publié le 16 décembre 2015
Extrait de l'arrêt n° 126/2015 du 24 septembre 2015 Numéro du rôle : 6041 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur. La Cour constitutio composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snapp(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 126/2015 du 24 septembre 2015 Numéro du rôle : 6041 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 3 septembre 2014 en cause de S.S. contre D.D., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 septembre 2014, le Tribunal de première instance de Namur, division Namur, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 330 du Code civil, en ce qu'il prescrit que l'action de la mère qui a été partie à un processus de reconnaissance paternelle pour y avoir consenti n'est fondée à la contester que si elle démontre que son consentement a été vicié, ne viole-t-il pas notamment les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec d'autres dispositions légales supranationales telle la Convention européenne des droits de l'homme et notamment l'article 8 de cette dernière, en ce qu'il prive de manière absolue le juge de la possibilité de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées par le litige de filiation lui soumis (et singulièrement l'intérêt nécessairement supérieur de l'enfant), dans tous les cas ou bien notamment dans les cas où il n'y a pas de réalité socio-affective vécue par l'enfant à l'égard de son père légal et/ou pas de lien biologique entre ceux-ci ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 330 du Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 16 de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer « modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci » et complété par l'article 370 de la loi du 27 décembre 2006 « portant des dispositions diverses (I) » et par l'article 35 de la loi du 30 juillet 2013 « portant création d'un tribunal de la famille et de la jeunesse » - tel qu'il a été remplacé, avant son entrée en vigueur, par l'article 43 de la loi du 8 mai 2014 « portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice (I) » -, disposait : « § 1er. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée devant le tribunal de la famille par le père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui revendique la maternité.
A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut être contestée devant le tribunal de la famille par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et l'homme qui revendique la paternité.
Toutefois, l'auteur de la reconnaissance et ceux qui ont donné les consentements préalables requis ou visés par l'article 329bis ne sont recevables à contester la reconnaissance que s'ils prouvent que leur consentement a été vicié.
La reconnaissance ne peut être contestée par ceux qui ont été parties à la décision qui l'a autorisée conformément à l'article 329bis ou à celle qui a refusé l'annulation demandée en vertu de cet article.
L'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la personne qui a reconnu l'enfant n'est pas le père ou la mère; celle de la personne qui revendique la filiation être intentée dans l'année de la découverte qu'elle est le père ou la mère de l'enfant; celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père ou sa mère. § 2. Sans préjudice du § 1er, la reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé par toutes voies de droit que l'intéressé n'est pas le père ou la mère. § 3. La demande en contestation introduite par la personne qui se prétend le père ou la mère biologique de l'enfant n'est fondée que si sa paternité ou sa maternité est établie. La décision faisant droit à cette action en contestation entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du demandeur. Le tribunal vérifie que les conditions de l'article 332quinquies sont respectées. A défaut, l'action est rejetée ».
B.2.1. Il ressort des motifs de la décision de renvoi et du libellé de la question préjudicielle que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 330, § 1er, alinéa 2, du Code civil avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que, en subordonnant la recevabilité de l'action en contestation d'une reconnaissance de paternité introduite par la mère à la preuve du vice de son « consentement » à cette reconnaissance, la disposition législative en cause interdit au tribunal saisi de cette action de tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées par le litige de filiation lui soumis (et singulièrement l'intérêt de l'enfant), même dans le cas d'absence de relation socio-affective de l'enfant avec l'auteur de cette reconnaissance.
B.2.2. Les données de l'affaire font apparaître que le jugement a été prononcé par défaut à l'égard du défendeur, que la contestation de la reconnaissance de paternité - qui ne correspondrait pas à la réalité biologique - a été introduite dans le délai requis d'un an à dater de la naissance de l'enfant et qu'il n'y a pas eu de possession d'état, de sorte que l'exigence du vice de « consentement » de la mère est la seule question débattue, qui empêcherait le juge de statuer.
B.3.1. L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».
B.3.2. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». B.3.3. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l'article 22 de la Constitution et cette disposition conventionnelle (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de celle-ci est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un ensemble indissociable.
B.4.1. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et leur vie familiale.
L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle poursuive un but légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 42).
B.4.2. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation de la paternité concernent la vie privée, parce que la matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier 2006, Mizzi c.
Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, §§ 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztissn Barnabsss Tóth c. Hongrie, § 28).
Le régime en cause de contestation d'une reconnaissance paternelle relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.4.3. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, §§ 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c.
Roumanie, § 33).
Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble mais il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51).
Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.
Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.
La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, §§ 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, §§ 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119;6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63).
Si l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale, il n'a pas un caractère absolu. Dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant occupe une place particulière du fait qu'il représente la partie faible dans la relation familiale.
Il ne ressort pas de cette place particulière que les intérêts des autres parties en présence ne pourraient pas être pris en compte.
B.5. La paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte pour limiter les cas de contestation de la reconnaissance de paternité. A cet égard, il est pertinent de ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité socio-affective de la paternité.
B.6.1. La règle inscrite dans la disposition législative en cause, selon laquelle l'action en contestation de la reconnaissance paternelle introduite par l'auteur de la reconnaissance ou par la mère qui a consenti à cette reconnaissance n'est recevable que si celui-ci ou celle-ci prouve que son consentement a été vicié, était déjà formulée par l'article 330, § 1er, alinéa 2, du Code civil, tel qu'il avait été remplacé par l'article 38 de la loi du 31 mars 1987 « modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation ».
L'adoption de cette règle exprimait la volonté de limiter la contestation d'une reconnaissance d'enfant aux « cas fort exceptionnels », afin d'assurer un « parallélisme aussi parfait que possible entre la question de la reconnaissance et celle de la paternité dans le mariage », permettant d'atteindre « une stabilité aussi grande que celle dont bénéficie l'enfant né dans le mariage » (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904-2, p. 101).
C'est dans ce contexte que le législateur a décidé de refuser à l'auteur de la reconnaissance le droit de contester celle-ci, « s'il a agi en connaissance de cause et même s'il n'est pas le père de l'enfant », sans exclure pour autant une telle contestation dans le cas où il serait établi que le « consentement est entaché d'un vice » (ibid., pp. 101 et 102).
L'option du législateur a été de traiter de la même manière toutes les personnes impliquées dans la procédure de reconnaissance, en leur refusant le droit de contestation, « à moins qu'il n'y ait eu vice de consentement » (ibid., p. 102). Il a été précisé : « Si la mère a consenti à la reconnaissance, elle ne peut plus la contester par la suite » (ibid., p. 103).
B.6.2. Cette mesure fut maintenue lors de l'adoption de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer qui contenait plusieurs modifications du régime de la contestation de la filiation dans le but « de rapprocher les règles de la contestation de la [présomption de] paternité du mari et de la contestation de la filiation établie par la reconnaissance », modifications commentées comme suit : « La loi de 1987 avait supprimé la plupart des discriminations entre les enfants quant aux effets de la filiation. L'objectif est à présent de supprimer les différences de traitement à propos de la remise en cause d'une filiation non conforme à la réalité. Tous les enfants sont ainsi mis sur le même pied. La loi de 1987 réserve le droit de contester la paternité du mari à la mère, au mari (ou à l'ancien mari) et à l'enfant. En revanche, la contestation de la reconnaissance est ouverte à tout intéressé (article 330). L'article 318 du projet indique que la présomption de paternité du mari a les mêmes effets qu'une reconnaissance. Le nouvel article 330 rend identiques les conditions de contestation de l'une et de l'autre. Dans tous les cas, la filiation pourra être contestée par celui des auteurs de l'enfant dont la filiation est déjà établie (le plus souvent : la mère), par le mari (ou le précédent mari), par le ou la candidate à la reconnaissance et par l'enfant » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 4).
B.6.3. L'article 329bis, § 2, du Code civil, tel qu'il a été inséré par l'article 15 de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer et modifié par l'article 11 de la loi du 17 mars 2013, dispose : « Si l'enfant est mineur non émancipé, la reconnaissance n'est recevable que moyennant le consentement préalable du parent à l'égard duquel la filiation est établie, ou de la mère si la reconnaissance est faite avant la naissance de l'enfant.
Est en outre requis, le consentement préalable de l'enfant s'il a douze ans accomplis. Ce consentement n'est pas requis de l'enfant dont le tribunal estime, en raison d'éléments de fait constatés par procès-verbal motivé, qu'il est privé de discernement.
A défaut de ces consentements, le candidat à la reconnaissance cite les personnes dont le consentement est requis devant le tribunal. Les parties sont entendues en chambre du conseil. Le tribunal tente de les concilier. S'il concilie les parties, le tribunal reçoit les consentements nécessaires. A défaut de conciliation, la demande est rejetée s'il est prouvé que le demandeur n'est pas le père ou la mère biologique. Lorsque la demande concerne un enfant âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande, le tribunal peut en outre refuser la reconnaissance si elle est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant.
Si une action publique est intentée contre le candidat à la reconnaissance, du chef d'un fait visé à l'article 375 du Code pénal, commis sur la personne de la mère pendant la période légale de conception, la reconnaissance ne peut avoir lieu et le délai d'un an visé à l'alinéa 4 est suspendu jusqu'à ce que la décision sur l'action publique soit coulée en force de chose jugée. Si le candidat à la reconnaissance est reconnu coupable de ce chef, la reconnaissance ne peut avoir lieu et la demande d'autorisation de reconnaissance est rejetée ».
Les travaux préparatoires de cette disposition mentionnent : « Les règles de la reconnaissance paternelle et maternelle ont été unifiées. Elles sont contenues dans le nouvel article 329bis. [...] Si l'enfant est mineur, le consentement de l'auteur dont la filiation est déjà établie (ainsi que celui de l'enfant s'il a plus de 12 ans) sont requis, mais en cas de désaccord une procédure judiciaire peut être entamée par le candidat à la reconnaissance » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, pp. 2-3).
B.7.1. La Cour doit vérifier s'il peut se justifier objectivement et raisonnablement que l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, introduite par la mère qui a consenti à cette reconnaissance, ne soit recevable que si cette personne prouve que son consentement a été vicié et si en faisant de l'existence d'un vice de consentement une condition de recevabilité de l'action, la disposition en cause ne porte pas atteinte à l'obligation positive qui incombe à l'autorité de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus, qui résulte de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, tels qu'ils ont été précisés en B.3 à B.5.
B.7.2. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.6.1 que le législateur a voulu limiter les possibilités de contester la reconnaissance d'un enfant dans un but de sécurité juridique et qu'il a pris en compte le fait que l'auteur de la reconnaissance a expressément consenti à cette reconnaissance. Il en va de même du parent à l'égard duquel la filiation est établie - soit le plus souvent la mère - ou de la mère lorsque la reconnaissance a lieu avant la naissance, dont le consentement est requis par l'article 329bis, § 2, du Code civil, si la reconnaissance vise un enfant mineur. Ce n'est donc que dans les cas où ce consentement a été vicié que ces personnes sont admises à agir en contestation de paternité et à revenir ainsi sur le consentement donné.
B.7.3. Contrairement à l'établissement de la filiation d'un enfant né dans le mariage, qui découle de la présomption de paternité de l'époux (article 315 du Code civil), la reconnaissance d'un enfant mineur par un homme suppose que celui-ci exprime sa volonté de manière explicite, et que la mère y consente conformément à l'article 329bis, § 2, du Code civil. Bien que cette reconnaissance fasse naître un lien de filiation, il n'est pas exclu que l'intéressé reconnaisse un enfant et que la mère y consente tout en sachant tous deux qu'il n'existe entre eux aucun lien biologique.
B.7.4. Le non-respect d'une condition de recevabilité d'une action en justice empêche en principe le juge d'examiner le fond du litige et donc de procéder à la balance des intérêts.
La disposition en cause n'empêche toutefois pas que la mère qui a consenti à la reconnaissance de son enfant parce qu'elle y était contrainte par des menaces - dont la réalité peut être établie par toutes voies de droit - conteste cette reconnaissance par un homme qui n'est pas le père biologique et n'a entretenu aucune relation socio-affective avec son enfant : il faut en effet admettre, dans ce cas, que son consentement à la reconnaissance était vicié.
Tel n'est pas le cas lorsque l'intéressé reconnaît un enfant tout en sachant qu'il n'existe entre eux aucun lien biologique, ou que la mère consent librement à cette reconnaissance qu'elle sait mensongère. Dans cette hypothèse, le législateur a pu tenir compte du fait que l'auteur de la reconnaissance et la mère ont agi de manière libre et éclairée.
B.7.5. Par ailleurs, la condition de recevabilité prévue par la disposition en cause ne vaut pas dans les hypothèses où l'action en contestation de la reconnaissance de paternité serait introduite par l'enfant reconnu ou par un autre homme qui revendique la paternité de ce dernier. Dans ces cas, le législateur permet donc au juge d'examiner le fondement de la contestation de paternité et de mettre en balance in concreto les intérêts des différentes personnes concernées.
B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 330, § 1er, alinéa 2, du Code civil ne viole pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que l'action en contestation de la reconnaissance paternelle introduite par la mère n'est recevable que si elle prouve que son consentement a été vicié.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 septembre 2015.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels