publié le 24 septembre 2012
Extrait de l'arrêt n° 81/2012 du 28 juin 2012 Numéros du rôle : 5160 et 5161 En cause : les recours en annulation du décret spécial de la Région wallonne du 9 décembre 2010 limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement w La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De(...)
Extrait de l'arrêt n° 81/2012 du 28 juin 2012 Numéros du rôle : 5160 et 5161 En cause : les recours en annulation du décret spécial de la Région wallonne du 9 décembre 2010 limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement wallon, introduits par John Joos et par Fabien Palmans et autres.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 21 juin 2011 et parvenues au greffe le 22 juin 2011, des recours en annulation du décret spécial de la Région wallonne du 9 décembre 2010 limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement wallon (publié au Moniteur belge du 22 décembre 2010, deuxième édition) ont été introduits respectivement par John Joos, demeurant à 7000 Mons, rue Belneux 13/2, et par Fabien Palmans, demeurant à 7190 Ecaussinnes-d'Enghien, rue des Marguerites 22, Florence Van Hout, demeurant à 7080 Frameries, rue F.D. Roosevelt 98, Florine Pary-Mille, demeurant à 7850 Petit-Enghien, Drève des Marguerites 73, et Jean-Paul Wahl, demeurant à 1370 Jodoigne, rue des Gotteaux 52.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 5160 et 5161 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant au décret attaqué B.1.1. Les deux recours visent le décret spécial de la Région wallonne du 9 décembre 2010 limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement wallon, qui dispose : «
Art. 1er.Le présent décret règle, en application des articles 39 et 118, § 2, de la Constitution et de l'article 24bis, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, une matière visée à l'article 24bis de ladite loi spéciale.
Art. 2.L'article 24bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 est complété par un § 6, rédigé comme suit : ' § 6. Pour les trois quarts des membres de chaque groupe politique, le mandat de membre du Parlement est incompatible avec un mandat au sein d'un collège communal.
Au sens du présent paragraphe, par groupe politique, il faut entendre : le ou les membres du Parlement élu(s) sur une même liste lors des élections régionales. Le membre du Parlement qui, en cours de législature, démissionne ou est radié de son groupe politique, est considéré pour l'application de la présente disposition comme appartenant toujours à son groupe politique d'origine.
Pour l'application du plafond visé à l'alinéa 1er, tout nombre décimal est porté à l'unité supérieure lorsque la décimale est supérieure à 5.
Le nombre décimal est toutefois automatiquement porté à l'unité supérieure pour le groupe politique démocratique le moins nombreux au Parlement.
Lors du renouvellement du Parlement wallon, est définie la liste des membres du Parlement auxquels ne s'applique pas l'incompatibilité visée à l'alinéa 1er. Il s'agit, dans chaque groupe, du quart des membres qui exercent un mandat dans un collège communal et qui ont obtenu le plus haut taux de pénétration lors des élections régionales.
Le taux de pénétration se calcule en divisant le nombre de votes nominatifs obtenus par l'élu par le nombre de votes valables exprimés dans sa circonscription électorale.
Un élu appelé à prêter serment en cours de législature, ne peut cumuler son mandat de membre du Parlement avec celui de membre d'un collège communal.'
Art. 3.Les dispositions du présent décret entrent en vigueur lors du prochain renouvellement intégral du Parlement wallon.
Disposition transitoire
Art. 4.Jusqu'à l'entrée en fonction des collèges communaux résultant du renouvellement intégral des conseils communaux en 2018, les membres du Parlement qui en application de l'article 2 ne peuvent cumuler leur mandat parlementaire avec celui de membre d'un collège communal, peuvent se déclarer empêchés dans l'exercice de l'un ou de l'autre mandat.
Le membre du Parlement qui décide d'exercer un mandat dans un collège communal se déclare empêché et cesse immédiatement de siéger au Parlement après, s'il échet, avoir prêté le serment prévu à l'article 62 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Il reprend ses fonctions au sein du Parlement après avoir cessé celles qu'il exerçait au sein du collège communal.
Le membre du Parlement empêché en application de l'alinéa précédent est immédiatement remplacé par le premier suppléant en ordre utile de la liste sur laquelle il a été élu. Ce suppléant a le statut de membre du Parlement.
Si le membre du Parlement empêché cesse ses fonctions au sein du collège communal, le membre du Parlement qui le remplaçait réintègre sa place de premier suppléant en ordre utile de la liste sur laquelle il a été élu ».
B.1.2. Le décret spécial attaqué crée, selon ses termes, une « incompatibilité » entre le mandat de membre du Parlement wallon et un mandat au sein d'un collège communal. Cette « incompatibilité » concerne les trois quarts des membres de chaque groupe politique au sein du Parlement, un quart des membres pouvant cumuler les deux mandats en cause.
Par cette mesure, le législateur décrétal wallon entend concilier deux objectifs : « d'une part, la consécration d'un lien direct entre les réalités locales - les plus en contact avec les attentes de nos concitoyens - et, de l'autre, la volonté de donner à l'Assemblée wallonne la hauteur nécessaire pour arbitrer entre les positionnements locaux, en évitant l'écueil dévastateur du sous-régionalisme » (Doc. parl., Parlement wallon, 2010-2011, n° 247/1, p. 2). En d'autres termes, « l'objectif en est une composition équilibrée du Parlement wallon par la création d'une incompatibilité » (Doc. parl., Parlement wallon, 2010-2011, n° 247/2, p. 4).
Quant à la recevabilité des recours B.2.1. Le décret spécial attaqué crée une limitation des possibilités de cumul des mandats dans le chef des membres du Parlement wallon. Les parties requérantes dans les deux affaires se prévalent de leur qualité d'électeurs aux élections des membres du Parlement wallon et, pour certains d'entre eux, de membres de ce Parlement ou de futurs candidats aux élections de ce Parlement.
B.2.2. Le droit de vote est le droit politique fondamental de la démocratie représentative. Tout électeur ou candidat justifie de l'intérêt requis pour demander l'annulation de dispositions susceptibles d'affecter défavorablement son vote ou sa candidature.
B.2.3. Les recours sont recevables.
Quant aux moyens pris de la violation des règles répartitrices de compétences B.3.1. Dans chacune des affaires jointes, le premier moyen est pris de la violation des règles répartitrices de compétences entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions et, plus particulièrement, des articles 39, 118, § 2, et 119 de la Constitution et des articles 24 et 24bis, § § 2ter et 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
La partie requérante dans l'affaire n° 5160, dans la première branche du premier moyen, et les parties requérantes dans l'affaire n° 5161, dans le premier moyen, soutiennent que le législateur décrétal wallon était incompétent pour adopter le décret spécial attaqué dès lors que celui-ci ne crée pas en réalité une incompatibilité visant les membres du Parlement wallon mais règle plutôt la composition de ce Parlement.
Or, si le législateur décrétal wallon, agissant en vertu de l'article 24bis, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, a le pouvoir de créer des incompatibilités s'ajoutant aux incompatibilités établies par l'article 119 de la Constitution et par les articles 23 et 24bis de la même loi spéciale, il ne serait en revanche pas compétent pour régler la composition du Parlement.
B.3.2. Dans l'avis qu'elle a rendu au sujet de l'avant-projet de décret qui a donné lieu au décret spécial attaqué, la section de législation du Conseil d'Etat a considéré à cet égard : « Le décret en projet ne tend pas à modifier le nombre de parlementaires, ni à fixer une norme d'incompatibilité. En effet, une incompatibilité entre deux ou plusieurs fonctions suppose que celles-ci ne peuvent être exercées simultanément. Or, si l'avant-projet de décret devait être adopté, certains parlementaires wallons pourraient continuer à cumuler cette fonction avec celle de membre d'un collège communal. Les deux fonctions ne seraient donc pas incompatibles. L'avant-projet tend en réalité à établir une règle de composition équilibrée au sein du Parlement entre les membres qui exercent une fonction au sein d'un collège communal et ceux qui n'exercent pas une telle fonction. Une telle norme ne s'analyse pas comme une norme déterminant une incompatibilité supplémentaire, prévue par l'article 24bis, § 3, de la loi spéciale, mais bien comme une règle de composition du Parlement, sans rapport avec celles que le législateur peut, par décret spécial, établir en vertu de l'autonomie constitutive que lui accorde la loi spéciale.
Le législateur wallon est donc incompétent pour adopter le décret en avant-projet » (Doc. parl., Parlement wallon, 2010-2011, n° 247/1, p. 8).
B.3.3. Le législateur décrétal a néanmoins adopté le décret, estimant pour sa part que « la section de législation du Conseil d'Etat [confondait] l'objectif poursuivi par le législateur et l'instrument mis en oeuvre pour le réaliser » : « L'objectif est d'établir une composition équilibrée du Parlement et l'instrument mis en oeuvre est une incompatibilité qui n'est sans doute pas absolue, mais qui frappe de manière indiscutable des élus identifiés à la suite de la prise de connaissance des résultats de l'élection » (ibid., p. 2).
B.4.1. L'article 24bis, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose : « Le Parlement wallon et le Parlement flamand peuvent, chacun pour ce qui le concerne, déterminer par décret des incompatibilités supplémentaires ».
En application de l'article 35, § 3, de la même loi spéciale, les décrets visés à l'article 24bis, § 3, doivent être adoptés à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés.
B.4.2. En application de cette disposition, les législateurs décrétaux peuvent créer, à la majorité spéciale, des incompatibilités applicables, respectivement, aux Parlements wallon et flamand.
B.5. Les travaux préparatoires de la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l'Etat, qui a introduit l'article 24bis dans la loi spéciale du 8 août 1980, ne comportent pas de précisions sur ce qu'il faut entendre, au sens de cette disposition, par le terme « incompatibilité ». Plus particulièrement, rien ne permet de considérer que le législateur spécial, lorsqu'il a octroyé aux Parlements wallon et flamand une autonomie constitutive leur permettant notamment d'ajouter des incompatibilités à celles qui existaient déjà , a entendu limiter cette possibilité à la création d'incompatibilités visant de la même manière tous les membres de l'assemblée concernée.
B.6. S'il est exact que, comme le relève la section de législation du Conseil d'Etat, la plupart des incompatibilités existantes visent l'ensemble des mandataires concernés, il ne saurait en être déduit que le législateur décrétal wallon, agissant dans le cadre de l'autonomie constitutive qui lui est reconnue par l'article 24bis, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, ne peut créer une incompatibilité qui ne vise qu'une partie des membres du Parlement wallon.
La circonstance que cette incompatibilité influence la composition globale du Parlement wallon ne la prive pas de sa qualification d'incompatibilité au sens de l'article 24bis, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980.
Il en résulte qu'en vertu de cette disposition, le législateur décrétal wallon, agissant à la majorité spéciale, était compétent pour adopter le décret spécial attaqué.
B.7.1. Dans la seconde branche de son premier moyen, la partie requérante dans l'affaire n° 5160 allègue que le décret spécial du 9 décembre 2010 contrevient à l'article 24bis, § 2ter, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.7.2. L'article 24bis, § 2ter, précité dispose : « Le mandat de membre du Parlement de la Communauté française, de membre du Parlement wallon et de membre du Parlement flamand ne peut pas être cumulé avec plus d'un mandat exécutif rémunéré.
Sont considérés comme mandats exécutifs rémunérés au sens de l'alinéa précédent : 1° les fonctions de bourgmestre, d'échevin et de président d'un conseil de l'aide sociale, quel que soit le revenu y afférent; [...] ».
B.8.1. Cette disposition, introduite dans la loi spéciale du 8 août 1980 par la loi spéciale du 4 mai 1999 « visant à limiter le cumul du mandat de membre du Conseil de la Communauté française, du Conseil régional wallon, du Conseil flamand et du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale avec d'autres fonctions », fait partie d'une série de lois adoptées par le législateur fédéral en vue de concrétiser la « philosophie générale » d'un projet issu d'une réflexion globale menée au sein des « Assises de la Démocratie » et exprimé par la formule : « on ne peut exercer que deux mandats » (Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1-984/4, pp.5-6).
Elle vise dès lors essentiellement à limiter le nombre de mandats qui peuvent être exercés simultanément. Sa portée ne garantit toutefois pas aux parlementaires régionaux et communautaires qu'ils pourront toujours cumuler leur mandat avec une fonction de bourgmestre, d'échevin ou de président d'un conseil de l'aide sociale.
B.8.2. En outre, l'article 24bis, § 2ter, de la loi spéciale du 8 août 1980 ne saurait être interprété comme limitant la portée de l'article 24bis, § 3, de la même loi spéciale, qui ne comporte aucune restriction quant au pouvoir qu'il octroie aux législateurs décrétaux de créer de nouvelles incompatibilités.
B.9. Il en résulte qu'en adoptant le décret spécial attaqué, le législateur décrétal wallon n'a pas violé l'article 24bis, § 2ter, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.10. Le premier moyen dans l'affaire n° 5160 et le premier moyen dans l'affaire n° 5161 ne sont pas fondés.
Quant aux moyens pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution B.11.1. Le deuxième moyen dans chacune des affaires jointes est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
Le troisième moyen dans l'affaire n° 5160 est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.11.2. Ces moyens allèguent la violation du principe d'égalité et de non-discrimination en ce que le décret spécial attaqué, d'une part, porterait atteinte au droit de l'électeur à la prévisibilité de l'effet utile de son vote et, d'autre part, créerait des différences de traitement injustifiées entre électeurs et entre candidats à l'élection au Parlement wallon, ainsi qu'entre élus à ce même Parlement.
Le Gouvernement flamand soutient également que le décret attaqué comporte plusieurs violations des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
En ce qui concerne l'effet utile du vote B.12. Par le deuxième moyen, première branche, dans l'affaire n° 5160 et par le second moyen, première branche, dans l'affaire n° 5161, les parties requérantes dénoncent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 3 du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose : « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ».
B.13. Cette disposition garantit des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections. Ces droits sont cruciaux pour l'établissement et le maintien des fondements de la démocratie. Néanmoins, ces droits ne sont pas absolus. Ainsi que le juge la Cour européenne des droits de l'homme, « il y a place pour des ' limitations implicites ', et les Etats contractants doivent se voir accorder une marge d'appréciation en la matière », marge d'appréciation qui est « large » (CEDH, 15 juin 2006, Lykourezos c.
Grèce, § 51).
B.14.1. Les dispositions visées au moyen n'empêchent pas que le législateur apporte au principe de la liberté de vote, qui a pour corollaire que l'électeur puisse apprécier l'effet utile de son vote, des limitations raisonnables en vue d'assurer le bon fonctionnement des institutions démocratiques. Il en est ainsi, notamment, des incompatibilités qui obligent un candidat, après son élection, à choisir entre deux fonctions ou mandats incompatibles. En l'espèce, le législateur décrétal wallon a pu juger qu'il était nécessaire d'équilibrer la composition du Parlement wallon de façon à lui permettre à la fois de conserver un lien direct avec les réalités locales et d'éviter l'écueil du sous-régionalisme (Doc. parl., Parlement wallon, 2010-2011, n° 247/1, p. 2).
B.14.2. Par son arrêt n° 73/2003 du 26 mai 2003, la Cour a annulé l'article 6 de la loi du 13 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/12/2002 pub. 10/01/2003 numac 2003000004 source service public federal interieur Loi portant diverses modifications en matière de législation électorale fermer portant diverses modifications en matière de législation électorale parce que cette disposition était « de nature à tromper l'électeur puisqu'il ne peut pas apprécier l'effet utile de son vote » (B.16.3). En l'espèce, il s'agissait d'une disposition permettant à un candidat de se présenter en même temps à l'élection de la Chambre des représentants et à l'élection du Sénat dans le cadre d'élections qui se tiennent de manière simultanée. Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les élections concernées n'ont pas lieu de manière simultanée.
B.15. Compte tenu du fait que l'électeur qui souhaite apporter sa voix à un candidat qui est déjà titulaire d'un mandat au sein d'un collège communal sait à l'avance qu'il y a un risque que ce candidat, s'il est élu, ne se trouve pas dans les conditions pour pouvoir cumuler les deux mandats, l'électeur votant dès lors en connaissance de cause, le législateur décrétal wallon n'a pas porté d'atteinte discriminatoire aux droits garantis par l'article 3 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
B.16. Le deuxième moyen dans l'affaire n° 5160, en sa première branche, et le second moyen dans l'affaire n° 5161, en sa première branche, ne sont pas fondés.
En ce qui concerne les différences de traitement entre électeurs et entre élus B.17. La seconde branche du deuxième moyen dans l'affaire n° 5160 et la deuxième branche du second moyen dans l'affaire n° 5161 portent toutes deux sur la proportion de trois quarts des membres de chaque groupe politique qui ne pourront pas cumuler les mandats et d'un quart des membres de chaque groupe politique qui seront autorisés à le faire. Les parties requérantes estiment que cette proportion est dépourvue de toute justification par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur décrétal, de sorte que les dispositions attaquées créeraient des différences de traitement injustifiées entre électeurs et entre élus selon que ces derniers seraient autorisés à cumuler les mandats ou ne le seraient pas.
B.18. En créant une impossibilité de cumul des mandats dans le chef d'une partie des membres du Parlement wallon, le législateur décrétal wallon entend « consacrer une voie médiane permettant de tirer le meilleur parti de [...] deux dimensions », à savoir permettre au Parlement à la fois de conserver un lien direct avec les réalités locales et éviter l'écueil du sous-régionalisme (Doc. parl., Parlement wallon, 2010-2011, n° 247/1, p. 2).
B.19. Pour atteindre cet objectif, il revient au législateur décrétal wallon de déterminer la proportion de membres du Parlement autorisés à cumuler le mandat régional et le mandat local. Dans le choix de cette proportion, le législateur décrétal wallon jouit, ainsi qu'il a été rappelé en B.13, d'un large pouvoir d'appréciation lui permettant notamment de rechercher un compromis équilibré entre les différentes opinions en présence.
Il n'apparaît pas que la proportion de trois quarts/un quart qu'il a retenue serait manifestement injustifiée.
B.20. Le deuxième moyen, en sa seconde branche, dans l'affaire n° 5160 et le second moyen, en sa deuxième branche, dans l'affaire n° 5161 ne sont pas fondés.
B.21. Le troisième moyen dans l'affaire n° 5160 et le second moyen en sa troisième branche dans l'affaire n° 5161 concernent le critère retenu par le législateur décrétal wallon pour départager les membres du Parlement wallon qui seront autorisés à cumuler leur mandat avec un mandat au sein d'un collège communal et ceux qui ne seront pas autorisés à cumuler les mandats.
Les parties requérantes estiment que ce critère est dépourvu de toute pertinence par rapport à l'objectif poursuivi, qu'il est discriminatoire dès lors qu'il favorise les mandataires élus dans les petites circonscriptions par rapport à ceux qui sont élus dans les grandes circonscriptions et qu'il comporte une discrimination indirecte à l'égard des femmes élues au Parlement wallon.
B.22. En vertu de l'article 24bis, § 6, alinéas 4 et 5, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, introduit par l'article 2 du décret spécial attaqué, dans chaque groupe politique, le quart des membres qui exercent un mandat dans un collège communal et qui ont obtenu le plus haut « taux de pénétration » lors des élections régionales ne sont pas concernés par l'incompatibilité créée entre le mandat de membre du Parlement wallon et un mandat au sein d'un collège communal. Le « taux de pénétration » est calculé en divisant le nombre de voix de préférence obtenues par l'élu par le nombre de votes valables exprimés dans sa circonscription électorale.
B.23. Si d'autres critères pour départager les membres du Parlement autorisés à cumuler leur mandat avec un mandat au sein d'un collège communal pouvaient être choisis, le critère du taux de pénétration ne manque pas de pertinence puisqu'il prend en considération la volonté qu'ont eue les électeurs d'accorder à ces élus une confiance particulièrement importante.
B.24. Le requérant dans l'affaire n° 5160 soutient que le décret porte atteinte à l'égalité entre les hommes et les femmes. Il ne peut être soutenu que le critère du taux de pénétration porterait atteinte à cette égalité puisqu'il s'applique de manière identique à tous les élus. Une disparité entre le nombre d'élus masculins et féminins autorisés à un cumul ne pourrait provenir que du choix de l'électeur.
B.25.1. Selon les parties requérantes, l'application du critère du taux de pénétration conduit à créer des différences de traitement entre élus et entre électeurs, selon qu'ils exercent leurs droits électoraux dans une petite ou dans une grande circonscription électorale. Elles soutiennent à cet égard qu'il serait plus facile d'atteindre un taux de pénétration élevé dans les petites circonscriptions que dans les grandes, parce que le nombre de candidats pouvant figurer sur une même liste est moins élevé dans les petites circonscriptions.
B.25.2. Le taux de pénétration est exprimé par un rapport entre le nombre de voix de préférence obtenues par un élu et le nombre de votes valables exprimés dans sa circonscription électorale. Ce mode de calcul du critère retenu par le législateur décrétal pour départager les élus qui seront admis au cumul de ceux qui ne le seront pas, pourrait de prime abord avantager les élus qui se sont présentés dans les plus petites circonscriptions.
B.25.3. Il apparaît toutefois de la simulation de l'application du décret attaqué sur les résultats des élections pour le Parlement wallon du 7 juin 2009, que le Gouvernement wallon a communiquée à la demande de la Cour, que l'application de ce critère ne conduit pas, en pratique, à des résultats sensiblement différents, en ce qui concerne les candidats qui auraient été autorisés au cumul, selon la taille de la circonscription dans laquelle ils ont été élus.
Il peut en être déduit que le comportement des électeurs et les stratégies des partis politiques, notamment la concentration des voix de préférence sur un nombre réduit de candidats dans toutes les circonscriptions, sont à même d'influencer suffisamment les possibilités pour tous les candidats élus de se trouver dans les conditions du cumul, même lorsqu'ils se présentent dans les plus grandes circonscriptions.
B.25.4. La disposition attaquée n'entraîne donc pas de conséquences disproportionnées pour les candidats élus dans les grandes circonscriptions, de sorte qu'elle n'est pas contraire aux dispositions visées au moyen.
B.26. Le troisième moyen dans l'affaire n° 5160 et le second moyen dans l'affaire n° 5161, en sa troisième branche, ne sont pas fondés.
Par ces motifs, la Cour rejette les recours.
Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 28 juin 2012.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, R. Henneuse