). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive; or, le droit doit savoir s'adapter aux changements de situation (Kafkaris, précité, § 141) ».

B.10. Le non-respect de l'obligation d'information passive instaurée par l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle est sanctionné d'une amende pénale de vingt-six euros à dix mille euros. Le non-respect de l'obligation d'information active n'est pas sanctionné pénalement.

Il reste que l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle modifie le champ d'application de l'article 458 du Code pénal, en prévoyant deux hypothèses dans lesquelles des détenteurs d'un secret professionnel divulguent des informations couvertes par le secret. De ce fait, l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle contient des modalités déterminantes aux fins de l'application de l'article 458 du Code pénal, qui prévoit lui-même une incrimination.

L'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle relève dès lors du champ d'application des articles 12 et 14 de la Constitution.

En ce qui concerne l'obligation d'information passive B.11. Les « renseignements administratifs [que le procureur du Roi] juge nécessaires », c'est-à-dire les renseignements sur lesquels porte l'obligation d'information passive visée par l'article 46bis/1, §§ 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, renvoient aux renseignements susceptibles d'être demandés par le procureur du Roi auprès des institutions de sécurité sociale.

En vertu du paragraphe 1er, alinéas 1er et 2, de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle, la demande de renseignements doit s'inscrire dans le cadre de la recherche des infractions terroristes visées au livre II, titre Ierter, du Code pénal. Par ailleurs, les renseignements demandés doivent être décrits avec précision par le procureur du Roi, dans une demande motivée. Le destinataire de la demande peut donc déterminer avec précision les données à caractère administratif qu'il est tenu de communiquer au procureur du Roi, sous peine de commettre une infraction pénale.

Par ailleurs, les termes « renseignements administratifs [que le procureur du Roi] juge nécessaires » ne donnent pas lieu à l'ambigüité que leur prêtent les parties requérantes. Ils se rapportent à la situation administrative de la personne à propos de laquelle les renseignements sont demandés, et non à toutes les données détenues par une administration. Cette interprétation, qui découle du qualificatif « administratif » au sens usuel du terme, se trouve confirmée par les explications données par l'auteure de la proposition de loi, en Commission « Lutte contre le terrorisme » : « Par données administratives, il convient d'entendre les adresses connues, l'adresse du domicile, les données d'identité, les données qui ont été communiquées dans le cadre d'une demande à une institution et les données relatives à une allocation obtenue ou refusée. [...] » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2050/006, p. 28). « Il ne s'agit donc en aucun cas d'informations secrètes, mais bien de données purement administratives connues par les institutions. Les rapports sociaux rédigés par les assistants sociaux ne sont pas visés » (ibid., p. 34; voir aussi ibid., p. 16).

B.12. De même, il résulte d'une lecture combinée des paragraphes 1er et 2 de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle que le terme « mesure » figurant au paragraphe 2, alinéa 2, de cette disposition se réfère incontestablement à la demande de renseignements du procureur du Roi, visée au paragraphe 1er, ainsi qu'il résulte également de la justification de l'amendement qui a introduit cet alinéa : « Les membres du personnel qui ont connaissance de la (des) demande(s) de renseignements du parquet sont évidemment tenus de garder le secret. Nous souhaitons le souligner à des fins de clarté et de cohérence. [...] » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2050/005, p. 3). Il est donc suffisamment clair que toute personne qui a connaissance de la demande de renseignements du parquet et, a fortiori, de la suite qui y est donnée, ou qui y prête son concours, est tenue de garder le secret au sens de l'article 458 du Code pénal.

B.13. Par ailleurs, le libellé de l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle permet d'identifier tant les auteurs éventuels de l'infraction qui consiste à refuser de communiquer au parquet les renseignements sollicités, que les personnes qui sont tenues de donner suite à la demande de renseignements. Ainsi, si la demande de renseignements est adressée à l'institution de sécurité sociale en tant que telle, puisque le procureur du Roi ignore probablement la personne qui, au sein de cette institution, détient les renseignements requis, l'infraction est commise par « toute personne refusant de communiquer les renseignements » sollicités. Il résulte dès lors des paragraphes 1er et 2 de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle que l'auteur de l'infraction est la personne qui « refuse » de communiquer les renseignements sollicités, ce qui présuppose qu'il s'agit d'une personne qui a le contrôle desdites informations.

B.14. Eu égard à ce qui précède, les termes « renseignements administratifs [que le procureur du Roi] juge nécessaires » et « mesure » sont suffisamment clairs, compte tenu du caractère général et abstrait de la loi pénale. Le libellé de l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle permet également d'identifier clairement les auteurs des infractions que cette disposition institue, ainsi que les personnes qui doivent donner suite à la demande de renseignements du parquet.

En ce qui concerne l'obligation d'information active B.15. L'obligation d'information active instaurée par le paragraphe 3 de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle porte sur les « informations pouvant constituer des indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal ».

Il s'ensuit qu'un membre du personnel d'une institution de sécurité sociale pourrait commettre une infraction en révélant, en violation de l'article 458 du Code pénal, des informations considérées à tort comme des « indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal ». En même temps, le membre du personnel d'une institution de sécurité sociale est tenu de dénoncer les informations constituant des « indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal », en vertu de l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle, bien que le non-respect de cette obligation de dénonciation ne soit assorti d'aucune sanction pénale.

Les membres du personnel des institutions de sécurité sociale doivent donc évaluer, avant de procéder à la révélation d'informations à laquelle ils sont tenus, si les situations de fait complexes auxquelles ils peuvent être confrontés dans l'exercice de leur profession sont susceptibles de contenir des « indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal ». Cette appréciation peut avoir des conséquences pénales pour eux, puisque la révélation de renseignements non couverte par l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle, constitue une infraction au sens de l'article 458 du Code pénal.

Le risque que le membre du personnel d'une institution de sécurité sociale se méprenne sur la portée de la notion d'« indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal » est réel. En effet, l'appréciation de cette notion suppose que le membre du personnel d'une institution de sécurité sociale confère une qualification juridique au comportement d'un tiers, à savoir l'allocataire ou l'assuré social dont il gère le dossier. Plus particulièrement, le membre de l'institution de sécurité sociale doit déterminer, pour évaluer s'il commet lui-même une infraction, si le comportement d'un tiers est susceptible de constituer une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal. Or, ces dernières infractions sont complexes et requièrent la réunion de plusieurs conditions, dont l'intention criminelle de commettre l'infraction.

Il ne peut pas être attendu d'un membre du personnel d'une institution de sécurité sociale, qui n'a ni la compétence, ni les moyens nécessaires pour ce faire, de s'assurer qu'il existe chez un tiers cet élément intentionnel de commettre une infraction terroriste. En conséquence, ce membre du personnel ne peut pas suffisamment prévoir s'il commet une infraction pénale en dévoilant, à propos de ce tiers, des informations couvertes par le secret professionnel.

En faisant référence à des « informations pouvant constituer des indices sérieux d'une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal », l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle est formulé en des termes trop vagues, qui sont source d'insécurité juridique.

B.16. Le deuxième moyen dans l'affaire n° 6805 et le premier moyen dans les affaires nos 6807 et 6808, en ce qu'ils sont dirigés contre le paragraphe 3 de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle, sont donc fondés.

Il y a lieu d'annuler le paragraphe 3 de l'article 46bis/1 du Code d'instruction criminelle.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'examiner les deuxième, troisième et quatrième moyens dans l'affaire n° 6807, puisqu'ils ne pourraient pas mener à une annulation plus étendue de l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle, qui est la seule disposition contre laquelle est dirigé le recours en annulation dans cette affaire.

En ce qui concerne les moyens pris de la violation du droit au respect de la vie privée B.17. Compte tenu de l'annulation de l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle, telle qu'elle est précisée en B.16, le premier moyen dans l'affaire n° 6805 et le deuxième moyen dans l'affaire n° 6808, qui sont pris de la violation du droit au respect de la vie privée, ne doivent être examinés qu'en ce qu'ils sont dirigés contre les paragraphes 1er et 2 de cette disposition.

B.18. Les parties requérantes dans l'affaire n° 6805 prennent un premier moyen de la violation de l'article 22 de la Constitution, de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 16 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 22 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, lus isolément ou en combinaison avec les articles 10, 11 et, le cas échéant, 191 de la Constitution et avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Les parties requérantes dans l'affaire n° 6808 prennent un deuxième moyen de la violation de l'article 22 de la Constitution, de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et du principe général de proportionnalité.

B.19.1. L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». L'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». L'article 22 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées dispose : « 1. Aucune personne handicapée, quel que soit son lieu de résidence ou son milieu de vie, ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ou autres types de communication ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. Les personnes handicapées ont droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. 2. Les Etats Parties protègent la confidentialité des informations personnelles et des informations relatives à la santé et à la réadaptation des personnes handicapées, sur la base de l'égalité avec les autres ». L'article 16 de la Convention relative aux droits de l'enfant dispose : « 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». B.19.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).

La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.

B.19.3. Le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est garanti par les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée. Ce droit a une large portée. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fait apparaître que relèvent, entre autres, de la protection de ce droit les données et informations personnelles suivantes : les nom, adresse, activités professionnelles, relations personnelles, empreintes digitales, images filmées, photographies, communications, données ADN, données judiciaires (condamnations ou inculpations), données financières et informations concernant des biens (voy. notamment CEDH, 26 mars 1987, Leander c.

Suède, § § 47-48; grande chambre, 4 décembre 2008, S. et Marper c.

Royaume-Uni, § § 66-68; 17 décembre 2009, B.B. c. France, § 57; 10 février 2011, Dimitrov-Kazakov c. Bulgarie, § § 29-31; 18 octobre 2011, Khelili c. Suisse, § § 55-57; 18 avril 2013, M.K. c. France, § 26; 18 septembre 2014, Brunet c. France, § 31).

B.19.4. Les droits que garantissent l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont toutefois pas absolus. Ils n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée, mais exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle réponde à un besoin social impérieux dans une société démocratique et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive, pour l'autorité publique, de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78).

B.20. L'exception à l'obligation de respecter le secret professionnel, introduite par l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la personne qui confie des informations confidentielles au détenteur du secret professionnel.

B.21.1. Les parties requérantes soutiennent que les termes « renseignements administratifs [que le procureur du Roi] juge nécessaires » ne sont pas suffisamment précis. L'insécurité juridique qui en découle impliquerait que la condition selon laquelle l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit être prévue par une « loi » n'est pas respectée.

B.21.2. L'article 22 de la Constitution ne contient pas un principe de légalité dont la portée excéderait celle du principe de légalité en matière pénale.

Comme il est dit en B.11, la notion de « renseignements administratifs » que le procureur du Roi « juge nécessaires » est suffisamment précise pour répondre aux exigences découlant du principe de légalité.

B.22. Par l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, le législateur poursuit l'objectif de lutter contre le terrorisme. Cet objectif correspond incontestablement à un besoin social impérieux.

B.23.1. La mesure qui consiste à imposer la levée du secret professionnel, dans l'hypothèse où le procureur du Roi en charge d'une enquête pour faits de terrorisme s'adresse à des institutions de sécurité sociale pour obtenir des renseignements administratifs à propos d'une ou de plusieurs personnes concernées par l'enquête, est raisonnablement proportionnée à l'objectif poursuivi.

En effet, la demande de renseignements du procureur du Roi doit s'inscrire dans le cadre strict de la recherche d'infractions parmi les plus graves, à savoir des infractions terroristes visées au livre II, titre Ierter, du Code pénal. La crainte exprimée par les parties requérantes dans l'affaire n° 6805, selon laquelle le procureur du Roi pourrait demander n'importe quel renseignement, même en dehors de la recherche des infractions terroristes, est purement hypothétique. Par ailleurs, elle présuppose que ce magistrat commettrait un excès ou un abus de pouvoir. Or, la possibilité d'une application erronée, voire abusive, d'une disposition légale n'affecte pas, en soi, la constitutionnalité de cette disposition.

En outre, comme il est dit en B.11, la portée de la notion de « renseignements administratifs » est limitée. Seules les données relatives à la situation administrative de la personne à propos de laquelle les informations sont sollicitées peuvent être demandées et, en conséquence, doivent être communiquées. L'article 46bis/1, § 1er, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle oblige, par ailleurs, le procureur du Roi à décrire avec précision les renseignements qu'il souhaite obtenir, et ce, dans une demande motivée.

