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Arrêt
publié le 31 janvier 2012

Extrait de l'arrêt n° 175/2011 du 10 novembre 2011 Numéro du rôle : 5080 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 17 de la loi du 1 er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces armées, po La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 175/2011 du 10 novembre 2011 Numéro du rôle : 5080 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 17 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces armées, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, E. Derycke, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 209.859 du 20 décembre 2010 en cause de Patrick Van Alphen contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 janvier 2011, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « - L'article 17 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces armées viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, considérés isolément et lus conjointement avec les articles 182 et 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution, en ce qu'il dispose uniquement qu'un officier de carrière peut être temporairement retiré de son emploi et désigne l'autorité publique qui peut imposer la mesure, sans régler en particulier les cas dans lesquels le retrait temporaire d'emploi peut être imposé ni les droits de la défense de l'officier de carrière concerné, et instaure ainsi pour les officiers de carrière une réglementation qui les prive de manière discriminatoire des garanties générales offertes aux militaires par l'article 182 de la Constitution ? - L'article 17 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces armées viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'un officier de carrière qui est retiré temporairement de son emploi ne bénéficie pas des mêmes garanties que celles qui sont accordées par l'article 18 de la même loi à l'officier de carrière faisant l'objet d'une suspension préventive ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Au moment où la décision attaquée devant le juge a quo a été prise, l'article 17 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces armées disposait : « L'officier peut, pour une durée déterminée, être retiré de son emploi par mesure disciplinaire.

La mesure est prise par le Roi. Elle est toutefois prise par le Ministre de la Défense lorsque sa durée ne doit pas excéder un mois ».

B.1.2. En exécution de l'article 17 précité, l'article 23 de l'arrêté royal du 7 avril 1959 relatif à la position et à l'avancement des officiers de carrière dispose : « La mise en non-activité par mesure disciplinaire peut être infligée à l'officier qui a fait l'objet d'une condamnation, qui a reçu des punitions répétées, qui a été puni pour une transgression grave [,] qui a commis un fait grave incompatible avec l'état d'officier ou qui a fait l'objet, pour motif disciplinaire, d'une proposition de retrait définitif d'emploi.

Lorsqu'une autorité hiérarchique d'un rang au moins égal à celui de chef de corps estime qu'un officier doit être mis en non-activité par mesure disciplinaire, elle adresse au Ministre de la Défense, par la voie hiérarchique, une proposition motivée.

Lorsque le Ministre de la Défense estime devoir prendre l'initiative de la mesure, il consulte au préalable les autorités hiérarchiques ».

B.2. Il est demandé à la Cour si l'article 17 précité viole les articles 10 et 11, combinés ou non avec les articles 182 et 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution, en ce que cette disposition ne prévoit ni les cas dans lesquels le retrait temporaire d'emploi peut être infligé ni les droits de défense de l'officier de carrière concerné, ce qui aurait pour effet de priver les officiers de carrière de la garantie que l'article 182 de la Constitution consacre de manière générale pour tous les militaires (première question préjudicielle), et en ce que cette disposition n'accorde pas les mêmes garanties que celles que l'article 18 de la loi précitée accorde à l'officier de carrière qui fait l'objet d'une suspension préventive (seconde question préjudicielle).

B.3.1. L'article 167, § 1er, de la Constitution dispose : « Le Roi dirige les relations internationales, sans préjudice de la compétence des communautés et des régions de régler la coopération internationale, y compris la conclusion de traités, pour les matières qui relèvent de leurs compétences de par la Constitution ou en vertu de celle-ci.

Le Roi commande les forces armées, et constate l'état de guerre ainsi que la fin de hostilités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'Etat le permettent, en y joignant les communications convenables.

Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire, ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi ».

B.3.2. L'article 182 de la Constitution dispose : « Le mode de recrutement de l'armée est déterminé par la loi. Elle règle également l'avancement, les droits et les obligations des militaires ».

La fixation du mode et des conditions selon lesquels un militaire est provisoirement retiré de son emploi relève de la réglementation des droits et obligations des militaires et donc du champ d'application de l'article 182 de la Constitution.

B.3.3. L'article 18 de la loi du 1er mars 1958 dispose : « § 1er. Lorsque le Ministre de la Défense estime que la présence d'un officier dans les forces armées porte atteinte à la discipline ou au bon renom des forces armées, il peut, d'office ou sur la proposition des chefs hiérarchiques de l'officier, suspendre ce dernier par mesure d'ordre.

La suspension par mesure d'ordre constitue une mesure provisoire qui ne présente aucun caractère disciplinaire. § 2. L'officier concerné est entendu au préalable au sujet des faits qui lui sont reprochés et peut être assisté de la personne de son choix.

Il est convoqué par notification contre accusé de réception ou par envoi recommandé à la poste, et est réputé avoir été entendu, même s'il n'en accuse pas réception, dès lors que ladite convocation a été présentée à deux reprises.

Toutefois, lorsque les circonstances matérielles rendent impossible d'entendre l'officier préalablement à sa suspension par mesure d'ordre ou lorsqu'une situation d'urgence le justifie, le Ministre de la Défense peut suspendre sur décision motivée un officier sans l'avoir entendu. Ce dernier est entendu sans délai après le prononcé de cette suspension. Lorsque l'urgence est invoquée, cette suspension cesse de produire ses effets après quinze jours ouvrables, à moins qu'elle ne soit confirmée endéans ce délai par le Ministre de la Défense sur la base du dossier, en ce compris l'audition de l'officier concerné. § 3. La durée de la suspension par mesure d'ordre ne peut dépasser les trois mois.

En cas de besoin, moyennant le respect des dispositions du § 2, et sur rapport motivé du Ministre de la Défense, la suspension peut être prolongée par périodes de trois mois, par le Roi. La durée totale de la suspension ne peut dépasser les deux ans.

Toutefois, lorsqu'une action judiciaire est intentée en raison des faits qui motivent la suspension, celle-ci doit prendre fin au plus tard six mois après la fin de l'action judiciaire. § 4. Lorsqu'un officier suspendu par mesure d'ordre est privé de sa liberté, cette suspension est interrompue de plein droit jusqu'à la date de mise en liberté de l'officier concerné, sans nouvelle notification à ce dernier. D'autre part, lorsque la suspension par mesure d'ordre est notifiée à un officier qui est en détention préventive, la prise d'effet de cette suspension est retardée de plein droit jusqu'à la mise en liberté de l'officier concerné, sans nouvelle notification à ce dernier ».

B.4.1. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de régler les droits et obligations des militaires, le Constituant a voulu éviter que le pouvoir exécutif seul règle les forces armées. Ainsi, l'article 182 de la Constitution garantit qu'une assemblée délibérante démocratiquement élue décide en cette matière.

Bien que l'article 182 de la Constitution réserve ainsi la compétence normative relative à cette matière au législateur fédéral - qui doit en régler les éléments essentiels -, cet article n'exclut pas de conférer un pouvoir limité d'exécution au Roi ou à une autre autorité.

Une telle délégation n'est pas contraire au principe de légalité, pour autant que l'habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l'exécution de mesures dont les éléments essentiels sont préalablement fixés par le législateur.

B.4.2. Selon la disposition en cause, un officier peut, pour une durée limitée, être retiré de son emploi par mesure disciplinaire; cette mesure est prise par le Roi ou par le ministre de la Défense lorsque la durée de cette mesure disciplinaire ne doit pas excéder un mois.

B.5.1. L'autorité disciplinaire peut seulement infliger les sanctions disciplinaires qui ont été déterminées par la loi. L'article 17 prévoit un retrait temporaire d'emploi, de sorte que cet article est compatible sur ce point avec les articles 10 et 11, lus isolément ou en combinaison avec les articles 182 et 167, § 1er, de la Constitution.

B.5.2. Le principe de légalité inscrit à l'article 12, alinéa 2, de la Constitution ne s'applique pas en matière disciplinaire. Il s'ensuit que l'action disciplinaire qui a pour objet d'examiner si le titulaire d'une fonction publique ou d'une profession a enfreint les règles de déontologie ou de discipline ou a porté atteinte à l'honneur ou à la dignité de sa fonction ou de sa profession peut concerner des manquements qui ne font pas nécessairement l'objet d'une définition précise.

Il en découle que le fait que l'article 17 de la loi du 1er mars 1958 ne précise pas les cas dans lesquels le retrait d'emploi peut être imposé est compatible avec les articles 10 et 11, combinés avec l'article 182, de la Constitution.

B.6. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.7. Le constat que le législateur a édicté, à l'article 18 de la loi du 1er mars 1958, des règles de procédure détaillées en matière de suspension préventive n'est pas de nature à priver l'article 17 en cause de son caractère constitutionnel, étant donné que cet article est compatible avec les articles 10 et 11, lus isolément ou en combinaison avec les articles 182 et 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution. En outre, la procédure à suivre en cas de retrait provisoire d'emploi doit respecter le droit de défense, celui-ci constituant un principe général de droit, applicable à toute procédure disciplinaire.

B.8. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 17 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces armées ne viole pas les articles 10 et 11, combinés ou non avec les articles 167, § 1er, alinéa 2, et 182, de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 10 novembre 2011.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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