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Arrêt
publié le 12 novembre 2018

Extrait de l'arrêt n° 71/2018 du 7 juin 2018 Numéro du rôle : 6646 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 100, 100bis et 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, posée par la Co La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges J.-P. S(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 71/2018 du 7 juin 2018 Numéro du rôle : 6646 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 100, 100bis et 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, posée par la Cour du travail de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 27 mars 2017 en cause de Marguerite Stes contre l'Office national de l'emploi, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 avril 2017, la Cour du travail de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 100, 100bis et 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ne prévoient aucun mécanisme permettant de limiter le remboursement d'un indu à charge d'un interrompant de carrière alors que les bénéficiaires d'allocations de chômage peuvent, en vertu de l'article 169 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, se prévaloir de pas moins de trois mécanismes de limitation du remboursement de l'indu, traitant de la sorte d'une façon différente des catégories de personnes qui se trouvent dans une situation essentiellement similaire ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur les articles 100, 100bis et 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales. Dans sa version applicable au litige pendant devant le juge a quo, l'article 100 de cette loi disposait : « Une allocation est accordée au travailleur qui convient avec son employeur de suspendre totalement l'exécution de son contrat de travail, ou qui demande l'application d'une convention collective de travail prévoyant une telle suspension, ou qui fait appel aux dispositions de l'article 100bis. Sauf en cas de recours à l'article 100bis ou s'il s'agit d'un travailleur d'une petite ou moyenne entreprise qui, au 30 juin de l'année civile précédente, occupait moins de 10 travailleurs, le travailleur doit être remplacé par un chômeur complet indemnisé qui perçoit des allocations pour tous les jours de la semaine. [...] Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, le montant de l'allocation ainsi que les conditions particulières et les modalités d'octroi de cette allocation. [...] ».

L'article 100bis de la même loi prévoit que les travailleurs ont droit à une suspension complète de leur contrat de travail en cas de soins palliatifs donnés à une personne.

L'article 101 de la même loi dispose : « Lorsque l'exécution du contrat de travail est suspendue en application des articles 100, alinéa 1er, et 100bis ou lorsque les prestations de travail sont réduites en application de l'article 102, § 1er et 102bis, l'employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour motif grave au sens de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux contrats de travail, ou pour motif suffisant. [...] ».

B.1.2. La Cour est invitée à comparer ces dispositions avec l'article 169 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Tel qu'il était applicable au moment de la décision de récupération de l'indu concernée par l'action mue devant la juridiction a quo, cet article disposait : « Toute somme perçue indûment doit être remboursée.

Toutefois, lorsque le chômeur prouve qu'il a perçu de bonne foi des allocations auxquelles il n'avait pas droit, la récupération est limitée aux cent cinquante derniers jours d'indemnisation indue. Cette limitation n'est pas applicable en cas de cumul d'allocations au sens de l'article 27, 4°, ou de cumul d'une allocation au sens de l'article 27, 4°, avec une prestation accordée en vertu d'un autre régime de sécurité sociale.

Lorsque le chômeur ayant contrevenu aux articles 44 ou 48 prouve qu'il n'a travaillé ou n'a prêté une aide à un travailleur indépendant que certains jours ou pendant certaines périodes, la récupération est limitée à ces jours ou à ces périodes.

Dans le cas visé à l'article 149, § 1er, alinéa 2, 2°, les allocations qui ont été octroyées indûment, en tout ou en partie, mais qui avaient déjà été payées par l'organisme de paiement le troisième jour ouvrable qui suit l'envoi de la carte d'allocations par le bureau du chômage à cet organisme, ne sont pas récupérées, sauf s'il est fait application simultanément de l'article 149, § 1er, alinéa 2, 1°.

Par dérogation aux alinéas précédents, le montant de la récupération peut être limité au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n'étaient pas cumulables avec les allocations de chômage, lorsque le chômeur prouve qu'il a perçu de bonne foi des allocations auxquelles il n'avait pas droit, ou lorsque le directeur décide de faire usage de la possibilité de ne donner qu'un avertissement au sens de l'article 157bis ».

B.1.3. La juridiction a quo interroge la Cour sur la différence de traitement entre les personnes qui ont bénéficié d'allocations d'interruption de carrière et les personnes qui ont bénéficié d'allocations de chômage, en ce qui concerne l'ampleur du remboursement des sommes perçues indûment auquel elles peuvent être tenues.

B.2.1. La question préjudicielle porte sur les dispositions législatives qui créent l'interruption de carrière en ce qu'elles ne prévoient aucune limitation du montant de l'indu qui peut être récupéré par l'ONEm. La juridiction a quo estime que cette lacune dans la loi pourrait être contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution et juge en conséquence nécessaire d'interroger la Cour à ce sujet.

B.2.2. Il appartient en règle à la juridiction a quo d'interpréter les dispositions qu'elle applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée de la disposition en cause. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la circonstance que l'arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l'octroi d'allocations d'interruption, pris en application des dispositions législatives précitées, ne contient pas non plus de dispositions relatives à cet objet n'a pas pour effet que l'origine de la différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée doive nécessairement être localisée dans cet arrêté royal.

Il en résulte que la Cour est compétente pour répondre à la question posée.

B.3.1. Par son arrêt n° 25/2003 du 12 février 2003, la Cour a jugé : « Quelle que soit la spécificité du système de l'interruption de carrière, les allocations auxquelles il donne droit ne diffèrent pas à ce point des autres prestations sociales qu'il serait justifié de soumettre la récupération des allocations indûment payées à un délai de prescription de dix ans alors que, pour d'autres allocations sociales comparables indûment payées, le délai de prescription est, selon les cas, de six mois, trois ans ou cinq ans ».

B.3.2. A la suite de cet arrêt, le législateur a modifié l'alinéa 5 de l'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs par l'article 173 de la loi-programme du 27 décembre 2004. Cette disposition rend les délais de prescription de trois et de cinq ans applicables aux actions en répétition des allocations de chômage payées indûment établis par l'alinéa 2 de la même disposition également applicables aux actions en répétition des allocations d'interruption de carrière payées indûment.

B.3.3. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, les allocations d'interruption de carrière et les allocations de chômage sont suffisamment comparables en ce qui concerne le régime applicable à la prescription et à la limitation de la récupération de l'indu puisque celui applicable aux allocations de chômage a été rendu partiellement applicable par le législateur aux allocations d'interruption.

B.4. En vertu de l'article 169 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage cité en B.1.2, la récupération des allocations de chômage payées indûment à un bénéficiaire peut être limitée, selon le cas, soit aux 150 derniers jours d'indemnisation indue, soit aux jours ou aux périodes au cours desquelles il a travaillé en tant qu'indépendant, soit au montant brut des revenus qu'il a perçus et qui n'étaient pas cumulables avec les allocations.

La première et la troisième de ces possibilités supposent que le bénéficiaire de l'indu démontre sa bonne foi. Aucune de ces possibilités n'est prévue pour le bénéficiaire d'allocations d'interruption, qui, même se trouvant dans les cas prévus par l'article 169 précité, se voit tenu, comme le montrent les faits du litige pendant devant le juge a quo exposés dans l'arrêt de renvoi, de rembourser les allocations perçues indûment au cours des trois dernières années.

B.5.1. La différence de traitement en cause repose sur le critère du type d'allocations perçues indûment. Un tel critère est objectif. La Cour doit encore examiner s'il est pertinent.

B.5.2. S'il est exact que la personne qui bénéficie d'allocations d'interruption de carrière a volontairement renoncé aux revenus de son travail pour une durée déterminée, il n'en demeure pas moins qu'elle peut l'avoir fait pour des motifs divers, qui peuvent avoir été, éventuellement, contraignants. Le montant des allocations d'interruption, même s'il ne remplace pas le revenu, peut avoir été un élément déterminant dans la possibilité, pour elle, de faire ce choix.

Même si, compte tenu de leur montant limité, les allocations d'interruption ne constituent pas l'essentiel des moyens d'existence du bénéficiaire, elles peuvent, le cas échéant, en représenter une part significative. Les bénéficiaires des allocations comparées par le juge a quo se trouvent donc, au regard de l'importance des allocations pour eux, dans des situations qui ne sont pas essentiellement différentes.

B.5.3. En outre, la circonstance que les allocations compensent la perte involontaire et à durée indéterminée d'un emploi rémunéré ou qu'elles compensent la perte temporaire du revenu professionnel du bénéficiaire ne présente pas de rapport avec l'objectif d'équité qui justifie que l'ampleur du remboursement des sommes perçues indûment puisse être limitée dans certains cas.

B.6.1. Il résulte de ce qui précède que le critère sur lequel repose la différence de traitement n'est pas pertinent par rapport à l'objet et à l'objectif de la réglementation en cause. Par ailleurs, il entraîne des conséquences disproportionnées pour l'allocataire. Dès lors que des possibilités de limitations de la récupération des allocations de chômage payées indûment sont prévues par la réglementation, il n'est pas raisonnablement justifié qu'aucune limitation ne soit prévue en ce qui concerne la récupération des allocations d'interruption de carrière payées indûment dans des hypothèses similaires.

B.6.2. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.7. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.6.1 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application des dispositions en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient au juge a quo de mettre fin à la violation de ces normes.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : La loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle ne contient aucune disposition relative à la limitation de la répétition des allocations d'interruption de carrière payées indûment.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 7 juin 2018.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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