publié le 18 octobre 2011
Extrait de l'arrêt n° 123/2011 du 7 juillet 2011 Numéro du rôle : 5001 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'Etat. La Cour const composée du président M. Bossuyt, du juge J.-P. Snappe, faisant fonction de président, et des juges(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 123/2011 du 7 juillet 2011 Numéro du rôle : 5001 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée du président M. Bossuyt, du juge J.-P. Snappe, faisant fonction de président, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 206.430 du 6 juillet 2010 en cause de Pierre Lefranc contre l'Etat Belge, partie intervenante : Chantal Bamps, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 juillet 2010, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, combiné ou non avec l'article 70 de ces mêmes lois, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le principe général de droit de l'impartialité objective des juridictions, tel qu'il est formulé, entre autres, dans l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et dans l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les parties à un litige mettant en cause la légalité d'une nomination de conseiller d'Etat doivent soumettre ce litige à une juridiction dont les membres ont déjà été associés à une présentation faisant intégralement partie de la procédure de nomination attaquée, alors que d'autres parties litigantes (comme, par exemple, les parties à un litige concernant la nomination d'un magistrat de l'ordre judiciaire) peuvent soumettre leur cause à une juridiction qui n'a en aucune manière été associée à l'élaboration de la décision attaquée ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : lois coordonnées sur le Conseil d'Etat), remplacé par l'article 2 de la loi du 15 mai 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/05/2007 pub. 08/06/2007 numac 2007000545 source service public federal interieur Loi modifiant l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 fermer « modifiant l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 », dispose : « La section [du contentieux administratif du Conseil d'Etat] statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements : 1° des diverses autorités administratives ». B.1.2. Le 6 décembre 2005, date à laquelle l'assemblée générale du Conseil d'Etat a délibéré sur la présentation d'une liste de trois candidats dans le cadre de la procédure de nomination ayant abouti à l'arrêté royal du 5 mars 2006 attaqué devant la juridiction a quo, l'article 70 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat disposait (avant les modifications apportées par la loi du 15 septembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/09/2006 pub. 06/10/2006 numac 2006000704 source service public federal interieur Loi réformant le Conseil d'Etat et créant un Conseil du Contentieux des Etrangers fermer réformant le Conseil d'Etat et créant un Conseil du Contentieux des Etrangers) : « § 1er. Les conseillers d'Etat sont nommés par le Roi sur une liste de trois noms formellement motivée, présentée par le Conseil d'Etat après qu'il a examiné la recevabilité des candidatures et comparé les titres et mérites respectifs des candidats.
L'assemblée générale du Conseil d'Etat entend les candidats d'office ou à leur demande. Elle peut, à cette fin, désigner au moins trois de ses membres qui lui feront rapport sur ces auditions.
Le Conseil d'Etat communique sa présentation, ainsi que l'ensemble des candidatures et les appréciations qui leur sont portées par le Conseil d'Etat, en même temps à la Chambre des représentants ou au Sénat, et au ministre qui a l'Intérieur dans ses attributions.
Le candidat présenté premier à l'unanimité par l'assemblée générale du Conseil d'Etat peut être nommé conseiller d'Etat, sauf si le ministre qui a l'Intérieur dans ses attributions refuse cette présentation, soit parce que les conditions fixées au paragraphe 2 ne sont pas respectées, soit parce qu'il estime que le nombre des membres du Conseil d'Etat qui ont été nommés parmi les membres de l'auditorat est trop élevé par rapport au nombre des autres membres du Conseil d'Etat.
Lorsque le ministre accepte la présentation unanime du Conseil d'Etat, il en informe la Chambre des représentants ou le Sénat qui, s'ils estiment que le nombre des membres du Conseil d'Etat qui ont été nommés parmi les membres de l'auditorat est trop élevé par rapport au nombre des autres membres du Conseil, peuvent, alternativement, dans un délai ne pouvant dépasser trente jours à compter de cette réception, refuser cette présentation.
En cas de refus du ministre ou de la Chambre des représentants ou du Sénat, l'assemblée générale du Conseil d'Etat procède à une nouvelle présentation.
En l'absence d'unanimité lors d'une première présentation ou lors d'une nouvelle présentation à la suite d'un refus, la Chambre des représentants ou le Sénat peuvent alternativement, dans un délai ne pouvant dépasser trente jours à compter de la réception de cette présentation, soit confirmer la liste présentée par le Conseil d'Etat, soit présenter une deuxième liste de trois noms qui fait l'objet d'une motivation formelle.
La Chambre des représentants ou le Sénat peut entendre les candidats.
Lorsque la Chambre des représentants ou le Sénat présente une deuxième liste de trois noms, le conseiller d'Etat ne peut être nommé que parmi les personnes qui figurent sur l'une ou l'autre des deux listes présentées. [...] Le ministre qui à l'Intérieur dans ses attributions publie les vacances au Moniteur belge à l'initiative du Conseil d'Etat.
La publication mentionne le nombre de places vacantes, les conditions de nomination, le délai d'un mois au moins, pour l'introduction des candidatures et l'autorité a laquelle celles-ci doivent être adressées.
Toute présentation est publiée au Moniteur belge ; il ne peut être procédé à la nomination que quinze jours au moins après cette publication. § 2. Nul ne peut être nommé conseiller d'Etat s'il n'a trente-sept ans accomplis, s'il n'est docteur en droit ou licencié en droit, s'il ne peut justifier d'une expérience professionnelle utile de nature juridique de dix ans au moins et s'il ne satisfait à l'une des conditions suivantes : 1° avoir réussi le concours d'auditeur adjoint et de référendaire adjoint au Conseil d'Etat, le concours de référendaire à la Cour d'arbitrage, le concours d'auditeur adjoint à la Cour des comptes ou l'examen d'aptitude professionnelle prévu par l'article 259bis du Code judiciaire;2° exercer une fonction administrative du rang 15 au moins ou équivalent dans une administration publique belge soit dans un organisme public belge;3° avoir présenté avec succès une thèse de doctorat en droit ou être agrégé de l'enseignement supérieur en droit;4° exercer, en Belgique, des fonctions de magistrat du ministère public ou de juge effectif;5° être titulaire d'une charge d'enseignement du droit dans une université belge. Pour l'application de l'alinéa précédent, les fonctions de référendaire près la Cour de cassation sont assimilées à des fonctions dont l'exercice constitue une expérience professionnelle utile de nature juridique au sens de cet alinéa.
Les conseillers d'Etat sont, pour la moitié au moins de leur nombre, nommés parmi les membres de l'auditorat et du bureau de coordination. [...] ».
B.2. Il est demandé à la Cour si l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, combiné ou non avec l'article 70 de ces mêmes lois, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de droit de l'impartialité objective des juridictions, tel qu'il est formulé, entre autres, à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les parties à un litige mettant en cause la légalité d'une nomination de conseiller d'Etat doivent soumettre ce litige à une juridiction dont les membres ont déjà été associés à une présentation faisant intégralement partie de la procédure de nomination attaquée, alors que d'autres parties, parmi lesquelles les parties à un litige mettant en cause la légalité d'une nomination de magistrat de l'ordre judiciaire, peuvent soumettre leur cause à une juridiction qui n'a en aucune manière été associée à l'élaboration de la décision attaquée.
B.3.1. Après la publication au Moniteur belge d'une vacance pour la fonction de conseiller d'Etat et après l'expiration du délai d'introduction des candidatures, l'assemblée générale du Conseil d'Etat présente, conformément à l'article 70, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, une liste de trois noms formellement motivée. Pour ce faire, elle doit examiner la recevabilité des candidatures et comparer les titres et mérites respectifs des candidats. Elle peut entendre les candidats, d'office ou à leur demande. La présentation, les candidatures et les appréciations qui leur sont portées doivent être communiquées à la Chambre des représentants ou au Sénat et au ministre qui à l'Intérieur dans ses attributions.
B.3.2. En vertu de l'article 70, § 1er, alinéas 4 et suivants, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, les conséquences de la présentation diffèrent selon que le premier candidat est présenté à l'unanimité ou non.
Le candidat présenté premier à l'unanimité peut être nommé conseiller d'Etat par le Roi, sauf si le ministre qui a l'Intérieur dans ses attributions refuse cette présentation, soit parce que les conditions de nomination ne sont pas respectées, soit parce qu'il estime que le nombre des membres qui ont été nommés parmi les membres de l'auditorat est trop élevé par rapport au nombre des autres membres du Conseil d'Etat. La Chambre des représentants ou le Sénat peuvent, alternativement, aussi refuser cette présentation pour ce dernier motif. En cas de refus de la présentation, l'assemblée générale du Conseil d'Etat doit procéder à une nouvelle présentation.
En l'absence d'unanimité lors d'une première présentation ou lors d'une nouvelle présentation à la suite d'un refus, la Chambre des représentants ou le Sénat, alternativement, peuvent soit confirmer la liste présentée par le Conseil d'Etat, soit présenter une deuxième liste de trois noms formellement motivée. La Chambre des représentants ou le Sénat peuvent décider d'entendre les candidats. Lorsque la Chambre des représentants ou le Sénat présentent une deuxième liste de trois noms, le conseiller d'Etat ne peut être nommé que parmi les personnes qui figurent sur l'une ou l'autre des deux listes présentées.
B.4. En vertu de l'article 99 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, l'assemblée générale du Conseil d'Etat se compose du premier président, du président, des présidents de chambre et des conseillers d'Etat.
B.5.1. Les conseillers d'Etat sont nommés par le Roi (article 70, § 1er, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat).
Un arrêté royal portant nomination d'un conseiller d'Etat est un acte d'une autorité administrative, au sens de l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, de sorte que la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat est compétente pour statuer par voie d'arrêts sur les recours en annulation introduits contre un tel acte et sur les demandes de suspension de l'exécution de celui-ci, en vertu de l'article 17 de ces mêmes lois.
B.5.2. En vertu de l'article 90 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, les chambres de la section du contentieux administratif siègent en principe à trois membres. Cependant, dans certaines circonstances, l'affaire est examinée par un membre et, dans d'autres, elle peut être renvoyée à l'assemblée générale de la section du contentieux administratif (articles 91 et 92), composée des présidents de chambre et des conseillers d'Etat qui ne sont pas désignés pour faire partie de la section de législation (article 94). Conformément à l'article 89, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, les membres du Conseil d'Etat désignés pour faire partie de la section de législation peuvent toutefois être appelés à siéger dans la section du contentieux administratif chaque fois qu'il y a lieu, soit pour former la chambre bilingue, soit pour suppléer un membre d'une chambre de langue française ou d'une chambre de langue néerlandaise en cas d'empêchement de celui-ci, soit pour constituer des chambres de complément.
B.6.1. Il découle de ce qui précède que les conseillers d'Etat de la section du contentieux administratif qui doivent examiner un recours en annulation introduit contre un arrêté royal portant nomination d'un conseiller d'Etat peuvent en principe également avoir fait partie de l'assemblée générale du Conseil d'Etat, laquelle doit, dans le cadre d'une telle nomination, présenter une liste de trois candidats.
B.6.2. Dans un avis relatif au projet de loi ayant abouti à la loi du 8 septembre 1997Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/09/1997 pub. 16/10/1997 numac 1997000708 source ministere de l'interieur Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 fermer « modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 », la section de législation du Conseil d'Etat a considéré ce qui suit au sujet de la présentation visée à l'article 70, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat : « Etant donné que le Conseil d'Etat peut être appelé à statuer sur un recours en suspension et en annulation introduit contre la nomination d'un candidat présenté à l'unanimité par l'assemblée générale, il convient de préciser la composition de l'assemblée générale pour ce genre de présentation en réservant la possibilité pour un certain nombre de conseillers de ne pas siéger afin qu'ils puissent se prononcer sur d'éventuels recours » (avis du 8 janvier 1997, Doc. parl., Sénat, 1996-1997, n° 1-539/1, p. 12).
B.6.3. Si le législateur n'a pas jugé nécessaire de régler explicitement de cette manière la composition de l'assemblée générale du Conseil d'Etat, il n'a néanmoins pas voulu empêcher le Conseil d'Etat de composer l'assemblée générale, en vue de la présentation d'une liste de trois candidats pour une fonction vacante de conseiller d'Etat, de telle manière qu'un certain nombre de conseillers d'Etat n'y siègent pas.
B.6.4. Il ressort des réponses du premier président du Conseil d'Etat aux questions posées en application de l'article 91 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle qu'il existe une pratique constante au sein du Conseil d'Etat, en vertu de laquelle, dans le cadre de la délibération et du vote en assemblée générale sur la présentation d'une liste de trois candidats pour une fonction vacante de conseiller d'Etat, il est constitué une chambre ad hoc, composée de conseillers d'Etat qui ne prennent pas part à la procédure de présentation, en vue d'examiner les recours éventuels introduits contre les nominations qui suivent les présentations.
B.6.5. Il apparaît donc que le Conseil d'Etat interprète les articles 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, et 70 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat en ce sens qu'un certain nombre de conseillers d'Etat ne peuvent prendre part à l'assemblée générale en cas de délibération ou de vote sur la présentation de candidats à une fonction vacante de conseiller d'Etat et que, lorsqu'un recours est introduit contre l'arrêté de nomination d'un conseiller d'Etat qui fait suite à cette présentation, seuls les conseillers d'Etat qui n'ont pas pris part à l'assemblée générale peuvent connaître de ce recours.
B.7. La disposition en cause fait néanmoins naître une différence de traitement entre, d'une part, les parties à un litige mettant en cause la légalité d'une nomination de conseiller d'Etat et, d'autre part, les parties à d'autres litiges, parmi lesquels les litiges mettant en cause la légalité d'une nomination de magistrat de l'ordre judiciaire, en ce que le premier litige cité doit être soumis à une juridiction qui a déjà été associée - dans une autre composition, certes - à une présentation faisant intégralement partie de la procédure de nomination, alors que ce n'est pas le cas des litiges mettant en cause la légalité d'une nomination de magistrat de l'ordre judiciaire.
Ceux-ci sont également soumis à la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, mais le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour procéder à une présentation dans le cadre de ces nominations.
B.8.1. Il est d'une importance fondamentale, dans un Etat de droit démocratique, que les juridictions bénéficient de la confiance du public et des parties au procès (CEDH, 26 février 1993, Padovani c.
Italie, § 27), ce qui implique que ces juridictions soient impartiales.
Cette impartialité doit s'apprécier de deux manières. L'impartialité subjective, qui se présume jusqu'à preuve du contraire, exige que dans une affaire sur laquelle il doit statuer, le juge n'ait ni de parti pris ni de préjugé et qu'il n'ait pas d'intérêt à l'issue de celle-ci.
L'impartialité objective exige qu'il y ait suffisamment de garanties pour exclure également des appréhensions justifiées sur ces points (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique, § 30; 24 mai 1989, Hauschildt c. Danemark, §§ 46 et 48; 16 décembre 2003, Grieves c.
Royaume-Uni, § 69).
B.8.2. En ce qui concerne l'impartialité objective, il y a lieu de vérifier si, indépendamment du comportement des juges, il existe des faits démontrables faisant naître un doute au sujet de cette impartialité. A cet égard, même une apparence de partialité peut revêtir de l'importance (CEDH, 6 juin 2000, Morel c. France, § 42; 24 juin 2010, Mancel et Branquart c. France, § 34).
S'il faut examiner si un juge a suscité, dans un cas concret, de telles appréhensions, le point de vue du justiciable est pris en compte mais ne joue pas un rôle décisif. Ce qui est par contre déterminant, c'est de savoir si les appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (CEDH, 21 décembre 2000, Wettstein c. Suisse, § 44).
B.8.3. La Cour européenne des droits de l'homme s'est déjà prononcée, dans plusieurs arrêts, sur la question de savoir si une institution ayant à la fois une fonction consultative et une fonction juridictionnelle satisfaisait à l'exigence d'impartialité objective (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c. Luxembourg; grande chambre, 6 mai 2003, Kleyn et autres c. Pays-Bas; 9 novembre 2006, Sacilor Lormines c. France). Il ressort de ces arrêts que le simple fait qu'une institution exerce à la fois une fonction consultative et une fonction juridictionnelle ne suffit pas à établir une violation des exigences d'indépendance et d'impartialité (arrêt Sacilor Lormines, § 66). Il convient, dans ce cas, d'examiner comment l'indépendance des membres est garantie (ibid. ).
La Cour européenne des droits de l'homme mentionne, comme mesures pouvant garantir cette indépendance, la force non contraignante des avis pour la section qui exerce ultérieurement la fonction juridictionnelle (ibid., § 71), l'inamovibilité des juges (ibid., § 67) et l'existence d'une possibilité de récusation de tous les membres de la section juridictionnelle qui, en tant que membres de la section consultative, ont déjà rendu un avis relativement à « la même affaire » ou à « la même décision ».Cette récusation doit, le cas échéant, avoir lieu d'office, de sorte que l'on ne peut attendre que les parties en fassent la demande (arrêt Kleyn, §§ 197-198).
B.9. Certes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme mentionnée en B.8.3 concernait l'exercice consécutif, par les mêmes juges, d'une fonction consultative et d'une fonction juridictionnelle au sein d'une juridiction composée d'une section consultative (comme la section de législation du Conseil d'Etat) et d'une section juridictionnelle (comme la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat), mais cette situation ne diffère pas à ce point de la situation qui fait l'objet de la question préjudicielle que les principes contenus dans cette jurisprudence ne devraient pas être considérés comme applicables.
B.10.1. Il ne saurait être contesté, en l'espèce, que le Conseil d'Etat, lorsqu'il doit statuer sur un recours introduit contre un arrêté portant nomination d'un conseiller d'Etat, a déjà rendu un « avis » relativement à « la même affaire », sous la forme d'une présentation. Ainsi qu'il a déjà été constaté en B.3.1, l'assemblée générale du Conseil d'Etat doit, pour procéder à la présentation de trois candidats, examiner la recevabilité des candidatures et comparer les titres et mérites respectifs des candidats. La présentation doit en outre être formellement motivée.
B.10.2. Le simple fait que le Conseil d'Etat ait à la fois une compétence de présentation et une compétence juridictionnelle n'entraîne toutefois pas nécessairement une violation des exigences d'indépendance et d'impartialité. Ce qui importe, c'est de déterminer s'il existe suffisamment de garanties pour assurer l'indépendance - vis-à -vis de l'assemblée générale qui exerce la compétence de présentation - des membres de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat qui doivent se prononcer sur un recours introduit contre un arrêté portant nomination d'un conseiller d'Etat.
B.10.3. L'interprétation des dispositions en cause mentionnée en B.6.5 implique qu'un recours introduit contre un arrêté portant nomination d'un conseiller d'Etat soit examiné par des conseillers d'Etat n'ayant participé ni à la délibération ni au vote préalables sur la présentation de trois candidats par l'assemblée générale.
Par ailleurs, les conseillers d'Etat dont l'impartialité est mise en cause peuvent être récusés en vertu de l'article 62, alinéa 1er, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat. Le cas échéant, cette récusation a lieu d'office. En effet, le conseiller d'Etat qui sait cause de récusation en sa personne est tenu de la déclarer à la chambre concernée. Cette chambre décide alors si le membre doit s'abstenir ou non. Dès lors, s'ils avaient participé à la délibération et au vote de l'assemblée générale sur la présentation de trois candidats dans le cadre de cette procédure de nomination, les conseillers d'Etat appelés à statuer sur un recours introduit contre un arrêté portant nomination d'un conseiller d'Etat pourraient être récusés par les parties au litige ou d'office par la chambre concernée.
B.10.4. Les membres de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat qui statuent sur un recours introduit contre un arrêté portant nomination d'un conseiller d'Etat se prononcent de manière autonome sur l'affaire qui leur est soumise et ne sont pas liés par la présentation préalable de trois candidats, émanant de l'assemblée générale du Conseil d'Etat à laquelle ils n'ont d'ailleurs pas participé.
B.11. Il découle de ce qui précède que l'indépendance et l'impartialité objective du Conseil d'Etat ne sont en principe pas compromises lorsque celui-ci doit statuer sur un recours introduit contre un arrêté royal portant nomination d'un conseiller d'Etat.
B.12. Dans l'interprétation des dispositions en cause mentionnée en B.6.5, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Dans l'interprétation mentionnée en B.6.5, l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, lu en combinaison avec l'article 70 de ces mêmes lois, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de droit de l'impartialité objective des juridictions.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 7 juillet 2011.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Bossuyt.