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Arrêt
publié le 20 mars 2013

Extrait de l'arrêt n° 4/2013 du 17 janvier 2013 Numéro du rôle : 5366 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 76, § 1 er , alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le juge des saisies de Ma La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)

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Extrait de l'arrêt n° 4/2013 du 17 janvier 2013 Numéro du rôle : 5366 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 76, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le juge des saisies de Malines.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 2 mars 2012 en cause de la SA « Petrowolf » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 mars 2012, le juge des saisies de Malines a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 76, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA, compris en ce sens que, par le truchement de l'article 8.1, § 3, de l'arrêté royal du 29 décembre 1969 relatif aux restitutions en matière de taxe sur la valeur ajoutée tel que modifié par l'arrêté royal du 29 décembre 1992 et spécialement par ses alinéas 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11, il permet au Roi de prescrire une retenue des crédits de TVA revenant aux assujettis visés par ces dispositions, cette retenue valant saisie-arrêt conservatoire jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé, soit au plan administratif, soit par un jugement ou un arrêt coulé en force de chose jugée, est-il compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, 1) en ce qu'il permet à l'administration de déroger de manière substantielle, en matière de TVA, au droit commun des saisies conservatoires, plus particulièrement aux articles 1425 et 1492 du Code judiciaire, puisque la saisie est maintenue jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé sur le fond;2) en ce qu'il établit une différence de traitement entre les différents créanciers de l'Etat belge au détriment des créanciers titulaires d'un crédit d'impôt en matière de TVA;3) en ce qu'il établit une différence de traitement entre les différentes catégories de personnes titulaires d'une créance fiscale à l'égard de l'Etat belge, celles titulaires d'un crédit d'impôt en matière de TVA pouvant faire l'objet d'une retenue valant saisie-arrêt conservatoire dans les conditions prérappelées;4) en ce qu'il établit une différence de traitement entre différentes catégories de personnes soumises à des impôts indirects et titulaires d'une créance fiscale à l'égard de l'Etat belge au détriment de celles titulaires d'un crédit d'impôt en matière de TVA pouvant faire l'objet d'une retenue valant saisie-arrêt conservatoire dans les conditions prérappelées ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Il est demandé à la Cour si l'article 76, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA) est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle il permet au Roi de prévoir, au profit de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines, une retenue de crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire jusqu'au moment où le litige est définitivement terminé, soit par une décision administrative, soit par un jugement ou un arrêt coulé en force de chose jugée. Une violation éventuelle découlerait du fait que cette disposition permet dans cette interprétation de déroger au droit commun des saisies.

Il en résulterait une différence de traitement entre, d'une part, les créanciers d'un crédit d'impôt en matière de TVA et, d'autre part, les autres catégories de créanciers de l'Etat belge, dont les personnes disposant d'une créance fiscale à l'égard de l'Etat belge et les personnes soumises à d'autres impôts indirects.

B.2.1. L'article 76, § 1er, du Code de la TVA, dans la version remplacée par l'article 86 de la loi du 28 décembre 1992, dispose : « Lorsque le montant des déductions prévues par les articles 45 à 48 excède à la fin de l'année civile le montant des taxes dues par l'assujetti qui est établi en Belgique, qui a en Belgique un établissement stable ou qui, en vertu de l'article 55, a fait agréer en Belgique un représentant responsable, l'excédent est restitué, aux conditions fixées par le Roi, dans les trois mois sur demande expresse de l'assujetti.

Le Roi peut prévoir la restitution de l'excédent avant la fin de l'année civile dans les cas qu'Il détermine et aux conditions qu'Il fixe.

En ce qui concerne les conditions visées aux alinéas 1er et 2, le Roi peut prévoir, au profit de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines, une retenue valant saisie-arrêt conservatoire au sens de l'article 1445 du Code judiciaire ».

B.2.2. L'article 1445 du Code judiciaire, auquel la disposition en cause se réfère, dispose : « Tout créancier peut, en vertu de titres authentiques ou privés, saisir-arrêter par huissier de justice, à titre conservatoire, entre les mains d'un tiers, les sommes et effets que celui-ci doit à son débiteur.

En cas d'inaction de son débiteur, le créancier peut, par application de l'article 1166 du Code civil, former la même procédure.

L'acte de saisie contient le texte des articles 1451 à 1456 et l'avertissement au tiers saisi qu'il devra se conformer à ces dispositions ».

B.3.1. Dans sa question préjudicielle, le juge a quo se réfère à l'article 8.1, § 3, de l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969 relatif aux restitutions en matière de taxe sur la valeur ajoutée, dans la version remplacée par l'arrêté royal du 29 décembre 1992, qui a été pris en exécution de l'article 76, § 1er, du Code de la TVA. Bien que le juge a quo se réfère en particulier aux « alinéas 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 » de cette disposition, il ressort de la motivation de la décision de renvoi et de la portée de la question posée que c'est principalement l'alinéa 4 de cette disposition qui est visé. Du reste, il apparaît des mémoires des parties devant la Cour qu'elles ont également compris cette question dans ce sens.

L'article 8.1, § 3, alinéa 4, de cet arrêté royal dispose : « Si la dette d'impôt visée à l'alinéa 1er, qui constitue créance de l'administration n'est pas, complètement ou partiellement certaine, liquide et exigible, ce qui est notamment le cas lorsqu'elle est contestée ou lorsqu'elle a donné lieu à une contrainte visée à l'article 85 du Code dont l'exécution est interrompue par l'opposition prévue à l'article 89 du Code, le crédit d'impôt est retenu à concurrence de la créance de l'administration. Cette retenue vaut saisie-arrêt conservatoire jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé, soit au plan administratif, soit par un jugement ou un arrêt coulé en force de chose jugée. Pour la mise en oeuvre de cette retenue, la condition exigée par l'article 1413 du Code judiciaire est censée être remplie ».

B.3.2. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d'une différence de traitement au regard des articles 10 et 11 de la Constitution que si cette différence est imputable à une norme législative. A cet égard, il y a lieu de relever que lorsqu'un législateur délègue, il faut supposer, sauf indication contraire, qu'il n'entend habiliter le délégué qu'à faire de son pouvoir un usage conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La Cour analyse la mesure exprimée dans l'article 8.1, § 3, alinéa 4, de l'arrêté royal précité, non afin de se prononcer sur la constitutionnalité d'un arrêté royal, ce qui n'est pas de sa compétence, mais seulement en se plaçant, conformément aux termes de la question préjudicielle, dans l'hypothèse où l'article 76, § 1er, du Code de la TVA doit s'interpréter comme autorisant le Roi à prendre cette mesure.

B.4. La disposition en cause, telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, crée une différence de traitement entre, d'une part, les créanciers d'un crédit d'impôt en matière de TVA et, d'autre part, les autres catégories de créanciers, puisque le crédit d'impôt des premiers cités peut être retenu selon une procédure qui déroge aux articles 1413 et suivants du Code judiciaire.

La question du juge a quo a trait plus particulièrement à la différence de traitement que la disposition en cause crée sur le plan de la durée de la saisie conservatoire. Alors que, conformément à l'article 8.1, § 3, alinéa 4, de l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969, qui a été pris en exécution de la disposition en cause, la retenue des crédits de TVA « vaut saisie-arrêt conservatoire jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé, soit au plan administratif, soit par un jugement ou un arrêt coulé en force de chose jugée », les articles 1425 et 1492 du Code judiciaire disposent : «

Art. 1425.Sauf le cas de suspension prévu à l'article 1493, la saisie conservatoire est valable pendant trois années prenant cours à la date de l'ordonnance, ou s'il n'y a pas d'ordonnance, à la date de l'exploit.

Il est toutefois permis au juge qui autorise la saisie, de réduire la durée de ce délai.

A l'expiration du délai de trois ans ou du délai réduit par application de l'alinéa précédent, la saisie cesse de plein droit de produire ses effets à moins qu'elle n'ait été renouvelée ». «

Art. 1492.Le jugement sur le fond du litige qui rejette la demande prononce mainlevée de la saisie ».

B.5.1. La partie demanderesse devant le juge a quo soutient que les retenues de crédits de TVA n'ont d'effet, conformément à l'article 105 de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilité de l'Etat, que pendant cinq ans à compter de la date de leur signification et qu'un délai de trois ans - au lieu de cinq ans - s'applique depuis l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2011, de la loi du 22 mai 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2003 pub. 03/07/2003 numac 2003003367 source service public federal budget et controle de la gestion et service public federal finances Loi portant organisation du budget et de la comptabilité de l'Etat fédéral fermer portant organisation du budget et de la comptabilité de l'Etat fédéral, puisque le droit commun est devenu applicable (article 113 de cette loi).

B.5.2. Il appartient au juge a quo de déterminer les dispositions qui sont applicables au litige dont il est saisi, ainsi que d'interpréter ces dispositions. Puisqu'il n'est pas fait mention dans la question préjudicielle des dispositions précitées de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 et de la loi du 22 mai 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/05/2003 pub. 03/07/2003 numac 2003003367 source service public federal budget et controle de la gestion et service public federal finances Loi portant organisation du budget et de la comptabilité de l'Etat fédéral fermer - dispositions qui ont pourtant été invoquées devant le juge a quo -, la Cour répond à cette question sans en tenir compte. En effet, il n'appartient pas aux parties devant la Cour, ni à la Cour elle-même, de modifier la question posée par le juge a quo quant au contenu.

B.6. Dès lors que le produit de l'impôt ne peut être affecté qu'à la satisfaction de l'intérêt général et à la mise en oeuvre, par les pouvoirs publics, de leurs engagements vis-à-vis de la collectivité, il doit être admis que les mesures conservatoires des intérêts de l'Etat puissent déroger à certaines règles du droit commun. Le législateur fiscal peut donc déroger à des dispositions du Code judiciaire sans pour autant méconnaître nécessairement le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.7. La Cour doit cependant vérifier si, compte tenu de ses effets, la mesure en cause n'est pas disproportionnée à l'objectif poursuivi.

B.8. Il résulte des travaux préparatoires de l'article 76, § 1er, du Code de la TVA que le législateur s'est soucié de protéger les intérêts du Trésor et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale « sans toutefois léser les droits de l'assujetti ». Il fut ajouté : « A cette fin, le Gouvernement est d'avis que la meilleure solution est d'accorder à cette retenue la valeur d'une saisie conservatoire à exercer dans les limites et dans les conditions à déterminer par le Roi. Pour ce qui ne serait pas déterminé de façon spécifique par le Roi, il y aurait alors application du Code judiciaire ou des autres dispositions légales applicables vis-à-vis de l'Etat » (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 684/2, p. 10; Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 684/4, p.54).

B.9. S'il est légitime que le législateur cherche à prévenir la fraude fiscale et à protéger les intérêts du Trésor, par souci de justice et pour remplir au mieux les tâches d'intérêt général dont il a la charge, il convient toutefois que les mesures prises n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin. Le contrôle de la Cour est plus strict si des principes fondamentaux sont en cause.

B.10.1. Par son arrêt n° 78/98 du 7 juillet 1998, la Cour a répondu à une question préjudicielle relative à la compatibilité de l'article 76, § 1er, du Code de la TVA avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il permettrait au Roi de limiter le pouvoir d'appréciation du juge des saisies à l'égard des retenues de crédits de TVA. La Cour a répondu de la manière suivante : « B.10. Selon le juge qui pose la question préjudicielle, l'article 76, § 1er, ne permettrait qu'un contrôle formel du juge des saisies.

La Cour doit donc vérifier si les dérogations au droit commun des saisies n'ont pas pour effet de priver les contribuables concernés de la garantie essentielle que constitue le contrôle juridictionnel effectif portant sur la régularité et la validité de la retenue d'une dette d'impôt dans une procédure de saisie.

A cet égard, il faut relever que, en vertu de l'alinéa 10 de l'article 8.1, § 3, de l'arrêté royal du 29 décembre 1969 précité, ' l'assujetti peut uniquement faire opposition à la retenue visée aux alinéas 4 et 5 en faisant application de l'article 1420 du Code judiciaire.

Néanmoins, le juge des saisies ne peut pas ordonner la mainlevée de la saisie aussi longtemps que la preuve administrée par les procès-verbaux visés à l'alinéa 6 n'est pas réfutée, aussi longtemps que les données issues de l'échange de renseignements entre les Etats membres de la Communauté ne sont pas obtenues ou pendant le temps d'une information du parquet ou d'une instruction du juge d'instruction'.

Il en résulte que le juge des saisies ne peut se prononcer que sur la régularité formelle de la procédure de retenue et non sur les conditions de fond de celle-ci. Dès lors que le pouvoir d'appréciation du juge des saisies quant au caractère certain, liquide et exigible de la créance de l'administration fiscale est exclu et qu'en outre, selon l'alinéa 4 de l'article 8.1, § 3, de l'arrêté, les effets de la retenue persistent tant que n'intervient pas un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée, les personnes visées par la mesure sont atteintes de manière disproportionnée dans leur droit à un contrôle juridictionnel effectif.

L'article 76, § 1er, du Code de la TVA, modifié par la loi du 28 décembre 1992, interprété comme autorisant le Roi à prescrire une retenue des crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire, la condition requise par l'article 1413 du Code judiciaire étant censée remplie même quand la dette d'impôt ne constitue pas une créance conforme à l'article 1415 de ce Code, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il aboutit à priver les personnes faisant l'objet d'une retenue de tout contrôle juridictionnel effectif sur la régularité et la validité de la retenue.

B.11. La Cour constate cependant que l'article 76, § 1er, lui-même, en son alinéa 3, se borne à permettre au Roi de prévoir ' au profit de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines, une retenue valant saisie-arrêt conservatoire au sens de l'article 1445 du Code judiciaire '.

Ce texte peut aussi être interprété comme n'autorisant pas le Roi à déroger à ce point au droit commun en matière de saisie-arrêt conservatoire qu'Il puisse priver les personnes qui font l'objet d'une retenue de tout contrôle juridictionnel effectif quant à la régularité et à la validité de cette retenue. Dans cette interprétation, l'article 76, § 1er, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution ».

B.10.2. Par ses arrêts nos 119/98 et 58/99, la Cour a répondu de manière analogue à des questions préjudicielles similaires.

B.10.3. En ce qui concerne la réglementation contenue dans l'article 8.1, § 3, de l'arrêté royal n° 4 du 29 décembre 1969, la Cour de cassation a en outre jugé que « conformément à l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux ne peuvent appliquer les dispositions [de ce règlement] qui font obstacle à un contrôle juridictionnel effectif » (Cass., 3 janvier 2003, Pas., 2003, n° 4; 6 novembre 2003, Pas., 2003, n° 559).

B.11. En ce qui concerne la compétence du juge des saisies pour soumettre les retenues de crédits de TVA à un contrôle juridictionnel effectif, il n'y a pas lieu, en l'espèce, de juger autrement que dans les arrêts précités nos 78/98, 119/98 et 58/99.

B.12. Une interprétation conforme à la Constitution de la disposition en cause implique donc que l'assujetti dispose d'un contrôle juridictionnel effectif sur une retenue de ses crédits d'impôt, contrôle qui peut aboutir le cas échéant à la mainlevée totale ou partielle de la retenue.

B.13.1. Puisque l'assujetti a, dans cette interprétation, la possibilité de faire contrôler la retenue de crédits de TVA par le juge des saisies qui dispose d'un contrôle juridictionnel effectif pouvant aboutir à la mainlevée de cette retenue - possibilité qui n'existe pas seulement après la signification de l'acte de retenue mais également à chaque fois que les circonstances ont changé -, il n'est pas manifestement déraisonnable, au regard des objectifs du législateur mentionnés en B.8, que la retenue vaille en principe saisie-arrêt conservatoire jusqu'à ce que le litige soit terminé soit par une décision administrative, soit par une décision juridictionnelle sur le fond de l'affaire.

B.13.2. Contrairement à ce que soutient la partie demanderesse devant le juge a quo, la circonstance que l'assujetti doive prouver qu'il existe des motifs fondés pour ordonner la mainlevée des crédits de TVA ne peut pas être considérée comme disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par le législateur.

B.14.1. Dans l'interprétation selon laquelle elle autorise le Roi à prévoir qu'une retenue de crédits d'impôt est applicable jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé par un jugement ou un arrêt « coulé en force de chose jugée », la disposition en cause implique toutefois également que le juge qui doit se prononcer sur le fond de l'affaire - plus précisément sur la créance contestée de l'administration à l'égard de l'assujetti - n'a pas la possibilité, lorsqu'il considère que cette créance est non fondée, d'ordonner avant que sa décision ne soit revêtue de la force de chose jugée la mainlevée de la retenue des crédits de TVA qui a été opérée au titre de cette créance. Dans la mesure où l'administration exerce des voies de recours contre la décision favorable à l'assujetti sur le fond de l'affaire, le litige n'est pas définitivement terminé et la décision du juge n'est pas revêtue de la force de chose jugée, de sorte que la retenue des crédits d'impôt continue en principe à valoir saisie-arrêt conservatoire et ce, à la différence de ce qui est applicable en droit commun (article 1492 du Code judiciaire).

B.14.2. Dans la mesure où la disposition en cause, dans cette interprétation, ne permet pas au juge du fond, lorsque celui-ci considère que la créance de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines est non fondée, d'ordonner la mainlevée des crédits de TVA avant que sa décision sur le fond soit revêtue de la force de chose jugée, cette disposition a des effets qui sont disproportionnés au regard des objectifs poursuivis par le législateur (voy. aussi CJCE, 18 décembre 1997, affaires jointes C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Molenheide e.a., point 57).

Dans cette interprétation et dans cette mesure, la question préjudicielle appelle également une réponse affirmative.

B.15. Toutefois, l'article 76, § 1er, alinéa 3, du Code de la TVA peut également être interprété en ce sens qu'il ne permet pas au Roi de déroger au droit commun en matière de saisie-arrêt conservatoire à un point tel qu'Il puisse priver le juge de l'affaire au fond de la possibilité, lorsque celui-ci considère que la créance de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines est non fondée, d'ordonner la mainlevée de la retenue des crédits de TVA avant que sa décision soit revêtue de la force de chose jugée. Dans cette interprétation, la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété en ce sens qu'il autorise le Roi à prévoir, au profit de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines, une retenue de crédits d'impôt valant saisie-arrêt conservatoire jusqu'à ce que le litige soit définitivement terminé soit par une décision administrative, soit par un jugement ou un arrêt coulé en force de chose jugée, la condition requise par l'article 1413 du Code judiciaire étant censée remplie même quand la dette fiscale n'a pas les caractères requis par l'article 1415 de ce Code, l'article 76, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il a été remplacé par la loi du 28 décembre 1992, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il aboutit à priver les personnes faisant l'objet d'une retenue de tout contrôle juridictionnel effectif sur la régularité et la validité de cette retenue et en ce qu'il ne permet pas au juge du fond, lorsque celui-ci considère que la créance de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines est non fondée, d'ordonner la mainlevée de la retenue des crédits de TVA avant que sa décision soit revêtue de la force de chose jugée. - Interprété comme n'autorisant pas le Roi à priver les personnes qui font l'objet d'une retenue de crédit d'impôt, valant saisie-arrêt conservatoire, de tout contrôle juridictionnel effectif quant à la régularité et à la validité de cette retenue, et comme n'autorisant pas le Roi à empêcher le juge du fond, lorsque celui-ci considère que la créance de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines est non fondée, d'ordonner la mainlevée de la retenue des crédits de TVA avant que sa décision soit revêtue de la force de chose jugée, l'article 76, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il a été remplacé par la loi du 28 décembre 1992, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 17 janvier 2013.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, M. Bossuyt

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