publié le 26 mars 2014
Extrait de l'arrêt n° 171/2013 du 19 décembre 2013 Numéro du rôle : 5562 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, et des juges A. A(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 171/2013 du 19 décembre 2013 Numéro du rôle : 5562 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, et des juges A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 19 décembre 2012 en cause de Guido Verhaegen contre la « Vlaamse Landmaatschappij » (Société terrienne flamande) et contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 janvier 2013, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, combinés ou non avec l'article 1er du Premier Protocole du 20 mars 1952 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que cette disposition instaure une différence de traitement entre, d'une part, les producteurs qui n'ont pas obtenu que la quantité maximale de nutriments soit recalculée et, d'autre part, les producteurs qui ont effectivement obtenu que cette quantité soit recalculée, alors que cette différence de traitement constitue une atteinte grave au droit de propriété et est dénuée de justification raisonnable ? »;2. « L'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, combinés ou non avec l'article 1er du Premier Protocole du 20 mars 1952 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que cette disposition instaure une différence de traitement entre, d'une part, les producteurs qui, une fois la quantité maximale de nutriments recalculée, n'ont effectué aucune modification au niveau de l'espèce animale 'volaille' et, d'autre part, les producteurs qui, une fois cette quantité recalculée, ont effectivement effectué une modification au niveau de l'espèce animale 'volaille', alors que cette différence de traitement constitue une atteinte grave au droit de propriété et est dénuée de justification raisonnable ? »;3. « L'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, combinés ou non avec l'article 1er du Premier Protocole du 20 mars 1952 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que cette disposition instaure une différence de traitement entre producteurs, à savoir, d'une part, les producteurs-éleveurs de volaille qui ont obtenu une compensation pour restriction des nutriments et, d'autre part, les producteurs-éleveurs de porcs qui ont obtenu une compensation pour restriction des nutriments, en ce que les producteurs-éleveurs de volaille précités ne peuvent obtenir aucune conversion pour une espèce animale autre que l'espèce animale pour laquelle la compensation a été accordée, alors que les producteurs-éleveurs de porcs peuvent utiliser cette compensation pour une espèce animale autre que celle pour laquelle la compensation a été accordée, et en ce que cette différence de traitement constitue une atteinte grave au droit de propriété et est dénuée de justification raisonnable ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 33bis, § 2, 5°, du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais, tel qu'il était applicable pour l'année de production 2004, disposait : « Pour le calcul de la teneur en éléments nutritionnels pour les espèces animales qui ont été déclarées dans la déclaration de 1998, 1997 ou 1996 sous la rubrique 'poules pondeuses', 'poules d'élevage' ou 'autre volaille', cette déclaration peut sur demande et moyennant preuve du producteur être spécifiée selon les espèces animales telles que définies à l'article 5, sous III. Volaille. Pour le calcul ultérieur de la teneur en éléments nutritionnels de ces espèces animales, la norme d'excrétion forfaitaire est d'application, telle qu'indiquée à l'article 5, § 1er.
La partie de la teneur en éléments nutritionnels qui est attribuée aux espèces animales faisant l'objet d'un recalcul, peut uniquement être utilisée pour la production provenant de ces espèces animales ».
Les questions préjudicielles portent sur le second alinéa de cette disposition.
B.2.1. Le décret du 23 janvier 1991 vise à protéger l'environnement contre la pollution due à la production et à l'utilisation d'engrais (article 2). L'imposition de « redevances » est une des mesures qui doivent permettre d'atteindre cet objectif (chapitre VII). Le décret prévoit une « redevance de base », une « redevance d'écoulement » et une « redevance complémentaire ».
La « redevance complémentaire » est perçue, entre autres, à charge de tout producteur qui a produit plus d'effluents d'élevage que la teneur maximale en nutriments autorisée (article 21, § 6, 1°).
La notion de teneur maximale en nutriments a été introduite afin de lutter contre l'augmentation de la production d'effluents d'élevage au niveau des exploitations. Il s'agit de la quantité maximale d'effluents d'élevage, exprimée en kilogrammes d'azote et d'anhydride phosphorique, qu'une exploitation agricole ou un élevage de bétail peut produire (article 33ter, § 1er, 1°, a).
La teneur maximale en nutriments est attribuée individuellement à chaque exploitation agricole, élevage ou partie d'élevage d'animaux qui satisfait à la définition d'« élevage de bétail existant » (au sens de l'article 2, 7°) et qui a fait l'objet d'une déclaration annuelle auprès de la « Mestbank », à intervalles réguliers et dans les délais, au moins depuis l'exercice d'imposition 1995. Elle est fixée sur la base de la quantité d'engrais produite au cours des années 1995, 1996 ou 1997, l'année où la production a été la plus élevée étant prise en considération (article 33bis, § 1er).
B.2.2. L'article 33bis précité a été inséré par l'article 29 du décret du 11 mai 1999 modifiant le décret du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais et modifiant le décret du 28 juin 1985 relatif à l'autorisation écologique.
Dans les travaux préparatoires du décret précité du 11 mai 1999, l'article 29 de ce décret a été commenté comme suit : « Cet article insère les nouveaux articles 33bis et 33ter dans le décret relatif aux engrais. L'article 33bis introduit la nouvelle notion de 'teneur maximale en éléments nutritionnels'. La réglementation la concernant a déjà été détaillée sous le point 7 de l'exposé général » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1317/1, p. 13).
Le point 7 de l'exposé général, intitulé « Standstill », mentionne notamment : « En complément, il est également prévu un standstill au niveau des élevages. Partant du fait que la production d'engrais animal au niveau de l'exploitation est proportionnelle à la moyenne annuelle du nombre effectif d'animaux et non au nombre d'animaux autorisés, la notion nouvelle de 'teneur maximale en éléments nutritionnels' est introduite (nouvel article 33bis). De cette façon, il peut être évité qu'un exploitant augmente l'effectif moyen de son cheptel à concurrence du nombre maximum de bêtes autorisé et un réel standstill est ainsi obtenu.
La 'teneur maximale en éléments nutritionnels' visée correspond à la production la plus élevée au cours des années 1995, 1996 ou 1997 (nouvel article 33bis, § 1er). On prévoit ces trois années en vue d'éliminer d'éventuelles sous-occupations temporaires (par exemple suite à la peste porcine). Cette 'teneur maximale en éléments nutritionnels' est valable jusqu'au 31 décembre 2004 et est liée à l'exploitation agricole et/ou à l'élevage autorisé ou à une partie de celui-ci (nouvel article 33bis, § 5) » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1317/1, p. 7).
B.2.3. L'article 23, 4°, du décret du 28 mars 2003 modifiant le décret du 23 janvier 1991 a remplacé le second alinéa de l'article 33bis, § 2, 5°, du décret du 23 janvier 1991 par la disposition en cause.
Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard : « Le remplacement de la condition mentionnée dans la note de bas de page (5) par des restrictions apportées à l'usage qui peut être fait de la 'teneur maximale en éléments nutritionnels' accordée est également nécessaire pour, d'une part, prévenir les effets non souhaités de cette condition (limitation trop stricte du choix du nombre d'animaux de l'élevage) et pour, d'autre part, respecter l'objectif en vue duquel cette condition a été instaurée.
Il doit être observé à cet égard que cette restriction n'est pas absolue.
En effet, l'arrêté d'exécution (article 6, § 3bis) prévoit que, lors d'une reconversion autorisée à une autre espèce animale, la ' teneur maximale en éléments nutritionnels ' peut effectivement être transposée à cette autre espèce » (Doc. parl., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1559/1, p. 10).
B.2.4. Le décret du 23 janvier 1991 a été en grande partie abrogé par le décret du 22 décembre 2006 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.
L'article 30 du décret du 22 décembre 2006 prévoit le remplacement des 'teneurs maximales en éléments nutritionnels', mentionnées dans les articles 33bis et 33ter du décret du 23 janvier 1991, par des « droits d'émission » de nutriments.
L'article 78 du décret du 22 décembre 2006 a abrogé la disposition en cause à compter du 1er janvier 2005. Cet article dispose : « A l'article 33bis, § 2, (5), deuxième paragraphe [lire : alinéa 2] du même décret, inséré par le décret du 11 mai 1999 et modifié par les décrets du 3 mars 2000, du 8 décembre 2000, du 9 mars 2001, du 28 mars 2003 et du 22 avril 2005, la phrase ' la partie de la teneur en éléments nutritionnels qui est attribuée aux espèces animales faisant l'objet d'un recalcul, peut uniquement être utilisée pour la production provenant de ces espèces animales ' est abrogée à compter du 1er janvier 2005 ».
B.3. Par ses arrêts nos 31/2006, 139/2007, 88/2008 et 99/2008, la Cour a répondu par la négative aux questions préjudicielles qui portaient sur l'éventuelle violation, par les articles 33bis et 33ter, du décret du 23 janvier 1991, des articles 10 et 11 de la Constitution, entre autres dispositions.
B.4. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret du 23 janvier 1991, dans la rédaction applicable au litige a quo, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 1er de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition instaure, entre différentes catégories de producteurs, trois différences de traitement susceptibles de constituer une atteinte grave au droit de propriété.
La première question préjudicielle concerne une différence de traitement entre les aviculteurs selon qu'ils ont obtenu ou non un nouveau calcul de la quantité maximale de nutriments autorisée.
La deuxième question préjudicielle concerne une différence de traitement entre les aviculteurs qui ont procédé ou non, après le nouveau calcul de la quantité maximale de nutriments autorisée, à une modification de la sorte de volaille dont ils font l'élevage.
La troisième question préjudicielle concerne une différence de traitement entre les aviculteurs et les éleveurs de porcs qui ont obtenu, les uns et les autres, une compensation pour restriction des nutriments, cependant que seuls les éleveurs de porcs peuvent utiliser la compensation pour une autre espèce animale que celle pour laquelle la compensation a été accordée.
B.5. Selon le Gouvernement flamand, les différentes catégories de producteurs désignées dans les questions préjudicielles ne seraient pas comparables, de sorte qu'il ne saurait être question d'une quelconque différence de traitement et donc pas davantage d'une atteinte au droit de propriété.
B.6. Il est demandé à la Cour si une disposition ayant force de loi est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec une disposition conventionnelle garantissant un droit fondamental, en l'espèce celui garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Dès lors que les catégories de personnes en cause sont celle dont ce droit fondamental serait violé et celle à laquelle ce droit fondamental est garanti, il s'agit de catégories comparables.
La Cour doit dès lors vérifier si la mesure en cause instaure une différence de traitement et constitue, pour une catégorie de personnes, une atteinte à leur droit de propriété garanti par l'article 1er du Protocole précité.
B.7. Selon l'appelant devant le juge a quo, la mesure en cause interdirait qu'il convertisse son entreprise avicole, dans le respect de la quantité maximale de nutriments octroyée, à l'élevage d'une autre espèce de volaille. Sa liberté d'exploitation et son droit de propriété seraient ainsi considérablement limités, puisque la partie recalculée de la quantité maximale de nutriments autorisée ne pourrait plus être utilisée qu'en vue de l'élevage de l'espèce animale pour laquelle le nouveau calcul a été accordé. La disposition en cause romprait, selon lui, l'équilibre entre les exigences de l'intérêt général et le droit fondamental au respect des biens de l'individu puisque, outre l'imposition d'un quota de nutriments, elle instaurerait, pour certaines entreprises, une interdiction de reconversion qui ne serait aucunement pertinente pour la protection de l'environnement.
B.8. La mesure en cause vise à empêcher que la partie de la quantité maximale de nutriments accordée pour une sous-espèce déterminée de volaille soit utilisée pour une autre sous-espèce.
Le remplacement de la condition initiale par la disposition en cause a été justifié dans les travaux préparatoires cités en B.2.3 par la nécessité, entre autres, de « respecter l'objectif en vue duquel cette condition a été instaurée » (Doc. parl., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1559/1, p.10). L'instauration de cette condition fait partie de la réglementation qui a introduit la quantité maximale de nutriments.
Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.2, le législateur décrétal entendait obtenir, par ce biais, un standstill au niveau des exploitations d'élevage. L'introduction de la quantité maximale de nutriments autorisée permet dès lors d'éviter « qu'un exploitant augmente l'effectif moyen de son cheptel à concurrence du nombre maximum de bêtes autorisé et un réel standstill est ainsi obtenu » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1317/1, p. 7).
B.9.1. Il ressort de la formulation de la disposition en cause que la mesure ne s'applique qu'« aux espèces animales faisant l'objet d'un recalcul ». Tous les aviculteurs peuvent demander ce nouveau calcul.
Ils n'y sont nullement tenus. La mesure ne s'applique à un aviculteur que dans le cas où il choisit de demander ce nouveau calcul et le quota recalculé de nutriments ne peut être utilisé que pour la sorte spécifique de volaille pour laquelle le nouveau calcul a été demandé.
Il s'ensuit que l'application éventuelle de la mesure en cause résulte exclusivement d'un choix propre de l'aviculteur concerné d'obtenir un nouveau calcul de son quota de nutriments.
B.9.2. Il ressort également des travaux préparatoires de la disposition en cause cités en B.2.3 que la restriction instaurée n'est pas absolue, puisque l'article 6, § 3bis, de l'arrêté du Gouvernement flamand du 3 mars 2000 prévoit une disposition selon laquelle « lors d'une reconversion autorisée à une autre espèce animale, la 'teneur maximale en éléments nutritionnels' peut effectivement être transposée à cette autre espèce » (Doc. parl., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1559/1, p. 10).
B.9.3. Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que l'appelant devant le juge a quo allègue, la mesure en cause ne prévoit pas d'interdiction, pour certaines entreprises avicoles, de se reconvertir dans l'élevage d'une autre sous-espèce de volaille.
L'argumentation fondée sur ce motif pour conclure à une atteinte au droit de propriété procède dès lors d'une lecture erronée de la disposition en cause.
B.10. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 33bis, § 2, 5°, alinéa 2, du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais, tel qu'il était applicable pour l'année de production 2004, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 19 décembre 2013.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, M. Bossuyt