publié le 04 août 2017
Extrait de l'arrêt n° 62/2017 du 18 mai 2017 Numéro du rôle : 6441 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 94 du décret communal flamand du 15 juillet 2005, posée par le juge des saisies du Tribunal de première instance de F La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 62/2017 du 18 mai 2017 Numéro du rôle : 6441 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 94 du décret communal flamand du 15 juillet 2005, posée par le juge des saisies du Tribunal de première instance de Flandre orientale, division Termonde.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 24 mai 2016 en cause de la SCRL « GDA Systems » contre le gestionnaire financier de la commune d'Overijse, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 juin 2016, le juge des saisies du Tribunal de première instance de Flandre orientale, division Termonde, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 94 du décret communal [flamand] du 15 juillet 2005 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article IV.2.1° du Code de droit économique, anciennement l'article 3, alinéa 2, 1°, de la loi coordonnée, sur la protection de la concurrence économique, ainsi qu'avec les articles 144 et 146 de la Constitution coordonnée en ce qu'il confère au responsable financier d'une commune la compétence ou le pouvoir - juridictionnel - de décider quelles créances de la commune sont considérées comme contestées et lesquelles ne le sont pas et de leur conférer ensuite une formule ou un titre exécutoire sans examen contradictoire ou voie de recours quant au fond hormis le contrôle du collège des bourgmestre et échevins quant au caractère certain, liquide et exigible de la créance sans contrôle du caractère contesté de la créance ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 94, alinéa 2, du décret communal flamand du 15 juillet 2005, qui dispose : « En vue du recouvrement des créances non fiscales incontestées et exigibles, le gestionnaire financier peut établir une contrainte, visée et déclarée exécutoire par le collège des bourgmestre et échevins. Une telle contrainte est signifiée par exploit d'huissier de justice. Cet exploit interrompt la prescription. Un exploit peut seulement être visé et déclaré exécutoire par le conseil des bourgmestre et échevins si la créance est exigible, définitive et certaine. Le débiteur doit en outre avoir été préalablement mis en demeure par lettre recommandée. La commune peut charger des frais administratifs pour cette lettre recommandée. Ces frais sont à charge du débiteur et peuvent également être recouvrés par l'exploit. Les dettes d'une personne morale de droit public ne peuvent jamais être récupérées par un exploit. Une opposition contre cet exploit peut être introduite dans le mois suivant la signification, par une requête ou par une assignation quant au fond ».
B.1.2. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination, combiné ou non avec l'article IV.2, 1°, du Code de droit économique, ainsi qu'avec les articles 144 et 146 de la Constitution, en ce qu'il confère au gestionnaire financier de la commune « le pouvoir juridictionnel » de décider quelles créances de la commune peuvent être considérées comme non contestées et de se délivrer à lui-même un titre exécutoire pour ces créances, sans aucune possibilité de contrôle juridictionnel de ce titre.
B.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler des dispositions législatives au regard d'autres dispositions législatives qui ne sont pas des règles répartitrices de compétences.
La question préjudicielle n'est par conséquent pas recevable en ce qu' il est demandé à la Cour de contrôler la disposition en cause au regard de l'article IV.2, 1°, du Code de droit économique.
B.3.1. L'article 144 de la Constitution dispose que « les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux ».
Priver de cette garantie une catégorie de personnes reviendrait à instaurer une différence de traitement injustifiable au regard de cette disposition et, partant, incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.3.2. L'article 146 de la Constitution dispose : « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu'en vertu d'une loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit ».
B.3.3. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.4. La possibilité pour le gestionnaire financier de la commune de décerner une contrainte en vue du recouvrement de créances non fiscales incontestées et exigibles était déjà inscrite dans la version initiale de l'article 94, alinéa 2, du décret communal flamand. Cette disposition a été remplacée par l'article 62 du décret du 23 janvier 2009 modifiant le décret communal, qui a précisé les conditions auxquelles une contrainte peut être décernée. Au sujet de cet article, il est dit dans les travaux préparatoires : « Les règles concernant la possibilité de décerner une contrainte sont précisées et consignées plus largement et avec plus de détails.
La contrainte porte sur le recouvrement de créances non fiscales, cette notion devant être comprise dans un sens plus large que le recouvrement de rétributions. Cette contrainte peut aussi être utilisée, par exemple, pour des loyers et des fermages, ainsi que pour des revenus fondés sur le droit de propriété (p. ex., la vente de biens mobiliers), etc., et des créances non fiscales peuvent donc être recouvrées de la manière prescrite par cet article.
Toutefois, cette procédure ne peut être utilisée en cas d'application de la loi du 14 novembre 1983 relative au contrôle de l'octroi et de l'emploi de certaines subventions, ou en cas d'application de l'article 119bis de la nouvelle loi communale, qui traite des sanctions administratives communales et présuppose une procédure de recouvrement extrajudiciaire non conciliable avec la présente procédure.
Pour protéger le citoyen de cette contrainte, un visa exécutoire est prévu, comme c'est d'ailleurs le cas dans des réglementations similaires.
Cette contrainte peut être contestée en formant opposition, ce qui permettra un examen quant au fond. On peut affirmer à cet égard que la force exécutoire de la contrainte est suspendue dans tous les cas.
Ainsi, le justiciable n'est privé d'aucune voie de recours.
On peut dire que la contrainte ne représente qu'une possibilité supplémentaire d'aboutir à un recouvrement plus simple mais qu'elle n'empêche nullement le recouvrement judiciaire » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 1946/1, pp. 21-22).
Lors de ce remplacement, le texte de la disposition en cause a également été mis en concordance avec le texte de l'article 92 du décret du 19 décembre 2008 relatif à l'organisation des centres publics d'aide sociale. Dans les travaux préparatoires de ce décret, il et exposé que : « Le gestionnaire financier peut décerner une contrainte en vue du recouvrement de créances non fiscales non contestées et exigibles. Une telle contrainte est signifiée par exploit d'huissier de justice. Il ne serait pas admissible de recouvrer déjà , par voie de contrainte, une dette non encore exigible. Il peut arriver que la dette existe déjà mais qu'elle ne doive pas encore être payée. On songe par exemple aux dettes à plus d'un an. Il en va de même d'une dette qui n'est pas certaine ou n'est pas encore liquide. Une dette n'acquiert un caractère certain et liquide que lorsqu'elle a une base juridique suffisante; ceci implique que l'existence et le montant de la créance peuvent être déterminés sans discussion entre les parties à la date du visa exécutoire de la contrainte. Au fond, cela revient à dire que la dette a été valablement établie. Etant donné que cet acte est très lourd de conséquences, il a été décidé de faire déclarer les contraintes exécutoires par le conseil de l'aide sociale, parce que cela offre au débiteur une garantie d'exécution correcte. D'autre part, il convient de relever qu'une telle contrainte n'a que la force juridique d'un jugement par défaut, de sorte qu'il est toujours possible de former opposition quant au fond, l'opposition suspendant la force exécutoire de la contrainte. Il est également prévu un délai pour former opposition, afin de répondre aux observations formulées par la chambre nationale des huissiers de justice. Il est en outre prévu que l'exploit interrompt la prescription » (Doc. parl., Parlement flamand, 2007-2008, n° 1701/1, p. 70).
B.5. La contrainte communale trouve son origine dans le constat que, par le passé des communes renonçaient souvent au recouvrement judiciaire de créances non fiscales, même lorsque celles-ci n'étaient pas contestées, compte tenu du coût et de la complexité d'une procédure judiciaire et des incertitudes l'accompagnant. Un recouvrement au moyen d'une contrainte communale réduit les coûts pour toutes les parties concernées et décharge les tribunaux d'un contentieux dans lequel il n'existe pas réellement un litige entre les parties.
B.6.1. Une contrainte communale ne peut être décernée valablement que si le débiteur a négligé de payer une facture émise par la commune ou une demande de paiement envoyée par la commune, et après qu'il n'ait pas non plus donné suite à une mise en demeure envoyée par lettre recommandée. Depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, de la modification de la disposition en cause par l'article 30 du décret du 29 juin 2012 modifiant le décret communal du 15 juillet 2005, la commune peut imputer des frais administratifs pour cette lettre recommandée.
En outre, la disposition en cause exige qu'avant d'être décernée, la contrainte communale soit visée et déclarée exécutoire par le collège des bourgmestre et échevins.
B.6.2. Conformément à la disposition en cause, une contrainte communale ne peut être décernée valablement que pour des dettes non fiscales d'une personne physique ou d'une personne morale de droit privé envers une commune, pour autant que ces dettes n'aient pas été contestées et qu'elles aient un caractère exigible, liquide et certain.
Par conséquent, si après avoir reçu la facture initiale ou l'invitation à payer ou la mise en demeure par recommandé, le débiteur conteste l'existence, le montant ou l'exigibilité de la dette, la disposition en cause ne peut être appliquée, même si cette contestation n'est manifestement pas fondée. Toutefois, le simple défaut de paiement de la dette ne constitue pas en soi une contestation permettant d'exclure la possibilité de décerner une contrainte communale.
Une contrainte communale ne peut être décernée avant l'expiration de l'échéance mentionnée sur la facture ou sur l'invitation à payer. Elle ne peut pas non plus être utilisée pour une dette déjà prescrite, ni pour un engagement dépendant d'une condition suspensive qui n'est pas encore réalisée.
En outre, la dette doit être déterminable sur la base d'un fondement objectif et le montant de la créance ne doit pas être susceptible d'une contestation raisonnable. Les créances qui font encore l'objet d'un litige judiciaire ne peuvent être recouvrées par la voie d'une contrainte communale.
B.6.3. Une contrainte qui remplit les conditions énoncées en B.6.1 et B.6.2 et qui a été signifiée au débiteur par exploit d'huissier de justice constitue un acte extrajudiciaire octroyant à la commune un titre exécutoire lui permettant de procéder au recouvrement de la créance qui en fait l'objet. Sur la base de la contrainte, la commune peut faire ordonner les actes d'exécution de droit commun, en ce compris une saisie mobilière ou immobilière. Conformément à la disposition en cause, la signification de la contrainte communale interrompt en outre la prescription.
B.6.4. Conformément à la disposition en cause, le débiteur dispose d'un délai d'un mois à partir de la signification de la contrainte pour former opposition à l'exploit d'huissier de justice lui ayant signifié la contrainte communale, et ce aussi bien par une requête que par une citation au fond. Cette opposition suspend la force exécutoire de la contrainte (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 1946/1, pp. 21-22).
Le juge saisi en vertu des règles du droit commun statue en pleine juridiction sur cette opposition, étant donné que la disposition en cause ne limite nullement son pouvoir d'examiner tous les aspects factuels, juridiques et procéduraux de la cause, en ce compris la créance qui est à la base de la contrainte communale. Si l'opposition est déclarée fondée, tous les frais relatifs à la signification de la contrainte et à la procédure d'opposition sont à la charge de la commune.
L'exploit d'huissier de justice doit par ailleurs indiquer cette possibilité de former opposition, comme le prévoit l'article 35 du décret flamand du 26 mars 2004 relatif à la publicité de l'administration. A défaut, le délai d'opposition visé par la disposition en cause ne prend cours que quatre mois après la signification de la contrainte communale au débiteur.
B.7.1. La différence de traitement en cause entre les communes et les prestataires de services privés repose sur un critère objectif, à savoir la nature du créancier. Elle est également pertinente à la lumière de l'objectif, mentionné en B.5, de mettre à la disposition des communes une procédure simple pour le recouvrement de créances non fiscales qui n'ont pas été contestées.
B.7.2. En ce que la disposition en cause confère aux communes, et non à des prestataires de services privés, le pouvoir de se délivrer un titre exécutoire, la différence de traitement en cause découle du fait que cette dernière situation ne relève pas de la compétence des régions, mais de celle du législateur fédéral.
Sans préjudice de l'application éventuelle du principe de proportionnalité dans l'exercice des compétences, l'autonomie que l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 a conférée aux régions n'aurait en effet pas de sens si une différence de traitement entre des destinataires de règles fédérales, d'une part, et de règles régionales, d'autre part, dans des matières analogues, était, en tant que telle, jugée contraire au principe d'égalité et de non-discrimination.
B.8.1. La Cour doit encore examiner si la disposition en cause implique une limitation disproportionnée des droits des débiteurs d'une commune.
B.8.2. La contrainte communale a une base légale expresse étant donné qu'elle est décernée en vertu de la disposition en cause, qui en définit les conditions, et qui doit être interprétée de manière restrictive en tant qu'exception au droit commun en matière de recouvrement de dettes.
B.8.3. L'exigence qu'il doit s'agir de créances non contestées et que le débiteur doit avoir été mis en demeure par lettre recommandée préalablement à l'envoi de la contrainte communale implique qu'une contrainte communale ne peut être valablement décernée qu'après que le débiteur ait ignoré, par son absence de réaction, plusieurs possibilités de contester les prétentions de la commune. Le caractère non contesté de la créance implique également qu'au moment où la contrainte communale est décernée, il n'existe aucun « litige » réel au sujet duquel un juge doit se prononcer. De plus, avec la procédure d'opposition, le débiteur a encore la possibilité de contester tous les aspects de la créance.
Eu égard aux conditions d'application mentionnées en B.6.1 et B.6.2, au délai d'opposition d'un mois à partir de la signification de la contrainte communale, à l'effet suspensif de l'opposition et à la compétence de pleine juridiction du juge qui statue sur cette opposition, comme cela a été exposé en B.6.4, et eu égard au fait que la commune peut être condamnée à payer des dommages-intérêts si elle a décerné à tort une contrainte communale, la disposition en cause n'octroie aucun pouvoir excessif à la commune ou à son gestionnaire financier.
B.8.4. L'article 144 de la Constitution garantit que les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. Cette disposition n'empêche pas les autorités, dans le cas présent le gestionnaire financier d'une commune, de prendre une décision relative à un droit civil, en décernant une contrainte pour le recouvrement d'une dette non fiscale non contestée, pour autant qu'un recours puisse être exercé contre cette décision devant un tribunal du pouvoir judiciaire.
Etant donné que la disposition en cause accorde au débiteur un délai d'opposition raisonnable et que le juge saisi statue en pleine juridiction, le débiteur confronté à une contrainte communale n'est nullement privé de la garantie d'un jugement par le juge civil.
B.8.5. La disposition en cause n'est pas non plus incompatible avec les articles 10 et 11, combinés avec l'article 146, de la Constitution, puisqu'elle n'octroie aucune compétence juridictionnelle ni au gestionnaire financier de la commune, ni au collège des bourgmestre et échevins.
B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 94, alinéa 2, du décret communal flamand du 15 juillet 2005 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 144 et 146 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 mai 2017.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, E. De Groot