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Arrêt
publié le 08 août 2011

Extrait de l'arrêt n° 70/2011 du 12 mai 2011 Numéro du rôle : 4941 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 215, § 2, du Code civil, posée par le Juge de paix du canton de Furnes-Nieuport. La Cour constitutionnelle,

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 70/2011 du 12 mai 2011 Numéro du rôle : 4941 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 215, § 2, du Code civil, posée par le Juge de paix du canton de Furnes-Nieuport.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J. Spreutels et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 27 mai 2010 en cause de G.R. et L.R. contre M.R. et W.L., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 mai 2010, le Juge de paix du canton de Furnes-Nieuport a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 215, § 2, du Code civil viole-t-il les articles 10, 11 et 23 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que - si les deux époux ont signé un contrat de bail d'habitation, les deux époux, et donc aussi l'époux qui quitte volontairement ou doit quitter l'habitation familiale, restent, après le divorce, tenus de respecter à l'égard du bailleur les obligations du contrat de bail d'habitation; - si seul un des époux a signé le contrat de bail d'habitation, l'époux qui n'a pas signé le contrat de bail d'habitation et qui est devenu colocataire légal conformément à l'article 215, § 2, du Code civil, n'a, après le divorce, plus d'obligations à l'égard du bailleur lorsqu'il quitte ou doit quitter l'habitation familiale ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 215, § 2, du Code civil, tel qu'il a été remplacé par l'article 1er de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, et modifié par l'article 3 de la loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer, dispose : « Le droit au bail de l'immeuble loué par l'un ou l'autre époux, même avant le mariage, et affecté en tout ou en partie au logement principal de la famille, appartient conjointement aux époux, nonobstant toute convention contraire.

Les congés, notifications et exploits relatifs à ce bail doivent être adressés ou signifiés séparément à chacun des époux ou émaner de tous deux. Toutefois, chacun des deux époux ne pourra se prévaloir de la nullité de ces actes adressés à son conjoint ou émanant de celui-ci qu'à la condition que le bailleur ait connaissance de leur mariage.

Toute contestation entre eux quant à l'exercice de ce droit est tranchée par le juge de paix.

Les dispositions du présent paragraphe ne s'appliquent ni aux baux commerciaux, ni aux baux à ferme ».

B.2. Le juge a quo demande si cette disposition est compatible avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, en ce que, lorsque les deux époux ont signé un bail d'habitation, l'époux qui quitte volontairement ou doit quitter l'habitation familiale, est tenu, après le divorce, de respecter à l'égard du bailleur les obligations découlant du bail d'habitation, alors que, lorsque seul un des deux époux a signé un tel contrat, l'autre époux qui quitte ou doit quitter l'habitation familiale, bien qu'il ait été colocataire légal sur la base de la disposition en cause, n'a, après le divorce, plus d'obligations vis-à-vis du bailleur.

B.3.1. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur entendait préciser, en adoptant l'article 215 du Code civil, « l'étendue des restrictions que le mariage apporte au droit de libre disposition des époux sur leurs biens » (Doc. Parl., Sénat, S.E. 1974, n° 683/2, annexe, p.20). Le législateur entendait plus particulièrement « protéger le logement familial en ne permettant pas qu'un des époux puisse à lui seul priver son conjoint et ses enfants d'un toit » (ibid., p. 21).

B.3.2. En ce qui concerne le logement familial loué, les travaux préparatoires indiquent : « Finalement, la Sous-Commission exprime l'avis que la meilleure solution est de créer une présomption légale que le bail conclu par l'un des époux appartient aux deux époux; en fait, le paiement du loyer constitue une dette du ménage, dont la charge incombe elle aussi aux deux époux » (ibid., p. 22).

B.3.3. Le législateur a donc voulu protéger le logement familial loué par une présomption légale, selon laquelle le droit au bail appartient aux deux époux, même si seul l'un d'eux a signé le bail. D'après les travaux préparatoires, cette présomption, qui prime les rapports juridiques établis par le bail, ne saurait être dissociée du fait que le paiement du loyer constitue « une dette du ménage, dont la charge incombe elle aussi aux deux époux ».

L'article 222 du Code civil, tel qu'il a été remplacé par la loi précitée du 14 juillet 1976, dispose à cet égard : « Toute dette contractée par l'un des époux pour les besoins du ménage et l'éducation des enfants oblige solidairement l'autre époux.

Toutefois, celui-ci n'est pas tenu des dettes excessives eu égard aux ressources du ménage ».

B.4.1. Au cours des travaux préparatoires, la question de savoir s'il fallait prévoir ou non, dans l'article 215 du Code civil, une disposition traitant du sort du bail en cas de divorce ou de séparation de corps a été posée. Il a été répondu : « La Sous-Commission estime que l'attribution du droit au bail, soit à titre provisoire pendant l'instance, soit à titre définitif après le jugement, rentre dans le cadre des mesures provisoires que l'article 1280 du Code judiciaire attribue au président du tribunal ou fait partie des opérations de liquidation du régime matrimonial.

Il est donc inutile d'en traiter à cet endroit du projet. Par contre, il est indispensable de prévoir la procédure à suivre en cas de conflit entre les époux quant à l'exercice par eux du droit au bail qui leur est commun » (ibid., p. 36).

En ce qui concerne la séparation de fait, les travaux préparatoires indiquent : « Un autre membre demande si la protection du logement de la famille prévaut toujours lorsqu'il n'y a plus de famille, par exemple en cas de séparation de fait. Il lui est répondu qu'en ce cas il peut d'abord être fait application de l'article 223 nouveau.

Le membre précise sa question et demande notamment s'il y a encore logement de la famille lorsqu'un des époux abandonne ce logement, par exemple; la commission estime que, dans une telle éventualité, le logement de la famille continue, jusqu'à nouvel ordre, d'exister.

Dans le cas contraire, un des époux pourrait profiter d'une séparation de fait pour aliéner le logement de la famille.

Généralement, une solution interviendra après un certain temps, sur la base de l'article 223 du C. c. (comportant l'interdiction d'aliénation, par exemple) ou bien une demande en divorce sera introduite » (Doc. Parl., Chambre, 1975-1976, n° 869/3, p. 7).

B.4.2. Puisque l'article 215 du Code civil doit être considéré, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires cités en B.3.1, comme une restriction que « le mariage » apporte au droit de libre disposition des époux, la présomption contenue dans le paragraphe deux de cet article vaut en principe tant que le mariage dure. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.4.1, d'une part, que la protection du logement principal de la famille vaut en principe aussi en cas de séparation de fait, et, d'autre part, que le législateur, lorsqu'il a adopté cette disposition, n'a en aucune manière voulu régler la situation juridique des époux après le mariage.

B.5. La formulation de la disposition en cause ainsi que les travaux préparatoires font également apparaître qu'en adoptant cette disposition, le législateur a uniquement voulu régler « le droit au bail » du logement principal de la famille pendant la durée du mariage et non, par conséquent, les obligations locatives qui incombent, après la dissolution du mariage, aux époux divorcés, selon que le bail a été conclu avec un seul ou avec les deux époux divorcés.

B.6. La différence de traitement visée dans la question préjudicielle porte sur les obligations locatives d'époux divorcés et est donc étrangère à l'article 215, § 2, du Code civil, interprété comme indiqué en B.5, de sorte que la question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

B.7.1. Néanmoins, si la disposition en cause est interprétée en ce sens qu'elle règle également les obligations des époux, la différence de traitement visée dans la question préjudicielle est raisonnablement justifiée, eu égard aux situations essentiellement différentes dans lesquelles se trouvent les catégories visées dans la question préjudicielle.

Lorsque les deux époux signent un bail, chacun d'eux reste lié par ce contrat après le divorce tant qu'il n'est pas mis fin à celui-ci, conformément aux règles applicables en la matière. L'époux qui quitte volontairement ou doit quitter l'habitation familiale est donc tenu de respecter les obligations du contrat de bail d'habitation à l'égard du bailleur, tant qu'il ne s'est pas délié de ces obligations à l'égard de ce dernier.

Lorsque seul un des deux époux signe un bail, l'autre époux devient colocataire légal sur la base de la disposition en cause, mais uniquement pendant la durée du mariage et pour autant que le logement concerné puisse être qualifié de « logement principal de la famille ».

L'époux qui n'a pas signé le bail perd, après le divorce, le statut de colocataire légal, ce qui ne signifie pas qu'il ne serait plus tenu de respecter ses obligations locatives concernant le logement familial, pour autant, toutefois, qu'il s'agisse d'obligations se rapportant à la période au cours de laquelle les époux étaient mariés et au cours de laquelle le logement pouvait être qualifié de « logement principal de la famille ».

B.7.2. Ni la formulation de la question préjudicielle, ni la décision de renvoi ne permettent de déduire en quoi la disposition en cause serait incompatible avec l'article 23 de la Constitution. Dans la mesure où le juge a quo aurait visé le droit à un logement décent garanti par l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution, la disposition en cause ne porte en aucune manière atteinte à ce droit, dans l'interprétation mentionnée en B.7.1.

B.8. Dans l'interprétation de la disposition en cause mentionnée en B.7.1, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 215, § 2, du Code civil ne viole pas les articles 10, 11 et 23 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 12 mai 2011.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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