publié le 08 septembre 2017
Extrait de l'arrêt n° 85/2017 du 6 juillet 2017 Numéro du rôle : 6314 En cause : le recours en annulation de l'article 43 du décret de la Communauté française du 25 juin 2015 modifiant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieu La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 85/2017 du 6 juillet 2017 Numéro du rôle : 6314 En cause : le recours en annulation de l'article 43 du décret de la Communauté française du 25 juin 2015 modifiant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur, introduit par l'ASBL « Fédération des Etudiant(e)s francophones ».
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 décembre 2015 et parvenue au greffe le 16 décembre 2015, l'ASBL « Fédération des Etudiant(e)s francophones », assistée et représentée par Me M. Kaiser et Me P.-F. Henrard, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de l'article 43 du décret de la Communauté française du 25 juin 2015 modifiant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur (publié au Moniteur belge du 23 juillet 2015, deuxième édition). (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée et son contexte B.1.1. L'article 96 du décret de la Communauté française du 7 novembre 2013 « définissant le paysage de l'enseignement supérieur et l'organisation académique des études » disposait : « § 1er. Par décision motivée, les autorités de l'établissement d'enseignement supérieur peuvent refuser l'inscription d'un étudiant, selon la procédure prévue au règlement des études : 1° lorsque cet étudiant a fait l'objet, dans les cinq années précédentes, d'une mesure d'exclusion d'un établissement d'enseignement supérieur pour des raisons de fraude à l'inscription ou de faute grave;2° lorsque la demande d'inscription vise des études qui ne donnent pas lieu à un financement;3° lorsque cet étudiant n'est pas finançable. La décision du refus d'inscription doit être notifiée à l'étudiant par lettre recommandée ou contre reçu au plus tard 15 jours après réception de sa demande finale d'inscription effective.
La notification du refus d'inscription doit indiquer les modalités d'exercice des droits de recours. § 2. Le règlement des études prévoit une procédure de recours interne auprès des autorités académiques de l'établissement contre les décisions de refus visées au paragraphe précédent ».
B.1.2. L'article 43, 1°, a), du décret du 25 juin 2015 « modifiant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur » remplace le premier alinéa du premier paragraphe de cette disposition par le texte suivant : « Par décision motivée et selon une procédure prévue au règlement des études, les autorités de l'établissement d'enseignement supérieur : 1° refusent l'inscription d'un étudiant qui a fait l'objet, dans les 5 années académiques précédentes, d'une mesure d'exclusion d'un établissement d'enseignement supérieur pour des raisons de fraude à l'inscription ou de fraude aux évaluations;2° peuvent refuser l'inscription d'un étudiant lorsque la demande d'inscription vise des études qui ne donnent pas lieu à un financement;3° peuvent refuser l'inscription d'un étudiant lorsque cet étudiant n'est pas finançable;4° peuvent refuser l'inscription d'un étudiant qui a fait l'objet dans les 5 années académiques précédentes d'une mesure d'exclusion d'un établissement d'enseignement supérieur pour faute grave ». L'article 43, 1°, b), du décret du 25 juin 2015 insère l'alinéa suivant entre les alinéas 2 et 3 du premier paragraphe : « [L]es établissements d'enseignement supérieur transmettent au commissaire ou délégué du Gouvernement auprès de l'institution, les noms des étudiants qui ont fait l'objet dans les cinq années académiques précédentes d'une mesure d'exclusion d'un établissement d'enseignement supérieur pour des raisons de fraude à l'inscription ou fraude aux évaluations. Le commissaire ou délégué transmet ces noms à l'ARES chargée d'établir une base de données gérée dans le respect de la Loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel ».
L'article 43, 2°, du décret du 25 juin 2015 complète le second paragraphe par la phrase suivante : « La notification de la décision du recours interne est adressée à l'étudiant par pli recommandé ».
B.1.3. Les dispositions précitées du décret du 25 juin 2015 sont entrées en vigueur « à partir de l'année académique 2015-2016 » (article 76 du même décret).
B.2. A la suite des modifications apportées par l'article 44 du décret du 25 juin 2015, entrées en vigueur « à partir de l'année académique 2015-2016 » (article 76 du même décret), l'article 97 du décret du 7 novembre 2013 disposait : « § 1er. Une commission chargée de recevoir les plaintes des étudiants relatives à un refus d'inscription visé à l'article 96 est créée.
Celle-ci est accueillie par l'ARES qui en assure le support logistique et administratif; un membre du personnel de l'ARES en assume le secrétariat. Les plaintes introduites à l'encontre d'une décision de refus d'inscription fondée sur l'article 96, 3°, sont préalablement examinées par le Commissaire ou le Délégué auprès de l'établissement.
Celui-ci remet un avis à la Commission quant au financement de l'étudiant. Le Gouvernement fixe les délais et la procédure relatifs à cet avis. § 2. Le Gouvernement désigne les membres de cette commission, sur proposition de l'ARES. Elle est composée d'au moins cinq membres effectifs et de cinq membres suppléants. Ces membres sont choisis parmi les personnels et les étudiants des établissements d'enseignement supérieur, dont au moins 20 % d'étudiants. De plus, un tiers, arrondi à l'unité supérieure, au minimum des membres de la commission doivent être des personnes de genre différent des autres personnes, sauf impossibilité dûment justifiée.
Cette commission peut comporter plusieurs chambres composées et désignées de manière similaire.
Le mandat des membres de la commission est de cinq ans, à l'exception des membres étudiants qui sont désignés pour un an. Les mandats sont tous renouvelables.
Les membres peuvent démissionner à tout moment. Le Gouvernement ne peut révoquer un membre qu'en cas de négligence grave ou d'inconduite manifeste. Les membres continuent à exercer leur fonction jusqu'à ce qu'ils soient remplacés, sauf en cas de révocation. § 3. Le Gouvernement détermine le mode de fonctionnement de cette commission. Le Gouvernement ni aucun membre de l'ARES ou d'un établissement d'enseignement supérieur ne peuvent en aucune manière donner aux membres de la commission des instructions sur la façon dont ils exercent cette compétence.
Aucun membre de cette commission ne peut participer à l'examen d'une plainte relative à un refus concernant un établissement auquel il est lié, comme membre du personnel ou comme étudiant.
Après la notification du rejet du recours interne visé à l'article 96, § 2, l'étudiant a quinze jours ouvrables pour contester la décision prise à l'issue de cette procédure devant ladite commission. Sous peine d'irrecevabilité, la requête est introduite par pli recommandé, indique clairement l'identité de l'étudiant et l'objet précis de son recours. Elle contient tous les éléments et toutes les pièces que l'étudiant estime nécessaires pour motiver son recours.
La commission n'est pas compétente pour se prononcer sur les motifs académiques ayant mené à la décision, mais elle invalide le refus d'inscription dans les quinze jours ouvrables à dater de la réception de la plainte si des éléments de nature à influencer favorablement la demande d'inscription n'ont pas été pris en compte lors de ce recours interne.
Les délais de 15 jours ouvrables visés aux alinéas 2 et 4 sont suspendus entre le 24 décembre et le 1er janvier ainsi qu'entre le 15 juillet et le 15 août ».
B.3.1. L'article 23, 2°, du décret du 16 juin 2016 « portant diverses mesures dans l'enseignement supérieur, à l'organisation de la gouvernance du Centre hospitalier universitaire de Liège et à la Recherche » complète l'article 96, § 2, du décret du 7 novembre 2013 par l'alinéa suivant : « L'étudiant ayant introduit un recours interne et qui 30 jours après son introduction n'a pas reçu de notification de décision du recours interne visée à l'alinéa 1er, peut mettre en demeure l'établissement d'enseignement supérieur de notifier cette décision. A dater de cette mise en demeure, l'établissement dispose de 15 jours pour notifier sa décision. A défaut d'une décision intervenue au terme de ces 15 jours, la décision de l'établissement d'enseignement supérieur est réputée positive. A cette même date, cette décision est réputée avoir été notifiée à l'étudiant ».
B.3.2. A la suite des modifications apportées par l'article 24 du décret du 16 juin 2016, entrées en vigueur « à partir de l'année académique 2016-2017 » (article 60 du même décret), l'article 97, §§ 1er et 3, du décret du 7 novembre 2013 dispose : « § 1er. Une commission chargée de recevoir les plaintes des étudiants relatives à un refus d'inscription visé à l'article 96 est créée. Elle a le statut d'autorité administrative indépendante. Celle-ci est accueillie par l'ARES qui en assure le support logistique et administratif; un membre du personnel de l'ARES en assume le secrétariat. [...] § 3. Le Gouvernement détermine le mode de fonctionnement de cette commission. Les délibérations se font en présentiel ou non. Le Gouvernement ni aucun membre de l'ARES ou d'un établissement d'enseignement supérieur ne peuvent en aucune manière donner aux membres de la commission des instructions sur la façon dont ils exercent cette compétence.
Aucun membre de cette commission ne peut participer à l'examen d'une plainte relative à un refus concernant un établissement auquel il est lié, comme membre du personnel ou comme étudiant.
Après la notification du rejet du recours interne visé à l'article 96, § 2, l'étudiant a quinze jours ouvrables pour contester la décision prise à l'issue de cette procédure devant ladite commission. Sous peine d'irrecevabilité, la requête est introduite par pli recommandé ou en annexe à un courriel, elle indique clairement l'identité, le domicile, les coordonnées téléphoniques, l'adresse électronique de l'étudiant et l'objet précis de sa requête, elle est revêtue de sa signature et elle contient en annexe copie du recours interne, de la décision qui en a résulté, de sa notification à l'étudiant, ainsi que tous les éléments et toutes les pièces que l'étudiant estime nécessaires pour motiver son recours.
Elle vérifie le caractère adéquat de la motivation formelle de la décision et elle invalide le refus d'inscription dans les quinze jours ouvrables à dater de la réception de la plainte si des éléments de nature à influencer favorablement la demande d'inscription n'ont pas été pris en compte lors de ce recours interne.
Les délais de 15 jours ouvrables visés aux alinéas 3 et 4 sont suspendus entre le 24 décembre et le 1er janvier ainsi qu'entre le 15 juillet et le 15 août ».
B.4. Les établissements d'enseignement supérieur au sens des dispositions précitées sont des universités, des Hautes Ecoles ou des Ecoles supérieures des Arts (article 1er du décret du 7 novembre 2013).
Pour l'application des dispositions précitées, l'année académique commence le 14 septembre et s'achève le 13 septembre suivant (article 15, § 1er, alinéa 1er, 6°, du décret du 7 novembre 2013).
L'ARES est l'Académie de Recherche et d'Enseignement supérieur (article 18 du même décret).
Quant au premier moyen B.5. La Cour est invitée à statuer sur la compatibilité avec l'article 24, § 3, alinéa 1er, première phrase, de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec l'article 13.2, sous c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 96, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 7 novembre 2013, tel qu'il a été remplacé par l'article 43 du décret du 25 juin 2015, en ce que, en obligeant tout établissement d'enseignement supérieur à refuser l'inscription d'un étudiant qui, durant l'une des cinq années académiques qui précèdent sa demande d'inscription, a été exclu d'un autre établissement de ce type en raison d'une fraude à l'inscription ou d'une fraude aux évaluations, cette disposition constituerait une restriction disproportionnée du droit d'accès à l'enseignement.
B.6.1. L'article 24, § 3, alinéa 1er, première phrase, de la Constitution dispose : « Chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux ».
Ce droit ne fait pas obstacle à une réglementation de l'accès à l'enseignement, en particulier celui qui est dispensé au-delà du temps de scolarité obligatoire, en fonction des besoins et des possibilités de la communauté et de l'individu.
B.6.2. L'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. [...] ».
Cette disposition confère notamment un droit d'accès aux établissements d'enseignement supérieur existants, tant publics que privés (CEDH, grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c.
Turquie, §§ 134-142 et 152-153; grande chambre, 19 octobre 2012, Catan et autres c. Moldova et Russie, §§ 137 et 139).
Le droit à l'instruction appelle par nature une réglementation étatique qui tient compte entre autres des besoins et des ressources de la communauté ainsi que des particularités du niveau de l'enseignement considéré (CEDH, grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, § 154; grande chambre, 19 octobre 2012, Catan et autres c. Moldova et Russie, § 140). Non absolu, ce droit peut être soumis à certaines limitations pour autant que celles-ci soient prévisibles et raisonnablement proportionnées au but légitime poursuivi. L'Etat dispose à cet égard d'une marge d'appréciation d'autant plus grande qu'est élevé le niveau d'enseignement considéré (CEDH, grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, § 154; grande chambre, 19 octobre 2012, Catan et autres c. Moldova et Russie, § 140).
Le droit à l'instruction n'interdit pas que l'accès à l'université soit limité à ceux qui ont demandé leur admission en temps voulu et réussi les examens (CEDH, décision, 16 novembre 1999, Lukach c.
Russie, § 3; 2 avril 2013, Tarentino et autres c. Italie, § 46). En outre, il n'interdit pas en principe l'instauration de mesures disciplinaires, telles que l'exclusion temporaire ou définitive de l'établissement d'enseignement supérieur destinée à assurer l'observation des règles internes de celui-ci, puisque de telles mesures constituent pour l'établissement l'un des moyens d'atteindre le but dans lequel il a été créé, y compris le développement et le façonnement du caractère et de l'esprit des étudiants (CEDH, 17 janvier 1996, Sulak c. Turquie; grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, § 156; 11 janvier 2011, Ali c. Royaume-Uni, § 54).
B.6.3. L'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit : [...] c) L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité;[...] ».
L'article 2.1 du même Pacte dispose : « Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives ».
Il ressort de ces dispositions que l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur doit être instaurée progressivement, en tenant compte des possibilités économiques et de la situation des finances publiques spécifique à chacun des Etats parties.
L'article 13.2, sous c), du Pacte ne fait donc pas naître un droit à l'accès à l'enseignement supérieur. Il s'oppose toutefois à ce que le Royaume de Belgique prenne des mesures qui iraient à l'encontre de l'objectif de l'accès en pleine égalité à l'enseignement supérieur.
B.7. En obligeant un établissement d'enseignement supérieur à refuser l'inscription d'un étudiant exclu par un autre établissement en raison d'une fraude à l'inscription ou d'une fraude aux évaluations, la disposition attaquée limite l'accès à l'enseignement et constitue une restriction du droit à l'instruction.
B.8. En rendant « automatique » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2014-2015, n° 131/1, p. 12) le refus d'inscription d'un étudiant exclu par un établissement d'enseignement supérieur en raison d'une fraude à l'inscription ou d'une fraude aux évaluations, la disposition attaquée expose « certains comportements inacceptables » à des « sanctions terribles », afin d'éviter que ces comportements soient « banalisés » (CRI, Parlement de la Communauté française, 24 juin 2015, n° 18, p. 15) et parce que certains comportements appellent une sanction plus sévère que d'autres (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2014-2015 n° 131/3, p. 12).
Lors des débats parlementaires précédant l'adoption de la disposition attaquée, le ministre compétent précisa : « La fraude à l'inscription ou aux évaluations est un acte posé délibérément qui relève d'une sanction équivalente à une sanction pénale. Par exemple, l'usurpation d'identité - un étudiant qui fait réaliser son examen par quelqu'un d'autre - est une fraude dont la sanction doit être maximale. L'étudiant qui trafique son diplôme afin d'être inscrit là où il n'a pas le droit de s'inscrire commet une fraude. La tricherie, les copions ou le plagiat sont des fautes graves. Il existe toutefois différentes gradations dans le plagiat.
Celui qui fait passer pour sien tout un document commet un faux en écriture pur et simple » (CRI, Parlement de la Communauté française, 24 juin 2015, n° 18, p. 15).
B.9.1. L'enseignement supérieur en Communauté française est un « service public d'intérêt général » (article 2, première phrase, du décret du 7 novembre 2013). Il « s'adresse à un public adulte et volontaire » (article 3, § 2, première phrase, du même décret).
Parmi les objectifs que doivent poursuivre les établissements d'enseignement supérieur en Communauté française figurent, entre autres, celui d'« accompagner les étudiants dans leur rôle de citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, pluraliste et solidaire », celui de « promouvoir l'autonomie et l'épanouissement des étudiants, notamment en développant [...] leur conscience des responsabilités et devoirs individuels et collectifs » et celui de « garantir une formation au plus haut niveau » destinée à « permettre aux étudiants de jouer un rôle actif dans la vie professionnelle, sociale, économique et culturelle, et de leur ouvrir des chances égales d'émancipation sociale » (article 3, § 1er, 1°, 2° et 4°, du même décret).
Les étudiants ont aussi le « devoir d'oeuvrer à la poursuite de ces objectifs » (article 3, § 2, alinéa 2, du même décret).
La « finalité » de l'enseignement supérieur est de « former des diplômés répondant à ses objectifs » (article 4, § 1er, première phrase, du même décret).
B.9.2. L'interdiction faite à un établissement d'enseignement supérieur d'inscrire un étudiant qui a été exclu par un autre établissement en raison d'une fraude commise lors de son inscription ou lors d'une évaluation limite l'accès de celui-ci à l'enseignement.
A l'origine de cette limitation se trouve le comportement frauduleux de cet étudiant.
Une fraude est un acte qui vise à tromper. Il ressort de la structure et des termes de l'article 96, § 1er, alinéa 1er, du décret du 7 novembre 2013, tel qu'il a été modifié par la disposition attaquée, qu'une fraude commise lors de l'inscription ou lors d'une évaluation est un acte qui appelle une sanction plus sévère qu'une « faute grave » au sens de cette disposition.
B.9.3. Le refus obligatoire d'inscription prévu par la disposition attaquée suppose l'existence d'une décision préalable d'exclusion prise par un autre établissement d'enseignement supérieur reconnu par la Communauté française.
Or, une telle décision, qui doit être motivée, ne peut être prise que si l'établissement d'enseignement supérieur a permis à l'étudiant d'exercer ses droits de la défense et si l'exclusion est une mesure proportionnée aux faits commis et à leur gravité.
Une décision d'exclusion est, de surcroît, susceptible de faire l'objet d'un recours juridictionnel.
B.9.4. Le refus obligatoire d'inscription prévu par la disposition attaquée ne concerne que les étudiants dont le nom est repris dans la base de données établie et gérée par l'ARES. L'établissement d'enseignement supérieur qui exclut un étudiant en raison d'une fraude à l'inscription ou en raison d'une fraude à l'évaluation transmet le nom de celui-ci au commissaire ou au délégué du Gouvernement de la Communauté française auprès de cet établissement, qui transmet ensuite ce nom à l'ARES. La base de données établie par l'ARES est gérée dans le respect de la loi du 8 décembre 1992 « relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel », de sorte que l'étudiant dont le nom est repris dans cette base peut exercer les droits de la « personne concernée » au sens de cette loi, tels que le droit d'être informé du traitement de données le concernant, le droit d'obtenir des informations sur ce traitement, le droit de s'opposer à ce traitement lorsqu'il n'est plus nécessaire au respect du décret ou celui de faire rectifier les données traitées (articles 9, 10 et 12 de cette loi).
B.9.5. Le refus obligatoire d'inscription prévu par la disposition attaquée ne concerne que les étudiants qui ont été exclus lors de l'une des cinq années académiques précédant celle qui est visée par la demande d'inscription.
L'effet que la disposition attaquée confère à une décision d'exclusion fondée sur une fraude à l'inscription ou sur une fraude à l'évaluation est donc limité dans le temps.
B.9.6. Le refus d'inscription décidé par les autorités de l'établissement d'enseignement supérieur en application de la disposition attaquée peut faire l'objet d'un recours interne auprès des autorités académiques de l'établissement (article 96, § 2, première phrase, du décret du 7 novembre 2013).
Si ce recours est rejeté, l'étudiant à qui l'établissement refuse l'inscription en raison d'une exclusion antérieure fondée sur une fraude à l'inscription ou sur une fraude à l'évaluation peut introduire une plainte auprès de la « commission chargée de recevoir les plaintes des étudiants relatives à un refus d'inscription » instituée auprès de l'ARES qui a le statut d'« autorité administrative indépendante » (article 97, § 1er, du décret du 7 novembre 2013).
Cette commission vérifie le caractère adéquat de la motivation formelle de la décision de refus et elle invalide le refus d'inscription si des éléments de nature à influencer favorablement la demande d'inscription n'ont pas été pris en compte lors du recours interne (article 97, § 3, alinéa 4, du même décret).
Si cette commission estime que la plainte de l'étudiant est irrecevable ou si elle confirme le refus d'inscription, la décision de cette commission est susceptible de faire l'objet d'un recours au Conseil d'Etat.
B.9.7. Il ressort de ce qui précède que la limitation de l'accès à l'enseignement ou la restriction du droit à l'instruction que constitue la disposition attaquée est prévisible et raisonnablement proportionnée au but légitime poursuivi.
B.10. Le premier moyen n'est pas fondé.
Quant au deuxième moyen B.11. Il ressort des développements du moyen que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité avec les articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec l'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 96, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 7 novembre 2013, tel qu'il a été remplacé par l'article 43 du décret du 25 juin 2015, en ce que, en obligeant tout établissement d'enseignement supérieur à refuser l'inscription d'un étudiant qui, durant l'une des cinq années académiques qui précèdent sa demande d'inscription, a été exclu d'un établissement de ce type en raison d'une fraude à l'inscription ou d'une fraude aux évaluations, cette disposition instaure une différence de traitement entre, d'une part, cet étudiant et, d'autre part, l'étudiant qui, durant l'une des cinq années académiques qui précèdent sa demande d'inscription, a été exclu d'un établissement de ce type en raison d'une faute grave, parce que, lorsqu'il est saisi d'une demande d'inscription de cet étudiant, un établissement d'enseignement supérieur n'est pas tenu de refuser son inscription.
B.12. L'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme garantit l'égalité de traitement de tous les citoyens dans l'exercice du droit à l'instruction (CEDH, grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, § 152).
B.13. Comme il est dit en B.8, en rendant automatique le refus d'inscription d'un étudiant exclu par un établissement d'enseignement supérieur en raison d'une fraude à l'inscription ou d'une fraude aux évaluations, la disposition attaquée expose « certains comportements inacceptables » à des « sanctions terribles », afin d'éviter que ces comportements soient « banalisés » et parce que certains comportements appellent une sanction plus sévère que d'autres.
B.14. Lorsque le législateur décrétal estime que certains comportements doivent faire l'objet d'une sanction, il relève de son pouvoir d'appréciation d'apprécier la gravité d'un comportement de ce type et la sévérité avec laquelle il doit être sanctionné et de décider du type de sanction le plus opportun. Il peut prévoir des sanctions particulièrement lourdes dans des matières où les comportements réprimés sont de nature à porter gravement atteinte aux intérêts de la collectivité.
La Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur décrétal si, interrogée sur la justification d'une différence existant entre des normes prévoyant des sanctions, elle ne limitait pas son examen, en ce qui concerne l'échelle de celles-ci, aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu'il rend cette différence de traitement manifestement déraisonnable.
B.15. Même si tant la faute grave au sens de l'article 96, § 1er, alinéa 1er, 4°, du décret du 7 novembre 2013 que les deux types de fraude visés par l'article 96, § 1er, alinéa 1er, 1°, du même décret sont des comportements à ce point inacceptables qu'ils peuvent mener à une décision d'exclusion d'un établissement d'enseignement supérieur, la fraude à l'inscription et la fraude à l'évaluation supposent que soient posés des actes destinés, par leur caractère trompeur, à porter une atteinte particulière à l'intérêt général que représente la crédibilité du système d'enseignement.
B.16. La différence de traitement entre étudiants, décrite en B.11, n'est donc pas sans justification raisonnable.
B.17. Le deuxième moyen n'est pas fondé.
Quant au troisième moyen B.18. Il ressort des développements du moyen que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité avec les articles 10, 11 et 24, § 3, alinéa 1er, première phrase, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 13.2, sous c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de l'article 96, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 7 novembre 2013, tel qu'il a été remplacé par l'article 43, 1°, a), du décret du 25 juin 2015, en ce que cette disposition instaure une restriction à l'accès à l'enseignement plus sévère que celle qui était prévue par la version initiale de l'article 96, § 1er, du décret du 7 novembre 2013, et serait, partant, constitutive d'une réduction significative et non justifiée du niveau de protection du droit d'accès à l'enseignement.
B.19.1. Comme il est dit en B.6.3, l'article 13.2, sous c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels s'oppose à l'adoption de mesures qui iraient à l'encontre de l'objectif de l'accès en pleine égalité à l'enseignement supérieur.
B.19.2. Cette disposition contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le degré de protection offert par la législation applicable, sans qu'existent pour ce faire des motifs d'intérêt général.
B.19.3. Contrairement à ce qui a été jugé par les arrêts nos 33/92, 40/94, 28/2007, 56/2008 et 53/2013, ceci suppose de prendre en considération la législation qui était applicable avant que la disposition attaquée soit adoptée et non plus celle existant le 21 juillet 1983, date de l'entrée en vigueur du Pacte précité.
B.20.1. Dans sa première version, l'article 96 du décret du 7 novembre 2013, cité en B.1.1, autorisait les autorités des établissements d'enseignement supérieur à refuser l'inscription d'un étudiant ayant fait l'objet, dans les cinq années précédentes, d'une mesure d'exclusion pour des raisons de fraude à l'inscription ou de faute grave. La disposition attaquée impose aux autorités des établissements d'enseignement supérieur de refuser l'inscription d'un étudiant ayant fait l'objet, dans les cinq années précédentes, d'une mesure d'exclusion pour des raisons de fraude à l'inscription ou aux évaluations. Il en résulte une interdiction automatique d'inscription, pour les étudiants qui sont dans ce cas, dans tout établissement d'enseignement supérieur durant une période de cinq ans.
B.20.2. La disposition attaquée occasionne dès lors, pour les étudiants concernés, un recul significatif du droit à l'accès en pleine égalité à l'enseignement supérieur. En effet, sous l'empire de la législation antérieure, les établissements d'enseignement supérieur disposaient d'une marge d'appréciation concernant l'inscription des étudiants ayant été exclus d'un autre établissement pour motif de fraude à l'inscription ou de faute grave, de sorte que l'accès de ces étudiants à l'enseignement supérieur n'était pas empêché a priori et de manière automatique.
B.20.3. Il ressort de ce qui est dit en réponse au premier moyen que ce recul significatif est néanmoins justifié par des motifs d'intérêt général.
B.21. Le troisième moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 6 juillet 2017.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels