publié le 10 novembre 2015
Extrait de l'arrêt n° 141/2015 du 15 octobre 2015 Numéro du rôle : 6048 En cause : les questions préjudicielles concernant le décret de la Région wallonne du 27 octobre 2011 relatif au soutien à la création d'emploi en favorisant les transiti La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 141/2015 du 15 octobre 2015 Numéro du rôle : 6048 En cause : les questions préjudicielles concernant le décret de la Région wallonne du 27 octobre 2011 relatif au soutien à la création d'emploi en favorisant les transitions professionnelles vers le statut d'indépendant à titre principal, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 228.562 du 29 septembre 2014 en cause de Michel Keul contre l'Office wallon de la formation professionnelle et de l'emploi (en abrégé « FOREM »), dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 octobre 2014, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « - Le décret wallon du 27 octobre 2011 relatif au soutien à la création d'emploi en favorisant les transitions professionnelles vers le statut d'indépendant à titre principal viole-t-il l'article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 ? - Le même décret viole-t-il l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale précitée du 8 août 1980 ? - L'article 1er, § 1er, et l'article 3, alinéa 1er, 1°, a, et 2°, a, du décret précité violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'ils excluent de leur champ d'application ratione loci et ratione personae les personnes qui sont domiciliées ou ont leur siège social dans la partie de langue allemande de la Région wallonne ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la portée des questions préjudicielles B.1. La Cour est saisie de trois questions préjudicielles relatives au décret de la Région wallonne du 27 octobre 2011 relatif au soutien à la création d'emploi en favorisant les transitions professionnelles vers le statut d'indépendant à titre principal (ci-après : le décret « Airbag »).
La première question porte sur la compatibilité du décret précité avec l'article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles tandis que la deuxième porte sur la compatibilité du même décret avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de ladite loi spéciale.
La troisième question porte sur la compatibilité de l'article 1er, § 1er, et de l'article 3, alinéa 1er, 1°, a), et 2°, a), du décret précité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils excluent de leur champ d'application ratione loci et ratione personae les personnes qui sont domiciliées ou ont leur siège social dans la partie de langue allemande du territoire de la Région wallonne.
B.2. L'article 1er, § 1er, du décret « Airbag » dispose : « Le présent décret s'applique sur le territoire de la Région wallonne, pour la partie de langue française ».
L'article 3, alinéa 1er, 1°, a), et 2°, a), du même décret dispose : « Peuvent, sous réserve des conditions du présent décret, bénéficier de l'incitant financier : 1° la personne qui est assujettie au statut social des travailleurs indépendants en vertu de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants et qui répond de manière cumulative aux conditions suivantes : a) être domiciliée en tant qu'indépendant ou avoir son siège social sur le territoire de la Région wallonne pour la partie de langue française; [...] 2° la personne qui désire s'installer, pour la première fois, en tant qu'indépendant à titre principal et qui répond de manière cumulative aux conditions suivantes : a) se domicilier en tant qu'indépendant ou avoir son siège social sur le territoire de la Région wallonne pour la partie de langue française;».
B.3.1. Il ressort des faits du litige soumis au juge a quo que l'incitant financier prévu par le décret en cause a été refusé au requérant au motif que le siège social de sa future activité ne se trouvait pas en Région wallonne de langue française. Soutenant que le décret porte sur une forme d'aide à la création d'entreprise et, partant, relève de la compétence régionale en matière d'expansion économique déterminée par l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale de réformes institutionnelles, le requérant devant le juge a quo allègue qu'en limitant son champ d'application à la partie de langue française du territoire de la Région wallonne, le décret en cause crée une différence de traitement discriminatoire à son égard.
Le moyen unique pris par le requérant devant le juge a quo porte sur la violation, par le décret « Airbag », des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles.
B.3.2. Les travaux préparatoires du décret en cause indiquent que le législateur décrétal a entendu mettre en oeuvre les compétences de la Région wallonne en matière d'emploi, déterminées par l'article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale de réformes institutionnelles (Doc. parl., Parlement wallon, 2011-2012, n° 457/3, pp. 12-13). C'est ainsi qu'il en a limité la portée à la partie de langue française du territoire de la Région wallonne, la matière ayant été transférée à la Communauté germanophone par les décrets « relatif [s] à l'exercice, par la Communauté germanophone, des compétences de la Région wallonne en matière d'emploi et de fouilles » de la Région wallonne du 6 mai 1999 (Moniteur belge du 3 juillet 1999, p. 25253) et de la Communauté germanophone du 10 mai 1999 (Moniteur belge du 29 septembre 1999, p. 36533).
B.4. C'est donc sur la compatibilité du décret en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles, que la Cour doit se prononcer.
Quant à la recevabilité de la demande en intervention B.5.1. Une demande en intervention est adressée à la Cour par D.M., qui est domicilié dans la région de langue allemande et qui s'est installé en tant qu'indépendant à titre principal le 1er avril 2013.
L'Office wallon de la formation professionnelle et de l'emploi (ci-après : FOREM), partie défenderesse devant le juge a quo, et le Gouvernement wallon contestent l'intérêt de la partie intervenante.
B.5.2. L'article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose : « Lorsque la Cour constitutionnelle statue, à titre préjudiciel, sur les questions visées à l'article 26, toute personne justifiant d'un intérêt peut adresser un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l'article 74. Elle est, de ce fait, réputée partie au litige ».
B.5.3. Il ressort de l'article 3 du décret « Airbag » que peuvent bénéficier de l'incitant financier qu'il prévoit, les personnes qui désirent s'installer, pour la première fois, en tant qu'indépendant à titre principal et qui s'affilient à une caisse d'assurances sociales agréée pour travailleurs indépendants au plus tard dans les trois mois à dater de la décision d'octroi de l'incitant.
L'alinéa 6 du même article prévoit qu'en dérogation à la condition relative à la première installation en tant qu'indépendant à titre principal, l'indépendant qui désire s'installer pour la seconde fois en tant qu'indépendant à titre principal peut solliciter l'incitant financier aux conditions énoncées par ledit alinéa.
B.5.4. La partie intervenante n'a pas introduit de demande d'incitant financier fondée sur le décret en cause, alors qu'elle est installée comme indépendant à titre principal depuis un an et neuf mois, et ne peut donc revendiquer la qualité de « personne qui désire s'installer ».
La possibilité que la partie intervenante veuille s'installer en tant qu'indépendant à titre principal pour la seconde fois et demander, à ce titre, à pouvoir bénéficier de la dérogation prévue par l'article 3, alinéa 6, du décret « Airbag », est une situation trop hypothétique pour justifier l'intérêt actuel à intervenir de D.M..
B.6. La demande en intervention est irrecevable.
Quant au fond B.7. Comme il est dit en B.3.2, par l'adoption du décret en cause, le législateur décrétal wallon a entendu mettre en oeuvre les compétences de la Région wallonne en matière d'emploi, consacrées par l'article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale de réformes institutionnelles.
B.8.1. Au moment de l'adoption du décret « Airbag », relevaient des compétences des régions, aux termes de l'article 6, § 1er, IX, précité : « En ce qui concerne la politique de l'emploi : 1° Le placement des travailleurs;2° Les programmes de remise au travail des demandeurs d'emploi inoccupés, à l'exclusion des programmes de remise au travail dans les administrations et services de l'autorité fédérale ou placés sous sa tutelle et à l'exclusion des conventions visées dans la section 5 du chapitre II de l'arrêté royal n° 25 du 24 mars 1982 créant un programme de promotion de l'emploi dans le secteur non marchand. Pour chaque demandeur d'emploi inoccupé, placé, dans le cadre d'un contrat de travail, dans un programme de remise au travail, l'autorité fédérale octroie une intervention financière dont le montant fixé par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres correspond à une indemnité de chômage.
L'intervention financière visée à l'alinéa précédent peut varier en fonction de la durée d'inscription comme demandeur d'emploi pendant laquelle le demandeur d'emploi remis au travail est inoccupé. Le montant de cette intervention est fixé avec l'accord des gouvernements de région.
L'autorité fédérale octroie également l'intervention financière visée à l'alinéa 2 pour un nombre de travailleurs occupés dans les liens d'un contrat de travail ou d'un engagement statutaire égal au nombre d'emplois maintenus parmi ceux qui étaient occupés dans les programmes de remise au travail la veille de leur abrogation par une région. [...] ».
B.8.2. Transférées aux régions par la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les compétences en matière de politique de l'emploi ont été élargies par la loi spéciale du 8 août 1988 modifiant la loi spéciale de réformes institutionnelles. Cet élargissement a été justifié comme suit dans les travaux préparatoires de la loi spéciale : « L'article 3, § 13, du présent projet remplace l'article 6, § 1er, IX, 1° et 2°, de la loi spéciale de réformes institutionnelles, et a pour but de donner aux Régions les moyens les plus larges, de mener une politique d'emploi adaptée à leur situation socio-économique.
Dans cette perspective, les Régions ont le pouvoir de : 1° placer les demandeurs d'emploi, chômeurs ou non.Dès lors, que ce soit pour une offre d'emploi normale émanant du secteur privé ou public ou pour une offre d'emploi dans le cadre d'un programme de remise au travail des chômeurs, le service de placement régional sélectionne les candidats et les propose à l'employeur en fonction des critères que ce dernier a définis. Comme c'est le cas actuellement, un demandeur d'emploi, chômeur ou non, doit être enregistré dans la Région de son domicile; il peut toutefois se faire enregistrer dans les autres Régions. Une offre d'emploi doit être enregistrée dans la Région du lieu de travail; elle peut être enregistrée dans les autres Régions; 2° créer n'importe quel type de programme de remise au travail et y placer des chômeurs, à l'exception des programmes destinés aux administrations et services de l'autorité nationale ou mis sous sa tutelle.La réglementation actuelle relative aux conventions visées à la section 5 de l'A.R. n° 25 du 24 mars 1982, conclues avant l'entrée en vigueur de la présente loi, reste en vigueur jusqu'à l'expiration de la durée de validité du Fonds budgétaire interdépartemental.
Le financement des programmes de remise au travail des chômeurs est assuré par les Régions qui reçoivent de l'autorité nationale les moyens nécessaires par deux voies : 1° pour chaque chômeur complet indemnisé placé dans un programme de remise au travail des chômeurs créé par la Région, celle-ci reçoit de l'autorité nationale une intervention financière correspondant à une indemnité de chômage.Le montant de cette indemnité est fixé par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres pour autant que le placement soit effectué dans le cadre d'un contrat de travail. 2° chaque Région reçoit en exécution de la loi spéciale de financement, une enveloppe budgétaire qui comprend l'ensemble des charges liées au placement des chômeurs dans les programmes de remise au travail des chômeurs, à l'exception du montant de l'allocation de chômage. Toutefois, l'autorité nationale reste compétente en ce qui concerne l'exonération éventuelle des cotisations patronales puisque cette exonération relève de la sécurité sociale.
Par ailleurs, l'article 3, § 15, du présent projet, insère dans l'article 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles, un § 3bis, 1°, qui prévoit une concertation associant les Exécutifs concernés et l'autorité nationale concernée, pour l'échange d'informations entre les services de formation, de chômage et de placement, ainsi que pour les initiatives concernant les programmes de remise au travail des chômeurs » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1988, n° 516/1, pp. 18-19).
B.9.1. Dans son avis sur l'avant-projet de décret ayant conduit à l'adoption du décret « Airbag », la section de législation du Conseil d'Etat avait observé que le décret en projet ne pouvait s'inscrire dans les compétences que l'article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale de réformes institutionnelles donne à la Région wallonne en matière de politique de l'emploi. A son avis, l'objet réel et concret du décret consistait à offrir une source de financement complémentaire à une personne qui se situe dans la phase de démarrage de sa propre activité économique afin de lui permettre de développer cette activité en vue de pouvoir l'exercer professionnellement sous le statut d'indépendant.
