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Arrêt
publié le 07 juillet 2014

Extrait de l'arrêt n° 68/2014 du 24 avril 2014 Numéros du rôle : 5619 et 5627 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance d'Arlon. L composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snapp(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 68/2014 du 24 avril 2014 Numéros du rôle : 5619 et 5627 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance d'Arlon.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugements des 20 mars 2013 et 17 avril 2013, respectivement en cause de Thierry Degryse et Véronique Bocca, et en cause de Dominique Martiny et Valérie Lambotte, contre l'Etat belge, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 28 mars 2013 et le 25 avril 2013, le Tribunal de première instance d'Arlon a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 134 du Code des impôts sur les revenus, éventuellement combiné avec l'article 140 du même Code et avec l'article 23 par. 2 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution; en ce qu'il prévoit, pour les couples pour lesquels une imposition commune est établie, l'imputation du supplément de quotité exemptée pour enfant à charge dans le chef de celui qui a le revenu imposable le plus élevé, même lorsque ce revenu est exempté en application d'une convention préventive de la double imposition, entraînant ainsi la perte de cet avantage fiscal; alors que, les couples vivant en ménage de fait, pour lesquels des impositions distinctes sont établies, peuvent choisir celui dans le chef duquel il y a lieu d'imputer le supplément de quotité exemptée pour enfant à charge, ce qui permet, lorsque l'un bénéficie de revenus exemptés en application d'une convention préventive de la double imposition supérieurs à ceux de son partenaire, de mettre l'enfant à charge de ce dernier évitant ainsi la perte de cet avantage fiscal ? ».

Ces affaires, inscrites sous les numéros 5619 et 5627 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1.1. Tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2007, l'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992) disposait : « § 1er. La quotité du revenu exemptée d'impôt est fixée par contribuable et comprend le total du montant de base, éventuellement majoré, et des suppléments visés aux articles 132 et 133.

Lorsqu'une imposition commune est établie, les suppléments visés à l'article 132 sont imputés dans le chef du contribuable qui a le revenu imposable le plus élevé. Lorsque le revenu imposable de l'un des deux contribuables est inférieur à sa quotité du revenu exemptée d'impôt, la différence est ajoutée à la quotité du revenu exemptée d'impôt de l'autre contribuable. § 2. La quotité du revenu exemptée d'impôt est imputée par contribuable sur les tranches successives du revenu, en commençant par la première. § 3. La partie de la quotité du revenu exemptée d'impôt qui n'est pas imputée après application des §§ 1er et 2, dans la mesure où elle concerne les suppléments visés à l'article 132, alinéa 1er, 1° à 6°, convertie en un crédit d'impôt remboursable.

Le crédit d'impôt est égal à la partie de la quotité du revenu exemptée d'impôt qui peut être convertie en application de l'alinéa 1er, multipliée par le taux d'imposition applicable à la tranche de revenus correspondante, avec un maximum de 360 EUR (montant de base 250 EUR) par enfant à charge ».

Pour l'exercice d'imposition 2008, le montant visé au § 3, alinéa 2, a été porté à 370 euros.

B.1.2. Tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2007, l'article 140 du même Code disposait : « Lorsque plusieurs contribuables imposables distinctement font partie d'un même ménage, les personnes visées à l'article 136 qui font également partie de ce ménage sont considérées comme étant à charge du contribuable qui assume en fait la direction du même ménage.

Toutefois, dans l'éventualité où le montant net des ressources de ce dernier contribuable, majorées de celles des personnes à sa charge, n'atteint pas autant de fois 2.610 EUR (montant de base 1.800 EUR) que le ménage compte de personnes à charge plus une, ce contribuable peut renoncer à considérer comme étant à sa charge autant de personnes qu'il lui manque de fois 2.610 EUR (montant de base 1.800 EUR) de ressources et ces personnes sont alors considérées comme étant à charge de celui des autres contribuables faisant partie du ménage qui contribue le plus à leur entretien ».

Pour l'exercice d'imposition 2008, le montant a été porté à 2.660 euros.

B.1.3. L'article 23 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg dispose : « [...] § 2. En ce qui concerne les résidents de la Belgique, la double imposition est évitée de la manière suivante : 1° les revenus provenant du Luxembourg - à l'exclusion des revenus visés aux 2° et 3° - et les éléments de fortune situés au Luxembourg, qui sont imposables dans cet Etat en vertu des articles précédents, sont exemptés d'impôts en Belgique.Cette exemption ne limite pas le droit de la Belgique de tenir compte, lors de la détermination du taux de ses impôts, des revenus et des éléments de fortune ainsi exemptés; [...] ».

B.1.4. Quant à la réduction pour revenus d'origine étrangère, l'article 155 du CIR 1992 dispose : « Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l'impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus. [...] ».

B.2.1. Il ressort des faits des causes pendantes devant le juge a quo, des motifs des décisions de renvoi et des dispositions précitées que la Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 134, § 1er, précité, du CIR 1992, éventuellement combiné avec l'article 140 du même Code et avec l'article 23, § 2, 1°, précité, de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg, en ce que l'article 134, § 1er, précité, du CIR 1992 introduirait, même lorsque le revenu d'un époux ou d'un cohabitant légal est exempté conformément à l'article 23, § 2, 1°, précité, de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg, une différence de traitement entre les couples mariés et les cohabitants légaux, d'une part, et les couples vivant en cohabitation de fait, d'autre part.

La disposition en cause a pour effet d'imputer le supplément de quotité exemptée pour enfant à charge dans le chef du contribuable qui a le revenu imposable le plus élevé, ce qui, selon le juge a quo, ferait perdre l'avantage fiscal aux couples mariés et aux cohabitants légaux en cas de revenus exemptés d'impôt en vertu d'une convention internationale alors que, selon l'article 140 du CIR 1992, tel qu'il est appliqué par l'administration fiscale, les cohabitants de fait ont le choix de déterminer lequel d'entre eux prend l'enfant à charge. La Cour est donc invitée à se prononcer sur la compatibilité, au regard du principe d'égalité et de non-discrimination, du critère retenu par le législateur pour déterminer lequel des conjoints ou des cohabitants légaux, d'une part, ou des cohabitants de fait, d'autre part, peut imputer l'avantage fiscal pour enfant à charge.

B.2.2. Par son arrêt n° 100/2013 du 9 juillet 2013, la Cour a répondu par la négative à une question identique, considérant que la différence de traitement dénoncée était inexistante, entre autres pour les motifs qui suivent : « Ainsi, dès lors que le choix a été opéré par le législateur de n'accorder le bénéfice de l'avantage qu'à un seul contribuable, qu'il soit marié, cohabitant légal ou cohabitant de fait, toute autre solution en faveur des conjoints mariés ou des cohabitants légaux au motif que, lorsque le conjoint ou le cohabitant légal est exempté sur la base de l'article 23, § 2, 1°, précité de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg, le conjoint qui touche le revenu le plus faible perd le bénéfice de l'imputation, serait discriminatoire par rapport à la situation des couples mariés et des cohabitants légaux et par rapport aux autres contribuables isolés, y compris les cohabitants de fait qui ne perçoivent que des revenus en Belgique. Il serait, en effet, contraire au principe d'égalité et de non-discrimination que certains contribuables puissent bénéficier deux fois de la réduction pour enfant à charge.

Tel n'est pas l'objet de la convention préventive de la double imposition, qui vise à éviter que deux contribuables soient imposés deux fois par deux Etats différents sur un même revenu mais n'a en aucun cas pour but de leur permettre de bénéficier de la réduction pour enfant à charge dans chacun des deux Etats parties à la Convention ».

B.3.1. Il doit toutefois être relevé d'office que par un arrêt du 12 décembre 2013 (C-303/12, G. Imfeld et N. Garcet), la Cour de justice a répondu à une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : TFUE) posée dans le cadre d'un litige qui opposait un couple de personnes résidant en Belgique à l'Etat belge au sujet de la prise en compte, dans le cadre du calcul de leur imposition commune en Belgique, des revenus perçus dans un autre Etat membre par l'époux, qui sont exonérés d'impôts en Belgique mais servent d'assiette pour l'octroi d'avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale, avec pour conséquence de leur faire perdre une partie des avantages auxquels ils auraient eu droit en l'absence d'une telle prise en compte.

B.3.2. L'article 49 du TFUE dispose : « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre.

La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ».

B.4.1. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que cette disposition du Traité devait être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application d'une réglementation fiscale d'un Etat membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet Etat et percevant à la fois des revenus dans ledit Etat et dans un autre Etat membre du bénéfice effectif d'un avantage fiscal déterminé, en raison de ses modalités d'imputation, alors que ce couple en bénéficierait si le conjoint ayant les revenus les plus importants ne percevait pas l'intégralité de ses revenus dans un autre Etat membre.

Dans la motivation de cet arrêt, la Cour de justice a indiqué : « Sur l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement 41. Il importe, d'emblée, de rappeler que, en vertu d'une jurisprudence constante, en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les Etats membres demeurent compétents pour déterminer les critères d'imposition des revenus et de la fortune en vue d'éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les doubles impositions.Dans ce contexte, les Etats membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale (voir, notamment, arrêts de Groot, précité, point 93; du 16 octobre 2008, Renneberg, C-527/06, Rec. p. I-7735, point 48, et du 28 février 2013, Beker, C-168/11, non encore publié au Rec., point 32). 42. Toutefois, cette répartition de la compétence fiscale ne permet pas aux Etats membres d'appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation garanties par le traité FUE.En effet, en ce qui concerne l'exercice du pouvoir d'imposition ainsi réparti dans le cadre de conventions bilatérales préventives de la double imposition, les Etats membres sont tenus de se conformer aux règles de l'Union (arrêts précités de Groot, point 94; Renneberg, points 50 et 51, ainsi que Beker, points 33 et 34). 43. Il convient également de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, c'est, en principe, à l'Etat membre de résidence qu'il incombe d'accorder au contribuable la totalité des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, cet Etat membre étant, sauf exception, le mieux à même d'apprécier la capacité contributive personnelle dudit contribuable dans la mesure où ce dernier y dispose du centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux (voir, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec.p. I-225, point 32; du 16 mai 2000, Zurstrassen, C-87/99, Rec. p.

I-3337, point 21, et Beker, précité, point 43). 44. L'obligation de prendre en compte la situation personnelle et familiale ne peut peser sur l'Etat membre d'emploi que lorsque le contribuable tire la totalité ou la quasi-totalité de ses ressources imposables d'une activité exercée dans ce dernier et qu'il ne perçoit pas de revenu significatif dans son Etat de résidence, de sorte que celui-ci n'est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale (voir, notamment, arrêts précités Schumacker, point 36;Gschwind, point 27;

Zurstrassen, points 21 à 23, et de Groot, point 89). 45. C'est à la lumière de ces principes que la compatibilité avec la liberté d'établissement de l'application de la réglementation belge à une situation telle que celle en cause au principal doit être examinée.46. Les requérants au principal ont, en l'occurrence, fait l'objet d'une imposition conjointe sur leurs revenus en Belgique où ils résident, les revenus perçus par M.Imfeld en Allemagne étant exonérés, et ce dernier a fait l'objet d'une imposition individuelle sur les revenus qu'il a perçus en Allemagne où il travaille, en application de la convention de 1967. 47. Tant en Allemagne qu'en Belgique, il a été tenu compte, au moins partiellement, de leur situation personnelle et familiale.M. Imfeld a eu droit, en vertu de la réglementation fiscale allemande, à une exemption d'impôt pour enfants à charge (' Freibetrag für Kinder '), sans pour autant avoir pu bénéficier du régime de l'' Ehegattensplitting '. 48. En vertu de la réglementation fiscale belge, le couple formé par les requérants au principal a, en principe, droit au supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfants à charge.Il n'a pu toutefois en bénéficier effectivement. La quotité de revenu supplémentaire susceptible d'être exemptée a, en effet, été imputée sur les revenus de M. Imfeld perçus en Allemagne, dans la mesure où ils étaient les plus importants du couple. Toutefois, lesdits revenus ont ensuite été retranchés de la base imposable, dans la mesure où ils étaient exonérés en vertu de la convention de 1967, de sorte que, au final, aucune quotité de revenu n'a été exemptée d'impôt au titre spécifique du supplément pour enfants à charge. 49. Par conséquent, une réglementation fiscale telle que celle en cause au principal, et plus précisément l'application combinée de la méthode d'exemption avec réserve de progressivité prévue à l'article 155 du CIR de 1992 et des modalités d'imputation du supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge établies à l'article 134 du CIR de 1992, désavantage les couples dans la situation des requérants au principal, qui se caractérise par la circonstance que la part la plus importante de leurs revenus est perçue dans un Etat membre autre que le Royaume de Belgique, par rapport aux couples qui perçoivent la totalité ou la part la plus importante de leurs revenus en Belgique.50. Les requérants au principal ont, en tant que couple, subi un désavantage dans la mesure où ils n'ont pas bénéficié de l'avantage fiscal résultant de l'application du supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge auquel ils auraient eu droit s'ils avaient perçu l'intégralité de leurs revenus en Belgique ou, à tout le moins, si les revenus perçus par Mme Garcet en Belgique avaient été supérieurs à ceux perçus par son époux en Allemagne.51. La réglementation en cause au principal établit ainsi une différence de traitement fiscal entre les couples de citoyens de l'Union résidant sur le territoire du Royaume de Belgique en fonction de l'origine et de l'importance de leurs revenus qui est susceptible de produire un effet dissuasif sur l'exercice par ces derniers des libertés garanties par le traité, et notamment de la liberté d'établissement (voir, en ce sens, arrêt Beker, précité, point 52).52. Ladite réglementation est ainsi susceptible de dissuader les ressortissants dudit Etat membre d'exercer leur droit à la liberté d'établissement en exerçant une activité économique dans un autre Etat membre tout en continuant à résider dans le premier Etat (voir, notamment, arrêts du 13 avril 2000, Baars, C-251/98, Rec.p. I-2787, points 28 et 29, ainsi que du 19 novembre 2009, Filipiak, C-314/08, Rec. p. I-11049, point 60). 53. Elle est également susceptible de dissuader les ressortissants des Etats membres autres que le Royaume de Belgique d'exercer, en leur qualité de citoyens de l'Union, leur droit à la libre circulation en établissant leur résidence dans ledit Etat membre, notamment aux fins du rapprochement familial, tout en continuant à exercer une activité économique dans l'Etat membre dont ils sont ressortissants.54. Par ailleurs, la réglementation fiscale belge ne prend pas en considération les situations transfrontalières comme celle en cause dans les affaires au principal et ne permet donc pas de pallier les effets négatifs qu'elle est susceptible de produire sur l'exercice des libertés garanties aux citoyens de l'Union par le traité.55. Ainsi que la Commission le souligne dans ses observations écrites, la règle d'imputation du supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge sur la part la plus élevée des revenus du couple a, en principe, pour objectif de maximiser l'effet de l'avantage au profit du couple dans son ensemble, y compris le conjoint ayant des revenus inférieurs.Puisque le barème d'imposition a un caractère progressif, l'attribution du supplément au conjoint ayant les revenus les plus importants est plus favorable au couple qu'une répartition à parts égales ou encore proportionnelle.

Paradoxalement, appliquée dans une situation transfrontalière telle que celle en cause au principal, ladite règle produit un effet exactement inverse dans certaines circonstances, en l'occurrence dès lors que le conjoint ayant les revenus les plus importants perçoit l'intégralité de ses revenus dans un Etat membre autre que le Royaume de Belgique. 56. Contrairement à ce que soutient le gouvernement belge, la restriction ainsi identifiée à la liberté d'établissement n'est pas la conséquence nécessaire de la disparité des réglementations nationales en cause dans les affaires au principal.57. Le couple formé par les requérants au principal a, en effet, été privé d'une partie des exemptions prévues pour les couples de résidents du fait de l'exercice, par l'un d'entre eux, de sa liberté d'établissement et en raison des modalités d'imputation du supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge prévues par la réglementation fiscale belge (voir, en ce sens, arrêt de Groot, précité, point 87).58. Le gouvernement belge ne saurait pas davantage faire valoir que la réglementation fiscale en cause au principal n'est pas constitutive d'une restriction à la liberté d'établissement car l'exercice par M. Imfeld de sa liberté d'établissement n'aurait en rien aggravé sa situation fiscale, dans la mesure où, d'une part, il n'aurait pas eu à acquitter, en Allemagne, un impôt supérieur à celui qu'il aurait acquitté en Belgique et où, d'autre part, sa situation personnelle et familiale aurait été prise en compte en Allemagne, de sorte que le Royaume de Belgique serait entièrement libéré de toute obligation à cet égard. 59. Certes, ainsi qu'il ressort de l'exposé des faits au principal, M. Imfeld a, en l'occurrence, pu bénéficier d'une prise en compte partielle de sa situation personnelle et familiale en Allemagne, au moyen de l'octroi d'une exemption d'impôt pour enfants à charge (' Freibetrag für Kinder '). 60. Toutefois, il ne saurait être considéré que l'octroi de cet avantage fiscal en Allemagne puisse compenser la perte de l'avantage fiscal enregistrée par les requérants au principal en Belgique.61. En effet, un Etat membre ne saurait invoquer l'existence d'un avantage concédé de manière unilatérale par un autre Etat membre, en l'occurrence l'Etat membre dans lequel M.Imfeld travaille et perçoit l'intégralité de ses revenus, afin d'échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, notamment au titre des dispositions de celui-ci relatives à la liberté d'établissement (voir en ce sens, notamment, arrêts du 8 novembre 2007, Amurta, C-379/05, Rec. p.

I-9569, point 78, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C-11/07, Rec. p. I-6845, point 69, et Arens-Sikken, C-43/07, Rec. p.

I-6887, point 66). 62. Or, la réglementation fiscale en cause au principal établit un avantage fiscal en faveur des couples, sous la forme, notamment, d'un supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge, lequel est imputé sur les revenus du membre du couple qui perçoit la part de revenus la plus importante, sans, en aucune manière, prendre en compte la circonstance que ce dernier peut, consécutivement à l'exercice des libertés garanties par le traité, ne pas percevoir individuellement de revenus en Belgique, avec pour conséquence immédiate et automatique que le couple perd alors totalement le bénéfice dudit avantage.Indépendamment du traitement fiscal réservé à M. Imfeld en Allemagne, c'est le caractère automatique de cette perte qui porte atteinte à la liberté d'établissement. 63. Dès lors, la circonstance que, dans les affaires au principal, la situation personnelle et familiale de M.Imfeld ait été partiellement prise en compte en Allemagne dans le cadre de son imposition à titre isolé et qu'il ait donc pu y bénéficier d'un avantage fiscal ne saurait être invoquée par le gouvernement belge pour démontrer l'absence d'une restriction à la liberté d'établissement.

Sur les justifications de la restriction à la liberté d'établissement 64. Il est de jurisprudence constante qu'une mesure qui est susceptible d'entraver la liberté d'établissement consacrée à l'article 49 TFUE ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général.Encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l'objectif ainsi poursuivi et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir, notamment, arrêts de Lasteyrie du Saillant, précité, point 49; du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446/03, Rec. p. I-10837, point 35, ainsi que du 21 janvier 2010, SGI, C-311/08, Rec. p. I-487, point 56). 65. Le gouvernement belge fait valoir que, à supposer même que la réglementation fiscale en cause au principal constitue une restriction à la liberté d'établissement, elle serait, en tout état de cause, justifiée par la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres.66. En particulier, ce gouvernement déduit des arrêts précités Schumacker et de Groot qu'il existe une corrélation entre l'imposition des revenus et la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables, en ce sens que cette situation ne devrait être prise en compte dans l'Etat de résidence qu'en présence de revenus imposables dans cet Etat.Le gouvernement belge souligne que la convention de 1967 prévoit que les revenus perçus dans l'Etat d'emploi sont exonérés dans l'Etat de résidence. Or, le propre d'un système d'exonération serait de réduire la base imposable à zéro et d'empêcher d'effectuer des déductions, qu'elles soient ou non liées à la situation personnelle et familiale. 67. Selon le gouvernement belge, aller au-delà de la non-imposition en transférant à un autre contribuable les avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale irait au-delà de ce qu'exige le droit de l'Union tel qu'interprété par la Cour dans l'arrêt de Groot, précité, dont il ressortirait seulement que les avantages doivent être pleinement accordés et pleinement déductibles des revenus imposables. Transférer les avantages au conjoint reviendrait à compromettre le droit du Royaume de Belgique d'exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire par ce conjoint. 68. A cet égard, il convient d'observer que, certes, la préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les Etats membres est susceptible de constituer une raison impérieuse d'intérêt général permettant de justifier une restriction à l'exercice d'une liberté de circulation au sein de l'Union (arrêt Beker, précité, point 56).69. Toutefois, la Cour a déjà jugé qu'une telle justification ne peut être invoquée par l'Etat membre de résidence d'un contribuable pour se soustraire à la responsabilité qui lui incombe, en principe, d'accorder audit contribuable les déductions de type personnel et familial qui reviennent à ce dernier, à moins que cet Etat ne se voie conventionnellement délié de son obligation d'assumer l'intégralité de la prise en considération de la situation personnelle et familiale des contribuables résidant sur son territoire et exerçant partiellement leur activité économique dans un autre Etat membre ou qu'il ne constate que, en dehors même de toute convention, un ou plusieurs Etats d'emploi accordent, sur les revenus qu'ils taxent, des avantages liés à la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables qui ne résident pas sur le territoire de ces Etats, mais qui y perçoivent des revenus taxables (voir, en ce sens, arrêts précités de Groot, points 99 et 100, ainsi que Beker, point 56).70. Dans ce contexte, la Cour a précisé, au point 101 de l'arrêt de Groot, précité, que les mécanismes utilisés en vue d'éliminer la double imposition ou les systèmes fiscaux nationaux qui ont pour effet de l'éliminer ou de l'atténuer doivent toutefois assurer aux contribuables des Etats concernés que, au total, l'ensemble de leur situation personnelle et familiale sera dûment prise en compte, quelle que soit la manière dont les Etats membres concernés ont réparti cette obligation entre eux, sous peine de créer une inégalité de traitement incompatible avec les dispositions du traité sur la libre circulation des personnes, qui ne résulterait nullement des disparités existant entre les législations fiscales nationales.71. Ces considérations sont transposables à la situation du couple formé par les requérants au principal.72. Or, d'une part, la convention de 1967 n'impose à l'Etat membre d'emploi aucune obligation relative à la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables résidant dans l'autre Etat membre partie à cette convention.73. D'autre part, la réglementation fiscale en cause au principal n'établit aucune corrélation entre les avantages fiscaux qu'elle octroie aux résidents de l'Etat membre concerné et les avantages fiscaux dont ils peuvent bénéficier dans le cadre de leur imposition dans un autre Etat membre.Les requérants au principal n'ont pu bénéficier du supplément de quotité de revenu exemptée d'impôt pour enfant à charge non pas parce qu'ils ont bénéficié d'un avantage équivalent en Allemagne, mais seulement parce que son bénéfice est neutralisé par ses modalités d'imputation. 74. Le gouvernement belge relève d'ailleurs, à cet égard, que la circulaire de 2008, qui s'analyse comme un mécanisme établissant une telle corrélation, n'est pas applicable à la situation de M.Imfeld. 75. En tout état de cause, une justification tenant à la nécessité de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres peut être admise dès lors, notamment, que le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d'un Etat membre d'exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir, en ce sens, arrêts du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, Rec.p. I-2647, point 42; du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231/05, Rec. p. I-6373, point 54; SGI, précité, point 60, et Beker, précité, point 57). 76. Or, en l'occurrence, le fait pour le Royaume de Belgique de reconnaître intégralement le bénéfice des déductions de type personnel et familial aux requérants au principal ne compromettrait pas ce droit.Ce faisant, ledit Etat membre ne renoncerait pas à une partie de sa compétence fiscale au profit d'autres Etats membres. Ainsi que le souligne la Commission, en l'occurrence, la perte de l'avantage accordé au couple affecte un conjoint qui reste soumis à l'imposition belge. L'effet restrictif pour le couple réside non pas dans un traitement défavorable du revenu exonéré d'impôt de M. Imfeld, mais dans celui du revenu de son épouse, Mme Garcet, obtenu exclusivement en Belgique et intégralement soumis à l'impôt belge, sans que celle-ci bénéficie des avantages fiscaux en cause. 77. Par ailleurs, le gouvernement estonien estime que la réglementation fiscale belge en cause au principal a pour objectif d'éviter que la situation personnelle et familiale du contribuable ne soit simultanément prise en compte dans deux Etats membres et n'aboutisse, par conséquent, à l'octroi indu d'un double avantage.Il fait valoir, dans cette optique, que la Cour a admis la possibilité pour les Etats membres de faire obstacle à la double déduction des pertes et renvoie, à cet égard, au point 47 de l'arrêt Marks & Spencer, précité. 78. Ainsi que M.l'avocat général l'a relevé au point 82 de ses conclusions, à supposer même que les différents avantages fiscaux respectivement octroyés par les deux Etats membres en cause soient comparables et qu'il puisse être conclu que les requérants au principal ont effectivement bénéficié d'un double avantage, cette circonstance ne serait, en tout état de cause, que le fruit de l'application parallèle des réglementations fiscales belge et allemande, telle que convenue entre ces deux Etats membres dans les termes fixés par la convention de 1967. 79. En revanche, il est loisible aux Etats membres concernés de prendre en considération des avantages fiscaux éventuellement accordés par un autre Etat membre d'imposition, sous la réserve, ainsi qu'il ressort du point 70 du présent arrêt, que, quelle que soit la manière dont ces Etats membres ont réparti entre eux cette obligation, il soit assuré à leurs contribuables que, au total, l'ensemble de leur situation personnelle et familiale sera dûment pris en compte ». B.4.2. Il ressort de cet arrêt de la Cour de justice que l'article 134 du CIR 1992 porte atteinte à la liberté fondamentale que constitue la liberté d'établissement, garantie par l'article 49 du TFUE. B.5. Par son arrêt du 8 mai 2013 (C-197/11 et C-203/11, Libert e.a.), la Cour de justice de l'Union européenne a, en effet, rappelé : « 38. [...] l'article 21 TFUE et, dans leur domaine respectif, les articles 45 TFUE et 49 TFUE, ainsi que les articles 22 et 24 de la directive 2004/38, interdisent les mesures nationales qui empêchent ou dissuadent les ressortissants d'un Etat membre de quitter celui-ci afin d'exercer leur droit à la libre circulation à l'intérieur de l'Union. De telles mesures, même si elles s'appliquent indépendamment de la nationalité des ressortissants concernés, constituent des restrictions aux libertés fondamentales garanties par ces articles (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C-152/05, Rec. I-39, points 21 et 22; du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie, C-253/09, non encore publié au Recueil, points 46, 47 et 86, ainsi que du 21 février 2013, N., C-46/12, non encore publié au Recueil, point 28) ».

B.6. Comme l'a relevé le juge a quo, l'article 49 du TFUE, qui a trait aux activités non salariées, est étranger au litige, les demandeurs ne bénéficiant que de traitements et salaires. Le juge a quo a également relevé qu'il pourrait y avoir violation de l'article 45 du TFUE et de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 « relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté » s'il était établi qu'un travailleur belge est pénalisé en Belgique ou au grand-duché de Luxembourg par le fait qu'il travaille dans ce dernier Etat.

B.7. L'article 45 du TFUE dispose : « 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique : a) de répondre à des emplois effectivement offerts;b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des Etats membres;c) de séjourner dans un des Etats membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux;d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d'un Etat membre, après y avoir occupé un emploi.4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique ». B.8. Pour des motifs identiques à ceux de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 décembre 2013, cités en B.4.1, il doit être conclu que l'article 134 du CIR 1992 porte atteinte à la liberté fondamentale que constitue la libre circulation des travailleurs garantie par l'article 45 du Traité.

B.9. Par conséquent, la disposition en cause n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs la Cour dit pour droit : L'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 24 avril 2014.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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