publié le 11 mars 2019
Extrait de l'arrêt n° 138/2018 du 11 octobre 2018 Numéro du rôle : 6932 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 relative aux redevances radio et télévision, tel qu'il a été modifié par l'artic La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 138/2018 du 11 octobre 2018 Numéro du rôle : 6932 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 relative aux redevances radio et télévision, tel qu'il a été modifié par l'article 19, 1°, du décret de la Région wallonne du 27 mars 2003 et avant son remplacement par l'article 10 du décret de la Région wallonne du 19 septembre 2013, posée par la Cour d'appel de Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul, T. Giet et J. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 20 avril 2018 en cause de Anaëlle Tramasure contre la Région wallonne, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 mai 2018, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 relative aux redevances radio et télévision, tel que modifié par l'article 19, 1°, du décret du 27 mars 2003 et avant son remplacement par l'article 10 du décret du 19 septembre 2013, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d'appel d'assortir d'un sursis la sanction prévue par cette disposition alors que le contrevenant pourrait en obtenir le bénéfice s'il comparaissait devant le tribunal de police en raison des mêmes faits, pour se voir infliger les sanctions pénales prévues par l'article 25 de la loi ? ».
Le 7 juin 2018, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1.1. Avant sa modification par l'article 9 du décret wallon du 19 septembre 2013 portant des dispositions fiscales diverses, l'article 9, § 2, de la loi du 13 juillet 1987 disposait, dans sa version applicable en Région wallonne : « Quiconque devient détenteur d'un appareil de télévision doit déclarer cette détention dans les trente jours en fournissant au service désigné par le Gouvernement les renseignements suivants : son nom ou sa dénomination, son adresse, le cas échéant sa date de naissance et son numéro d'inscription au service indiqué, le nombre et le type d'appareils qu'il détient, ainsi que le lieu où ils sont installés.
Le redevable doit payer la redevance dans le délai fixé par l'invitation à payer qui lui est adressée par le service désigné par le Gouvernement, sans que le délai de paiement puisse être inférieur à quinze jours.
En l'absence de déclaration spontanée ou de réception d'une invitation à payer à l'expiration d'un délai d'un mois prenant cours à l'échéance du délai de déclaration spontanée visé à l'alinéa 1er, le redevable doit acquitter immédiatement et spontanément la redevance ».
B.1.2. Avant son remplacement par l'article 10 du décret du 19 septembre 2013, l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 disposait, dans sa version applicable en Région wallonne : « Nonobstant l'application des articles 25 et 26, le non-respect des obligations visées à l'article 9, [...] § 2, alinéas 1er et 3, [...] donne lieu au doublement de la redevance ».
B.1.3. Avant son abrogation par l'article 11 du décret du 19 septembre 2013, l'article 25 de la loi du 13 juillet 1987 disposait, dans sa version applicable en Région wallonne : « Les infractions aux articles de la présente loi, à l'exception de l'article 12, et aux arrêtés pris en exécution de ceux-ci, sont punies d'une amende de 26 à 500 euros, sans préjudice du doublement de la redevance télévision prévu en application de l'article 18.
Les tribunaux de police connaissent des infractions prévues à l'alinéa 1er.
Les dispositions du livre Ier du Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85, sont applicables aux infractions visées à l'alinéa 1er.
Une copie gratuite, à usage administratif, du jugement passé en force de chose jugée sera envoyée d'office au service désigné par le Gouvernement ».
B.2. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition législative ne permet pas au tribunal de première instance ou à la cour d'appel d'assortir d'un sursis la sanction qu'elle prévoit pour le détenteur d'un appareil de télévision qui n'a ni déclaré spontanément cette détention ni acquitté spontanément la redevance, alors que cette personne aurait pu, si elle avait été poursuivie pour les mêmes omissions devant le tribunal de police en exécution de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1987, solliciter et obtenir le sursis à l'exécution de la peine prévue par cette disposition en application de l'article 8 de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation.
B.3. Une mesure constitue une sanction pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon sa qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir la portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, §§ 105-107; grande chambre, 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 53; grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, §§ 30-31).
Le « doublement de la redevance » prévu à l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 a pour objet de prévenir et de sanctionner les omissions commises par tous les détenteurs d'un appareil de télévision qui ne respectent pas les obligations énoncées à l'article 9, § 2, de la même loi. Il a donc un caractère répressif et est de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.4. Contrairement au détenteur d'un appareil de télévision poursuivi devant le tribunal de police en raison de ces omissions, celui qui, en application de l'article 569, alinéa 1er, 32°, du Code judiciaire, conteste le « doublement de la redevance » devant le tribunal civil ne peut solliciter et obtenir un sursis à l'exécution de cette sanction puisqu'un sursis à l'exécution d'une peine ne peut, en vertu de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, être ordonné que par une juridiction pénale.
B.5.1. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et limiter ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.
Le législateur a toutefois opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, notamment en autorisant le juge à accorder des mesures de sursis.
B.5.2. Il appartient au législateur d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général. Cette sévérité peut notamment porter sur les mesures de sursis.
La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition en cause avait pour effet de priver une catégorie de justiciables du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.6.1. Le sursis à l'exécution des peines a pour objectif de réduire les inconvénients inhérents à l'exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné. Il peut être ordonné à propos de peines d'amende. Il ressort en outre de l'article 157, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, remplacé par l'article 2 de la loi du 19 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/12/2008 pub. 31/12/2008 numac 2008024536 source service public federal securite sociale Loi portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 type loi prom. 19/12/2008 pub. 19/03/2009 numac 2009000182 source service public federal interieur Loi portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994. - Traduction allemande fermer « portant modification de l'article 157 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 » et modifié par l'article 5, 1°, de la loi du 29 mars 2012 portant des dispositions diverses (II), que le sursis n'est pas considéré par le législateur comme incompatible avec une amende imposée par une autorité autre qu'une juridiction pénale.
Sans doute le régime du « doublement de la redevance » diffère-t-il en divers éléments de celui des sanctions pénales prévues par la loi du 13 juillet 1987 ou de celui des sanctions administratives prévues en d'autres matières, qu'il s'agisse de la formulation différente de l'exigence de l'élément moral, de la possibilité de cumuler des amendes administratives, du mode de fixation des peines ou de l'application de décimes additionnels. S'il est vrai que de telles différences peuvent être pertinentes pour justifier l'application de règles spécifiques dans certains domaines, elles ne le sont pas dans celui qui fait l'objet de la question préjudicielle : en effet, qu'il soit accordé par le tribunal correctionnel ou par une autre juridiction, telle que le tribunal civil, le sursis peut inciter le condamné à s'amender, par la menace d'exécuter, s'il venait à récidiver, la condamnation au paiement d'une amende.
Si la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer n'est pas applicable, il appartient au législateur de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis, de même éventuellement qu'un sursis probatoire, peut être ordonné et de fixer les conditions et la procédure de son retrait.
B.6.2. Il résulte de ce qui précède que l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas au tribunal civil d'accorder le bénéfice du sursis au premier contrevenant visé en B.2.
B.6.3. Ce constat d'inconstitutionnalité partielle n'a toutefois pas pour conséquence que cette disposition ne pourrait plus, dans l'attente d'une intervention législative, être appliquée par les juridictions lorsque celles-ci constatent que les infractions sont établies, que le montant de l'amende n'est pas disproportionné à la gravité de l'infraction et qu'il n'y aurait pas eu lieu d'accorder un sursis même si cette mesure avait été prévue par la loi.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'il ne permet pas au tribunal civil d'assortir d'un sursis le « doublement de la redevance » qu'il prévoit, l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 relative aux redevances radio et télévision, tel qu'il a été modifié par l'article 19, 1°, du décret de la Région wallonne du 27 mars 2003 et avant son remplacement par l'article 10 du décret de la Région wallonne du 19 septembre 2013 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 11 octobre 2018.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût