publié le 17 mars 2014
Extrait de l'arrêt n° 153/2013 du 13 novembre 2013 Numéro du rôle : 5548 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 66 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège. La Cour co composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Sn(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 153/2013 du 13 novembre 2013 Numéro du rôle : 5548 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 66 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, E. Derycke et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 17 décembre 2012 en cause de la SA « Entreprises Vincent t'Serstevens » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 janvier 2013, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 66 du C.I.R./92 prévoyant une limitation générale de déduction des frais de véhicules à 75 % et interprété comme excluant de la limitation à la déduction les garagistes qui sont propriétaires des véhicules de remplacement qu'ils donnent exclusivement en location par application du § 2, 3°, de cette disposition mais soumettant à la limitation de la déduction, en application du § 3 de cette disposition, les garagistes qui ne sont pas propriétaires de ces véhicules de remplacement viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution au préjudice de la seconde catégorie de contribuables ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 66 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992). Tel qu'il est applicable à l'exercice d'imposition 2008, cet article dispose : « § 1er. A l'exception des frais de carburant, les frais professionnels afférents à l'utilisation des véhicules visés à l'article 65 et les moins-values sur ces véhicules ne sont déductibles qu'à concurrence de 75 % . § 2. Le § 1er ne s'applique pas : 1° aux véhicules qui sont affectés exclusivement à un service de taxis ou à la location avec chauffeur et sont exemptés à ce titre de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles;2° aux véhicules qui sont affectés exclusivement à l'enseignement pratique dans des écoles de conduite agréées et qui sont spécialement équipés à cet effet;3° aux véhicules qui sont donnés exclusivement en location à des tiers. § 3. Les frais visés au § 1er comprennent les frais afférents aux véhicules visés au § 2, 1° et 3°, qui appartiennent à des tiers, ainsi que le montant des frais visés au présent article qui sont remboursés à des tiers. [...] ».
Le même article, tel qu'il est applicable à l'exercice d'imposition 2009, est rédigé comme suit en son paragraphe 1er : « A l'exception des frais de carburant, les frais professionnels afférents à l'utilisation des véhicules visés à l'article 65 ne sont déductibles qu'à concurrence de 75 %.
Les frais professionnels visés à l'alinéa 1er comprennent également les moins-values sur ces véhicules ».
Les autres paragraphes de la disposition en cause sont identiques à ceux applicables à l'exercice d'imposition 2008.
B.2.1. La disposition en cause trouve son origine dans l'article 22 de la loi du 7 décembre 1988 « portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre ». Cette loi avait notamment pour objectif d'« alléger la charge fiscale sur les revenus du travail ». La « moins-value fiscale » découlant de cette réforme a été compensée par d'autres mesures fiscales, parmi lesquelles « la suppression ou la réduction de déductions fiscales et ceci aussi bien dans le chef des personnes physiques que dans le chef des entreprises » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 440-1, pp. 1-3). La limitation des frais de voiture déductibles autres que ceux afférents au carburant fait partie des mesures adoptées en vue de compenser fiscalement l'effet des mesures tendant à diminuer l'impôt sur les revenus du travail.
B.2.2. Cette mesure a été expliquée comme suit dans les travaux préparatoires : « En vertu de l'article 22 du projet, seuls 75 p.c. de la quotité professionnelle des frais afférents à une voiture (y compris les loyers et les frais relatifs à des véhicules appartenant à des tiers) seront désormais admis comme charges professionnelles, à l'exclusion toutefois des frais de carburant dont la quotité professionnelle restera admise dans sa totalité.
Les véhicules affectés à un service de taxis ou à la location avec chauffeur continueront à être exclus de l'application de la mesure.
Ne seront dorénavant pas visés non plus : - les véhicules des auto-écoles agréées; - les véhicules donnés en location puisque c'est désormais le locataire et non plus le loueur qui supportera la restriction » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n° 440-2, p. 107).
B.2.3. Par ailleurs, il ressort également des mêmes travaux préparatoires que le législateur a eu l'intention de « limiter la déductibilité des dépenses professionnelles dans trois domaines qui font plus souvent l'objet de gonflements plus ou moins importants » ou dans lesquels « les mesures prises jusqu'ici pouvaient facilement être contournées », parmi lesquels les dépenses et charges professionnelles afférentes à l'utilisation des voitures, voitures mixtes et minibus (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 597/7, pp. 7 et 13).
B.3.1. La question préjudicielle invite la Cour à comparer, au regard des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, la situation des garagistes qui mettent à la disposition de leurs clients des véhicules de remplacement pendant la durée de l'entretien ou de la réparation de leur véhicule, selon qu'ils sont ou ne sont pas propriétaires de ces véhicules de remplacement. Selon le juge a quo, le garagiste qui est propriétaire des véhicules de remplacement mis à la disposition de sa clientèle peut déduire la totalité des frais afférents à l'utilisation de ces véhicules. En revanche, le garagiste qui prend les véhicules de remplacement mis à la disposition de sa clientèle en location auprès d'une société tierce ne peut déduire ces frais qu'à concurrence de 75 %, en application de la disposition en cause.
B.3.2. En réponse à deux questions parlementaires au sujet des voitures de remplacement mises à la disposition de leur clientèle par des garagistes, le ministre a répondu que ces véhicules ne figurent pas « à l'article 22, § 2 de la loi du 7 décembre 1988 portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre [article 66, § 2, du Code des impôts sur les revenus 1992], qui énumère les cas où la limitation à 75 % des frais de voiture ne s'applique pas » et qu'une « dérogation administrative ne semble pas non plus indiquée, en raison déjà de l'impossibilité pratique d'établir la distinction entre les voitures dont il s'agit et celles que les garagistes affectent à d'autres fins » (Question parlementaire n° 680 du 3 janvier 1991, Bull.questions et réponses n° 145 du 19 février 1991, Chambre, 1990-1991, p. 12319; Question parlementaire n° 39 du 9 janvier 1996, Bull. questions et réponses, Sénat, 1995-1996, n° 1-12). B.3.3. Toutefois, des décisions judiciaires admettent que les frais occasionnés par l'utilisation de véhicules de remplacement ne sont pas affectés par la limitation à 75 % dans le chef du garagiste qui les met à la disposition de sa clientèle, car ils rentrent dans la catégorie des frais de voitures affectées exclusivement à la location à des tiers (Liège, 12 mars 1999, R 1995/FI/276; Civ. Liège, 21 juin 2007, RG 02/4672/A; Civ. Bruxelles, 30 janvier 2008, RG 2003/2514/A).
Le juge a quo fait sienne cette jurisprudence et considère également que les véhicules qu'un garagiste met à la disposition de sa clientèle ne sont pas affectés dans son chef par la limitation à 75 %. C'est dans cette interprétation de l'article 66 du CIR 1992 que la Cour examine la différence de traitement.
B.4.1. En réponse à une question parlementaire relative à l'application de la limitation à 75 % de la déductibilité dans le chef de l'entreprise qui loue exclusivement à des tiers des voitures qu'elle prend elle-même en location, le ministre a répondu : « La limitation [à 75 %] ne s'applique pas aux frais de location payés par l'entreprise elle-même si les véhicules ne sont utilisés que pour la location à des tiers. La limitation est appliquée au locataire de la voiture. Il n'y a pas de limitation pour les entreprises qui louent uniquement à des tiers » (Question parlementaire n° 992, Chambre, CRABV 51 COM 112, pp. 3-4).
Cette interprétation est reprise dans le commentaire administratif du CIR 1992, n° 66/27, qui cite deux autres réponses en ce sens à des questions parlementaires posées en 1991.
B.4.2. Par un arrêt du 15 mars 2012 (F.11.0059.N), la Cour de cassation a toutefois cassé un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 6 mai 2010 qui avait admis la déduction intégrale, dans le chef d'une société exploitant un garage, des frais relatifs à des véhicules appartenant à une société soeur du contribuable, loués à des tiers, pour violation de l'article 66, § 3, du CIR 1992.
B.5.1. La différence de traitement repose sur le critère du droit de propriété dont est titulaire ou non le garagiste sur les véhicules de remplacement qu'il met exclusivement à la disposition de sa clientèle.
Ce critère est objectif. En revanche, dès lors que le garagiste supporte, dans les deux cas, des frais occasionnés par ces véhicules, que ceux-ci sont affectés exclusivement à la location à ses clients et que la limitation de la déductibilité s'applique, le cas échéant, à ces clients de la même manière, que les véhicules soient la propriété du garagiste ou qu'ils soient pris en location par celui-ci, le critère de distinction n'est pas pertinent au regard de l'objectif de la disposition en cause.
B.5.2. Pour le surplus, les raisons invoquées par le Conseil des ministres tenant à l'impossibilité ou à la difficulté, pour l'administration fiscale, de vérifier que le véhicule est exclusivement utilisé pour la location en tant que voiture de remplacement ne sont pas susceptibles de justifier la différence de traitement dès lors que ces difficultés de vérification se posent de la même manière, que le garagiste soit propriétaire ou locataire du véhicule.
B.6. La question préjudicielle appelle une réponse positive.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 66, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, interprété en ce sens que la limitation de la déduction des frais de véhicule prévue par le paragraphe 1er de cet article est applicable aux garagistes pour les frais afférents aux voitures de remplacement qu'ils donnent exclusivement en location à leurs clients lorsqu'ils ne sont pas propriétaires de ces voitures de remplacement, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 13 novembre 2013.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels