publié le 04 octobre 2018
Extrait de l'arrêt n° 48/2018 du 26 avril 2018 Numéro du rôle : 6453 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 230, 3°, a), du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite E. De Groot,(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 48/2018 du 26 avril 2018 Numéro du rôle : 6453 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 230, 3°, a), du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur.
La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite E. De Groot, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 1er juin 2016 en cause de Olivier Lauvaux contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 juin 2016, le Tribunal de première instance de Namur, division Namur, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 230, 3°, a), du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution quand il énonce que les rémunérations versées par un contribuable établi en Belgique à un contribuable non-résident pour une activité exercée à l'étranger sont exonérées de l'impôt des non-résidents si ces rémunérations sont imputées sur les résultats d'un établissement établi à l'étranger alors qu'elles sont exclues de cette exonération si ces mêmes rémunérations ne sont pas imputées sur les résultats d'un établissement établi à l'étranger ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de « l'article 230, 3°, a), [lire 230, 3°,] » du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992), tel qu'il est applicable aux exercices d'imposition 2005 à 2007.
B.2.1. L'article 230 précité s'inscrit dans le chapitre II du titre V du CIR 92 consacré à l'assiette de l'impôt des non-résidents.
La section première de ce chapitre énumère les revenus imposables.
B.2.2. Tel qu'il est applicable aux faits du litige devant le juge a quo, l'article 228 du CIR 1992 dispose : « § 1er. L'impôt est perçu exclusivement sur les revenus produits ou recueillis en Belgique et qui sont imposables. § 2. Sont compris dans ces revenus : [...] 6° les rémunérations, pensions, rentes et allocations visées à l'article 23, § 1er, 4° et 5°, à charge : a) d'un habitant du Royaume;b) d'une société résidente, d'une association, d'un établissement ou d'un organisme quelconque ayant en Belgique son siège social, son principal établissement ou son siège d'administration ou de direction;c) de l'Etat, des Communautés, Régions, provinces, agglomérations, fédérations de communes et communes belges;d) d'un établissement dont dispose en Belgique un non-résident visé à l'article 227; [...] ».
B.2.3. L'article 230 en cause énumère quant à lui les revenus exonérés d'impôts. Il disposait, dans sa version applicable aux exercices d'imposition 2005 à 2007, soit avant d'être remplacé par l'article 2 de la loi du 7 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/12/2006 pub. 22/12/2006 numac 2006003592 source service public federal finances Loi remplaçant l'article 230, alinéa 1er, 3°, du Code des impôts sur les revenus 1992 fermer (Moniteur belge, 22 décembre 2006) : « Sont exonérés : [...] 3° les rémunérations visées à l'article 23, § 1er, 4°, dont le débiteur, autre que l'Etat belge, les Communautés, les Régions, les provinces, les agglomérations, les fédérations de communes et les communes, est assujetti en Belgique à l'impôt des personnes physiques, à l'impôt des sociétés ou à l'impôt des personnes morales, dans la mesure où elles rémunèrent une activité exercée à l'étranger par le bénéficiaire et sont imputées sur les résultats d'un établissement situé à l'étranger; [...] ».
L'article 23, § 1er, auquel il est renvoyé, dispose : « § 1er. Les revenus professionnels sont les revenus qui proviennent, directement ou indirectement, d'activités de toute nature, à savoir : [...] 4° les rémunérations; [...] ».
B.3. Le juge a quo interroge la Cour sur la différence de traitement qui serait créée par l'article 230, 3°, précité entre les contribuables non-résidents qui exercent une activité à l'étranger, selon que les rémunérations à charge d'une société belge sont imputées ou non sur les résultats de l'établissement étranger de cette société belge. En effet, dans le premier cas, les rémunérations versées au contribuable non-résident sont exonérées d'impôts belges tandis qu'elles ne peuvent l'être dans le second.
B.4. Il ressort des faits du litige porté devant le juge a quo que celui-ci concerne l'employé d'une société belge qui réside au Kenya, pays avec lequel la Belgique n'a pas conclu de convention préventive de double imposition, et qui y exerce une activité professionnelle auprès d'une succursale de la société belge.
La Cour limite dès lors son examen à cette hypothèse.
B.5. Comme il ressort de l'article 228 du CIR 1992 précité, les rémunérations recueillies par des non-résidents sont soumises à l'impôt des non-résidents si ces rémunérations sont à charge d'une société qui a son siège social en Belgique.
B.6. D'après le demandeur devant le juge a quo, le critère de l'imputabilité des rémunérations sur les résultats d'un établissement étranger dont dépend la perception de l'impôt belge sur la rémunération du travailleur ne serait pas raisonnablement justifié.
B.7.1. A l'origine, le Code des impôts sur les revenus 1964 (ci-après : CIR 1964) prévoyait en son article 141, 2°, une exonération d'impôts pour les rémunérations prévues à l'article 20, 2°, dudit Code « dont le débiteur est un habitant du Royaume ou une société, association, établissement ou organisme quelconque ayant en Belgique son siège social, son principal établissement ou son siège de direction ou d'administration, en raison d'une activité exercée à l'étranger par les bénéficiaires ».
Le fait que le contribuable exerçait une activité à l'étranger constituait ainsi la seule condition d'exonération des rémunérations perçues en raison de cette activité.
B.7.2. L'article 31 de la loi du 5 janvier 1976 relative aux propositions budgétaires 1975-1976 a remplacé l'article 141, 2°, du CIR 1964 comme suit : « Les rémunérations visées à l'article 20, 2°, a, dont le débiteur est un habitant du Royaume ou une société, association, établissement ou organisme quelconque ayant en Belgique son siège social, son principal établissement ou son siège de direction ou d'administration dans la mesure où elles rémunèrent une activité exercée à l'étranger par les bénéficiaires, ainsi que les rémunérations visées à l'article 20, 2°, b et c, dans la mesure où elles sont imputées sur les résultats d'établissements situés à l'étranger, en raison de l'activité exercée par les bénéficiaires au profit de ces établissements ».
Les rémunérations visées à l'article 20, 2°, a, du CIR 1964 concernaient celles des travailleurs régis par la législation relative aux contrats de louage de travail ou par un statut légal ou réglementaire analogue tandis que les rémunérations visées par les points b et c concernaient respectivement les rémunérations diverses : « b) des administrateurs, commissaires, liquidateurs ou autres personnes exerçant des mandats ou fonctions analogues soit près des sociétés par actions belges ou étrangères, soit près de toutes autres personnes morales de droit belge ou étranger qui sont assimilées à des sociétés par actions pour l'application de l'impôt des sociétés ou qui y seraient assimilées si elles avaient en Belgique leur siège social, leur principal établissement ou leur siège de direction ou d'administration; c) des associés actifs soit dans des sociétés commerciales belges, autres que des sociétés par action, soit dans des sociétés ou autres personnes morales de droit étranger dont la forme juridique peut être assimilée à celle des sociétés commerciales belges ». B.7.3. L'article 314 de la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer a ensuite modifié ledit article 141 du CIR 1964 dans le sens désormais prescrit par la disposition en cause. Ainsi la condition d'imputabilité des rémunérations sur les résultats des établissements situés à l'étranger pour pouvoir bénéficier d'une exonération d'impôts belges a-t-elle été étendue aux rémunérations versées à l'ensemble des travailleurs.
La modification introduite par la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires : « Le remaniement du régime de l'impôt des non-résidents contenu dans la présente section vise essentiellement à prévenir la fraude fiscale, à supprimer certaines dispositions discriminatoires, à améliorer la perception de l'impôt et à modifier sa structure. Il a dès lors pour objet d'améliorer le régime de l'impôt des non-résidents dans son ensemble, c'est-à -dire à la fois en ce qui concerne les contribuables, l'assiette de l'impôt et le calcul de celui-ci. [...] 2. - Revenus imposables Le projet a pour but de combler certaines lacunes au niveau des revenus imposables. [...] c) La non-imposition des rémunérations afférentes à une activité exercée à l'étranger par un travailleur non-résident pour un contribuable belge est soumise à la condition que ces rémunérations soient imputées sur les résultats d'un établissement dont le contribuable belge dispose à l'étranger (article 142, § 1er, 3°, CIR) » (Doc.parl., Sénat, 1989-1990, n° 806-1, pp. 82 à 84).
Le rapport de la commission compétente du Sénat précise : « Les revenus afférents à des prestations effectuées à l'étranger ne sont exonérés que si ces rémunérations sont effectivement prises en charge aussi à l'étranger » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 806-3, p. 107). Le nouvel article 142 du CIR 1992 a été commenté comme suit : « Cet article regroupe les exonérations existantes, actuellement réparties entre les articles 141 et 143, du CIR. § 1er, 3°. Une seule modification a été apportée aux exonérations existantes : l'exonération des rémunérations afférentes à une activité exercée à l'étranger par un travailleur non-résident pour un contribuable belge est soumise à la condition que ces rémunérations soient imputées sur les résultats d'un établissement étranger. Cette condition qui s'appliquait déjà aux administrateurs et associés est ainsi étendue à tous les travailleurs » (ibid., p. 113).
B.8. Il ressort des travaux préparatoires à l'origine de la disposition en cause que le législateur entendait lier l'exonération des rémunérations perçues pour une activité à l'étranger à la question de la prise en charge effective de ces rémunérations par un débiteur belge.
Le Conseil des ministres soutient dans son mémoire que cette question est étroitement liée à celle de l'exigence d'une correcte allocation des bénéfices et des dépenses entre établissements d'une même société mais situés dans différents Etats, cette société ne pouvant s'affranchir des règles comptables et fiscales qui s'appliquent en la matière.
B.9.1. En ce qui concerne les règles comptables, l'article 4 de l'arrêté royal du 12 septembre 1983 portant exécution de la loi du 17 juillet 1975Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/07/1975 pub. 30/06/2010 numac 2010000387 source service public federal interieur Loi relative à la comptabilité des entreprises fermer relative à la comptabilité des entreprises dispose : « Les opérations d'une succursale ou d'un siège d'activités établis à l'étranger d'une entreprise de droit belge, qui font l'objet dans ce pays d'une inscription dans un système distinct de journaux et de comptes peuvent ne pas être comprises dans l'écriture récapitulative prévue à l'article 4 de la loi du 17 juillet 1975Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/07/1975 pub. 30/06/2010 numac 2010000387 source service public federal interieur Loi relative à la comptabilité des entreprises fermer précitée, lorsque la comptabilité de cette succursale ou de ce siège d'activités est tenue conformément aux règles ou usages en vigueur dans ce pays étranger, adaptée le cas échéant en vue de l'application de l'alinéa 2.
Les soldes des comptes de cette succursale ou de ce siège d'activités sont intégrés au moins semestriellement dans la comptabilité centrale de l'entreprise ».
L'article 4 de la loi du 17 juillet 1975Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/07/1975 pub. 30/06/2010 numac 2010000387 source service public federal interieur Loi relative à la comptabilité des entreprises fermer précitée auquel renvoie l'article 4 de l'arrêté royal du 12 septembre 1983 disposait, avant son abrogation par la loi du 17 juillet 2013 « portant insertion du livre III ' Liberté d'établissement, de prestation de service et obligations générales des entreprises ', dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre III et des dispositions d'application de la loi propres au livre III, dans les livres Ier et XV du Code de droit économique » : « Toute comptabilité est tenue selon un système de livres et de comptes et conformément aux règles usuelles de la comptabilité en partie double.
Les opérations sont inscrites sans retard, de manière fidèle et complète et par ordre de dates, soit dans un livre journal unique soit dans un journal auxiliaire unique ou subdivisé en journaux spécialisés. Elles sont méthodiquement inscrites ou transposées dans les comptes qu'elles concernent.
Les mouvements totaux enregistrés au cours de la période dans le journal auxiliaire unique ou dans les journaux spécialisés font, mensuellement au moins, l'objet d'une écriture récapitulative dans un livre central.
Cette écriture est trimestrielle au moins, pour les entreprises visées à l'article 5 qui tiennent leur comptabilité selon les prescriptions des articles 3 et 4.
Cette écriture récapitulative comporte soit le montant total des mouvements enregistrés dans l'ensemble de ces journaux auxiliaires, ventilés selon les comptes généraux ou les rubriques de synthèse prévus au plan comptable de l'entreprise que ces mouvements ont concernés soit, lorsque la technique comptable adoptée par l'entreprise comporte l'inscription simultanée des données dans les journaux auxiliaires et dans les comptes concernés, le total des mouvements enregistrés dans chacun de ces journaux auxiliaires.
Les comptes ouverts sont définis dans un plan comptable approprié à l'activité de l'entreprise. Ce plan comptable est tenu en permanence tant au siège de l'entreprise qu'aux sièges des services comptables importants de l'entreprise, à la disposition de ceux qui sont concernés par lui.
Le Roi détermine la teneur et la présentation d'un plan comptable minimum normalisé. Il définit le contenu et le mode de fonctionnement des comptes repris au plan normalisé ».
B.9.2. Il ressort de ces dispositions que, si la succursale d'une société belge peut tenir une comptabilité distincte de ladite société belge, les soldes des comptes de cette succursale doivent être intégrés au moins semestriellement dans la comptabilité centrale de la société belge.
B.10.1. En ce qui concerne les règles fiscales applicables, l'article 183 du CIR 1992 dispose : « Sous réserve des dérogations prévues au présent titre, les revenus soumis à l'impôt des sociétés ou exonérés dudit impôt sont, quant à leur nature, les mêmes que ceux qui sont envisagés en matière d'impôt des personnes physiques; leur montant est déterminé d'après les règles applicables aux bénéfices ».
B.10.2. L'article 23, § 1er, du même Code indique que comptent parmi les revenus professionnels les bénéfices. Le paragraphe 2 de la même disposition précise que le montant net des revenus professionnels s'entend du montant total des revenus, à l'exception des revenus exonérés et après exécution des opérations suivantes : « le montant brut des revenus de chacune des activités professionnelles est diminué des frais professionnels qui grèvent ces revenus; [...] ».
Le paragraphe 3 habilite le Roi à déterminer les modalités et l'ordre selon lesquels s'opèrent les exonérations et les déductions.
L'article 7, § 3, de l'AR/CIR 1992, pris en exécution de l'article 23, § 3, du même Code, dispose : « Lorsqu'une même activité professionnelle procure au contribuable des revenus provenant de différents pays, les frais professionnels réels qui s'y rapportent sont déduits, par pays, des revenus auxquels ils correspondent ».
B.11. D'après le Conseil des ministres, il ressort des dispositions précitées qu'en matière de frais professionnels, une correcte allocation des dépenses entre établissements d'une même entreprise imposerait que soient imputées sur les bénéfices réalisés à l'intervention d'un établissement étranger, les dépenses exposées en raison de l'activité exercée au sein de cet établissement, dépenses parmi lesquelles figurent notamment les rémunérations et charges sociales versées au profit des travailleurs. Le Conseil des ministres entend ainsi contester le grief soulevé par le demandeur devant le juge a quo selon lequel la condition d'imputation des rémunérations du travailleur sur les résultats de l'établissement étranger ne serait pas proportionnée aux objectifs poursuivis au motif que l'employé serait soumis au bon vouloir de son employeur décidant en fonction de ses intérêts propres et sans concertation pour bénéficier, ou non, de l'exonération fiscale des rémunérations qu'il a perçues.
B.12. Dans l'interprétation de l'article 230, 3°, du CIR 1992 selon laquelle l'imputation des rémunérations d'un travailleur non-résident qui exerce son activité professionnelle au sein d'un établissement étranger dont dispose une société belge, devrait obligatoirement être opérée sur les résultats de cet établissement étranger, la différence de traitement dénoncée par le juge a quo est inexistante. En effet, tout contribuable qui exerce une telle activité à l'étranger est exonéré d'impôts belges dès lors que la condition de l'imputation de ses rémunérations sur les résultats de l'établissement étranger est automatiquement remplie.
B.13. La Cour constate que le Conseil des ministres semble lui-même contredire cette interprétation lorsqu'il souligne dans son mémoire, à propos des faits du litige soumis au juge a quo, que la non-imputation des rémunérations sur les résultats de l'établissement étranger avait été justifiée par le fait que durant les exercices d'imposition litigieux, la succursale étrangère était en perte, de sorte que la société mère « n'avait pas voulu la charger davantage en incluant parmi les dépenses les rémunérations litigieuses ».
Le texte même de la disposition en cause semble également contredire l'interprétation suggérée par le Conseil des ministres. En effet, les différentes modifications législatives intervenues qui sont décrites en B.7 ne pourraient trouver aucune explication si l'imputation des rémunérations sur les résultats d'un établissement situé à l'étranger avait un caractère automatique et obligatoire.
Du reste, comme il est dit en B.8, le législateur entendait lier l'exonération des rémunérations perçues pour une activité à l'étranger à la question de la prise en charge effective de ces rémunérations par un débiteur belge. Une telle intention tend également à confirmer que la disposition en cause ne peut être interprétée comme impliquant une obligation d'imputation des rémunérations sur les résultats de l'établissement étranger.
B.14. La Cour doit dès lors se prononcer sur la compatibilité de l'article 230, 3°, du CIR 1992 dans l'interprétation que lui confère le juge a quo selon laquelle la condition d'imputation des rémunérations sur les résultats de l'établissement étranger dépend d'une décision prise par la société mère à laquelle l'établissement étranger est attaché.
B.15. Compte tenu de ce qu'une succursale ne dispose pas d'une personnalité juridique distincte de celle de la société belge à laquelle elle est liée, les bénéfices engendrés par une succursale établie dans un pays avec lequel la Belgique n'a pas conclu de convention de double imposition sont soumis à l'impôt des sociétés en Belgique, conjointement aux bénéfices réalisés par la société mère.
L'impôt étranger payé par l'établissement étranger au nom de la société belge peut toutefois être pris en compte à titre de frais professionnels, de sorte qu'il pourra être déduit de la base imposable de la société résidente (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1918/001, p. 54).
Comme le prévoit en effet l'article 75 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du CIR 1992, le montant total du résultat obtenu par la société résidente est éventuellement ventilé, suivant sa provenance, en : 1° résultat réalisé en Belgique;2° résultat réalisé à l'étranger pour lequel l'impôt est réduit;3° résultat réalisé à l'étranger et exonéré d'impôt en vertu de conventions préventives de la double imposition. B.16.1. Compte tenu des règles qui régissent la comptabilité et l'impôt des sociétés, lorsque les rémunérations des travailleurs sont imputées à la succursale d'une société résidente belge, établie à l'étranger, cette imputabilité aura pour effet de réduire le montant des revenus de ladite succursale à l'étranger et, partant, le montant de la base imposable prise en compte pour le prélèvement de l'impôt par l'Etat étranger. En l'absence de convention préventive de double imposition, les revenus de la succursale seront joints à ceux de la société résidente pour être soumis à l'impôt des sociétés en Belgique tandis que les impôts prélevés à l'étranger pourront compter parmi les charges déductibles.
En revanche, l'imputabilité des rémunérations sur les résultats de la société belge aura pour effet de réduire les revenus, et partant, la base imposable de cette dernière pour le calcul de l'impôt dû en Belgique, revenus auxquels viendront s'ajouter ceux qui ont été obtenus par la succursale établie à l'étranger, et desquels pourront ici encore être déduits les impôts perçus par l'Etat étranger.
B.16.2. Il apparaît que le montant de l'impôt des sociétés qui est perçu en Belgique varie selon que l'on se trouve dans l'une ou l'autre hypothèse, ce qui peut être de nature à influencer la décision d'imputer les rémunérations des travailleurs sur les résultats de l'établissement étranger ou celui de la société belge.
B.16.3. Cette décision a une incidence directe sur la situation fiscale des travailleurs concernés. En effet, en ce qui concerne l'impôt dû par les travailleurs non-résidents, comme il ressort de l'article 228, § 2, 6°, du CIR 1992, l'assiette de l'impôt belge est constituée par les revenus qui sont produits ou recueillis en Belgique, ce qui suppose que les rémunérations perçues par ces travailleurs soient effectivement supportées par un débiteur belge.
Une telle prise en charge implique qu'une société commerciale, lorsqu'elle est débitrice de celles-ci, déduise de ses résultats les rémunérations ainsi versées aux travailleurs.
B.17.1. Le législateur a pu légitimement considérer que lorsqu'un établissement stable établi à l'étranger, qui dispose de sa propre comptabilité et est soumis aux règles fiscales de l'Etat dans lequel il est situé, prend en charge les rémunérations perçues par ses travailleurs pour les activités qu'ils exercent à l'étranger, lesdites rémunérations ne présentent pas un lien de rattachement suffisant avec la Belgique pour être considérées comme des revenus d'origine belge pouvant être soumis à l'impôt sur les revenus en Belgique.
Dès lors que ces rémunérations, bien que versées par un débiteur belge, sont effectivement à charge d'un établissement étranger du débiteur belge et qu'elles sont soumises à l'impôt de l'Etat dans lequel cet établissement est situé, il est raisonnablement justifié de prévoir qu'en l'absence de convention préventive de double imposition avec l'Etat concerné, et pour prévenir cette double imposition, de telles rémunérations, qui ne sont ni produites ni recueillies en Belgique, soient exonérées de l'impôt belge, comme le prévoit l'article 230, 3°, du CIR 1992.
B.17.2. Comme le relève le demandeur devant le juge a quo, une telle exonération n'est pas autorisée lorsque les rémunérations perçues par le travailleur ne sont pas imputées sur les résultats de l'établissement étranger. En pareil cas, en effet, ces rémunérations, qui sont à charge de la société belge, sont considérées comme un revenu d'origine belge soumis à l'impôt en Belgique.
Le travailleur qui réside dans l'Etat étranger dans lequel il exerce son activité professionnelle pourra dès lors être soumis à une double imposition sur ses revenus lorsque l'Etat dans lequel il réside et exerce son activité professionnelle n'a pas conclu de convention préventive de cette double imposition.
B.17.3. La situation financière du travailleur concerné peut être ainsi considérablement affectée par la réalisation ou non de la condition d'imputabilité prescrite par la disposition en cause alors que, comme il est dit en B.16.2, la décision d'imputer les rémunérations sur les résultats de l'établissement étranger dépend d'un choix financier opéré par la société belge débitrice de ces rémunérations. Une telle mesure n'est pas raisonnablement justifiée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.
B.18. Dans l'interprétation de l'article 230, 3°, du CIR 1992 mentionnée en B.14, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Dans l'interprétation selon laquelle l'imputation sur les résultats d'un établissement étranger dont dispose une société belge des rémunérations d'un travailleur non-résident qui exerce son activité professionnelle au sein de cet établissement étranger résulte du choix de la société belge, l'article 230, 3°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il est applicable aux exercices d'imposition 2005 à 2007, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 26 avril 2018.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels