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Arrêt
publié le 28 novembre 2012

Extrait de l'arrêt n° 109/2012 du 20 septembre 2012 Numéro du rôle : 5226 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 8, alinéa 6, 3°, du Code des droits de succession, posée par le Tribunal de première instance de Liège. La composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moe(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 109/2012 du 20 septembre 2012 Numéro du rôle : 5226 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 8, alinéa 6, 3°, du Code des droits de succession, posée par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 12 octobre 2011 en cause de Cvita Slavica Gudelj contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 octobre 2011, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 8, alinéa 6, 3°, du Code des droits de succession viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'il réserve au seul conjoint survivant, à l'exclusion du cohabitant légal survivant le bénéfice de l'exception prévue par cette disposition au principe de l'assimilation à des legs des capitaux et rentes constitués à l'intervention de l'employeur du défunt en exécution d'un contrat d'assurance de groupe ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 8, alinéa 6, 3°, du Code des droits de succession, remplacé par l'article 1er de l'arrêté royal n° 12 du 18 avril 1967 modifiant le Code des droits de succession, le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et le Code des droits de timbre. Les cinq premiers alinéas de cet article 8 disposent que sont considérées comme recueillies à titre de legs, et par conséquent soumises à des droits de succession, diverses sommes, rentes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit en vertu d'un contrat qu'avait conclu le défunt.

L'alinéa 6, 3°, de cet article dispose que celui-ci n'est pas applicable : « [...] 3° aux capitaux et rentes constitués à l'intervention de l'employeur du défunt au profit du conjoint survivant du défunt ou, à défaut, au profit de ses enfants n'ayant pas atteint l'âge de vingt et un ans, en exécution soit d'un contrat d'assurance de groupe souscrit en vertu d'un règlement obligatoire de l'entreprise et répondant aux conditions déterminées par la réglementation relative au contrôle de ces contrats, soit du règlement obligatoire d'un fonds de prévoyance institué au profit du personnel de l'entreprise; [...] ».

B.2. La Cour est interrogée sur le point de savoir si la disposition précitée est incompatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'elle n'est pas applicable au cohabitant légal survivant.

Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.

B.3. L'article 8 du Code des droits de succession établit une fiction selon laquelle les sommes, rentes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès du défunt en vertu d'un contrat renfermant une stipulation à son profit par le défunt ou par un tiers sont considérées comme recueillies à titre de legs et font dès lors partie de l'actif de la succession. En conséquence, des droits de succession sont dus sur ces sommes.

En vertu de l'alinéa 6 de cette disposition, elle n'est pas applicable à certaines sommes, rentes et capitaux, parmi lesquels les capitaux et rentes constitués à l'intervention de l'employeur du défunt au profit de son conjoint ou de ses enfants.

B.4. La disposition en cause établit donc une différence de traitement entre le conjoint survivant et le cohabitant légal survivant. Pour ce dernier, les rentes et capitaux issus d'une assurance-groupe conclue par l'employeur du défunt continuent de faire partie de la base d'imposition des droits de succession. Pour les conjoints survivants, ces rentes et capitaux ne font pas partie de la base d'imposition.

B.5.1. Le rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 12 du 18 avril 1967 « modifiant le Code des droits de succession, le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et le Code des droits de timbre » indique que la fiction établie par l'article 8 du Code des droits de succession a été créée pour « des raisons de justice distributive », dès lors que les primes, bien qu'elles soient payées par l'employeur, « constituent en réalité une charge supportée économiquement par la personne sur la tête de laquelle l'assurance est contractée » et peuvent dès lors être considérées comme faisant partie du patrimoine transmis par celui-ci à son décès (Pasin., 1967, p. 420).

Au sujet de l'exonération en cause, le rapport au Roi mentionne : « Des considérations d'ordre social commandent de maintenir également, au profit de la veuve et des enfants mineurs du défunt, l'exonération du droit de succession dont bénéficient actuellement les rentes et capitaux constitués, en complément des régimes légaux d'assurance contre la vieillesse et le décès prématuré, en exécution soit d'un contrat d'assurance de groupe souscrit en vertu d'un règlement obligatoire de l'entreprise et répondant aux conditions déterminées par la réglementation relative au contrôle de ces contrats, soit du règlement obligatoire d'un fonds de prévoyance institué au profit du personnel de l'entreprise. Il va de soi que l'exonération ne vaut que pour les rentes et capitaux constitués par les cotisations qui sont imposées d'une manière générale aux membres du personnel de l'entreprise; elle ne s'applique pas aux rentes et capitaux qui proviennent de versements supplémentaires faits librement en sus de ceux prescrits par le règlement obligatoire » (ibid.).

B.5.2. L'exposé des motifs de la loi-programme du 30 décembre 1988, dont l'article 195 étend l'application de la disposition en cause aux rentes et capitaux constitués au bénéfice du veuf de la défunte, indique que cette modification s'impose en conséquence de l'égalité établie entre hommes et femmes en matière de pension par la loi du 15 mai 1984 « portant mesures d'harmonisation dans les régimes de pensions ». A cette occasion, il est précisé que les sommes recueillies par le conjoint survivant constituent, « en fait, un complément de pension de survie » (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 609/1, p. 98).

B.6. La situation juridique dans laquelle se trouvent les conjoints, d'une part, et les cohabitants légaux, d'autre part, diffère aussi bien en ce qui concerne leurs devoirs personnels mutuels que pour ce qui est de leur situation patrimoniale. Ces différences de situations peuvent justifier certaines différences de traitement en matière fiscale lorsqu'elles sont liées à l'objectif de la mesure en cause.

B.7.1. Les époux se doivent mutuellement secours et assistance (article 213 du Code civil), ils bénéficient de la protection du logement de la famille et des meubles meublants (article 215 du Code civil); les époux doivent consacrer leurs revenus par priorité à leur contribution aux charges du mariage (article 217 du Code civil), auxquelles ils doivent contribuer selon leurs facultés (article 221 du Code civil). Les dettes qui sont contractées par l'un des époux pour les besoins du ménage et l'éducation des enfants obligent solidairement l'autre époux, sauf lorsqu'elles sont excessives eu égard aux ressources du ménage (article 222 du Code civil).

B.7.2. Les dispositions suivantes s'appliquent à la cohabitation légale : la protection légale du domicile familial (articles 215, 220, § 1er, et 224, § 1er, 1, du Code civil) s'applique par analogie à la cohabitation légale; les cohabitants légaux contribuent aux charges de la vie commune en proportion de leurs facultés et toute dette non excessive contractée par l'un des cohabitants légaux pour les besoins de la vie commune et des enfants qu'ils éduquent oblige solidairement l'autre cohabitant (article 1477 du Code civil).

Pour le surplus, il est prévu un régime des biens des cohabitants et la possibilité de régler par convention les modalités de la cohabitation légale, pour autant que cette convention ne contienne aucune clause contraire à l'article 1477 du Code civil, à l'ordre public, aux bonnes moeurs ou aux règles relatives à l'autorité parentale, à la tutelle et aux règles déterminant l'ordre légal de la succession. Cette convention est passée en la forme authentique devant notaire, et fait l'objet d'une mention au registre de la population (article 1478 du Code civil).

B.8. Le conjoint survivant bénéficie, s'il satisfait aux conditions établies par l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, d'une pension de survie. Le cohabitant légal survivant ne bénéficie pas d'une telle pension de survie. Ainsi que la Cour l'a jugé par son arrêt n° 60/2009 du 25 mars 2009, la protection patrimoniale limitée dont jouissent les cohabitants légaux n'implique pas que le législateur soit tenu de les traiter comme les époux dans la matière des pensions de survie.

B.9. Dès lors que l'exception à l'assimilation des capitaux et rentes en cause à un legs est motivée par le fait que, lorsqu'ils sont constitués au profit du conjoint survivant du de cujus, ils sont considérés comme un complément à la pension de survie, il n'est pas injustifié, tant que le législateur n'a pas jugé opportun d'octroyer aux cohabitants légaux le bénéfice d'une pension de survie, de réserver le bénéfice de l'exception susdite au conjoint survivant et de ne pas l'étendre au cohabitant légal survivant.

La disposition en cause ne repose pas sur un critère dénué de pertinence.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 8, alinéa 6, 3°, du Code des droits de succession ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 20 septembre 2012.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, R. Henneuse

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