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Arrêt
publié le 20 janvier 2015

Extrait de l'arrêt n° 183/2014 du 10 décembre 2014 Numéro du rôle : 5824 En cause : le recours en annulation de l'article 2, 2°, du décret de la Région flamande du 5 juillet 2013 portant modification de diverses dispositions du décret du 19 a La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 183/2014 du 10 décembre 2014 Numéro du rôle : 5824 En cause : le recours en annulation de l'article 2, 2°, du décret de la Région flamande du 5 juillet 2013 portant modification de diverses dispositions du décret du 19 avril 1995 contenant des mesures visant à lutter contre l'abandon et le délabrement de sites industriels (remplacement de l'article 2, 9°, du décret du 19 avril 1995 - notion de « propriétaire »), introduit par la Régie portuaire communale d'Anvers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 janvier 2014 et parvenue au greffe le 30 janvier 2014, la Régie portuaire communale d'Anvers, assistée et représentée par Me C. Lesaffer, avocat au barreau d'Anvers, a introduit un recours en annulation de l'article 2, 2°, du décret de la Région flamande du 5 juillet 2013 portant modification de diverses dispositions du décret du 19 avril 1995 contenant des mesures visant à lutter contre l'abandon et le délabrement de sites industriels (remplacement de l'article 2, 9°, du décret du 19 avril 1995 - notion de « propriétaire »), publié au Moniteur belge du 29 juillet 2013. (...) II. En droit (...) B.1.1. Le recours est dirigé contre l'article 2, 2°, du décret de la Communauté flamande du 5 juillet 2013 portant modification de diverses dispositions du décret du 19 avril 1995 contenant des mesures visant à lutter contre l'abandon et le délabrement de sites industriels.

Cette disposition remplace l'article 2, 9°, du décret du 19 avril 1995 comme suit : « 9° propriétaire : le détenteur d'un des droits réels suivants relatifs à un bâtiment à usage professionnel : a) la pleine propriété;b) le droit de superficie ou d'emphytéose;c) l'usufruit;».

B.1.2. La définition précitée est importante dans le cadre de la réglementation visant à combattre et à prévenir la désaffectation et l'abandon de bâtiments à usage professionnel en ce que cette réglementation désigne le « propriétaire » d'un bâtiment à usage professionnel inoccupé ou abandonné comme débiteur de la taxe dite d'inoccupation.

B.2.1. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

La partie requérante soutient que, dans l'interprétation selon laquelle le plein propriétaire d'un bâtiment à usage professionnel ne doit pas être considéré comme le propriétaire au sens du décret du 19 avril 1995 lorsque le propriétaire du terrain a accordé une concession domaniale au propriétaire du bâtiment à usage professionnel, la disposition attaquée crée une différence de traitement injustifiée entre les concédants et les nus-propriétaires de terrain, en ce que les premiers sont redevables de la taxe et les seconds non. De plus, elle estime que, dans cette interprétation, cette disposition crée une différence de traitement non justifiée entre, d'une part, les plein propriétaires, les usufruitiers, les emphytéotes et les superficiaires de bâtiments à usage professionnel et, d'autre part, les concessionnaires qui sont propriétaires d'un bâtiment à usage professionnel, au motif que les premiers sont redevables de la taxe et les seconds non.

B.2.2. Dans sa requête, la partie requérante fait valoir que la disposition attaquée peut toutefois aussi être interprétée en ce sens que le concessionnaire qui est plein propriétaire d'un bâtiment à usage professionnel érigé sur une partie du domaine public faisant l'objet d'une concession domaniale doit effectivement être considéré comme le propriétaire au sens du décret du 19 avril 1995 et que lui seul, et non le concédant, doit être considéré comme redevable de la taxe d'inoccupation. Elle estime que, dans cette interprétation, la disposition attaquée est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.3. Le Gouvernement flamand soutient que, dans son moyen, la partie requérante confère à la disposition attaquée une portée que cette dernière n'a pas. Il estime que cette disposition peut uniquement être interprétée en ce sens que le concessionnaire, lorsqu'il est plein propriétaire du bâtiment à usage professionnel, est débiteur de la taxe d'inoccupation.

B.4.1. En vertu de l'article 2.6.1.0.1 du décret de la Communauté flamande du 13 décembre 2013 portant le Code flamand de la Fiscalité (ci-après : Code flamand de la fiscalité), une taxe d'inoccupation est prélevée sur les sites d'activité économique repris dans l'inventaire.

Cet inventaire est établi, en vertu des articles 3 et 4 du décret du 19 avril 1995, par le « Département de l'Aménagement du territoire, de la politique du Logement et du Patrimoine immobilier » de l'administration flamande, sur la base des listes, établies par les communes, des sites d'activité économique désaffectés et/ou abandonnés, situés sur leur territoire.

B.4.2. En vertu de l'article 2.6.2.0.1 du Code flamand de la fiscalité, « le contribuable est celui qui, le 1er janvier de l'année d'imposition, est le propriétaire des bâtiments d'activité économique soumis à la taxe ».

En vertu de l'article 1.1.0.0.3, alinéa 2, du Code flamand de la fiscalité, les notions utilisées dans le titre 2, chapitre 6 (« Taxe sur les sites d'activité économique désaffectés »), de ce Code doivent être interprétées conformément aux dispositions du décret du 19 avril 1995.

Par conséquent, la notion de « propriétaire » contenue dans l'article 2.6.2.0.1 du Code flamand de la fiscalité doit être interprétée dans le sens défini à l'article 2 du décret du 19 avril 1995. La disposition attaquée concerne cette définition.

B.5.1. Dans les travaux préparatoires, la disposition attaquée est commentée de la manière suivante : « Dans son article 2, 9°, le décret du 19 avril 1995 contient la définition suivante de ' propriétaire ' : ' toute personne en mesure de faire valoir un droit de nue-propriété entière ou partielle sur le bien immeuble dont question '.

Le décret ne contient toutefois pas de définition de ce qu'il convient d'entendre par ' le bien immeuble dont question ', de sorte qu'on ne sait pas précisément s'il convient d'entendre par là les bâtiments, le terrain ou bien les deux.

Du fait que la définition de ce ' droit de nue-propriété ' n'est pas claire, on ne voit pas non plus exactement qui est le redevable de la taxe. La taxe annuelle sur les biens immeubles qui figurent dans l'inventaire est en effet à charge du propriétaire des biens immeubles soumis à la taxe (article 15, § 2, décret du 19 avril 1995).

La définition peu précise de la notion de ' propriétaire ' a surtout une incidence sur la désignation du redevable de la taxe en cas de droits de propriété démembrés, par exemple en cas de superficie ou d'emphytéose. Dans le cas de la superficie, le tréfoncier reste propriétaire du terrain tandis que le superficiaire est titulaire d'un droit de propriété temporaire sur les bâtiments qu'il a érigés et éventuellement sur les bâtiments préexistants. Dans le cas de l'emphytéose, le bailleur emphytéotique reste propriétaire du terrain tandis que l'emphytéote dispose d'un droit de propriété temporaire sur les bâtiments.

Selon le contenu que l'on donne à la notion de ' propriétaire ', c'est soit le tréfoncier/bailleur emphytéotique (en tant que propriétaire du terrain) ou le superficiaire/emphytéote (en tant que propriétaire du bâtiment) qui est redevable de la taxe.

Le décret peut encore être interprété en ce sens que la personne appelée à payer la taxe est celle qui peut faire valoir des droits de propriété soit sur le terrain, soit sur les bâtiments. Dans cette interprétation, tant le propriétaire du terrain que l'emphytéote/superficiaire sont redevables de la taxe. Dans cette perspective se pose alors un problème de solidarité à la dette (article 15, § 2, deuxième phrase du décret du 19 avril 1995), étant donné que le tréfoncier et le superficiaire ne sont pas propriétaires des mêmes biens immeubles.

Pour exclure tout débat ultérieur et offrir aux entreprises une sécurité juridique pour l'avenir, il s'indique de préciser le décret.

Etant donné que c'est le plus souvent le propriétaire du bâtiment qui est responsable de l'inoccupation ou de l'abandon du site d'activité économique et non le propriétaire du terrain, il s'indique de désigner comme redevables de la taxe le plein propriétaire du bâtiment à usage professionnel, le superficiaire et l'emphytéote.

Cette solution est également davantage conforme à l'objectif du législateur décrétal d'inviter l'usufruitier et non le nu-propriétaire à payer la taxe, lorsqu'un droit d'usufruit a été conféré sur le bâtiment à usage professionnel concerné. En effet, il ne peut y avoir inoccupation que si l'usufruitier ne respecte pas son obligation de gérer le bâtiment à usage professionnel en bon père de famille. Il en va de même pour le délabrement, si celui-ci trouve son origine dans un mauvais entretien.

En cas de location du bâtiment à usage professionnel, le propriétaire reste responsable de l'entretien structurel, si bien qu'il y a lieu de ne pas désigner le locataire dans ce cas, mais bien le propriétaire, comme redevable de la taxe.

Une concession domaniale est un contrat administratif par lequel l'autorité octroie à une personne le droit d'utiliser une partie du domaine public, temporairement et d'une manière qui exclut les droits d'autrui, et qui peut être unilatéralement révoqué pour des raisons d'intérêt général. Une caractéristique essentielle de la concession domaniale est que l'autorité concédante peut à tout moment, immédiatement et unilatéralement mettre un terme au contrat de concession, chaque fois que l'intérêt général le requiert/le justifie.

Eu égard au caractère précaire des droits du concessionnaire, il n'est pas indiqué de le considérer comme redevable de la taxe.

La nouvelle définition de ' propriétaire ' permet également de s'aligner sur le régime de la taxe destinée à lutter contre le délabrement des bâtiments ou habitations (article 27, § 1er, alinéa 1er, du décret du 22 décembre 1995 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1996). Ce régime relatif aux bâtiments et/ou habitations abandonnés considère comme redevable de la taxe le titulaire d'un des droits réels suivants sur un bâtiment et/ou une habitation : - la pleine propriété; - le droit de superficie ou d'emphytéose; - l'usufruit.

Il est proposé d'adopter un régime similaire pour les sites d'activité économique. [...] [...] Une définition de ' bâtiment à usage professionnel ' est également insérée. On entend par là : tout bâtiment ou partie d'un bâtiment où des activités économiques ont eu lieu ou ont lieu. Etant donné qu'en pratique il arrive parfois qu'une partie d'un bâtiment soit cédée à un autre propriétaire et constitue ainsi une entité séparée, la définition prévoit également l'hypothèse d'' une partie d'un bâtiment ' » (Doc. parl., Parlement flamand, 2012-2013, n° 2052/1, pp. 3-5).

B.5.2. Il en ressort que, par la disposition attaquée, le législateur décrétal a voulu mettre un terme à l'insécurité juridique qui était apparue concernant la détermination du redevable de la taxe, lorsque la personne titulaire de droits réels sur le bâtiment à usage professionnel n'est pas le propriétaire du terrain sur lequel ce bâtiment est érigé, insécurité juridique qui résultait de la définition de « propriétaire » contenue auparavant dans le décret du 19 avril 1995. Constatant que c'est le plus souvent « le propriétaire du bâtiment qui est responsable de l'inoccupation ou de l'abandon du site d'activité économique et non le propriétaire du terrain », il a estimé qu'il s'indiquait de désigner le plein propriétaire du bâtiment à usage professionnel, le superficiaire, l'emphytéote et l'usufruitier comme redevables de la taxe.

B.6.1. Une concession domaniale est un contrat administratif par lequel l'autorité octroie à une personne le droit d'utiliser une partie du domaine public temporairement et d'une manière qui exclut le droit d'autrui et qui peut être révoqué unilatéralement pour des raisons d'intérêt général.

B.6.2. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation qu'un droit de superficie peut être établi sur un bien du domaine public pour autant qu'il ne fasse pas obstacle à sa destination à l'usage de tous (Cass., 18 mai 2007, Pas., 2007, n° 257).

Bien qu'une concession domaniale ne fasse en soi pas naître de droit réel (Cass., 17 mars 1924, Pas., 1924, I, p. 256), le concédant peut octroyer au concessionnaire, en vertu d'un droit de superficie accessoire, le droit d'ériger sur la partie concernée du domaine public un bâtiment, dont le concessionnaire est temporairement plein propriétaire.

B.7.1. Comme il a été dit en B.4.2, le débiteur de la taxe d'inoccupation est, en vertu de l'article 2.6.2.0.1 du Code flamand de la fiscalité, « celui qui, au 1er janvier de l'année d'imposition, est le propriétaire des bâtiments d'activité économique soumis à la taxe ».

En vertu de l'article 2, 15°, du décret du 19 avril 1995, remplacé par le décret du 5 juillet 2013, il y a lieu d'entendre par « bâtiment à usage professionnel » : tout bâtiment ou partie d'un bâtiment où des activités économiques ont eu lieu ou ont lieu.

Aux termes de la disposition attaquée, le titulaire des droits réels sur un bâtiment à usage professionnel qui sont énumérés dans ladite disposition - pleine propriété, droit de superficie, droit d'emphytéose et usufruit - doit être considéré comme le « propriétaire » du bâtiment à usage professionnel.

B.7.2. Il résulte de la lecture combinée des dispositions précitées que lorsqu'une personne est pleine propriétaire d'un bâtiment à usage professionnel érigé sur une partie du domaine public ayant fait l'objet d'une concession domaniale par l'autorité, cette personne est débitrice de la taxe d'inoccupation et donc pas l'autorité concédante.

B.8.1. La partie requérante fait toutefois référence aux travaux préparatoires cités en B.5.1, qui mentionnent qu'« eu égard au caractère précaire des droits du concessionnaire, il n'est pas indiqué de le considérer comme redevable de la taxe ».

B.8.2. Le sens d'une disposition législative ne peut être infléchi en faisant prévaloir sur le texte clair de cette disposition des déclarations qui ont précédé son adoption.

B.8.3. Par ailleurs, comme le fait valoir le Gouvernement flamand, le passage précité des travaux préparatoires peut être interprété en ce sens que le concessionnaire ne peut pas être considéré comme redevable de la taxe si l'autorité concédante est pleine propriétaire du bâtiment à usage professionnel concerné et que, dans ce cas, cette dernière doit être considérée, en tant que pleine propriétaire au sens de la disposition attaquée, comme redevable de la taxe.

B.9. Il résulte de ce qui précède que la disposition attaquée n'a pas la portée que la partie requérante lui confère dans son moyen.

B.10. Le moyen unique n'est pas fondé.

B.11. En ce que la partie requérante fait valoir dans son mémoire en réponse que l'interprétation, mentionnée en B.8.3, de la disposition attaquée entraîne une différence de traitement injustifiée entre, d'une part, l'autorité qui est pleine propriétaire d'un bâtiment à usage professionnel ayant été donné en concession domaniale à un tiers et, d'autre part, le propriétaire qui octroie un droit de superficie, d'emphytéose ou d'usufruit à un tiers, elle fait valoir un moyen nouveau qui n'est pas recevable pour ce motif.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 décembre 2014.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen

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