publié le 18 janvier 2013
Extrait de l'arrêt n° 129/2012 du 25 octobre 2012 Numéro du rôle : 5456 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2.4.6, § 1 er , du Code flamand de l'aménagement du territoire, coordonné par arrêté du Gouverneme La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 129/2012 du 25 octobre 2012 Numéro du rôle : 5456 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2.4.6, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, coordonné par arrêté du Gouvernement flamand du 15 mai 2009, posée par le Juge de paix du canton de Beringen.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 9 juillet 2012 en cause de la SA « De Scheepvaart » contre Louis Carremans, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 juillet 2012, le Juge de paix du canton de Beringen a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2.4.6, § 1er, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, coordonné par l'arrêté du Gouvernement flamand du 15 mai 2009, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce sens que le justiciable qui est exproprié en vue de la réalisation d'un plan d'exécution spatial portant modification de destination et qui, en vertu de l'article 2.4.6, § 1er, alinéa 1er, précité, ne peut prétendre à l'application des règles en matière de bénéfices résultant de la planification spatiale conformément à l'article 2.6.4 du Code flamand de l'aménagement du territoire (en l'espèce, plus précisément l'article 2.6.4, 7°, de ce Code), avec pour effet qu'il ne peut bénéficier de la plus-value générée, est discriminé par rapport à un justiciable qui, en vue de la réalisation d'un plan d'exécution spatial portant modification de destination, n'est pas exproprié et peut par conséquent prétendre à la plus-value en application des règles en matière de bénéfice résultant de la planification spatiale conformément à l'article 2.6.4 dudit Code ? ».
Le 19 juillet 2012, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs E. De Groot et P. Nihoul ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 2.4.6, § 1er, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, coordonné par l'arrêté du Gouvernement flamand du 15 mai 2009, dispose : « Lors de la détermination de la valeur de la parcelle expropriée, la plus-value ou la moins-value résultant des prescriptions d'un plan d'exécution spatial n'est pas prise en compte, pour autant que l'expropriation soit requise en vue de la réalisation de ce plan d'exécution spatial ».
L'article 2.6.4, 7°, du Code flamand de l'aménagement du territoire dispose : « Une taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est due lorsque l'entrée en vigueur d'un plan d'exécution spatial ou d'un plan particulier d'aménagement entraîne pour une parcelle, une ou plusieurs des modifications de destination suivantes : [...] 7° la modification de destination d'une zone qui relève de la catégorie d'affectation de zone ' agriculture ';en une zone relevant de la catégorie d'affectation de zone ' activité économique '; [...] ».
B.2. Il est demandé à la Cour si l'article 2.4.6, § 1er, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les personnes dont les biens sont expropriés en vue de réaliser un plan d'exécution spatial qui modifie l'affectation de ces biens ne peuvent prétendre au régime relatif aux bénéfices résultant de la planification spatiale visé à l'article 2.6.4, 7°, du Code flamand de l'aménagement du territoire et ne peuvent bénéficier de la plus-value générée par la modification de l'affectation, alors que les personnes qui ne doivent pas être expropriées en vue de réaliser ce plan entrent dans le champ d'application du régime précité afférent aux bénéfices résultant de la planification spatiale et peuvent assurément bénéficier de la plus-value réalisée.
B.3. Il ressort des faits de la cause pendante devant le juge a quo et des motifs de la décision de renvoi que ce juge doit se prononcer sur l'indemnité d'expropriation provisoire concernant une expropriation de parcelles qui avaient précédemment reçu la destination de terrain agricole mais qui, à la suite d'un arrêté du Gouvernement flamand du 26 mars 2010, ont reçu la destination de zone industrielle. Le juge a quo déduit de l'article 2.6.4, 7°, du Code flamand de l'aménagement du territoire que, par un tel changement de destination, les parcelles concernées acquièrent en principe une plus-value au titre de laquelle le propriétaire est redevable d'une « taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale ». Il déduit de l'article 2.4.6, § 1er, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire qu'en cas d'expropriation, la modification de l'affectation ne peut en revanche générer une plus-value pour l'exproprié.
B.4.1. L'expropriation offre aux pouvoirs publics la possibilité d'obtenir, pour des motifs d'utilité publique, la disposition de biens, en particulier immobiliers, qui ne peuvent être acquis par les voies normales du transfert de propriété. L'article 16 de la Constitution dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité.
B.4.2. La notion d'« utilité publique » fait l'objet, dans diverses dispositions ayant force de loi, d'une interprétation large.
Ainsi, l'article 2.4.3 du Code flamand de l'aménagement du territoire autorise les pouvoirs publics à recourir à l'expropriation pour la réalisation des plans d'exécution spatiaux : « § 1er. Toute acquisition de biens immeubles, requise pour la réalisation des plans d'exécution spatiaux, peut être réalisée par la voie de l'expropriation pour cause d'utilité publique. § 2. Sans préjudice des dispositions qui confèrent la compétence d'expropriation à d'autres autorités, les instances suivantes peuvent agir comme pouvoir expropriant en vue de la réalisation de plans d'exécution spatiaux : la région, les provinces, les communes, les associations de communes, les institutions publiques, ainsi que les organes habilités par le Gouvernement flamand à exproprier pour cause d'utilité publique.
Lorsque l'expropriation envisagée a pour objet l'aménagement d'une partie du territoire destinée au lotissement en vue de la construction d'immeubles à usage d'habitation ou à des fins commerciales, le propriétaire ou les propriétaires possédant en superficie plus de la moitié des terrains compris dans ce territoire, sont en droit de demander à être chargés, dans les délais et conditions fixés par le pouvoir expropriant et pour autant qu'ils puissent démontrer qu'ils disposent des ressources nécessaires, de l'exécution des travaux que postule cet aménagement, ainsi que des opérations de relotissement et de remembrement.
La demande doit, à peine de forclusion, être introduite dans les trois mois suivant la date de publication au Moniteur belge de la décision portant approbation du plan d'expropriation.
Lorsque l'expropriation a pour but d'organiser l'aménagement d'une partie du territoire désignée à cet effet par un plan d'exécution spatial communal, le propriétaire ou les propriétaires peuvent, dans les conditions fixées au deuxième et au troisième alinéa, demander à être chargés de l'exécution des travaux d'aménagement.
Dans les cas prévus au deuxième et au quatrième alinéa, le pouvoir expropriant expropriera, à la demande des personnes chargées de l'aménagement de la zone, les immeubles nécessaires à cette fin, lorsque leur acquisition à l'amiable se sera révélée impossible ».
La notion d'« utilité publique » est ici interprétée plus largement que dans le cas d'une expropriation ayant un autre but : l'expropriation en vue de la réalisation d'un plan d'exécution spatial est réputée d'utilité publique en vertu du décret même.
Le caractère particulier de telles expropriations est encore souligné par le fait que le pouvoir expropriant, comme il ressort de l'article 2.4.3, § 2, précité, du Code flamand de l'aménagement du territoire, peut, dans certains cas, à la demande des personnes chargées de l'aménagement d'une zone, exproprier les immeubles nécessaires à cette fin lorsque leur acquisition à l'amiable se sera révélée impossible.
Les délais dans lesquels il peut être procédé à l'expropriation en vue de la réalisation des plans d'exécution spatiaux sont en outre limités par les articles 2.4.4 et 2.4.8 du Code flamand de l'aménagement du territoire.
B.5. La disposition en cause a pour conséquence que les propriétaires d'une parcelle expropriée en vue de la réalisation d'un plan d'exécution spatial obtiennent une indemnité d'expropriation fondée sur la valeur du bien avant la fixation ou la modification de sa destination par ce plan.
B.6. La disposition en cause trouve son origine dans l'article 31 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme.
Au cours des travaux préparatoires de cette disposition, il a été souligné que le principe « suivant lequel l'indemnité doit être calculée suivant l'état du bien et de ses alentours au moment de l'arrêté d'expropriation, et suivant sa valeur compte tenu du marché immobilier au moment de l'accord amiable ou du jugement, est basée sur l'équité. C'est ainsi qu'il ne peut être tenu compte des fluctuations de prix qui seraient la conséquence d'un zoning [lire : zonage] déterminé, de l'exécution des travaux prévus au plan d'aménagement ou des dispositions prohibitives en résultant. Peuvent seules être prises en considération les fluctuations de valeur dues à des éléments étrangers au plan d'aménagement, comme par exemple une dévaluation monétaire ou une augmentation de valeur des immeubles en général » (Doc. parl., Sénat, 1958-1959, n° 124, pp. 62-63, et Doc. parl., Sénat, 1959-1960, n° 275, p. 42). Par conséquent, « la valeur dont il sera tenu compte sera celle au jour de l'expropriation comme s'il n'y avait pas de plan d'aménagement » (Doc. parl., Sénat, 1959-1960, ibid.). Que le bien concerné connaisse une plus-value ou une moins-value n'est pas pertinent à cet égard.
B.7. Le critère inscrit dans la disposition en cause pour le calcul de l'indemnité d'expropriation tient compte du lien direct existant entre l'objectif de l'expropriation - la réalisation d'un plan d'exécution spatial - et la cause de la modification de la valeur du bien à exproprier. En effet, puisque c'est la réalisation du plan d'exécution spatial, par l'expropriation, qui influence réellement la valeur du bien immobilier, il est justifié de ne pas tenir compte, pour le calcul de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value ou de la moins-value résultant de la réalisation de cet objectif.
Pour le surplus, il n'y a pas lieu d'en décider autrement lorsque l'affectation formelle fixée par le plan rejoint une affectation de fait préexistante à celui-ci. Dans ce cas en effet, la valeur de la parcelle expropriée ne devrait pas être affectée par la réalisation du plan, de sorte que la disposition en cause ne devrait pas être appliquée.
B.8. La différence de traitement évoquée dans la question préjudicielle est raisonnablement justifiée par la circonstance que ce n'est que par la réalisation du plan d'exécution spatial, moyennant l'expropriation, que la valeur du bien immobilier de la première catégorie de personnes mentionnée dans cette question est effectivement influencée. Par ailleurs, la seconde catégorie de personnes mentionnée dans cette question est, comme le constate le juge a quo, soumise à la « taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale » visée à l'article 2.6.4, 7°, du Code flamand de l'aménagement du territoire.
B.9. Enfin, il n'appartient pas à la Cour d'examiner si l'arrêté du Gouvernement flamand du 26 mars 2010 « houdende de definitieve vaststelling van het gewestelijk ruimtelijk uitvoeringsplan ' regionaal en specifiek regionaal watergebonden bedrijventerrein " Zwartenhoek " te Ham ' met bijgevoegd onteigeningsplan » (portant fixation définitive du plan d'exécution spatial régional intitulé « terrain d'activités économiques régional et spécifiquement régional lié à des voies d'eau, intitulé ' Zwartenhoek ', situé à Ham », avec le plan d'expropriation annexé), est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il établirait une différence de traitement entre des personnes. Ni l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ni une autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent en effet à la Cour le pouvoir de contrôler pareil arrêté au regard des articles constitutionnels précités.
B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2.4.6, § 1er, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, coordonné par l'arrêté du Gouvernement flamand du 15 mai 2009, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 25 octobre 2012.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, M. Bossuyt