La circonstance qu'il existe d'autres cas dans lesquels le secret professionnel peut être levé, par exemple lorsque les conditions de l'état de nécessité sont réunies, ne signifie pas que l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle n'est pas nécessaire pour atteindre l'objectif de lutter contre le terrorisme.

Le législateur a justifié l'introduction d'une nouvelle exception au secret professionnel par le fait que « l'arsenal législatif dont disposent les pouvoirs publics pour lutter contre le terrorisme n'est pas toujours adéquat » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-2050/001, p. 3, et DOC 54-2050/006, p. 9) et qu'« il existe différentes pratiques en matière d'échange d'informations entre les différentes institutions, ainsi que différentes interprétations de la question du secret professionnel au niveau des institutions » (ibid., DOC 54-2050/001, p. 3). Il en ressort que les autres exceptions au secret professionnel, qui sont prévues dans des hypothèses spécifiques et qui doivent satisfaire à des conditions précises, n'ont pas permis, dans le passé, d'atteindre l'objectif poursuivi. Le législateur a donc raisonnablement pu estimer que l'obligation d'information passive contenue dans l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle était nécessaire pour assurer la lutte contre le terrorisme.

Eu égard à ce qui précède, l'ingérence dans la vie privée que constitue l'obligation d'information passive contenue dans l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle est proportionnée à l'objectif poursuivi.

B.23.2. La différence de traitement qui en découle est justifiée, pour les mêmes motifs.

B.23.3. Le premier moyen dans l'affaire n° 6805 et le deuxième moyen dans l'affaire n° 6808 ne sont pas fondés.

En ce qui concerne les moyens pris de la violation du principe d'égalité et de non-discrimination B.24.1. La partie requérante dans l'affaire n° 6808 prend un quatrième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et du principe général de proportionnalité.

B.24.2. Dans la seconde branche du quatrième moyen, la partie requérante soutient que l'exclusion des « données médicales à caractère personnel » de l'obligation d'information active visée à l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle est discriminatoire.

Il n'y a pas lieu d'examiner ce grief, dès lors qu'il ne pourrait conduire à une annulation plus étendue de cette disposition.

B.25.1. Les parties requérantes dans l'affaire n° 6805 formulent, dans les deuxième et troisième branches du premier moyen, des griefs liés à une prétendue discrimination.

B.25.2. Dans la troisième branche du moyen, les parties requérantes invoquent divers griefs liés à une prétendue discrimination spécifique des CPAS. Elles omettent toutefois d'identifier avec précision la catégorie de personnes par rapport à laquelle les CPAS seraient discriminés et, pour le surplus, elles ne développent pas en quoi les CPAS seraient discriminés par rapport à cette autre catégorie de personnes. Dans leur requête, elles évoquent seulement « d'autres acteurs sociaux », qui exercent des missions identiques ou semblables aux CPAS. Cette catégorie de personnes est toutefois à ce point large qu'aucune comparaison ne peut utilement être effectuée. La mention, à titre d'exemple et sans aucun développement, des médiateurs de dettes ou d'un « service de consultation juridique » « ou ceux qui l'organisent » ne rend pas cette catégorie de personnes davantage explicite. Puisqu'il n'appartient pas à la Cour d'examiner la constitutionnalité d'une différence de traitement entre deux catégories de personnes qu'elle devrait elle-même cerner, elle n'examine pas la prétendue différence de traitement entre les CPAS, d'une part, et les « autres acteurs sociaux », d'autre part.

B.26. Les parties requérantes critiquent la différence de traitement qui existe entre les institutions de sécurité sociale visées à l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, d'une part, et les autres personnes soumises au secret professionnel, telles que les avocats et les huissiers, auxquelles cette disposition ne s'applique pas, alors qu'elles peuvent être amenées à assurer les mêmes missions, d'autre part.

B.27. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.28. L'auteure de la proposition de loi a indiqué, en Commission « Lutte contre le terrorisme » : « [...] qu'elle a également l'intention de faire progresser les choses. Elle a délibérément choisi de ne pas étendre le champ d'application à toutes les personnes liées par le secret professionnel. A la différence de sa première proposition de loi DOC 54-1687/001, qui ne visait que les CPAS, elle vise aujourd'hui bien les organismes de sécurité sociale et leur personnel en général. Ce choix est conforme à l'avis du Collège des procureurs généraux.

Si son champ d'application était aussi étendu que celui de la proposition de loi de [...], la procédure serait encore allongée car le débat serait alors beaucoup plus complexe. Il a délibérément été choisi de ne pas retenir cette option. Par exemple, le secret professionnel de l'avocat, auquel s'appliquerait leur proposition de loi, fait l'objet d'une réglementation spécifique. En effet, le client de l'avocat a le droit fondamental de ne pas s'incriminer comme le confirme la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation. [...] » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2050/006, pp. 11-12).

B.29. En raison du nombre élevé de professions soumises au secret professionnel et de leurs spécificités propres, ainsi que de la nécessité impérieuse d'améliorer rapidement la circulation des informations en matière de lutte contre le terrorisme, le législateur a raisonnablement pu estimer qu'il était opportun de limiter le champ d'application de la loi attaquée aux institutions de sécurité sociale, sans l'étendre immédiatement à toutes les personnes détentrices du secret professionnel.

La différence de traitement est raisonnablement justifiée.

B.30. Le premier moyen dans l'affaire n° 6805, en ses deuxième et troisième branches, et le quatrième moyen dans l'affaire n° 6808 ne sont pas fondés.

En ce qui concerne la violation de l'obligation de standstill B.31. Les parties requérantes dans les affaires nos 6805 et 6808 prennent un troisième moyen de la violation de l'article 23 de la Constitution ainsi que de l'article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, des articles 12 à 17 de la Charte sociale européenne révisée, de l'article 26 de la Convention relative aux droits de l'enfant et de l'article 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, lus « à travers » les articles 10, 11 et, le cas échéant, 191 de la Constitution et en combinaison ou non avec l'obligation de standstill.

Elles soutiennent que la disposition attaquée altère le lien de confiance entre les institutions de sécurité sociale et les bénéficiaires des aides qu'elles procurent, ce qui entraînerait une recrudescence du phénomène du « non-recours », c'est-à-dire des cas dans lesquels les bénéficiaires de l'aide ou de la sécurité sociale renoncent à faire valoir leurs droits, alors qu'ils remplissent les conditions pour pouvoir y prétendre.

B.32. L'article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L'article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu'impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l'alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.

L'article 23 de la Constitution contient, en ce qui concerne les droits à la sécurité sociale et à l'aide sociale, une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le niveau de protection offert par la législation en vigueur, sans qu'existent pour ce faire des motifs liés à l'intérêt général.

B.33.1. Les parties requérantes font valoir que le recul significatif du niveau de protection offert résulterait du phénomène de « non-recours », qui découlerait lui-même de la rupture du lien de confiance qu'entraîne la disposition attaquée.

Si phénomène de « non-recours » il y a, et s'il résulte de ce phénomène un recul dans l'effectivité des droits à l'aide sociale et à la sécurité sociale, force est de constater que ce recul ne résulte pas de la disposition attaquée. En effet, l'article 46bis/1, § § 1er et 2, du Code d'instruction criminelle, qui prévoit une obligation d'information passive, ne contient pas de disposition qui réduise, a fortiori de manière significative, le niveau de protection des personnes qui ont recours à la sécurité sociale ou à l'aide sociale.

B.33.2. En conséquence, le troisième moyen dans l'affaire n° 6805 et le troisième moyen dans l'affaire n° 6808 ne sont pas fondés.

Par ces motifs, la Cour - annule l'article 46bis/1, § 3, du Code d'instruction criminelle, tel qu'il est inséré par l'article 2 de la loi du 17 mai 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2017 pub. 03/07/2017 numac 2017012229 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme type loi prom. 17/05/2017 pub. 11/05/2018 numac 2018011890 source service public federal interieur Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme. - Traduction allemande fermer modifiant le Code d'instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme ; - rejette les recours pour le surplus.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 mars 2019.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux F. Daoût

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