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Arrêt
publié le 20 janvier 2015

Extrait de l'arrêt n° 177/2014 du 4 décembre 2014 Numéro du rôle : 5838 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 14, 807 et 1042 du Code judiciaire, posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles. La Cour co composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, P. (...)

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20/01/2015
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 177/2014 du 4 décembre 2014 Numéro du rôle : 5838 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 14, 807 et 1042 du Code judiciaire, posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 21 janvier 2014 en cause de Ali Abdoullah contre l'association des copropriétaires de l'immeuble « Eden Roc », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 février 2014, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les articles 14, 807 et 1042 du Code judiciaire sont-ils contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution, le cas échéant lus en combinaison avec les principes du respect des droits de la défense et de loyauté procédurale, en ce qu'ils soumettent la demande nouvelle formée pour la première fois en degré d'appel aux conditions prévues par l'article 807 du même code, alors que la demande reconventionnelle formée pour la première fois en degré d'appel n'est pas soumise à d'autres conditions que la qualité et l'intérêt ? 2. Les articles 14, 807 et 1042 du Code judiciaire sont-ils contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution, le cas échéant lus en combinaison avec les principes du respect des droits de la défense et de loyauté procédurale, interprétés en ce sens que la demande reconventionnelle introduite pour la première fois en degré d'appel n'est recevable que si elle est fondée sur un fait ou un acte invoqué dans les premières conclusions déposées par le défendeur ou [lorsqu'elle constitue] une défense à l'action principale ou [tend] à la compensation ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles portent sur les articles 14, 807 et 1042 du Code judiciaire.

L'article 14 du Code judiciaire dispose : « La demande reconventionnelle est la demande incidente formée par le défendeur et qui tend à faire prononcer une condamnation à charge du demandeur ».

L'article 807 du Code judiciaire dispose : « La demande dont le juge est saisi peut être étendue ou modifiée, si les conclusions nouvelles, contradictoirement prises, sont fondées sur un fait ou un acte invoqué dans la citation, même si leur qualification juridique est différente ».

L'article 1042 du Code judiciaire dispose : « Pour autant qu'il n'y soit pas dérogé par les dispositions du présent livre, les règles relatives à l'instance sont applicables aux voies de recours ».

B.2.1. Les questions préjudicielles invitent la Cour à examiner la compatibilité de ces dispositions avec les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec les principes du respect des droits de la défense et de loyauté procédurale, en ce qu'elles soumettent la demande nouvelle formée pour la première fois en degré d'appel aux conditions prévues par l'article 807 du même Code, alors que la demande reconventionnelle formée pour la première fois en degré d'appel : - ne serait pas soumise à d'autres conditions de recevabilité que la qualité et l'intérêt (première question préjudicielle), ou - ne serait recevable que « si elle est fondée sur un fait ou un acte invoqué dans les premières conclusions déposées par le défendeur ou [lorsqu'elle constitue] une défense à l'action principale ou [tend] à la compensation » (seconde question préjudicielle).

B.2.2. Il ressort des faits de la cause et de la motivation de la décision de renvoi que la comparaison vise, d'une part, la situation du demandeur originaire qui, étant soumis aux conditions de l'article 807 du Code judiciaire, ne peut étendre ou modifier sa demande originaire en degré d'appel que dans les limites d'un fait ou d'un acte invoqué dans la citation, et, d'autre part, la situation du défendeur originaire qui introduit pour la première fois en degré d'appel une demande reconventionnelle, selon qu'on interprète les dispositions en cause comme le soumettant ou non aux conditions de l'article 807 du Code judiciaire.

B.2.3. Dès lors que les deux questions préjudicielles concernent les conditions de recevabilité d'une demande reconventionnelle formée pour la première fois en degré d'appel, la Cour les examine ensemble.

B.3.1. L'article 807 précité du Code judiciaire requiert des liens étroits entre la demande originaire et la demande étendue ou modifiée.

Cette disposition tend, en effet, à garantir les droits de la défense du défendeur originaire et à éviter qu'après avoir pris connaissance des faits ou actes fondant la demande originaire par l'acte introductif d'instance, ce défendeur ne soit surpris par l'allégation de faits nouveaux ou d'actes non mentionnés dans l'acte introductif.

B.3.2. La demande reconventionnelle est, aux termes de l'article 14 du Code judiciaire, la demande incidente par laquelle le défendeur tend à faire condamner le demandeur originaire.

Lorsqu'elle est formée au premier degré de juridiction, la demande reconventionnelle ne doit pas nécessairement présenter un lien avec la demande originaire et est recevable jusqu'à la clôture des débats. La demande reconventionnelle est donc autonome par rapport à la demande originaire, de sorte que l'article 807 du Code judiciaire n'est pas applicable à son introduction.

B.3.3. La Cour a, par son arrêt n° 77/2007 du 10 mai 2007, jugé compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution la différence de traitement entre le demandeur originaire qui souhaite modifier ou étendre la demande et le défendeur originaire qui introduit une demande reconventionnelle au premier degré de juridiction.

B.4.1. Conformément à l'article 1042 du Code judiciaire, l'article 807 du Code judiciaire s'applique à la demande par laquelle le demandeur originaire souhaite étendre ou modifier sa demande originaire en degré d'appel (Cass., 29 novembre 2002, Pas., 2002, n° 645; 18 février 2010, Pas., 2010, n° 107).

B.4.2. L'article 807 du Code judiciaire poursuit le but légitime d'accorder une protection particulière des droits du défendeur originaire confronté à une modification de la demande originaire en exigeant, d'abord, que celle-ci fasse l'objet de conclusions contradictoires et, ensuite, qu'elle trouve un fondement dans les faits ou les actes invoqués dans l'acte introductif d'instance.

En première instance comme en degré d'appel, l'application de cette disposition au demandeur originaire qui souhaite étendre ou modifier sa demande se justifie par le fait que ce dernier a eu toute la latitude, par l'acte introductif d'instance, de définir les prétentions qu'il entendait faire valoir à l'encontre du défendeur et de circonscrire ainsi l'objet du litige.

B.5.1. Le demandeur sur reconvention, lorsqu'il formule sa demande au premier degré de juridiction, définit pour la première fois l'objet des prétentions qu'il entend obtenir du demandeur originaire. Le demandeur sur reconvention se trouve à cet égard dans la situation du demandeur originaire, lorsque celui-ci introduit sa demande.

B.5.2. En degré d'appel, par contre, la jurisprudence constante de la Cour de cassation considère qu'« en vertu des articles 807 à 810 et 1042 du Code judiciaire, les demandes reconventionnelles peuvent être formées pour la première fois en degré d'appel, lorsqu'elles sont fondées sur un fait ou un acte invoqué dans la citation ou lorsqu'elles constituent une défense à l'action principale ou tendent à la compensation » (Cass., 22 janvier 2004, Pas., 2004, n° 39; voy. aussi 10 avril 1978, Pas., 1978, I, p. 890; 4 décembre 1989, Pas., 1990, n° 216; 18 janvier 1991, Pas., 1991, n° 259; 14 octobre 2005, Pas., 2005, n° 513; 23 février 2006, Pas., 2006, n° 106).

B.5.3. Lorsque le défendeur originaire introduit pour la première fois en degré d'appel une demande reconventionnelle, il formule seulement à ce moment l'objet de prétentions qu'il entend obtenir du demandeur originaire, alors même qu'il a eu toute latitude pour définir en première instance l'objet des prétentions qu'il entendait obtenir de ce dernier.

Il serait contraire à la protection des droits du demandeur originaire confronté à une demande reconventionnelle formée pour la première fois en degré d'appel que le défendeur originaire ne soit pas soumis aux conditions auxquelles une demande peut être étendue ou modifiée, prévues par l'article 807 du Code judiciaire. En effet, bien qu'il n'existe pas de droit à un double degré de juridiction, il serait contraire à l'égalité des justiciables, parties dans une même procédure portée devant un même juge, de ne pas pouvoir bénéficier des mêmes garanties.

Rien n'empêche par ailleurs le défendeur originaire, s'il n'est pas dans les conditions pour introduire pour la première fois une demande reconventionnelle en appel, d'introduire par voie séparée une demande principale et d'invoquer les faits ou les actes nouveaux au fondement de ses prétentions nouvelles.

B.6. La première question préjudicielle, qui est fondée sur une lecture erronée des dispositions en cause, n'appelle pas de réponse.

Compte tenu de l'interprétation mentionnée en B.5.2, la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - La première question préjudicielle n'appelle pas de réponse. - Les articles 14, 807 et 1042 du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 4 décembre 2014.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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