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Arrêt
publié le 18 juillet 2016

Extrait de l'arrêt n° 85/2016 du 2 juin 2016 Numéro du rôle : 6192 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 1 er , § 2, alinéa 1

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 85/2016 du 2 juin 2016 Numéro du rôle : 6192 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 1er, § 2, alinéa 1er, 4°, combiné avec les articles 1er, § 2, alinéa 1er, 8° et 9°, et 15, § 3, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge, posées par le Tribunal de première instance d'Eupen.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 21 avril 2015 en cause de Mesut Turan, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 30 avril 2015, le Tribunal de première instance d'Eupen a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1) L'article 1er, 4°, combiné avec les articles 1er, 8°, 1er, 9°, et 15, § 3, du Code de la nationalité belge, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et établit-il une inégalité de traitement entre les candidats à l'attribution de la nationalité belge en ce que la fraude sociale est définie de manière générale comme infraction à la législation sociale et que, pour la fraude fiscale, l'infraction doit être commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire ? 2) L'article 1er, 4°, combiné avec les articles 1er, 8°, 1er, 9°, et 15, § 3, du Code de la nationalité belge, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, si ces dispositions sont interprétées en ce sens qu'en cas de condamnation fondée sur une infraction à la législation sociale, le juge n'a pas la possibilité d'apprécier si les faits qui fondent la condamnation pénale doivent ou non être considérés comme des faits personnels graves ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La déclaration de nationalité est l'un des modes d'acquisition de la nationalité belge pour un étranger, à côté de la demande de naturalisation.

A cette fin, l'étranger doit remplir certaines conditions, mentionnées dans l'article 12bis du Code de la nationalité belge, et faire devant l'officier de l'état civil de sa résidence principale la déclaration prévue à l'article 15, § 1er, alinéa 1er, du même Code.

Si la déclaration est complète et recevable et que le droit d'enregistrement dû a été acquitté, l'officier de l'état civil délivre un récépissé et transmet une copie du dossier pour avis au procureur du Roi du tribunal de première instance du ressort (article 15, § 2, alinéas 4 et 8, du Code précité).

B.2. L'article 15, § 3, alinéa 1er, en cause, du Code de la nationalité belge dispose : « Dans un délai de quatre mois à compter de la date du récépissé visé au § 2, le procureur du Roi peut émettre un avis négatif sur l'acquisition de la nationalité belge lorsqu'il existe un empêchement résultant de faits personnels graves, qu'il doit préciser dans les motifs de son avis, ou lorsque les conditions de base, qu'il doit indiquer, ne sont pas remplies ».

En cas d'avis négatif, l'étranger peut inviter l'officier de l'état civil à transmettre son dossier au tribunal de première instance, qui statue sur le bien-fondé de l'avis négatif (article 15, § 5, du Code précité).

B.3. L'article 1er, § 2, alinéa 1er, 4°, d), 8° et 9°, également en cause, du même Code prévoit : « Pour l'application de la présente loi, on entend par : [...] 4° faits personnels graves : des faits qui sont notamment : [...] d) le fait que le juge ait infligé au demandeur une peine définitive, coulée en force de chose jugée, en raison d'une quelconque forme de fraude fiscale ou sociale; [...] 8° fraude sociale : toute infraction à une législation sociale;9° fraude fiscale : toute infraction aux codes fiscaux ou à leurs arrêtés d'exécution commise avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire ». B.4. Les dispositions précitées instaurent une différence de traitement entre les étrangers selon qu'ils ont été condamnés pour une infraction à la législation sociale ou pour une infraction à la législation fiscale. Les infractions à la législation sociale constituent toujours des « faits personnels graves ». En ce qui concerne les infractions à la législation fiscale, il n'en va ainsi que si elles ont été commises avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

Le juge a quo demande à la Cour si la différence de traitement entre étrangers, selon la nature de l'infraction pour laquelle ils ont été condamnés, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution (première question préjudicielle), et si ces articles constitutionnels sont violés lorsque les dispositions en cause sont interprétées en ce sens qu'en cas de condamnation pour une infraction à la législation sociale, aucun pouvoir d'appréciation n'est laissé au juge pour décider si les faits qui se trouvent à l'origine de la condamnation pénale doivent être qualifiés de faits personnels graves (seconde question préjudicielle).

B.5. Aux termes de l'article 8 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer les conditions auxquelles la nationalité belge peut s'acquérir. Il dispose à cet égard d'un pouvoir d'appréciation étendu. Lorsque les choix opérés par le législateur entraînent une différence de traitement, la Cour doit toutefois examiner si cette différence repose sur une justification raisonnable.

B.6. La définition des notions de « fraude sociale » et de « fraude fiscale » a été ajoutée par un amendement, à la suite de l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat, aux définitions figurant dans l'article 1er, § 2, du Code de la nationalité belge. L'amendement a été explicité de la manière suivante : « 8° fraude sociale Le Conseil d'Etat demande une définition de la notion de ' fraude sociale '. Nous renvoyons à cet égard à la loi-programme du 27 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021362 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) type loi-programme prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021364 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer, dont le titre XII crée le SIRS et qui définit en son article 309 la fraude sociale comme étant toute violation d'une législation sociale. 9° fraude fiscale Bien que le Conseil d'Etat ne l'ait pas demandé, il s'indique assurément aussi, compte tenu de la définition de la notion de ' fraude sociale ', de définir la notion de ' fraude fiscale '. A cette fin, on utilisera la définition de la fraude fiscale ou de l'évasion fiscale en usage dans le droit fiscal, énoncée notamment à l'article 449 du Code des impôts sur les revenus, à l'article 73 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, à l'article 133 du Code des droits de succession, etc. En d'autres termes, la fraude fiscale requiert la présence conjointe d'un élément matériel (infraction aux codes fiscaux ou aux arrêtés pris en exécution de ceux-ci) et d'un élément intentionnel (intention frauduleuse ou à dessein de nuire) » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-0476/013, p. 21).

B.7. Partant, le législateur avait pour objectif d'aligner la définition de la notion de fraude sociale et celle de fraude fiscale utilisées dans le Code de la nationalité belge sur la signification usuelle de ces mêmes notions dans la législation sociale et fiscale.

L'article 1er, § 1er, du Code pénal social, qui a remplacé l'article 309 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, dispose : « Au sens du présent titre, on entend par fraude sociale et travail illégal : toute violation d'une législation sociale qui relève de la compétence de l'autorité fédérale ».

L'article 449, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus et l'article 73 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée disposent : « Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de 250 EUR à 500.000 EUR, ou de l'une de ces peines seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, contrevient aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour son exécution ».

B.8. La clarification des notions de « fraude sociale » et de « fraude fiscale » dans le Code de la nationalité belge tend à préciser en quoi peuvent, notamment, constituer les « faits personnels graves ».

L'existence de tels faits graves peut entraîner un avis négatif du procureur du Roi. La clarification de ce que sont les « faits personnels graves » donne au procureur du Roi un repère plus précis dans l'exercice de sa compétence consultative afin « de garantir une égalité de traitement à tous les candidats à la nationalité belge » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-0476/013, p. 19).

B.9. Compte tenu de l'objectif poursuivi et en vue d'établir une réglementation cohérente, il n'est pas dénué de justification raisonnable que le législateur renvoie, pour définir les notions de « fraude sociale » et de « fraude fiscale » dans le Code de la nationalité belge, à la définition utilisée pour les mêmes notions dans la législation sociale, dans le premier cas, et dans la législation fiscale, dans le second cas.

La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.10. Eu égard aux objectifs de sécurité juridique et d'égalité de traitement des étrangers qui font une déclaration de nationalité, il n'est pas davantage dénué de justification raisonnable que le juge qui doit apprécier le bien-fondé de l'avis négatif du procureur du Roi n'ait pas la liberté d'apprécier, en vertu de l'article 1er, § 2, alinéa 1er, 4°, d), en cause, tel qu'il est interprété par le juge a quo dans la seconde question préjudicielle, si les faits qui se trouvent à l'origine de la condamnation pénale doivent être qualifiés de « faits personnels graves ».

La seconde question préjudicielle appelle également une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1er, § 2, alinéa 1er, 4°, d), combiné avec les articles 1er, § 2, alinéa 1er, 8° et 9°, et 15, § 3, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 2 juin 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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