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Arrêt
publié le 04 septembre 2018

Extrait de l'arrêt n° 60/2018 du 17 mai 2018 Numéro du rôle : 6823 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1385quinquies du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Bruxelles. La Cour constitutionnelle, composée d après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

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04/09/2018
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 60/2018 du 17 mai 2018 Numéro du rôle : 6823 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1385quinquies du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite E. De Groot, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, F. Daoût et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 22 décembre 2017 en cause de Jacques Meganck et Geneviève Demassieux contre la Régie des bâtiments, la SA « Compagnie d'Entreprises CFE », la SA « Les Entreprises Louis De Waele » et la SA « Grond- en Afbraakwerken G. & A. De Meuter », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 janvier 2018, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1385quinquies du Code judiciaire, interprété en ce sens qu'il ne permet pas à la partie à la requête de laquelle une astreinte a déjà été imposée de demander une astreinte supplémentaire ou d'augmenter l'astreinte imposée au cas où la partie condamnée à s'exécuter sous peine d'astreinte reste en défaut de ce faire, alors qu'il permet à la partie condamnée qui s'est vu imposer une astreinte de demander au juge d'en prononcer la suppression, en suspendre le cours durant le délai qu'il indique ou la réduire, si le condamné est dans l'impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle de satisfaire à la condamnation principale, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, le cas échéant lus en combinaison avec le droit d'accès à un juge consacré par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? ».

Le 8 février 2018, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs F. Daoût et E. Derycke ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, le cas échéant lus en combinaison avec le droit d'accès à un juge consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1385quinquies du Code judiciaire, interprété en ce sens qu'il ne permet pas à la partie à la requête de laquelle une astreinte a déjà été imposée de demander une astreinte supplémentaire ou d'augmenter l'astreinte imposée au cas où la partie condamnée à s'exécuter sous peine d'astreinte reste en défaut de ce faire, alors qu'il permet à la partie condamnée qui s'est vu imposer une astreinte de demander au juge d'en prononcer la suppression, d'en suspendre le cours durant le délai qu'il indique ou de la réduire, si le condamné est dans l'impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle de satisfaire à la condamnation principale.

B.2. L'article 1385quinquies du Code judiciaire dispose : « Le juge qui a ordonné l'astreinte peut en prononcer la suppression, en suspendre le cours durant le délai qu'il indique ou la réduire, à la demande du condamné, si celui-ci est dans l'impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle de satisfaire à la condamnation principale.

Dans la mesure où l'astreinte était acquise avant que l'impossibilité se fût produite, le juge ne peut la supprimer ni la réduire ».

B.3. Par son arrêt n° 122/2012, du 18 octobre 2012, la Cour a dit pour droit que l'article 36 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas à la partie requérante à la requête de laquelle une astreinte a déjà été imposée de demander d'imposer une astreinte supplémentaire ou d'augmenter l'astreinte imposée au cas où l'autorité reste de manière persistante en défaut d'exécuter l'arrêt d'annulation, alors qu'il permet à l'autorité qui s'est vu imposer une astreinte de demander d'annuler cette astreinte, d'en suspendre l'échéance ou de la diminuer en cas d'impossibilité permanente ou temporaire ou partielle pour cette autorité de satisfaire à la condamnation.

La Cour a motivé sa décision comme suit : « B.4. L'autorité qui s'est vu imposer une astreinte peut demander au Conseil d'Etat l'annulation, la suspension ou la diminution de cette astreinte lorsqu'il lui est impossible de satisfaire à la condamnation principale.

La personne à la requête de laquelle l'astreinte a été imposée ne peut demander l'augmentation de l'astreinte ou l'imposition d'une astreinte supplémentaire lorsque l'autorité reste en défaut d'exécuter l'arrêt d'annulation.

Cette différence de traitement fait l'objet de la question préjudicielle.

B.5. Selon le Conseil des ministres, la demande introduite par l'autorité en vue d'obtenir l'annulation, la suspension ou la diminution de l'astreinte imposée, en cas d'impossibilité de satisfaire à la condamnation principale, ne peut être comparée à la demande introduite par la partie requérante en vue d'obtenir l'augmentation de l'astreinte imposée ou l'imposition d'une astreinte supplémentaire lorsque l'autorité publique reste en défaut d'exécuter l'arrêt d'annulation.

Il ne faut cependant pas confondre différence et non-comparabilité.

Les effets différents recherchés par les auteurs d'une action en justice peuvent certes constituer un élément dans l'appréciation d'une différence de traitement, mais ils ne suffisent pas pour conclure à la non-comparabilité, sous peine de priver de sa substance le contrôle qui est exercé au regard du principe d'égalité et de non-discrimination.

B.6. Le droit à une exécution effective des décisions de justice constitue l'un des éléments fondamentaux d'un Etat de droit.

L'exécution d'une décision de justice revêt une importance particulière dans le contexte du contentieux administratif. En introduisant un recours en annulation, le requérant vise à obtenir non seulement la disparition de l'acte administratif litigieux, mais aussi la levée de ses effets. Une protection juridique effective et le rétablissement de la légalité impliquent l'obligation pour l'administration de se plier à la décision du juge. L'obligation d'exécution ne se limite pas au dispositif; le fond de la décision doit aussi être respecté et appliqué. Si l'administration refuse ou omet de s'exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties dont bénéficie le justiciable au cours de la procédure perdent toute raison d'être (CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, § 41; CEDH, 18 novembre 2004, Zazanis c. Grèce, § 37; CEDH, 9 juin 2009, Nicola Silvestre c.

Italie, § 59).

B.7. La possibilité d'imposer une astreinte, prévue par la disposition en cause, a été jugée nécessaire par le législateur pour garantir le rétablissement de la légalité et une protection juridique effective.

Lorsqu'il en définit les conditions, le législateur ne peut porter une atteinte discriminatoire, au détriment de la partie à la requête de laquelle l'astreinte a été prononcée, au droit à une exécution effective de l'arrêt d'annulation.

Dès lors, si l'autorité peut introduire une demande en vue d'obtenir l'annulation, la suspension ou la diminution de l'astreinte imposée en cas de circonstance nouvelle, et plus précisément en cas d'impossibilité de satisfaire à la condamnation principale, il n'est pas raisonnablement justifié que la partie requérante ne puisse, de son côté, introduire une demande en vue d'obtenir l'augmentation de l'astreinte imposée ou l'imposition d'une astreinte supplémentaire lorsque l'autorité reste en défaut d'exécuter l'arrêt d'annulation.

B.8. Il est certes exact, comme le fait valoir la Région de Bruxelles-Capitale, que le Conseil d'Etat, lorsqu'il fixe le montant de l'astreinte, a déjà tenu compte de la résistance prévisible de l'autorité publique quant à l'exécution de l'arrêt d'annulation, mais cet élément ne repose nécessairement que sur une estimation et non sur des faits avérés. L'imprévisible persistance de l'autorité dans l'inexécution peut donc également être considérée comme une circonstance nouvelle.

L'existence d'autres solutions que celle de l'exécution d'un arrêt d'annulation, à laquelle le Conseil des ministres fait référence, ne constitue pas non plus une justification satisfaisante de la différence de traitement en cause. La possibilité d'introduire, devant le Conseil d'Etat, un nouveau recours en annulation, dirigé contre la conduite contraire à l'arrêt d'annulation adoptée par l'autorité et fondé sur la violation de l'autorité de chose jugée dudit arrêt, ainsi que la possibilité de demander au juge civil d'ordonner que soit posé un acte administratif déterminé constituent, pour la partie requérante, des obstacles procéduraux supplémentaires qui limitent de manière disproportionnée son droit à une exécution effective d'une décision de justice. Une action en réparation devant le juge ordinaire risque de n'aboutir la plupart du temps qu'à une exécution par équivalent, ce qui est précisément le défaut auquel le législateur entendait remédier en instaurant l'astreinte.

B.9. La disposition en cause n'est par conséquent pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle ne permet pas à la partie requérante à la requête de laquelle une astreinte a déjà été imposée de demander d'imposer une astreinte supplémentaire ou d'augmenter l'astreinte imposée au cas où l'autorité reste de manière persistante en défaut d'exécuter l'arrêt d'annulation, alors qu'elle permet à l'autorité qui s'est vu imposer une astreinte de demander d'annuler cette astreinte, d'en suspendre l'échéance ou de la diminuer en cas d'impossibilité permanente ou temporaire ou partielle pour cette autorité de satisfaire à la condamnation principale.

B.10. Dès lors que cette lacune est située dans le texte soumis à la Cour, il appartient au juge a quo de mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée par celle-ci, ce constat étant exprimé en des termes suffisamment précis et complets pour permettre que la disposition en cause soit appliquée dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, en appliquant par analogie les articles 20 à 24 de l'arrêté royal du 2 avril 1991 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'Etat en matière d'astreinte ».

B.4.1. Tout comme l'astreinte prononcée par le Conseil d'Etat, l'astreinte prononcée par les juridictions de l'ordre judiciaire a pour objectif de garantir le respect de l'autorité de la chose jugée des décisions qu'elles prononcent.

B.4.2. Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés dans l'arrêt n° 122/2012 précité, l'article 1385quinquies du Code judiciaire n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas à la partie à la requête de laquelle une astreinte a déjà été imposée de demander une astreinte supplémentaire ou d'augmenter l'astreinte imposée au cas où la partie condamnée à s'exécuter sous peine d'astreinte reste en défaut de ce faire, alors qu'il permet à la partie condamnée qui s'est vu imposer une astreinte de demander au juge d'en prononcer la suppression, d'en suspendre le cours durant le délai qu'il indique ou de la réduire, si le condamné est dans l'impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle, de satisfaire à la condamnation principale. B.4.3. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.5. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.4.2 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application de la disposition en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient au juge a quo de mettre fin à la violation de ces normes.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1385quinquies du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas à la partie à la requête de laquelle une astreinte a déjà été imposée de demander une astreinte supplémentaire ou d'augmenter l'astreinte imposée au cas où la partie condamnée à s'exécuter sous peine d'astreinte reste en défaut de ce faire.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 mai 2018.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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