Il s'agissait donc d'une forme d'aide à la création d'entreprise relevant des compétences régionales en matière de politique d'expansion économique, comprise dans la « politique économique » visée à l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale de réformes institutionnelles (Doc. parl., Parlement wallon, 2011-2012, n° 457/1, pp.11-12).
B.9.2. Alors qu'un membre de la commission compétente renvoyait à cet avis et constatait que la mesure avait un impact au niveau de la politique économique dès lors que la personne concernée pouvait générer des biens, des services et créer de la richesse ou devenir à son tour un employeur potentiel, le ministre a répondu ce qui suit : « Dans l'esprit du Gouvernement wallon, le dispositif ' Airbag ' a été conçu au départ comme une mesure d'emploi en partant de l'IFAPME, des SAACE et qu'on y a ajouté les indépendants, qui passent de complémentaire à principal puisqu'ils créent un emploi et en libèrent un autre. La philosophie du projet de décret repose donc sur l'emploi.
Mieux même, c'est le Forem qui gérera le dispositif avec les crédits qui lui sont affectés ».
Le ministre a reconnu : « qu'il y a effectivement un volet économique et des conséquences économiques évidentes. Le dispositif peut participer à la création d'activités, peut contribuer à des recettes fiscales ou à la création d'emplois subsidiaires. Cela aurait pu tomber dans l'escarcelle ' économie ' du Ministre Marcourt. C'est à ce point vrai que le Ministre Marcourt se l'est déjà approprié puisqu'il l'a repris dans le Small Business Act comme une mesure phare. Cela veut vraiment dire que plusieurs Ministres ont défendu ce dossier au Gouvernement wallon » (Doc. parl., Parlement wallon, 2011-2012, n° 457/3, pp. 7, 12 et 13).
B.10. La répartition des compétences entre les diverses composantes de l'Etat fédéral repose sur le principe de l'exclusivité qui suppose que toute situation juridique est en principe réglée par un seul et unique législateur. Lorsqu'une réglementation a, comme en l'espèce, des liens avec plusieurs attributions de compétence, la Cour doit rechercher où se trouve l'élément prépondérant de la situation juridique réglée.
B.11. Les travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles précisent, à propos de la compétence des régions relatives à la politique économique, visée à l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale de réformes institutionnelles : « La Région est compétente pour l'aide aux entreprises ou unités d'exploitation de la Région, dans le cadre des lois d'expansion en ce compris les règles d'application relatives à la législation et à la réglementation de l'expansion économique régionale.
Sous réserve des exceptions et restrictions énumérées plus loin, cette compétence de la Région comprend notamment : 1° L'aide aux entreprises industrielles et de services en difficultés;2° L'aide aux petites et moyennes entreprises industrielles et de services et l'octroi des avantages accordés en exécution de la législation et de la réglementation de l'expansion économique des petites et moyennes entreprises;3° L'octroi des avantages accordés en exécution de la législation et de la réglementation concernant l'expansion économique régionale;4° La réglementation en ce quoi concerne l'octroi des avantages fiscaux » (Doc.parl., Sénat, 1979-1980, n° 434/1, pp. 27-28).
B.12.1. Avant d'être transférée aux régions, la matière de l'expansion économique était réglée par la loi du 17 juillet 1959 instaurant et coordonnant des mesures en vue de favoriser l'expansion économique et la création d'industries nouvelles, ainsi que par la loi du 30 décembre 1970 sur l'expansion économique.
Les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1970 sur l'expansion économique précisaient que « l'objectif premier des lois d'expansion [avait] toujours été de contribuer à la création de nouveaux emplois » (Doc. parl., Sénat, 1969-1970, n° 354, p. 3).
B.12.2. Le 25 juin 1992, le législateur décrétal a adopté un décret modifiant la loi du 30 décembre 1970 sur l'expansion économique. Il s'agissait de donner suite au transfert de compétence opéré en la matière par les lois spéciales de réformes institutionnelles du 8 août 1980 et du 8 août 1988. Ce décret permettait l'octroi à toute personne physique ou morale constituée sous la forme de société commerciale d'une prime à l'investissement aux conditions fixées par le Gouvernement.
B.12.3. La matière a ensuite fait l'objet d'une réforme globale par l'adoption, le 11 mars 2004, de cinq décrets : le décret relatif aux incitants régionaux en faveur des grandes entreprises, le décret relatif aux infrastructures d'accueil des activités économiques, le décret relatif aux incitants destinés à favoriser la protection de l'environnement et l'utilisation durable de l'énergie, le décret relatif aux incitants régionaux en faveur des petites ou moyennes entreprises, et enfin le décret relatif à l'agrément et au subventionnement des missions régionales pour l'emploi.
Le décret relatif aux incitants destinés à favoriser la protection de l'environnement et l'utilisation durable de l'énergie prévoit des incitants prenant la forme de primes à l'investissement ou d'exonération de précompte immobilier en faveur, notamment, de personnes physiques ayant la qualité de commerçant ou exerçant une profession indépendante qui réalisent un programme d'investissements dans le cadre de leur entreprise, en vue de protéger l'environnement ou d'économiser l'énergie.
Le décret relatif aux incitants régionaux en faveur des petites ou moyennes entreprises s'adresse également aux petites et moyennes entreprises définies par le décret comme étant, notamment, les personnes physiques ayant la qualité de commerçant ou exerçant une profession indépendante. Il charge le Gouvernement d'octroyer des incitants pouvant prendre la forme de primes ou d'exonération de précompte immobilier aux entreprises qui réalisent un programme d'investissement ou qui effectuent des opérations contribuant de manière déterminante au développement durable. Aux termes de l'article 7 du décret, le Gouvernement peut, aux conditions et selon les modalités qu'il détermine, octroyer aux très petites entreprises une prime à l'emploi pour la création d'emplois, dont le montant peut être plus important pour le premier travailleur.
Enfin, le décret relatif à l'agrément et au subventionnement des missions régionales pour l'emploi permet d'octroyer des subventions aux « missions régionales pour l'emploi », appelées « Mire » et chargées de mettre en oeuvre des actions d'insertion et d'accompagnement à destination des bénéficiaires visés par le décret pour les insérer dans un emploi stable et de qualité (article 2 du décret). Sont notamment visés comme bénéficiaires des demandeurs d'emploi inoccupés, des demandeurs d'emploi réintégrant le marché de l'emploi, des bénéficiaires du revenu d'intégration sociale ou de l'aide sociale financière équivalente, un travailleur engagé dans le cadre d'un emploi « de transition » ou encore d'un emploi « tremplin ». Les « Mire » doivent conclure un contrat de coopération avec le FOREM qui est tenu de délivrer à toute « Mire » qui lui en fait la demande un document attestant que les demandeurs d'emploi inoccupés ou assimilés ont effectivement cette qualité lorsqu'ils prétendent être bénéficiaires des mesures prévues par le décret.
B.13. Le décret « Airbag » en cause prévoit un incitant financier au bénéfice des personnes assujetties au statut social des travailleurs indépendants qui exercent leur activité indépendante à titre complémentaire et qui s'engagent à la poursuivre ou l'étendre ainsi que des personnes qui désirent s'installer pour la première fois en tant qu'indépendant à titre principal ou encore des personnes qui désirent s'installer en tant qu'indépendant à titre principal pour la seconde fois, aux conditions fixées par le décret.
Le FOREM instruit la demande d'incitant financier introduite par le demandeur et la transmet ensuite au Comité de sélection qui se compose d'un représentant du ministre ayant l'Emploi dans ses attributions, d'un représentant du FOREM, d'un représentant de l'Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et des petites et moyennes entreprises, d'un représentant du Service public de Wallonie, Direction générale opérationnelle Economie, Emploi et Recherche, Département de l'Emploi et de la Formation professionnelle, d'un représentant du Service public de Wallonie, Direction générale transversale Budget, Logistique et Technologies de l'Information et de la Communication, Département Budget et Comptabilité, d'un représentant de l'Agence de Stimulation économique et de deux représentants issus d'organisations représentatives des entreprises et des indépendants (article 7 du décret).
Aux termes de l'article 6 du décret, les critères de sélection des dossiers sont : « 1° pour les bénéficiaires visés à l'article 3, alinéa 1er, 1°, l'expérience ou la compétence professionnelle, appréciée notamment sur la base des résultats d'exploitation des deux années antérieures; pour les bénéficiaires visés à l'article 3, alinéa 1er, 2°, la pertinence de la formation au regard du projet professionnel envisagé et du potentiel du secteur d'activité concerné; pour les bénéficiaires visés à l'article 3, alinéa 6, les réponses, apportées pour remédier aux motifs de la fin de l'activité en tant qu'indépendant à titre principal; 2° la faisabilité du projet et le caractère directement opérationnel de celui-ci, appréciés notamment sur la base d'éléments financiers probants et d'une évaluation de l'environnement socio-économique du projet;3° l'existence d'un marché potentiel permettant la viabilité du projet;4° le développement potentiel de l'activité envisagée ». B.14.1. Comme il ressort des travaux préparatoires cités en B.9.2, le législateur décrétal a justifié l'adoption du décret en cause dans le cadre de l'exercice de sa compétence en matière d'emploi par la circonstance que l'indépendant bénéficiaire de l'incitant financier crée son propre emploi et, partant, en libère un autre.
Comme cela fut reconnu dans ces travaux préparatoires, la mesure aurait « pu tomber dans l'escarcelle économie », le ministre compétent en cette matière se l'étant appropriée dans le cadre d'un plan destiné à renforcer l'expansion économique de la Région (Doc. parl., Parlement wallon, 2011-2012, n° 457/3, p. 13).
B.14.2. Les travaux préparatoires de la loi spéciale du 8 août 1988 cités en B.8.2 révèlent que la politique de l'emploi est davantage axée sur les demandeurs d'emploi qu'ils soient ou non chômeurs ainsi que sur les programmes de remise au travail de chômeurs.
Le décret en cause a quant à lui pour destinataires les personnes qui ont un statut d'indépendant et souhaitent développer leur activité ainsi que les personnes qui souhaitent pour la première ou la seconde fois s'installer comme indépendant à titre principal. L'incitant financier qu'il prévoit s'apparente davantage, par sa nature et les personnes qu'il vise, aux mesures visant à soutenir la création d'entreprises qui sont prévues par les décrets du 11 mars 2004 adoptés dans le cadre de la politique d'expansion économique de le Région wallonne.
Si un emploi peut, certes, se trouver libéré par la circonstance que l'indépendant bénéficiaire crée son propre emploi, il ne pourrait en être déduit qu'il s'agit de l'élément prépondérant de la mesure, permettant de conclure que le législateur décrétal a agi dans le cadre de la politique de l'emploi. En effet, ainsi qu'il est dit en B.12.1, l'un des principaux objectifs de la politique d'expansion économique est la création d'emplois.
B.15. Il résulte de ce qui précède que bien que la réglementation en cause ait des liens avec la politique de l'emploi, l'élément prépondérant de la situation juridique réglée - et, partant, l'objet réel et concret de la mesure en cause se situe au niveau de l'aide aux entreprises dans le cadre de la politique d'expansion économique de la Région wallonne. Ainsi, en limitant le champ d'application du décret « Airbag » à la partie de langue française du territoire de la Région wallonne, le législateur décrétal a créé, à l'égard des personnes domiciliées en tant qu'indépendant ou qui ont leur siège social dans la partie de langue allemande du territoire de la Région wallonne, une différence de traitement qui est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1er, § 1er, et l'article 3, alinéa 1er, 1°, a), et 2°, a), du décret de la Région wallonne du 27 octobre 2011 relatif au soutien à la création d'emploi en favorisant les transitions professionnelles vers le statut d'indépendant à titre principal violent les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce qu'ils excluent de leur champ d'application les personnes qui sont domiciliées ou qui ont leur siège social dans la partie de langue allemande du territoire de la Région wallonne.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 octobre 2015.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels